Bonjour, pétillante Rome !

Il y a douze ans...

Monsieur Clark avait rarement l'occasion de voir sa fille jouer avec ses amies.

Enfin, il était déjà content qu'elle en ait trouvé. Lysandre était une enfant si fragile depuis la mort de sa mère, du moins c'était ce qu'il avait trouvé de mieux pour l'expliquer. Il craignait toujours qu'elle ne trouve pas sa place au sein d'un monde qu'il jugeait parfois trop cruel pour elle. Lors de son dernier retour chez lui, il avait compris que sa fille ne serait pas comme les autres. Qu'il faudrait des personnes bien spéciales pour s'intéresser à l'enfant craintive qu'elle était.

En fait, il s'était même rendu compte qu'elle faisait fuir les autres enfants. Inconsciemment. Par sa maturité, mais aussi son manque de confiance en elle. Lysandre avait tellement peur de commettre un impair, qu'elle finissait par le faire.

Cela le terrifiait. Bien plus que la mort, que le bruit d'une arme automatique, que les cris de ses frères d'armes.

Il voulait que sa fille trouve sa place. Par dessus tout. Elle n'était pas une très bonne élève, mais elle faisait sa fierté.

Et elle était tout ce qui lui restait de Mélia. Il lui avait promis de faire en sorte qu'elle soit heureuse.

- Lys ! Il va falloir partir !

La tête en bas, le ventre sur une balençoire, ses cheveux traînant par terre et la petite Alison s'appliquant à jouer une symphonie sur son postérieur, Lysandre était là.

Visiblement heureuse.

Sauf que son air joyeux disparut lorsqu'elle comprit qu'il lui fallait rejoindre son père.

- Papa, encore un peu. S'il te plait.

Catégorique, le Major Richard Clark croisa les bras et secoua la tête une fois. Il n'en fallait pas plus pour convaincre la brunette de rappliquer non sans quelques ronchonnements. Il posa sa main sur l'épaule de sa fille, cette dernière étant complétement enveloppée, et adressa un léger signe de tête à l'homme assis à sa table de jardin, une bière à la main :

- Merci encore, Will.

Le père d'Alison leva sa bière vers celui de Lysandre, comme s'il ne s'était pas du tout occupé de sa fille durant les six derniers mois où Richard était en Irak.

- Martha...

Il salua aussi l'élégante Mme Davis installée sur une chaise longue, qui ne s'était pas souciée de s'occuper de sa fille mais bien d'avoir de quoi lui acheter à manger, ce qui était tout aussi important à ses yeux.

Après un dernier au revoir, les Clark quittèrent le jardin des Davis et montèrent ensemble dans le pick-up de Richard que Lysandre aimait beaucoup.

- Major ?

Avec un léger sourire, il démarra après un regard en biais vers sa fille.

- Lieutenant ?

Le véhicule quitta l'allée joliment décorée des Davis alors que se prolongeait un silence plutôt étudié.

- Je demande l'autorisation pour effectuer une descente sur la station service afin d'obtenir des M&M's. À vous.

Pour la faire poireauter un peu, Richard prit tout son temps pour lui offrir une réponse.

- Autorisation accordée, soldat. 

Alors que Lysandre commençait déjà à s'extasier sur l'incroyable gentillesse de son père, ce dernier la stoppa dans son élan. 

- À une seule condition.

De longues minutes s'écoulèrent alors de nouveau, mettant Lysandre au supplice. 

- J'en veux un paquet. Et des crispy, n'essaie pas de m'entourlouper. À vous.

C'est à cet instant précis que Lysandre comprit que tout irait toujours bien tant qu'il serait là.

Rome - arrivée :

Ah... l'Italie.

Seul pays au monde où toutes les glaces sont bonnes et scandaleusement peu chères, où les gens ont tous l'air de se connaitre, où l'on entend hurler "pablo" à cinq heures du matin et où l'on ne peut s'empêcher d'aimer tous ces gens qui semblent tellement plus vivants que ceux du reste du monde. 

Qu'ils soient jeunes, vieux, riches ou pauvres, les Italiens ont l'incroyable faculté de vivre tous ensemble et dans une diversité incroyable. Ainsi, on peut tout à fait trouver dans la même rue un vieil Italien qui fait des pizzas dans son petit restaurant depuis soixante ans et un beau brun ténébreux qui pourrait vendre sa mère pour convaincre de potentiels clients de venir manger sur sa terrasse panoramique. 

Deux mondes très différents et pourtant totalement fondus l'un sur l'autre. 

Et s'il n'y avait que ça. Les paysages sont tous plus beaux les uns que les autres, offrant parfois un panorama époustouflant sur un lac et une autre fois sur une ville où la pollution est si forte qu'elle noircit les vêtements. L'Italie se fait conviviale le jour, festive la nuit offrant ainsi un panel de possibilités des plus larges pour tous les voyageurs. 

Mon père ne m'emmenait pas souvent en vacances, mais lorsque l'on partait c'était toujours en Italie. Je me souviens encore de mes longs séjours à courir dans les campagnes de Toscane et à me gaver de pizzas et de glaces au chocolat. 

L'Italie est définitivement mon pays préféré.

- C'est moi où les italiens conduisent comme des... 

Sortie de mes pensées par la voix agacée de Lola, je lui fais les gros yeux pour qu'elle se taise et lance des regards désolés aux passants sur mon chemin. Trainant ma valise mais aussi les deux énormes autres d'Alison, je suis littéralement en train de fondre au soleil et je suppose que mon odeur corporelle en pâtit. 

Ah oui, car la brunette est toujours en deuil. 

Plus le temps passe, plus j'oublie toute la pitié que j'ai pu avoir pour ce chat. Je le déteste. Il a réellement gâché tous nos efforts et tous les progrès accomplis depuis notre départ de Los Angeles. 

Nous sommes retournées au point de départ. Peut-être même que nous avons reculé. Et tout ça, à cause de ce maudit chat. 

Si j'avais su, je lui aurais fait avaler des cailloux avant de lui faire prendre un bon bain et tout ça avant notre départ à Hawaï. 

J'aurais pu dire à Alison que je l'avais confié à une voisine. Qui sait, elle l'aurait peut-être oublié. 

- Lys ? Tu m'écoutes ? 

Je relève la tête vers l'unique blonde du groupe et secoue la tête. 

- Non. Je me disais que j'aurais dû noyer Simba. 

Ne m'écoutant visiblement plus, Lola déplie la plus grande carte que je n'ai jamais vu et l'étend devant elle, la dissimulant totalement à mon regard. 

- Effectivement. Mais il est maintenant bien trop tard pour y penser. Contente toi de m'aider à chercher notre palace. 

Observant les rues autour de moi, je ne vois aucune bâtisse susceptible d'être "notre palace". À vrai dire, la rue dans laquelle nous nous trouvons ne correspond en rien à l'idée que je me faisais de Rome. Et d'ailleurs, elle ne correspond pas non plus à la description que Lola m'a faite dans l'avion. 

Grouillante de monde, de vie, Rome n'est pas très propre et ses habitants sont loin d'être aussi sympathiques que les gentils grands-pères de Toscane. Pourtant, j'ai comme une sorte d'alchimie avec cette ville. Je sens que l'on va bien s'entendre. Inspirant à pleins poumons l'odeur d'essence qui me parvient depuis le trottoir, je hausse les épaules en remarquant un établissement non loin de notre emplacement.

- Il y a un hôtel juste ici, dis-je en pointant du doigt le petit immeuble. On peut peut-être leur demander s'il leur reste des chambres. En plus c'est à deux pas du métro.

Lola et Alison se tournent toutes les deux vers moi comme un seul homme et me fixent avec de grands yeux étonnés.

- Tu te fiches de moi ? 

D'une synchronisation parfaite. 

Levant les yeux au ciel, je m'engage dans la rue en espérant que les conducteurs italiens seront assez patients pour me laisser traverser la route. Si Alison et Lola sont très différentes, on peut dire que ces deux-là s'entendent parfaitement bien lorsqu'il s'agit de faire les mijaurées. 

Comme si quelques semaines dans un hôtel qui n'est pas un cinq étoiles allaient les désintégrer sur-le-champ. 

- Lysandre ! Tu reviens ici tout de suite ! 

Une fois la route traversée, je fais un rapide signe de main à Lola sur le trottoir d'en face et me remets en marche. Le voyage a été long et j'en ai plus qu'assez de déambuler dans Rome en traînant trois valises. Je ne vois par conséquent rien qui puisse me dissuader d'entrer dans cet hôtel. 

- Si on ne le trouve pas, Mike ne pourra pas nous rejoindre ! 

Je m'arrête tout net, me rappelant que j'ai effectivement donné la mauvaise adresse à Mike et grogne un peu avant de faire demi-tour. 

Et puis je me souviens que les portables existent et me remets en route. 

Lorsqu'elles comprennent que je ne compte pas m'arrêter, les deux précieuses petites bourgeoises que sont devenues mes amies d'enfance me rejoignent finalement. Cet hôtel est absolument parfait. Il est à proximité du métro pour se rendre au centre-ville et a apparemment un restaurant où se dégage une odeur alléchante de sauce tomate. 

J'entre dans l'établissement, ne me préoccupant pas des deux trainardes derrière moi et fait un grand sourire au réceptionniste. 

Il est temps de savoir si tous ces cours d'italien ont servi à quelque chose. 

Préparant ma belle phrase dans ma tête, j'entends en même temps Alison et Lola entrer à ma suite. L'ambiance de cet hôtel me plait autant qu'elle a l'air de déplaire à mes amies. Beaucoup la qualifierait de rustique ou encore de vieillot mais je préfère l'adjectif chaleureux. L'hôtel ne dispose pas de hall d'entrée, simplement d'une grande salle qui doit être utilisée pour les repas du soir mais aussi pour les petits-déjeuners. Une salle simple comportant une vingtaine de tables recouvertes de nappes à carreaux. Les murs sont simplement peints en beige et de nombreuses toiles y sont accrochées, dont la plupart sont de véritables croûtes. Le sol n'est bien évidemment pas épargné et a été gâté d'une jolie moquette verdâtre.

Mais bon, il faut bien respecter la tradition.

- Bonjour, auriez vous trois chambres disponibles avec des lits simples ? Dis-je dans un italien que je juge très bon. 

L'homme rondouillard à qui je m'adresse me fixe un long moment, immobile et finit par secouer la tête, ne comprenant visiblement rien à ce que je baragouine. 

Déception. 

Désillusion. 

- Vous parlez anglais ? 

Nouvel hochement de tête de la part du gentil monsieur italien.

Ah. Cela ne va pas faciliter notre communication. 

J'opte finalement pour du mime ponctué de quelques mots en italien et en anglais et finis par comprendre qu'il a bien trois chambres de disponibles dont une avec un balcon. 

Qui sera pour moi. Je viens de le décider à l'instant. 

Pendant que Lola râle derrière mon dos et s'épouvante de l'aspect "miteux" de cet hôtel, je règle nos trois chambres et tente de noter les heures où le petit-déjeuner sera servi. Le diner quant à lui n'est pas compris dans le séjour. 

Parfait ! Je sens que je vais me plaire ici ! 

Alors que Lola et Alison attendent visiblement le père Noël ou le prince charmant, je décide de prendre ma valise et une d'Alison. Lola peut bien se charger de la seconde après tout, ou même notre veuve nationale puisqu'elle n'est apparemment pas assez triste pour s'abstenir de critiquer mon super hôtel. 

Les faisant rouler derrière moi, je remarque cependant que la blonde et la brune sont restées plantées devant le réceptionniste. 

Ah oui, c'est vrai. Il faut aussi leur apprendre à porter des valises. 

- Il n'y a pas de bagagiste, hurlé-je aux deux gourdes en appelant l'ascenseur. Il faut prendre vos valises. 

Lola et Alison se regardent, blanchissent d'un coup et décident finalement qu'elles sont capables de traîner deux malheureuses valises. Lola se montre bien silencieuse, presque trop pour que ce ne soit pas inquiétant. 

L'ascenseur s'ouvre enfin, ce dernier n'étant pas aussi archaïque que ce à quoi je m'attendais et ne comporte évidemment pas de liftier. 

Ce qui semble de nouveau les choquer.  

Pour ma part je suis déjà ravie de voir que l'hôtel comporte un ascenseur. Ceux où je logeais avec mon père n'étaient pas aussi luxueux. 

Notre chambre étant la trois cents sept, j'appuie sur le bouton "trois" de l'ascenseur qui en comporte sept. Pendant que je sifflote joyeusement, la machine déclare de sa voix de robot qu'elle compte monter au troisième étage et ce en trois langues différentes. 

Italien, Anglais, Français. 

Un ascenseur bien bavard donc. 

Nous arrivons à destination au moment même où l'élévateur finit de papoter et j'ai le plaisir de constater que la décoration des étages supérieurs est à l'image de celle du rez-de-chaussée : totalement obsolète.

En revanche les portes sont d'un bois sombre qui a l'air très précieux et les poignées sont joliment sculptées. Quelques causeuses sont installées dans les coins ce qui rend le tout accueillant, un peu comme la maison de mes grands-parents. Je m'y suis toujours sentie curieusement bien malgré les murs jaunes et les canapés oranges. 

- J'ai l'impression d'être en enfer, finit par dire Alison qui n'est visiblement pas d'accord avec moi.

Lola quant à elle est si blanche qu'elle paraît transparente. Leur jetant un regard courroucé, je continue mon périple pour trouver nos chambres tout en faisant rouler les trois clefs dans ma main. Nos chambres sont miraculeusement côte à côte, ce qui est un autre avantage non négligeable que je suis apparemment la seule à voir. Définitivement, je ne comprends pas pourquoi mes deux compagnes de voyage n'aiment pas cet hôtel. Certes ce n'est pas le palace que nous avons quitté à Hawaï, mais tout de même ! Cet établissement est bien plus convivial que celui dont nous revenons et on a l'air d'y manger bien mieux. 

Introduisant ma clef dans la serrure, je distribue la leur à Lola et Alison et m'enferme dans ma chambre. 

Enfin un peu de tranquilité ! 

Je lâche doucement la poignée de ma valise et appuie sur l'interrupteur qui me dévoile un couloir plutôt court qui donne sur une chambre effectivement accompagnée d'un balcon et d'une grande baie vitrée. À ma droite se trouve une petite salle de bain comportant tout le nécessaire dont j'ai besoin, c'est à dire une baignoire, un évier et des toilettes. 

Souhaitant me reposer un peu après avoir été traînée dans les rues agitées de Rome, je décide d'abandonner ma valise à son triste sort et me réfugie sur le balcon. Ce dernier donne une vue imprenable sur la route longée quelques minutes plus tôt mais on peut surtout y apercevoir au loin le centre-ville de Rome. Le Colisée, la fontaine de Trevi, la place d'Espagne, la basilique Saint-Pierre. Tout ça me tend les bras. 

Et dire qu'il y en a qui trouvent encore le moyen de se plaindre...

Décrochant mon téléphone, j'ai alors la drôle d'idée d'appeler mon père. Cela fait bien longtemps que je ne l'ai pas fait, trop longtemps. Tout ici me le rappelle, et ce même si Rome n'a rien à voir avec la Toscane qui nous était coutumière. Les gens, les parfums, la langue... tout autant de choses qui sont les mêmes. 

Je finis donc par composer son numéro, ne me souciant pas vraiment de quelle heure il est dans le désert du Texas où il s'est terré. Au bout de trois tonalités, son message de répondeur raté retentit et je raccroche aussitôt avant de rappeler. 

Il faut toujours au moins trois appels avant que mon père se souvienne qu'il possède un téléphone. 

Au bout de ces trois appels de rigueur, cette voix rauque qui m'est si chère parvient enfin à mes oreilles, toute éraillée par son cellulaire de mauvaise qualité. 

- C'est qui ? 

Sa question si gentiment posée m'arrache un léger rire étouffé dans mes larmes. Je ne m'en étais même pas rendu compte. 

- Lys ? C'est toi ? Tu pleures ? 

M'apprêtant à répondre par l'affirmative, je suis stopée dans mon élan par l'insupportable manie qu'il a de me couper la parole. 

- Si c'est encore à cause de ce stupide surfeur, je peux t'assurer que tu auras beau le défendre c'est au fusil à pompes que je le finirai et crois moi que ce ne sera pas j...

Ne pouvant m'empêcher d'éclater de rire, je m'empresse de l'arrêter avant que Mike ne soit définitivement mort et enterré. 

- Papa ! Je vais bien ! Le surfeur n'y est pour rien. Ce sont des larmes de joie. Tu m'as manqué. 

Ma voix s'étrangle légèrement sur le dernier mot et un long silence s'installe entre nous. Ce genre de déclaration n'est pas vraiment habituelle entre nous, nous nous aimons et le savons. Il n'y a donc aucun besoin de se le dire. Pourtant j'ai l'étrange impression que ce voyage marque un important tournant dans ma vie, et j'ai actuellement besoin que mon père sache que je l'aime. J'ignore pourquoi je ne l'ai pas appelé plus tôt, peut-être est-ce parce que j'avais trop honte. En tout cas, cela fait du bien de l'entendre. 

- Je suis en Italie, dis-je finalement pour alléger l'atmosphère. Rome me fait face. Bon il y a une horrible route puante entre nous mais... j'ai suffisamment d'imagination pour l'occulter. 

Je reste un moment silencieuse pour lui laisser le temps de digérer les informations et poursuit un peu plus tard. 

- Je suis avec Lola et Alison. Oui je les ai retrouvé. C'est une longue histoire. 

Deuxième pause pour lui laisser le temps de se souvenir de qui sont Lola et Alison. 

- Enfin voilà, je voulais juste m'assurer que tu ailles bien et te dire que... moi je vais mieux. Bien mieux. Je t'aime, à très bientôt.

Alors que je m'apprête à raccrocher, j'entends mon père prononcer mon nom et m'empresse de recoller le combiné à mon oreilles. 

- N'oublie pas de ne pas dormir. Les nuits en Italie sont les plus belles.







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