Investigations
Il y a dix ans...
Lorsque j'ouvre les yeux, j'ai le bonheur de voir mon père dans la voiture qui nous fait face et non pas un tueur en série comme je m'y attendais. Avec un soupir général, nous nous asseyons au bord de la douve et attendons patiemment notre sentence.
Mon père descend calmement de la voiture, éclairé dans la pénombre par les phares de la voiture et pose ses mains sur ses hanches. Son visage fermé ne trahit aucun sentiment que je puisse identifier exactement comme à chaque fois que je fais une bêtise et ça n'augure absolument rien de bon.
- Montez. Exécution.
Sans même un mot, nous ramassons notre tente et rentrons dans le 4x4. Nous nous installons sur la banquette arrière, Lola sur la droite et Alison au milieu. Mon père reste un moment à regarder notre douve inachevée et Lola a tout juste le temps de glisser avant qu'il n'entre quelques mots sur notre situation précaire :
- Je ne sais pas si je dois être soulagée de ne pas avoir été dévorée par un monstre ou terrifiée d'être dans cette voiture.
Hawaï J-7
- Et vous n'avez rien fait ?
- Si ! Je viens de te dire que j'ai passé une excellente soirée sur la plage !
- Mais vous n'avez rien fait sur la plage ?
Je regarde Alison, bouche bée et secoue lentement la tête.
- Tu sais qu'il a une copine ?
Elle lève les yeux au ciel en posant rageusement son pion sur le plateau puis se désintéresse de moi et s'adresse à Lola.
- Tu y croies toi ? À l'entendre j'ai passé six heures à coiffer sa crinière négligée et à m'occuper de sa face de pâté pour un dîner entre amis !
Lola, visiblement très concentrée à compter son argent virtuel, la regarde en haussant les épaules.
- Tu sais, j'ai arrêté d'essayer de les comprendre il y a un moment.
La blonde pose finalement sa fausse liasse de billet et une main sur son crâne. Elle grimace un peu et secoue la tête, comme chassant de son esprit quelque chose.
- En tout cas vous me fatiguez toutes les deux. J'ai besoin de me reposer.
Sur ces mots, Lola nous abandonne et se réfugie dans la salle de bain sans la moindre pitié. Je me redresse du matelas sur lequel je suis couchée et regarde la porte de la salle de bain de manière suspicieuse.
- Elle nous cache quelque chose, dis-je d'une voix basse à l'intention d'Alison.
Cette dernière lève les yeux au ciel et commence à ranger le plateau du jeu qu'elle jouait avec Lola.
- Elle ne nous cache rien, elle en a marre de Mike et de toi. Je te rappelle que tu es rentrée tard, très tard. Tu as laissé espérer, cruelle que tu es, qu'il s'était RÉELLEMENT passé quelque chose entre vous. Mais non. Rien. Tu m'étonnes qu'elle soit fatiguée.
Finissant de ranger le jeu de société, Alison se lève de la chaise de camping que nous avions acheté plus tôt pour pique-niquer et retire son haut. Je détourne immédiatement le regard en soupirant, même plus étonnée du manque de pudeur de mon amie. Je me retiens de lui faire la remarque qu'elle se trouve devant une porte vitrée et me contente d'attendre qu'elle ait fini de mettre son maillot de bain.
- Tu viens ? On va laisser Lola faire le deuil de Lyke.
Je mets un moment à me rendre compte que "Lyke" est sans doute le mélange du prénom de Mike et du mien avant de me lever et de retirer moi aussi mes vêtements, ayant déjà mon maillot de bain dessous.
- Ly... ke n'est pas enterré. Je n'ai pas oublié Mike et il ne m'a pas oublié non plus. On a juste besoin de temps c'est tout.
Alison lève un sourcil suspicieux avant de les cacher derrière ses immenses lunettes de soleil. Elle ouvre la porte vitrée et me désigne la sortie d'une main.
- Vous en avez eu suffisamment selon moi...
Je lève les yeux au ciel en passant l'interstice de la porte et descends les escaliers. Après quelques marches, je me retrouve directement au cœur de l'immense piscine de ce complexe magnifique.
Disposées en cercle tout autour, les chambres et suites encadrent si bien l'étendue d'eau turquoise que je reste un moment ébahie.
Comme à chaque fois.
Il faut dire que cet hôtel aux mille fleurs tropicales est particulièrement bien entretenu et dépaysant, c'est d'ailleurs sans doute pour cette raison ça que Lola l'a choisi.
- En tout cas, dis-je pour changer de sujet, elle nous ment. Je la connais.
Déjà en quête de deux chaises longues, Alison me jette un regard difficile à cerner à cause de ses verres fumés et continue de fendre la foule.
- Tu essaies de détourner le sujet, dit-elle en se dirigeant finalement vers le bar. Mais je dois avouer qu'elle est... un peu bizarre ces temps-ci...
J'acquiesce vivement même si je sais qu'Alison ne peut pas le voir et guette moi aussi les places qui se libèrent.
- Exactement ! Tu penses qu'elle a des problèmes ?
Alison s'arrête d'un coup, se tourne vers moi et me sourit d'un air mystérieux.
- Je ne crois pas non...
Toujours avec son sourire énigmatique et particulièrement agaçant, Alison se détourne et continue sa course, me laissant perplexe.
Elle ne croit pas ?
Avec un soupir, je continue à la suivre même si je n'en ai plus aucune envie et sourit en voyant apparaître mon meilleur ami de ces derniers jours.
Le bar de plage.
À vrai dire, ce bar n'a rien à voir avec la plage. Il n'est pas sur une plage, il ne sert pas des cocktails de plage et la clientèle n'a rien à voir avec celle d'une plage mais il en a curieusement l'apparence.
Petite baraque au toit de paille courbé comme une soucoupe, ce bar est sans doute censé donné l'illusion que nous nous trouvons dans un petit commerce typique d'Hawai ou veut simplement faire honneur aux clichés. Quoi qu'il en soit, il est vrai qu'il détonne fortement avec les bâtiments modernes qui l'encadrent et avec la piscine entièrement neuve qui le borde.
Et ça me plaît bien.
Je m'installe sur un tabouret à côté d'Alison, bien décidée à lui parler lorsque le barman vient m'interrompre. J'ai toujours eu une complicité incongrue avec les barmans. Personne ne sait pourquoi, certainement pas moi mais je m'entends curieusement bien avec eux. Jo en est la preuve.
- Comme d'habitude ?
J'acquiesce doucement pendant qu'Adam se tourne vers Alison.
- Mademoiselle ?
Il lui adresse un sourire éclatant, sourire auquel je n'ai jamais eu droit et qui fait pétiller ses yeux verts. À vrai dire, Adam est loin d'être un laideron. En fait, il est même très beau.
Et visiblement, Alison l'a remarqué.
Papillonnant des yeux, elle lui sourit de la même manière et place une mèche de ses cheveux derrière son oreille.
- Surprends moi...
Je lève les yeux au ciel face à tant de stupidité et pose mon coude sur le comptoir, attendant patiemment qu'Adam s'en aille pour que je puisse avoir l'attention d'Alison.
Une fois sa distraction partie, mon amie se réveille d'un coup et se met à s'extasier sur le physique du brun. À vrai dire, je ne l'écoute pas jusqu'à ce qu'elle se mette à chanter une chanson bien connue.
- Aruba, Jamaica, ooooh I wanna take you...
J'écarquille les yeux d'un coup, sous le choc et tente de plaquer ma main sur sa bouche qu'elle chasse sans égard pour mes pauvres oreilles.
- To Bermuda, Bahama come on pretty mama...
Totalement emportée, Alison continue de chanter cette horrible chanson tout droit sortie des années 80 et récolte quelques regards interloqués de la part des autres clients du bar.
Forcément.
Le plus triste c'est que je ne sais même pas comment elle a pu en arriver là.
Adam revient très vite avec ma limonade et un cocktail pour Alison qui est d'ailleurs toujours en train de chanter. Adam me regarde un moment, semblant demander des explications que je ne peux lui donner. Comme par miracle, mon amie s'arrête d'un coup et regarde le barman d'un air profondément déçu.
- Quoi ? Tu ne connais pas ? Cocktail ? Tom Cruise ? Les Beach Boys ? Non ?
Je comprends d'un coup ce qui a pu l'amener à penser à ce film ridicule et éclate de rire malgré moi.
Évidemment.
Nous sommes dans un bar de plage, Adam a les yeux verts comme Tom Cruise et a fait valser ses shakers sous les yeux admiratifs de mon amie qui s'extasiait il y a quelques minutes sur sa beauté renversante.
CQFD.
Je congédie Adam d'un geste, essayant de lui faire comprendre que je lui expliquerai plus tard et souris à Alison qui me regarde désormais avec les sourcils froncés.
- Tu as pris... une limonade ?
Je baisse les yeux sur mon verre rempli d'un liquide translucide qui pétille et acquiesce en le sirotant.
- C'est les vacances. On est à Hawaï. Et tu bois... de la limonade ?
Je hausse les épaules en continuant de boire mon verre décoré par un peu de sucre coloré sur les bords. Je viens ici tous les jours et ce plusieurs fois, je n'ose pas imaginer les dégâts sur mon foie si je buvais de l'alcool dès que je le pouvais. De plus cela a toujours eu un mauvais effet sur moi. J'évite l'alcool autant que possible.
Evidemment, ça ne s'est pas beaucoup vu cette semaine.
- Enfin bref, dit-elle en balayant l'air de sa main, je pense que Lola nous cache un mec.
Je lève les yeux au ciel, prête à rejeter cette idée mais laisse tout de même une chance à Alison de s'expliquer.
- C'est à dire ?
Mon amie trempe légérement ses lèvres dans son cocktail et s'explique de manière théâtrale, comme toujours, en faisant de grands gestes :
- Elle a constamment la tête ailleurs, de plus en plus souvent mal à cette dernière d'ailleurs et... je sais de source sûre qu'elle téléphone à quelqu'un le soir avant d'aller se coucher.
- Dans la salle de bain ?
- Dans la salle de bain.
- Je le savais !
Alison sourit de toutes ses dents en buvant cette fois une plus grande gorgée de sa boisson.
- Toi aussi tu l'avais remarqué ?
J'acquiesce pensivement. Il est vrai que Lola passe beaucoup de temps dans la salle de bain le soir. Au début je pensais que cela concernait son travail, seulement je me suis vite rendue compte que ça ne pouvait pas être le cas.
Simplement parce que le ton employé était beaucoup trop calme.
Lola passe souvent des appels pour son travail, mais dans ces cas là, l'hôtel entier est au courant.
Or, ces appels là sont différents. Le ton ne monte jamais, nous n'entendons rien.
À notre grand désespoir.
J'aspire un peu de ma limonade en profitant de ce goût de citron rafraîchissant et regarde Alison qui est elle aussi en pleine dégustation de son cocktail.
D'un regard nous nous mettons d'accord.
Il va falloir mener l'enquête.
***
Lola ne nous dit jamais rien sur sa vie.
Si nous voulons savoir quelque chose, il faut le lui arracher. Arracher une information à Lola, surtout la concernant, ce n'est pas simple.
Mais rien de trop compliqué pour nous, Alison et Lysandre, détectives perspicaces et déterminées.
Tels deux ninjas, nous nous faufilons dans les couloirs. Presque invisibles, nous sommes deux ombres qui glissent sur les murs à la vitesse de la lumière.
Bon, deux ombres en maillots de bains, pas si rapides que ça et pas si discrètes non plus.
Mais deux ombres tout de même.
Nous avons décidé d'espionner Lola depuis la porte de notre chambre. Celle qui donne sur les couloirs et qui n'est pas vitrée, évidemment.
Sinon ce serait beaucoup plus compliqué.
À mi-chemin entre notre chambre et l'ascenseur, je me tourne vers Alison qui semble pensive et demande timidement :
- Sinon... tu vas mieux depuis... Connard Ultime ?
Alison tique un peu et secoue la tête :
- Arrête de l'appeler comme ça. Il s'appelle Mark.
J'ouvre la bouche, excédée et lui fais les gros yeux.
- Je te rappelle qu'il...
- Moi aussi, je l'ai trompé.
Sous le choc, j'arrête de marcher et fixe Alison avec des yeux écarquillés, ne pouvant rien faire d'autre. Cette petite cachotière hausse les épaules et s'adosse contre le mur.
- Tout n'est jamais tout noir ou tout blanc... je ne vous l'avais pas dit parce que j'avais honte, que j'étais triste et que j'avais besoin que vous le détestiez pour moi mais aujourd'hui... je pense que vous méritez de savoir.
Je me laisse lourdement tomber à côté d'elle et soupire. Au fond, je m'en doutais un peu. Un tel comportement cachait de la haine, personne n'est aussi mauvais.
Je pose ma tête contre son épaule et soupire une nouvelle fois.
- Pourquoi ?
Elle hausse les épaules, faisant bouger ma tête au passage et se met à jouer avec ses mains.
- Il n'y a pas de vraie raison. J'étais juste seule, loin de lui, depuis longtemps. C'est dur de se souvenir que l'on est en couple dans ces conditions.
J'acquiesce lentement. Il est évident qu'Alison et Mark ont dû être fréquemment séparés étant donné que le métier qu'ils pratiquent tout deux l'exige.
- Je comprends...
À vrai dire, ce n'est pas tout à fait vrai. Mais je suppose que c'est ce que l'on dit lorsqu'on veut soutenir une amie et qu'on ne sait pas trop comment faire. C'est un mensonge, un mensonge bien pratique mais un mensonge tout de même.
On ne comprend jamais.
Alison me sourit tristement et se remet en marche. Je la suis en silence et me demande un instant comment Lola réagira lorsqu'elle l'apprendra.
En parlant du loup, la porte de notre chambre est à quelques pas.
Et un homme vient d'y entrer.
Alison et moi nous regardons d'un air entendu. Un sourire complice vient lentement faire sa place sur nos visages et nous nous approchons discrètement mais avec gaieté.
Forcément que nous sommes heureuses, nous arrivons pile au bon moment.
Toujours telles deux ombres presque invisibles, nous nous plaquons au mur et glissons jusqu'à la porte de notre chambre. Je manque de me prendre les pieds dans la moquette une bonne dizaine de fois mais arrive finalement entière et sans avoir fait trop de bruit. Une fois parfaitement installée, je plaque mon oreille à côté de la serrure en regardant Alison faire de même. La voix de Lola nous parvient alors très faible et visiblement éreintée.
- Je ne peux pas faire ça maintenant. Je ne peux pas faire ça tout court.
- Il le faudrait pourtant.
Alison me regarde avec des yeux écarquillés et me lance en chuchotant :
- Je crois qu'il veut qu'elle nous avoue leur relation.
Je fronce les sourcils en me demandant pourquoi Lola nous cacherait sa possible relation avec cet homme et fais signe à Alison de se taire pour que l'on puisse entendre la suite de la conversation.
Seulement, rien ne vient.
Rien ne vient parce que Lola a ouvert la porte.
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