Juste un petit accident
Il y a douze ans...
- Il faut absolument qu'on trouve un moyen pour lui remonter le moral !
J'observe la version noir et blanc d'Alison Davis avec effroi, je savais que ce garçon lui briserait le cœur. Si seulement elle m'avait écouté...
- Je sais, répondit la blonde du groupe. Et j'ai un plan. Nous allons procéder en trois étapes. Premièrement tu vas lui faire tes muffins cœurs fondants. Elle les adore. Deuxièmement, mon père et moi avons prévu d'acheter un énorme paquet de chamallow et de les manger devant son film préféré. Troisièmement...
- On donne Eliott à manger aux ornithorynques.
Lola me fait un grand sourire et approuve ma réaction.
- Lis-tu dans mes pensées ?
- Nom de code du plan ? Dis-Je très sérieusement.
- Je te laisse choisir.
J'observe mon environnement à la recherche d'idées et tombe sur l'horrible tête rousse d'Eliott qui joue gaiement dans la cour de récréation avec ses amis. Un sourire cruel se dessine sur mes lèvres.
- Carotte ?
Je guide le regard de Lola vers l'ancien amoureux d'Alison, le même sourire carnassier se dessine progressivement sur son visage.
- Carotte.
***
Lola s'est réveillée quelques minutes après son évanouissement. Selon le médecin d'Alison, il s'agirait d'une simple baisse de tension due à la fatigue. Selon moi, il s'agit d'un appel au secours d'un corps malmené par une femme trop bornée.
- Attends... combien de temps je suis restée couchée ? Passe moi mon téléphone j'ai besoin de...
- Tu n'as sûrement pas besoin de ton téléphone, dis-je. Tu as besoin de repos. Tu vas donc gentiment aller te coucher sans discuter et tu vas lâcher ce maudit portable cinq minutes sinon je le broie dans le mixeur est-ce-que j'ai été clair ?
Lola râle un peu mais se laisse finalement entraîner dans la chambre d'Alison et s'écroule sur le lit.
Ça, c'est fait.
Alison s'écroule elle aussi sur son lit la tête sur les fesses de Lola.
Super, ça aussi c'est fait.
Je sors le portable de Lola de ma poche et l'examine quelques instants avec curiosité.
Qu'est-ce que cette petite chose peut bien contenir pour qu'elle soit à ce point sous son emprise ?
Oh et puis elle ne m'en voudra pas si je jette un coup d'œil.
N'est-ce pas ?
Je déverrouille son portable avec son code qui se trouve être sa date de naissance.
Toujours aussi prévisible.
Je jette ensuite quelques coups d'œil nerveux vers la chambre mais me rends très vite compte qu'elles dorment à poings fermés.
De toute façon, ce n'est pas comme si j'avais peur. Je suis un ninja, personne ne peut m'attraper.
Déjà trente appels manqués et quatre-vingt sms. Je lance un regard dédaigneux à mon portable qui ne sonne jamais et me replonge dans mon intrusion de la vie privée de Lola. Je lis quelques uns de ses SMS et m'aperçois que sa vie est follement triste.
Tous ces SMS ne sont pas adressés à Lola mais à une femme froide et calculatrice visiblement insupportable avec ses collaborateurs.
Je lâche son portable qui atterrit sur le sol en faisant un sinistre bruit.
Oh mon dieu.
Oh mon dieu mon dieu mon dieu.
Qu'est ce que j'ai fait ?!
Je m'empresse de ramasser son téléphone et découvre que non seulement l'écran est en morceaux mais qu'en plus il ne s'allume plus. Je m'insulte pendant une bonne dizaine de minutes et commence à imaginer Lola me découper puis me congeler pour ensuite me donner à manger à l'ex d'Alison. Ou aux ornithorynques. Je m'assois sur le canapé, vérifie que Lola dort toujours et tente de me calmer.
Très bien Lysandre, tu es une fille intelligente. Tu as eu trois fois le premier prix au concours d'orthographe au collège et tu avais une très bonne moyenne au lycée. De plus tu es écrivain ! Élaborer des scénarios incroyables c'est ton domaine ! Tu dois donc te servir de tout ça pour élaborer un plan qui te permette de ne pas finir ta vie dans l'estomac d'un ornithorynque.
"Mon dieu Lola, c'est incroyable, ton portable s'est suicidé !"
Mauvaise idée.
"C'est l'ex d'Alison, il a mangé ton portable. Viens on va lui casser la gueule et l'éventrer pour le récupérer."
Pas très crédible.
"Ton portable ne se sentait pas très bien alors j'ai décidé de lui donner un peu de liberté en le fracassant violemment contre le sol. Il est maintenant au paradis des portables avec Steve Jobs son créateur."
- Lys qu'est ce que tu...
Je me lève en criant et jette le portable derrière moi.
Sauf que derrière moi il y a une baie vitrée, que cette baie vitrée est ouverte et que derrière cette baie vitrée, il y a une piscine.
Je me retourne vers Alison la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés.
- Est-ce que c'était ce que je crois, me demande-t-elle.
J'acquiesce les lèvres plissées, un sourire vient lentement illuminer le visage d'Alison et je me mets à rire me rendant compte de l'absurdité de la situation.
Et maintenant, je fais quoi moi ?
***
- Il faut qu'on trouve une solution Lysandre ! Et vite !
Cela fait maintenant trois heures et treize minutes qu'Alison et moi courons partout comme deux hystériques prêtes à tuer pour réanimer ce maudit portable.
- Mais bon sang ce portable repose au fond de ta piscine ! Quelle solution tu veux que je trouve ?!
- Quel portable repose au fond de quelle piscine ?
Lola se tient devant nous, la tête haute et les bras croisés. Toujours aussi épuisée mais indéniablement terrifiante. Je lance des appels de détresse à Alison et nous bredouillons toutes deux de maigres explications :
- C'est que en fait et bah...
- Y avait le médecin...
- Et puis là des aliens...
- Et il a glissé malencontreusement et...
- BOOM BOOM BOOM PIOUUUUU EXPLOSION !
- Et du coup on a...
- Des bananes partout !
Je regarde Alison un peu hébétée me rendant enfin compte que nos explications ne sont pas très cohérentes. Lola nous fixe quelques instants et retombe sur le lit.
Oh.
Pas de découpage ni de congélation.
C'est bizarre ça.
Alison et moi nous approchons timidement du lit où Lola est couchée et nous effondrons à côté d'elle, nos cheveux au dessus de nous se confondent et offre alors un contraste surprenant entre le blond de Lola et mes cheveux noirs. Alison vient trancher en apportant une touche de douceur au tableau.
- Tu as fouillé dans mon portable.
- Oui, avoué-je.
- Et comme tu as deux mains gauches tu l'as laissé tomber.
- Aussi.
Lola se tourne vers moi le visage fermé, j'ai soudain l'impression de faire face à un mur de glace.
- Tu vas me tuer ? Lui demandé-je avec un peu de crainte.
Elle secoue la tête et soupire, il me semble alors que mon amie est bien plus âgée que son visage lisse de toutes marques vieillesse ne le laisse paraître.
- Ce n'est pas si grave. Peut-être que ça ne me fera pas de mal de faire une pause quelques jours...
Je me sens d'un coup plus légère, presque heureuse d'avoir fait tomber ce téléphone.
Lola se lève et revient avec son sac à main qu'elle pose à côté d'une Alison désormais endormie. Elle sort une feuille de papier où je devine les courbes de son écriture.
- Ça, me dit-elle en désignant la feuille, c'est le plan "ramenons Alison à la vie". J'ai prévu ça sur deux mois. On a deux mois pour qu'elle oublie l'existence même de celui que l'on surnommera "Connard Ultime". Ces deux mois comprennent trois voyages et le mariage de Connard Ultime. Premier séjour d'une durée de deux semaines : Hawaï. Deuxième séjour d'une durée de trois semaines : Rome. Je n'ai pas encore choisi le lieu où nous irons lors des deux dernières semaines en sachant que je compte rester une semaine à Los Angeles pour assister au mariage de Connard Ultime et potentiellement lui faire sa fête. Hawaï sera l'occasion de se détendre, Rome c'est le point culturel et le troisième voyage doit être... mémorable. Il doit tout lui faire oublier. Je continuerais à travailler durant ces deux mois, moins que d'habitude certes mais je ne peux définitivement pas abandonner ma société comme ça. De ton côté tu peux écrire n'importe où et Alison n'a pas de tournage en cours.
J'acquiesce vivement, tout ça me paraît extrêmement correct. Surtout si je peux me défouler sur Connard Ultime.
- Nom de code du plan ?
- Je te laisse choisir.
Je me redresse et penche la tête, pensive. Un souvenir me revient alors en mémoire et je ne peux empêcher mon visage de se fendre en un sourire éclatant.
- Carotte ?
Le visage de Lola s'éclaire lui aussi et elle me lance un clin d'œil complice.
- Carotte.
Je jette un œil à Alison qui dort toujours paisiblement et me rends compte que jamais nous n'aurions dû les laisser nous séparer.
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