Champagne !

Hawaï : J - 15

Il y a dix ans...

- Ils ne peuvent pas me faire ça !

Alison s'écroule sur son lit en pleurant et nous nous empressons d'aller la réconforter. 

- Qu'est-ce que je suis censée faire maintenant ? Tout quitter parce qu'ils ne s'aiment plus ? Choisir entre mes deux parents ? Dit notre amie entre deux sanglots. Qu'est-ce que je peux faire ?

Lola et moi nous asseyons avec tristesse à ses côtés, l'ambiance n'est plus au rire. 

Elle ne le sera peut-être plus jamais. 

Lola pose une main sur l'épaule d'Alison pendant que je l'enserre de mes bras. 

- Je ne sais pas. Ce qui est sûr c'est que quoi qu'il arrive on restera ensemble. Même si tu choisis de partir vivre à l'autre bout du continent. 

J'acquiesce vivement. Le divorce de ses parents était ce qu'il pouvait arriver de pire à Alison qui a toujours eu la chance d'avoir son père et sa mère. Pour ma part, la mienne est morte à ma naissance et celle de Lola l'a abandonné. 

Alison se redresse d'un coup comme si elle venait d'avoir une idée de génie et sèche ses larmes. 

- On a qu'à fuguer ! 

Aujourd'hui, Honolulu, 23h00 :

J'ai le plaisir de constater qu'après seulement deux semaines et quelques jours de collocation, Alison a reprit forme humaine. 

Elle sourit, elle rit, elle plaisante même. Elle semble avoir oublié CU et les mésaventures liées à cet affreux personnage. 

Elle revit. 

Ce tableau pourrait être une source inépuisable de satisfaction si seulement Lola n'avait pas décidé de le noircir avec sa mauvaise humeur. 

Nous avons passé notre journée à lézarder sur la plage privée de l'hôtel, à fureter dans des centres commerciaux magnifiques et à arpenter les rues dépaysantes d'Hawaï. 

Jusqu'ici tout va bien. 

À la fin de la journée, Alison et moi avons repéré une boîte de nuit pour jeunes riches prêts à claquer la thune de papa. 

Nous avons donc bien évidemment décidé de nous y rendre. 

Et c'est ici que ça coince. Cette journée aurait pu être parfaite et aurait très bien pu se terminer sur une parfaite image de nous trois en route pour aller se soûler au champagne, mais c'était sans compter le soudain mal de crâne de Lola qui l'empêche apparemment d'aller se prendre une cuite avec ses amies d'enfance.  

Foutaises.

Voilà ce que je pense, Lola ne veut pas aller faire la fête parce qu'elle boude pour je ne sais quelle raison et a décidé de nous pourrir la soirée en restant à l'hôtel. 

Un peu refroidies par ce changement d'humeur soudain, Alison et moi avons longuement hésité avant de nous rendre à l'endroit prévu. C'est après une longue réflexion que nous avons finalement décidé de laisser Lola à son triste sort et de partir à l'aventure toutes les deux. 

Je crois que je regrette un peu. 

Plantée devant le "Sunshine", bâtiment de style moderne qui tranche totalement avec le quartier typique dans lequel il se trouve, je regarde les gens entrer et sortir comme si cela pouvait m'apporter une quelconque assurance. 

- On entre ?

- Non ? 

Curieusement, cette idée me semble soudain beaucoup moins bonne que lorsque je me préparais avec Alison. Lorsqu'on l'observe bien, le commerce ressemble bien plus à un night club de Los Angeles qu'à un gentil bar comme on peut en trouver à Nashville.

Je ne suis pas vraiment fan des night club de Los Angeles.

Alison soupire et m'entraîne malgré moi à l'intérieur du bâtiment. Je regrette très vite de ne pas avoir suivi Lola dans son refus d'avoir une vie sociale. 

La lumière fuse de toute part et les corps se bousculent dans une cacophonie ambiante qui complète celle de la musique électro. Ce mélange de néons, de sueur et de bruits me donne très  vite la nausée et me donne immédiatement envie de quitter cet endroit. Malheureusement ma main est coincée dans celle d'Alison qui m'entraîne toujours plus loin dans cette marée humaine m'empêchant de m'évader. Nous progressons ainsi jusqu'au bar qui n'est qu'à quelques mètres de nous mais qui me parait inaccessible tant la marche est laborieuse. 

Une fois arrivées à destination, nous nous retrouvons propulsée sur un comptoir qui réfléchit l'éclairage et où Alison hurle ses commandes au barman qui s'exécute aussitôt. Sans même avoir eu le temps de souffler, Alison me met mon verre dans la main et m'entraîne déjà à travers la piste de danse. Le monde me paraît soudain coupé en plusieurs petites séquences qui me sont passées à la hâte et sans suite logique. Encore une fois je me retrouve assise sur une banquette pourpre, un verre à la main, entourée d'Alison et d'inconnus. 

Je souffle de soulagement, enfin posée quelque part. Cet endroit est un peu à l'écart de la piste de danse et protégé de l'éclairage ambiant agressif. J'observe alors avec un œil nouveau le club certes impeccable mais complètement invivable. 

Pourquoi suis-je venue déjà ? 

Ah oui ! Pour faire croire aux gens que je suis quelqu'un que je ne suis pas. 

- C'est génial non ? Hurle Alison par dessus la musique. 

J'acquiesce en faisant de mon mieux pour paraître convaincante et porte mon verre à mes lèvres. Le rebord froid apaise la brûlure de l'alcool et fait naître une série de frissons le long de ma colonne. 

Ce n'est pas si mauvais. 

Je me sens d'un coup plus légère, le bruit me semble moins important et la lumière moins agressive. Je le descends d'un coup et débarrasse Alison du sien. 

Cette fois tout va très bien. 

Les lumières sont une invitation à la fête et la musique me pousse à aller me déhancher sur la piste, les corps qui se pressent les uns aux autres ne me dérangent plus. Bien au contraire. 

J'observe autour de moi et remarque que d'autres jeunes de notre âge sont assis derrière nous selon la disposition des banquettes. Je tourne la tête et croise le regard d'un très beau brun aux yeux verts qui me sourit. 

- Hey ! Vous venez vous asseoir avec nous ? 

***

- Et glou et glou et glou et OUAAAAAAIS ! 

Huit shots.

Ou peut être neuf. 

Ou onze... 

Non il y a quelque chose avant le onze c'est le... 

Treize ! Voilà ! J'ai bu treize shots de ce... breuvage. Mes nouveaux amis m'acclament pendant qu'Alison danse sur le comptoir en remuant ses cheveux. 

Elle a vraiment de beaux cheveux. 

J'entreprends de lui hurler pendant qu'elle remue frénétiquement la tête mais ma voix se perd dans le bruit ambiant.

Tant pis.

Je me laisse porter par les cris de... Jason ? Jack ? 

Disons... Jackson.

Jackson et ses amis m'entraînent sur le dancefloor où je me déhanche sans aucune gêne. Un inconnu vient se coller à moi mais est vite chassé par mon nouvel ami Jackson qui vient le remplacer. Ignorant totalement comment je suis censée réagir, je fais ce qu'il me passe par la tête et commence à sauter sur place comme si j'étais en plein concert de mon groupe de métal préféré. Jackson ne sait visiblement pas comment réagir et se met à rire. 

- Tu sens l'ail ! 

Je fronce les sourcils et respire mon aisselle droite. 

Non, ce n'est pas vrai. 

Pensant avoir mal compris j'hurle dans l'oreille du brun : 

- Quoi ? Qu'est ce que tu dis ? 

- Tu es vraiment spéciale ! 

Ah, c'était donc ça. 

Je m'apprête à répondre mais suis d'un coup plaquée au sol par un boulet de canon sorti de nulle part. Mon souffle reste bloqué dans ma cage thoracique et mon regard se brouille. Mon corps inerte est soulevé par plusieurs personnes et baladé dans tout le club. Tout tourne autour de moi et j'ai vraiment du mal à me situer dans l'espace temps. 

Ça doit être ça, je suis dans l'espace. 

Cela expliquerait le fait que je ne puisse pas respirer. 

Avant que je réussisse à comprendre quoi que ce soit, un vent frais percute mon corps de plein fouet et la musique s'éloigne peu à peu tout comme la chaleur. En revanche, des rires fusant de toutes parts parviennent jusqu'à mes oreilles et me donnent envie de rire moi aussi. Je ne songe pas à me débattre, ce moyen de locomotion est très pratique et... 

De l'eau glacée.

Je suis dans de l'eau glacée. 

Je remonte à la surface aussi vite que possible et prend une grande inspiration lorsque je suis enfin sortie. Je serre mes bras autour de mon corps grelottant et parviens avec peine à apercevoir les autres qui plongent à leurs tours. De mon côté, je m'empresse de sortir et de me jeter sur le sable chaud. 

J'ai alors une idée brillante, digne d'un génie. 

Je vais appeler mon éditeur.

Depuis le temps que je veux vider mon sac, il est plus que temps de lui dire ses quatre vérités.

Je sors mon portable miraculeusement indemne de mon sac à main trempé et cherche maladroitement dans mon répertoire le contact intitulé "Éditeur Jesuisungroscon". Je compose son numéro et enlève mes chaussures pour profiter pleinement de la sensation du sable sur ma voûte plantaire. Éditeur Jesuisungroscon ne décroche pas et je réitère mon appel en me balançant d'un pied sur l'autre.

- On peut savoir pourquoi vous m'appelez si tôt Clark ? Déclare sur un ton peu aimable mon très cher éditeur. 

Ah oui c'est vrai. Le décalage horaire. 

- Je voulais juste te dire... euh... bah si... oui voilà ! Que t'es un gros con ! Mais un énooooorme con ! Un con de la taille d'une... exoplanète ! Ou du Soleil ! Oui c'est bien ça le Soleil... t'es un con-Soleil.

Je me laisse emporter dans un fou rire malgré moi pendant que j'entends vaguement le con-Soleil soupirer. 

- Vous êtes complètement soûle... nous en reparlerons demain si vous voulez bien. Vous avez déjà bien assez écourté ma nuit...

Editeur Groscon raccroche et me laisse toute seule, sur la plage, avec mon portable dans la main. 

Je le rappelle plusieurs fois, beaucoup de fois et laisse à chaque fois un gentil message sur son répondeur de connard. 

Et puis j'ai une nouvelle idée de génie. 

Je vais appeler mon ex. 

Je me laisse tomber dans le sable et m'y allonge confortablement. Je lève mon portable au dessus de ma tête pour tenter d'y lire le nom de Mike mais c'est très compliqué car j'ai quatre mains et deux portables. 

Ce qui est bizarre en y réfléchissant bien. 

Au bout d'une dizaine de minutes, je trouve enfin le contact tant recherché et le compose en réfléchissant à la relation complexe que j'entretiens avec Mike depuis mes 10 ans. 

- Lys ? 

- Michael ? 

Un bruit de froissement m'indique qu'il se lève et un autre retentissant m'indique qu'il vient de glisser sur sa chaussette. Je glousse bêtement en l'imaginant par terre et commence à jouer avec le sable près de moi tout en maintenant d'une main le combiné sur mon oreille. 

- Qui c'est ? Grogne une voix féminine visiblement encore endormie. 

J'entends Mike lui murmurer quelque chose que je ne parviens pas à entendre et devine qu'il s'isole. Cette mystérieusement voix a douché mon enthousiasme d'un coup et a fait apparaître la curieuse solitude que je ressens à présent. 

- Bon sang... tu sais quelle heure il est ? 

- Non, dis-je distraitement, n'ayant plus du tout envie de rire. Tu vois le ciel d'où tu es ? 

Mike jure une bonne dizaine de fois. 

- Non ! Je suis dans mes toilettes et tu m'as réveillé à six heures du matin !

Je soupire, il ment toujours aussi mal. 

- Tu ne dormais pas. Tu as répondu à la première sonnerie et tu te lèves toujours à cinq heures peu importe l'heure où tu te couches. Ta voix n'est même pas endormie.... celle de ta copine si en revanche. 

Cette fois c'est à Mike de soupirer : 

- Et toi tu es ivre. Tu ne m'aurais jamais appelé en étant sobre et tu as des difficultés à parler.  

J'enfonce un peu plus ma tête dans le sable et regarde distraitement les étoiles. Sans que je m'en rende compte des larmes ont coulé d'elles-mêmes sur mes joues. 

- Peut-être bien. Tu me manques. J'ai fait une horrible connerie.

- J'ai une copine, répond-t-il du tac au tac. 

- Je sais, dis-je de la même manière. Mais tu me manques quand même. Même en tant qu'ami. Même en tant que présence. Tu me manques. C'est horrible. J'écris pas quand t'es pas là.

- Lys... s'il te plaît... 

- Je sais, je sais, le coupé-je ne voulant pas entendre la suite. Tu ne peux pas. Mais tu me connais quand je suis bourrée c'est la montagne russe des émotions, dis-je en riant à moitié. Prête moi une oreille attentive juste cette fois d'accord ? Après tu pourras m'oublier. 

Il semble hésiter et répond d'une voix faible. 

- D'accord...

Je prends une grande inspiration, ne retenant plus mes larmes. 

- On se tue à se dire que tout va bien. Tout le temps, constamment. C'est ce qui permet d'avancer non ? Je ne sais pas. Je pense que ces mots ont quelque chose de magique en tout cas. Moi je me tue à me dire que tout va bien.  Que je suis une femme forte, indépendante, qui n'a besoin de personne. 

Ma voix se brise en mille morceaux et je n'essaie pas de le masquer. 

- La vérité c'est que tout ça c'est du baratin. Je suis faible, et seule. Horriblement seule. Même en groupe je suis seule et le pire c'est que je crois que Lola et Alison le sont encore plus que moi. Toutes les histoires qu'on se racontait gamine, toutes ces débilités sur les princes charmants et la prospérité Mike... on a toutes ce qu'on a toujours voulu avoir. Lola a son entreprise, Alison sa carrière et moi mes livres et tu sais quoi ? On va mal. Toutes. Rien ne va bien. Lola est seule, Alison est seule et moi je suis seule. Pourquoi on avait pas prévu ça dis moi ? Pourquoi c'est pas marqué dans les contes de fées ? Pourquoi on leur explique pas aux enfants que ça sert à rien de chercher le bonheur dans des rêves inaccessibles quand il est à portée de main ? Pourquoi on leur monte la tête avec des conneries de princes et de princesses ? Après tout on sait pas comment elle a fini Cendrillon. Probablement mal... 

Je me perds un instant dans la contemplation du ciel étoilé et de la sensation de l'eau salée sur mes lèvres. Cela faisait longtemps que je n'avais pas pleuré. 

- Je suis désolée Mike. J'ai tout gâché. J'espère que tu pourras me pardonner. 

Je raccroche sans lui laisser le temps de répondre et serre mon portable contre moi, m'y accrochant comme a une bouée de sauvetage. 

Je vais le répéter jusqu'à ce que je m'endorme. 

Comme une incantation, une formule magique qui permettrait de résoudre tous les problèmes. 

Un unique espoir. 

Tout va bien. 

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