Il y a douze ans, dans une petite ville du Texas : 

- Moi plus tard je serai une grande actrice. Je serai mariée à un acteur et on aura plusieurs enfants ensemble, deux filles et un garçon. 

Je me prête au jeu en gloussant : 

- Et bien moi je me marierai avec un chanteur de country, j'irai habiter à Nashville où j'écrirai un livre que des millions de personnes liront. Et puis... j'aurais peut-être des enfants mais seulement après avoir acheté la maison de mes rêves. 

Nous rions en tâchant de ne pas faire trop de bruits avec Alison, sa maman dort et je ne voudrais pas la réveiller au risque de ne plus pouvoir venir dormir chez elle.

- Moi j'ignore où je serai, déclare Lola qui prend la parole pour la première fois depuis le début du jeu. J'ignore aussi avec qui, mais je sais que je serai là pour veiller sur vous. 

Aujourd'hui, Los Angeles, LAX, 20h30 :

La seule chose dont je rêve actuellement est de prendre un bon bain chaud. 

Manque de chance, je ne suis pas ici pour me reposer mais bien pour aider mon amie d'enfance que je n'ai pas vu depuis une décennie. Après l'appel de Lola je me suis tout simplement ruée sur mon ordinateur oubliant ces choses futiles que sont mon premier chapitre et ma carrière d'écrivain. Je connais Alison, cette rupture a dû l'anéantir. Elle a toujours cru au prince charmant et postait des photos par milliers de son couple sur Instagram. 

J'ai naïvement pensé que tout allait bien. 

Je me retrouve donc assise sur les marches de l'aéroport de Los Angeles, attendant Lola qui devrait arriver dans exactement trente minutes. La française de notre petit groupe a toujours aimé tout contrôler. Elle m'a donc envoyé mes billets d'avion par mail, a calculé l'heure de mon arrivée à Los Angeles, a réservé son avion pour qu'il atterrisse presque en même temps que le mien et m'a conseillé de dormir pendant le trajet car le décalage horaire allait me secouer. 

Une véritable malade. 

Elle a toujours été comme ça. Déjà lorsque nous étions enfants elle aimait tout gérer, tout organiser. Aujourd'hui, elle a créé sa société de mode à seulement 24 ans et fait un tabac avec ses créations originales et écologiques.

L'écologie et Lola... une grande histoire d'amour.

Alison a elle aussi bien évoluée, passant de petite fille qui rêve d'une carrière hollywoodienne à actrice hollywoodienne qui fait rêver les petites filles. Elle avait trouvé son prince charmant et sa vie rendait envieux tout ceux qui étaient assez fou pour s'y intéresser. 

Visiblement, ce n'était pas si parfait que ça en avait l'air.

Mes deux meilleures amies d'enfance sont donc devenues des femmes incroyables à la vie parfaite et au compte bancaire bien rempli. 

Il n'y a donc que moi qui reste à la ramasse. 

- Lys ! 

Je me retourne vers la voix de mon amie et découvre la version adulte de Lola Leroy se diriger vers moi avec ses énormes valises et un tout nouvel air fier qui ne me plait pas beaucoup. Ses cheveux blonds sont attachés en un chignon strict et elle porte un tailleur noir tout aussi autoritaire. Je me précipite vers elle et saisit deux de ses valises pour l'aider à descendre les marches. Une fois notre tâche terminée je fixe Lola quelque peu gênée, elle finit par briser le malaise en prenant la parole : 

- Heureuse de te voir ! Tu es... 

Je baisse les yeux sur mon jean customisé et sur mon haut déchiré. Mon style vestimentaire a toujours été particulier. 

- Lysandre. Tu n'as pas changé. 

Elle me fait un petit sourire timide et j'ai alors le plaisir d'entrevoir sous cette nouvelle assurance ma petite Lola qui ne parlait pas un mot d'anglais et qui n'osait adresser la parole à personne.

- Toi non plus au fond. 

Cette fois le sourire est partagé. Un taxi se gare pile devant nous et Lola regarde sa montre avec satisfaction. 

Qu'est-ce que je disais. 

Nous entassons nos bagages dans le coffre du taxi et montons à l'intérieur quelque peu essoufflées. 

- Et donc tu délaisses tes nombreuses responsabilités de femme d'affaire pour voler au secours d'Alison ? Lui demandé-je l'air de rien.

Lola me toise un moment. 

- Aucun échantillon de tissu au monde ne compte plus que les larmes d'Alison à mes yeux. 

Je reste coite quelques instants et n'ai pas le temps de répondre étant donné qu'elle décroche son téléphone dans la seconde qui suit et qu'elle ne le lâche pas d'une semelle. Nous passons le trajet dans le malaise le plus total, Lola elle est trop occupée à hurler sur un pauvre homme nommé Steven pour s'en rendre compte. Je lui décerne d'ailleurs la palme du self-control.

Après une bonne demie heure de voiture je ne possède plus d'oreilles et le chauffeur non plus. Nous déchargeons le coffre et j'ai le plaisir de voir qu'Alison vit maintenant dans une maison immense qui fait surement dix fois la taille de mon appartement. 

Avec une piscine. 

Et elle se permet de faire une dépression. 

Nous traversons l'allée fleurie dans un silence presque religieux, lorsque nous arrivons devant la porte je me sens quelque peu nerveuse et je sens que c'est aussi le cas de Lola. Cela fait tellement longtemps que nous n'avons pas été réunies. 

Lola finit par frapper à la porte d'Alison. 

Pas de réponse. 

Je tente ma chance moi aussi et cette fois le visage défait d'une Alison alcoolisée apparaît dans l'encadrement de la porte. Deux longues traînées de mascara s'étalent sur ses joues et ses cheveux bruns sont dans un état épouvantable. 

Est-ce que c'est bien du vomi que je vois là ? 

Lola masque sa surprise par un grand sourire et sort de son sac une petite boîte en carton qu'elle tend à Alison. 

- Tu veux un burger ? 

Alison s'empare de la boîte et nous invite à entrer. Son magnifique salon est jonché de débris. 

Très bonne ambiance.

Alison pose la boite de burger sur le comptoir de sa cuisine et laisse tomber sa tête sur la table. Lola lève les yeux au ciel et plaque son portable sur la surface nous faisant sursauter Alison et moi : 

- Lève toi. 

Alison grogne contre le comptoir et n'esquisse pas un mouvement. 

- Relève toi. 

Le ton de Lola se fait plus dur et je la regarde avec interrogation. Si Alison n'a pas besoin d'une chose, c'est bien du Caporal Lola. Notre amie sanglote contre le comptoir et je ne peux m'empêcher de passer une main sur son dos pour la rassurer. Lola déglutit et réitère son ordre. 

- Relève toi, maintenant ou je le fais à ta place.

Alison finit par obtempérer en gémissant et nous regarde avec ses yeux pleins de larmes et ses joues rougies. S'en est de trop pour moi et même pour Lola qui s'empresse de fondre sur elle pour la réconforter.

- Ne pleure pas. Ne pleure pas pour lui il ne le mérite pas. 

Pourtant, ses pleurs redoublent d'ardeur. Les larmes aux yeux je les enveloppe moi aussi de mes bras. Quelques secondes plus tard je suis secouée par mes sanglots. Seule Lola reste forte, elle a toujours été notre roc à toutes les deux, la pierre sur laquelle nous pouvions nous reposer. Une fois que nous sommes calmées, Lola dissout notre étreinte et prend la parole :

-  Alison... ta vie n'est pas terminé à la seconde où ton mec te largue ! Il faut te relever et il faut le faire maintenant, je refuse de voir Alison Davis pleurer aussi longtemps pour un débile. D'ailleurs nous allons aller à ce mariage.

Les yeux d'Alison s'écarquillent et viennent se poser sur moi, me suppliant de résonner Lola. 

Ce que je ne compte pas faire. 

- Elle a raison. Nous allons y aller, tu seras éblouissante, souriante, un magnifique jeune homme à ton bras et MOI J'IRAIS LUI PÉTER SA GUEULE À CET ENFOIRÉ !

Lola me jette un regard réprobateur mais je vois comme l'ombre d'un sourire sur son visage. 

Elle aussi veut lui faire la peau. 

- Tu n'as vraiment pas changé... 

J'ai toujours été la bagarreuse du groupe. Avec un militaire pour père, pas d'autre choix. 

Alison se précipite vers nous et nous entoure de ses bras. 

- Oh merci, merci d'être venues. 

Nous lui faisons notre plus grand sourire et je lui conseille d'aller prendre une douche et de se reposer un peu. Conseil qu'elle suit. 

- Bon je crois que finalement on a... Lola ? 

J'entends un choc sourd et vois le corps de Lola s'écrouler comme une pyramide de carte. Ses longs cheveux blonds s'éparpillent sur le parquet d'Alison et je remarque alors ce que j'aurais dû  voir dès son arrivée. 

Des cernes bleu foncé s'étalent sur ses joues comme deux taches d'encre prêtes à l'engloutir. 

L'invincible Lola Leroy meurt d'épuisement.