Le dîner de bons / partie 1


Je suis en révisions du bac, et c'est ennuyant. Voilà les faits.

La philosophie, c'est une épreuve bizarre où il faut faire une dissertation sur une question profonde. Et souvent, on se dit "pas la peine de réviser, t'arrives, t'exposes tes idées et tu repars." En fait non, enfin, on peut le faire mais on a la moyenne quoi. A cela, il faut ajouter des "références philosophiques", en gros, s'appuyer sur ce qu'on penser les gens avant nous pour mettre en perspective. Et ces références, bah on va pas les inventer, il faut les apprendre.

Alors, entre les philosophes qui ont une seule théorie et qui la ressortent à toute les sauces (bonjour Freud), les philosophes qui sont des grosses concierges, qui se mêlent de tous les sujets et ont des avis sur tout (Kant et Rousseau, je vous regarde) et les philosophes qui...  ont dit un seul truc mais ça leur suffit, c'est fastidieux d'apprendre.

Moi, j'ai voulu réviser différemment. Alors tous mes philosophes, je les ai mis dans une histoire. Et je me suis dit que certains terminales pouvaient en profiter (ou que certains futurs terminales pouvaient commencer à comprendre le calvaire qui les attend).

Voilà, vous allez m'accompagner dans mes révisions de philo, et ça, c'est beau.


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PARTIE 1 : Socrate and his bitches.


Socrate disposait délicatement les assiettes de porcelaine sur la table nappée de blancs. Assortissant les ronds de serviette aux couverts d'argents, il plaça des petites étiquettes sur les sets de table où étaient inscrits d'une belle calligraphie, les noms de ses invités.

Généralement, Socrate ne faisait pas les choses en grand et préférait se promener nu-pieds dans la ville d'Athènes, dans le but d'embêter les habitants avec de longues discussions qu'ils pensaient instructives.

Mais cette fois-ci, son amant Alcibiade lui avait demandé, entre deux trahisons de sa patrie, de dresser une jolie table pour l'occasion.

- Oh, s'exclama Socrate, quelle idée géniale ce repas entre philosophes, je sens que l'on va s'amuser comme des petits fous et en apprendre tant sur la nature humaine !

- Ah, lui répondit Alcibiade, je suis heureux de voir que mon idée te plaît.

- Oh, mais bien sûr, qu'elle me plaît, et puis, j'ai hâte de voir Platon, ce disciple incroyable qui a des idées si originales et pas du tout pompées sur les miennes.

Alcibiade posa le plat de blanquette de veau dans un soupir.

- Ah, d'accord, tu fais de l'ironie, remarqua le jeune stratège.

- Méthode maïeutique. C'était pour te faire réagir, que tu prennes conscience de tes erreurs et te faire accoucher la vérité, tu sais comme ma mère faisait accoucher les femmes.

- C'est glauque, tu sais, répliqua Alcibiade, Freud dirait qu'avec ta mère...

- Ne me parle pas de Freud ! Il va déjà nous casser les pieds toute la soirée, le mec il a sorti une théorie dans ton existence et il nous la ressort à toutes les sauces.

Sous les paroles énervées de son amant, Alcibiade préféra se taire et continua d'installer les mets délicieux et fumants sur la table. On frappa à la porte et à cet instant, le stratège et amant décida de s'éclipser, ne trouvant qu'il n'avait pas sa place. Il retourna dans sa chambre et réfléchit à plusieurs nouvelles façons de trahir Athènes et de mieux condamner à mort Socrate.

Platon entra, un gâteau au chocolat à la main.

- Bonjour mon cher maître ! déclara-t-il en apercevant Socrate. Dîtes-moi, j'ai trouvé une nouvelle idée, je vais appeler ça le « Allégorie de la caverne ».

- Ah ouais, cool.

Socrate reluqua le gâteau au chocolat et se demanda si pendant que Platon parle – puisque de toute façon, il allait le faire, Platon était très énervant – il pouvait en prendre discrètement un morceau.

- Ce qui se passe, c'est qu'un groupe d'hommes est enfermé depuis son enfance dans une caverne obscure, enchaîné et incapable de sortir. Ils ne peuvent pas tourner la tête et sont obligés de regarder le mur en face d'eux. Vous voyez ?

- Mmh, affirma Socrate qui avait trempé son doigt dans le saladier rempli de chantilly.

- Un feu brûle derrière eux, sur une hauteur, un mur les sépare de ce feu. Derrière ce mur, d'autres hommes passent, portant sur leurs têtes des statuettes, représentant des hommes, des animaux, des formes de la nature. Les flammes projettent alors les ombres des statuettes contre le mur. Les prisonniers ne voient donc que les ombres.

- Oh, non, les pauvres, cingla Socrate pour faire croire qu'il l'écoutait.

- Un prisonnier a un jour l'occasion de sortir et accède au monde des idées. Son ascension vers l'extérieur le fait souffrir car plus il découvre le monde, plus il accède à la connaissance et se rend compte qu'il n'a jamais connu la réalité du monde. Une fois à l'extérieur, il ne veut pas retourner dans la caverne, dans le monde d'ignorance, dans le monde des images. Et pourtant, il y retournera, pour tirer les autres de leur ignorance. Ce prisonnier, c'est le philosophe.

- Et le philosophe, c'est toi, conclut Socrate.

- C'est moi, confirma Platon.

- Plutôt égocentrique. OK, d'autres théories auxquelles tu as pensé, pour que je me débarrasse de toi une bonne fois pour toutes ?

Platon fouilla dans sa poche de toge – une nouvelle toge haute-couture qu'il s'était offert grâce à ses parents aristocrates – et en sortit un parchemin roulé. D'un geste rapide et précis, il le déroula et la feuille s'allongea à vue d'œil.

- Plein, j'ai des réformes pour la cité, dit Platon d'un enthousiasme sans faille.

- Laisse-moi m'asseoir, déclara Socrate.

- Déjà, je pense qu'on devrait instaurer la division du travail. On a un problème, si chacun passe un quart d'heure pour faire chaque tâche, c'est long, c'est fastidieux. Or, si chacun se spécialise, là, c'est intéressant et au moins, le travailleur travaille pour la société et non pas pour lui-même. Une bonne cité est une cité où le bien commun prône sur le bien individuel.

- Quoi d'autre ?

- Et je me suis aussi dit, comme ça, en préparant mon gâteau, que l'amour, c'est surtout parce que l'homme a besoin d'assurer sa descendance. Les enfants, c'est ça le moyen qu'on a trouvé pour accéder à l'immortalité.

- Génial.

- Et aussi...

- Non, c'est bon, le coupa Socrate, t'es chiant.

Platon baissa les yeux dans un sourire triste et rangea son parchemin dans sa poche au moment où un nouveau coup se fit entendre contre la porte de la masure de Socrate. Ce dernier se leva avec hâte, pressé d'échapper au supplice des idées de son disciple et alla ouvrir.

- Ah, s'exclama-t-il en ouvrant les bras, mon cher Boèce, comment vas-tu ?

- Tout est bonheur pour celui qui sait supporter les choses sans se plaindre, répondit-il machinalement, droit comme un piquet et d'un ton mécanique.

Puis, l'invité se retourna et s'enfuit en courant, laissant Socrate sur le pied de la porte, confus.

Alors, au loin, il aperçut l'impensable. Marchant en ligne, le soleil couchant dans leurs dos, leurs toges traînant au sol et leurs barbes fraîchement taillés chez le barbier du coin, ils arrivèrent. Socrate maugréa et croisa les bras, prêt à les recevoir. Une fois arrivé à sa hauteur, leur leader, Protagoras.

- Coucou mon chou, lança-t-il à l'intention de Socrate.

- Bonjour les Sophistes, il ne me semble pas vous avoir invités.

- Oui, mais tu sais, tout est relatif, hein. Pour toi, la vérité, c'est que tu ne nous as pas invité, mais nous, la vérité, c'est que tu fais une fête et qu'il ne peut pas y avoir de fête sans nous. Donc on est là.

- Ah, le pouvoir des mots est terrifiant, philosopha le philosophe.

Protagoras entra en faisant exprès de bousculer Socrate. Celui-ci souffla, entre Platon et eux, il avait tout gagné. Il voulut refermer la porte derrière lui en se disant qu'un morceau de gâteau de chocolat ne lui ferait pas de mal. Derrière lui, la porte résista et en se retourna, il découvrit avec indifférence que trois nouveaux invités avaient fait leur apparition.

- Bonjour les scientifiques, les salua joyeusement Platon, pour qui chaque nouvelle entrée était source de bonheur.

Un des trois hommes passa sous le nez du disciple de Socrate et s'installa dans son coin, sortant une feuille et se mettant à gribouiller dessus frénétiquement. Platon interrogea son maître du regard, Socrate balaya l'air d'un revers de main.

- Ne fais pas attention à lui, c'est Pythagore, tout ce qui l'intéresse, c'est le calcul des distances et des vitesses de rotations. On l'a juste invité parce qu'il illustre le conflit entre science et religion. Ah d'ailleurs, Anaxagore, ça va ? Les condamnations à mort et tout ça ?

- Bof, répondit Anaxagore d'un ton las, j'ai beau leur dire que la Lune et le Soleil sont une planète et une étoile, ils continuent à me coller des procès pour impiété, c'est fatiguant. Mais bon, je ne doute pas que tu comprendras ma douleur, mon cher Socrate. Car après tout tu es...

- Un disciple d'un disciple d'Anaxagore, terminèrent les Sophistes en chœur, c'est bon, on la connais la phrase !

Anaxagore les ignora avec dédain. Les sophistes faisaient la fête allégrement, pillant le buffet, mangeant la blanquette de veau et embêtant le pauvre Pythagore qui ne demandait rien d'autre que faire des mathématiques et créer un théorème qui donnerait mal à la tête à toutes les futures générations.

- Et votre copain, c'est qui ? demanda Socrate en désignant le dernier membre du trio d'un signe de tête.

- Lui ? C'est Aristote. Tu vois, c'est un beau gosse. C'est un peu le devin de la bande, le mec il a dit une fois que lorsque les objets pourront fonctionner par eux-mêmes, l'esclavage deviendra inutile. Mes correspondants temporels m'ont dit qu'il avait raison. Il a aussi réussi à démontrer que la Terre était une sphère en observant les ellipses et en parlant d'éléphants, mais je t'avoue que sur ce point-là, on l'a un peu perdu.

- Pas mal, avoua Socrate, impressionné.

- Aristote pense aussi que faire que ne soit pas arrivé ce qui a été accompli est le seul pouvoir dont les dieux soit privés, mais clairement, je vois pas ce que ça vient foutre dans la conversation.

Peu à peu, la maison de Socrate commençait à se remplir, un brouhaha collectif monta et Socrate se détacha d'Anaxagore qui essayait de lui prouver que c'était totalement idiot de vouloir le condamner à mort mais de continuer de diffuser ses ouvrages sur la place publique. Dans le coin, Alcibiade fit un signe de la main à son amant, Socrate sourit et regarda autour de lui. Il fronça les sourcils en posant ses yeux sur une silhouette.

- Eh, interpella-t-il, pourquoi y'a un chinois ?

Les paires d'yeux se tournèrent vers l'asiatique qui remplissait son assiette de toutes les différentes salades disposées sur le buffet. En voyant qu'il était le centre de l'attention, il s'avança, son assiette remplie de pâtes, tomates et surimi à la main.

- Oh bonjour, bonjour, enchanté, Confucius, je suis là parce que je suis un philosophe oui, oui, je ne suis pas là pour manger à l'œil. Non, non, je suis un grand philosophe. La... la joie est en tout, il faut savoir l'extraire. Voilà, grand philosophe.

Sur ces mots, il s'éclipsa discrètement, son assiette à la main. Socrate crut le voir passer la porte, mais il ne put pas en être certain. Alors il invoqua son démon intérieur et celui-ci lui interdit de parler et d'affirmer que Confucius était un voleur. Au même instant, un nouveau groupe de personne entra et Socrate se dit qu'il ferait mieux de rapidement manger le gâteau au chocolat avant qu'il n'y en ait plus.

En apercevant un visage familier, Socrate courut jusqu'à Alcibiade dans un coin et se cacha derrière le dos du jeune stratège.

- Cache-moi, y'a Épicure, j'ai pas envie de le voir, affirma-t-il.

- Quoi ? Mais il est super sympa Épicure, tenta de la défendre Alcibiade.

- Il est chiant à en mourir. « Le plaisir physique c'est l'absence de souffrance. Le plaisir de l'âme c'est l'ataraxie. Bla bla bla. Il ne faut pas faire d'excès qui mènent à la douleur.Gna gna. Il faut accepter la douleur qui mène au bonheur. La mort n'est pas un mal puisque tant que nous sommes vivants, elle n'est pas là. ». Oh, il est fatigant.

- Il est hédoniste. C'est bien d'être hédoniste, c'est une philosophie du plaisir, explique Alcibiade, et puis le truc de la mort, toi aussi tu l'as dit je te signale. Tu as dit qu'il ne faut pas craindre la mort puisque personne ne sait ce que c'est.

- Oui, mais tu vois, direct, moi quand je le dis, c'est beaucoup plus stylé !

- Et les autres c'est qui ?

Dans la salle de réception, les nouveaux venus s'étaient imposés d'eux-mêmes, distribuant des tracts colorés aux autres invités.

- Les Stoïciens, affirma Socrate.

- Bonjour, rejoignez-nous, arrêtez de désirer ce qui ne dépend pas de vous et changez vos désirs. Ainsi, vous serez libres. Nous sommes un groupe unis et soudés. Rejoignez-nous.

Ils placèrent un tract dans les mains d'Alcibiade. Le design était basique et les couleurs criardes, en gros, était inscrit en lettres capitales « Les Stoïciens, c'est trop bien ! ». Socrate arracha le papier des mains de son amant et le jeta par-dessus son épaule.

- Bon, déclara son amant, bah c'est sympa, le premier quart est arrivé.

- Pardon ? s'étrangla Socrate.

Il se laissa tomber sur une chaise, et cette fois-ci, il s'en fichait bien de son régime, il engloutit la moitié du gâteau au chocolat.

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