➵ Chapitre 97

La chaleur écrasante avait eu raison de notre enthousiasme et de notre motivation, si bien que nous étions tous allongés à même le sol du garage de Mike. Lorsque nous nous étions levés, la matinée était déjà bien entamée, et les parents de Mike n'avaient pas semblé étonnés de nous trouver là, moi, Luke et Thomas.

Un peu après midi, Caitlin et Alice nous avaient retrouvés. Personne n'avait vraiment parlé de la soirée, et personne ne paraissait en avoir envie. Il n'y avait rien à dire.

— Je veux dormir, gémit Mike, son bras posé sur ses paupières

— De toute façon, intervint Alice, on n'arrivera à rien aujourd'hui. On devrait se reposer et reprendre demain.

La tête appuyée contre le mur, ses yeux mi-clos laissaient transparaître les restes de son maquillage de la veille. Elle avait dû pleurer pendant la nuit, et je m'en voulais de ne pas avoir pu être là. Secrètement, j'espérais que Caitlin avait pris soin d'elle.

— On aura beaucoup de temps, renchérit la jeune femme. Et puis, je crois qu'on devrait laisser un peu de temps et d'air à Eileen et Glenn.

Luke grimaça.

— Je n'aimerais pas être à la place de Glenn.

— Pas plus que je ne voudrais être à être celle d'Eileen, soupira Caitlin.

Je ne connaissais rien d'Eileen et elle était loin d'être une amie pour moi. On ne pouvait pas dire que je l'appréciais, et je ne ressentais pas même une once de compassion à son égard. Ce qu'elle avait fait était inexcusable. Le sentiment de jalousie qui m'avait transpercé le coeur était encore là ; je sentais encore les gouttes couler et le goût amer que cette vision m'avait laissé. Elle s'était montrée irrespectueuse, et rien ne me ferait changer d'avis.

Néanmoins, par respect pour Caitlin, je gardai pour moi mes pensées.

Luke ne répondit rien et Mike souffla bruyamment de lassitude.

Je jetai un coup d'oeil à mon cousin, qui, à côté de Mike, avait les yeux brillants. C'était bien un des seuls à ne pas être impacté par la soirée d'hier soir. Je me promis de demander à Mike s'il projetait d'avouer à Thomas les prémices des sentiments qu'il ressentait.

— Caitlin a raison, finit-il par dire. On devrait passer les deux jours qui viennent à bosser sur nos chansons et à réfléchir à nos performances d'août. Et boire un litre de thé glacé pour survivre à cette journée.

— J'avoue que je n'ai pas envie de rester assise à ne rien faire, lança Alice en frottant ses paumes sur son short. Je pense trop.

— Tu veux aller où ? demandai-je, songeant que moi aussi, je finirais par me liquéfier et ne faire plus qu'un avec le sol à force de me repasser en boucle les évènements de cette soirée désastreuse.

Est-ce qu'un jour nous pourrons nous détendre sans qu'il n'y ait de drames inutiles ? Est-ce qu'un jour nous pourrons simplement profiter de la présence des uns des autres sans que nos sentiments ne pourrissent la situation ? Est-ce qu'un jour Alice et moi profiterons du simple fait d'être en vie ? Nous savons pourtant que tout s'arrête.

— Je ne sais pas, dit-elle en ébouriffant ses cheveux. D'ailleurs, j'y pense, mais si je me teignais les cheveux en doré, j'aurais la coupe de cheveux de Cersei Lannister, non ?

Mike grimaça.

— Tu n'as pas le comportement qui va avec.

— Big up à l'actrice, rétorqua Alice. Je trouve sa performance incroyable.

— Excellente, même, précisa Luke. Mais je préfère les livres.

— Ce sont les seuls que j'ai lus, s'immisça Thomas, un air ravi sur le visage. Ils traînaient dans la bibliothèque d'Emmy depuis des années !

— Au moins, répondis-je en baillant, quelqu'un les aura ouverts.

— Tu ne les as pas lus ? s'étonna Luke

Je réfutai de la tête.

— Jamais. Je n'ai même pas regardé la série.

— Tu passes à côté de quelque chose, intervint Caitlin. Moi aussi, j'étais réticente, et puis à force de persuasion j'ai fini par la regarder avec Kris. J'ai été bluffée !

J'haussai les épaules.

— Peut-être qu'un jour ça me prendra et je la regarderai.

— Si tu romps avec quelqu'un, alors crois-moi, tu pourras avaler des saisons complètes, lança Alice, un léger sourire sur les lèvres

— Pour rompre avec quelqu'un, il faut déjà avoir quelqu'un, répliqua Thomas d'un air narquois

— Je m'évite pleins de problèmes ! protestai-je

— Je ne te le fais pas dire, marmonna Caitlin.

Mais elle sourit tout de même, comme si ce seul sourire était un immense doigt d'honneur jeté à Gaël et signifiait "tu ne m'auras jamais."

— On pourrait aller à Central Park, suggéra Thomas

— C'est loin, se plaignit Mike

— Même si je t'achète une glace ? répondit-il, un lueur amusée dans les yeux

— Ça se discute, concéda Mike, les joues rosies

— Eh bien dans ce cas, qui m'aime me suive ! s'exclama Alice en se levant d'un bond

Je me levai à mon tour. L'idée de passer plus de temps avec Luke me tordait l'estomac, et le fait de me l'avouer ne me rassurait guère. Si seulement Gaël avait pu se taire. J'espère que je ne le reverrai plus.

A travers mes lunettes de soleil, je plissai les yeux sous la luminosité. Ma guitare battant contre mon dos, je me sentais invincible. J'aurais pu changer l'inclinaison de la terre si je le voulais.

Devant moi, Alice marchait d'un air assuré aux côtés de Caitlin, comme pour se prouver qu'au fond, rien n'avait changé. Derrière, Mike, Luke et Thomas étaient en grande conversation, toujours sur Game Of Thrones.

Je relevai la tête et respirai un bon coup, imaginant recracher tous mes problèmes, tous les sentiments qui tourbillonnaient dans ma poitrine, en même temps que j'expulsais l'air de mes poumons.

Lorsque nous arrivâmes, une vingtaine de minutes plus tard, je me sentais apaisée. Je déposai ma guitare sur le sol avec douceur et m'assis entre Alice et Mike, juste en face de Luke.

— Bon, dit ce dernier en sortant une feuille pliée de sa poche, on pourrait terminer notre sélection de chansons, et argh ! John a fait une faute d'orthographe, au secours, c'est horrible. Mes yeux saignent et, oh ! Je suis aveugle, se plaignit-il en portant son bras sur ses paupières

— T'en fais pas un peu trop, là ? signala Alice, dubitative

— Pitié, Emmy, donne-moi un stylo ! supplia-t-il

Je farfouillai un instant dans l'étui de ma guitare. J'y dissimulais toujours un carnet accompagné d'un stylo.

— Comment tu savais que j'en avais un sur moi ? m'étonnai-je en le lui tendant

— Parce que tu as toujours de quoi écrire sur toi, rétorqua-t-il en griffonnant sur la feuille. Tu as toujours peur d'avoir une phrase en tête et de l'oublier.

— Pas faux, admis-je, les joues rougies.

Il s'en souvenait ?

— Je ne crois pas que tu aies beaucoup changée, poursuivit-il en me tendant mon stylo et la feuille. Tu veux bien prendre des notes ? Tu ne fais pas de fautes, toi !

— Bien-sûr, répondis-je, masquant mon trouble par un sourire

Je parcourrai rapidement la liste du regard et fis un récapitulatif aux autres.

— Je maintiens qu'on DOIT chanter au moins une chanson d'AC/DC, lança immédiatement Mike

— D'ailleurs ! intervint immédiatement Thomas, une étincelle dans les yeux. Saviez-vous que AC/DC est le signe pour Alternative Current / Direct Current ?

— Oui, Simon m'a bassinée avec ça, déplorai-je, sous les rires d'Alice et Mike

— Si j'ai arrêté la physique en première, ce n'est pas pour en entendre parler maintenant, grimaça Caitlin, avec tout de même un sourire amusé sur les lèvres

— Je ne suis pas capable de chanter toute une chanson d'AC/DC, intervint Luke. Mes cordes vocales vont me lâcher.

Mike déglutit.

— En fait, je pensais que tu pourrais simplement m'aider sur les refrains...

Le visage de Luke s'éclaira d'un large sourire.

— Je ne savais pas que tu voulais tout chanter ! Ne t'en fais pas, nous on va assurer l'instrumentale !

— J'ai une peur de ne pas en être capable, avoua Mike. J'en ai envie, mais... Et si je me trompais ?

— En toute objectivité, je pense que tu es la seule personne ici qui a la voix pour faire ça, déclara Caitlin en repoussant une mèche frisée de son visage

— Mais oui, Mickey ! Emmy et moi, on n'est pas obligé de tout chanter tout le temps ! On est un groupe, ça veut dire qu'on fait ce que tout le monde aime.

— Franchement Michael, si toi tu ne peux pas chanter de hard rock, je ne connais pas grand monde qui me peut, ajouta Alice

— J'écris les deux que tu a mentionnées la dernière fois, le prévins-je, soulignant de mon ton qu'il était bien plus doué qu'il ne le pensait

Ses mains tremblaient, mais son visage affichait une mine réjouie et soulagée.

— Quelqu'un a d'autres velléités ? questionna-t-il, pour ne pas être l'objet d'un silence qu'il aurait trouvé intimidant

— Moi, répondit Caitlin. Parce que je suis une reine, j'exige qu'on chante Purple Rain. Je pense que ça peut donner quelque chose de grandiose !

— C'est noté ! l'informai-je aussitôt

— Exige, carrément ? releva Alice, en haussant un sourcil. C'est moi la reine ici !

— Désespoir ! s'exclama Luke. Nous sommes au milieu d'une guerre d'ego royaux. Je ne me battrai pour aucune de vous en duel. Stop ! cria-t-il en dépliant ses mains devant lui. Je sais que c'est difficile à entendre, mais en temps que membre de la garde royale, je ne peux pas risquer d'abîmer mon honneur en combattant pour Alice.

Horrifiée, ma meilleure amie arracha une poignée d'herbe et le lui jeta à la figure.

— Quoi ? Notre pacte contre Emmy, Cait' et Mike est caduque ? se récria-t-elle, presque férocement

— On m'a proposé un meilleur pacte de l'autre côté, se justifia Luke, un sourire narquois sur le visage

Thomas, qui tressait une couronne de pâquerettes depuis que nous étions arrivés ici, la leva bien haut et déclara :

— Je pense qu'on est tous d'accord pour proclamer Caitlin reine des fleurs des ténèbres !

Il la déposa sur le crâne de la jeune femme qui souriait d'un air fier.

— Reine des fleurs des ténèbres ? relevai-je. Ça me dit quelque chose !

— Je l'ai lu au dos d'un de tes livres à lire, répondit Thomas en haussant les épaules

— Mais lequel ? questionnai-je, avec curiosité

— Aucune idée ! Tu en as tellement...

— C'est tout le problème des livres, gémit Luke. On en achète tout le temps et au final on a jamais le temps de les lire !

— La pile d'Emmy fait deux fois sa taille... J'ai mesuré, grimaça Thomas

Luke me gratifia d'un sourire carnassier avant de lâcher :

— Ça reste petit.

Pour toute réponse, je lui tirai la langue. Solange, elle, aurait trouvé quelque chose de drôle à lui répondre. Malgré moi, mon esprit se rembrunit et je me retrouvai plongée des années en arrière. Son rire surgissait parfois dans ma mémoire, comme un parfum oublié au bord de l'enfance, qui jaillissait soudainement au creux des narines. J'éprouvai la soudaine envie de noyer tous mes souvenirs de Solange dans un ciel étranger, une chanson dont les paroles ne l'évoquaient en rien, mais dont l'air suffisait à faire apparaître ses yeux mordorés sous mes paupières.

Je pris doucement ma guitare et entamai les premières notes de What A Time de Julia Michaels, laissant l'instrument pleurer dans un cri mélodieux. Si je fus surprise en entendant Luke ajouter des accords, je n'en montrai rien.

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— I feel a little nauseous and my hands are shaking, commençai-je, concentrée sur mes doigts virevoltant de frettes en frettes

Je ne savais pas vraiment ce que je faisais. Je voulais simplement m'épurer dans la musique, puisque c'était l'unique façon pour moi de me projeter corps et âme hors de l'ignoble réalité qu'était devenu le quotidien. Je détestais l'ombre que je percevais partout où j'allais.

— I guess that means you're close by
My throat is getting dry and my heart is racing, poursuivis-je, songeant au jour où, il y a à peine quelques semaines, je l'avais revu sans savoir à quoi m'attendre

Je m'appliquai à garder mon visage penché sur ma guitare.

— I haven't been by your side
In a minute, but I think about it sometimes
Even though I know it's not so distant
Oh, no, I still wanna reminisce it, avouai-je, même si la seule personne pour qui ça avait été un secret était moi-même.

Je levai la tête et aperçus que des visages s'étaient tournés vers nous. Les yeux de Mike brillaient de larmes. Le coeur soudainement gros comme une éponge bordée d'eau, j'autorisai mes sentiments à fleurir ma voix.

— I think of that night in the park, it was getting dark
And we stayed up for hours, murmurai-je, la voix brisée par l'émotion

— What a time, what a time, what a time ! chantai-je, accompagnée par Caitlin et Luke

— You clinged to my body like you wanted it forever, enchaînai-je, seule

— What a time, what a time, what a time, répétai-je, cette fois avec tout le monde, même Thomas

— For you and I, précisai-je

— What a time, what a time
For you and I.

Il y eut un instant où l'on entendit plus que la conversation entre nos deux guitares et les lointaines mélodies des gens. Il me semblait être perdue dans les limbes d'un entre-monde : celui que je rêvais de façonner et le réel, que je n'avais cesse de fuir.

— I know we didn't end it like we're supposed to, reprit Luke, me surprenant au point que je relevai la tête vers lui

L'ombre d'un sourire au coin sur les lèvres, il continua :

— And now we get a bit tense
I wonder if my mind just leaves out all the bad parts
I know we didn't make sense
I admit it that I think about it sometimes
Even though I know it's not so distant
Oh, no, I still wanna reminisce it

Mon visage s'éclaira d'une vague de nostalgie heureuse.

— I think of that night in the park, it was getting dark
And we stayed up for hours, repris-je

— What a time, what a time, what a time, entonnai-je, avec lui

— You clinged to my body like you wanted it forever, dis-je encore

— What a time, what a time, what a time
For you and I
What a time, what a time
For you and I, chantâmes-nous

Zappant une partie de la chanson, je jouai plus lentement, décidant que le bridge serait pour maintenant. Luke me suivit sans qu'il n'y ait de problèmes.

— I think of that night in the park, it was getting dark
And we stayed up for hours, répétai-je, plus fort, plus intensément

— What a lie, what a lie, what a lie ! nous exclamâmes-nous, d'une même voix grave

— You clinged to my body like you wanted it forever, murmurai-je, les sourcils plissés par les vagues d'amertume rêveuse qui s'échouaient contre mon cœur

— What a lie, what a lie, what a lie
For you and I
What a lie, what a lie
For you and I ! terminâmes-nous, tous ensemble cette fois

Je jouai encore quelques notes avant d'ajouter, sans trop savoir à qui je m'adressais :

— For you and I, for you.

   Il y eut une demi-seconde de silence et puis des applaudissements retentirent. Ils provenaient des gens autour de nous qui avaient stoppé leur conversation, leur jeu de cartes, pour nous écouter. Il y eut même quelques sifflements qui gonflèrent mon ego de fierté. Ensuite, avec la lenteur qu'on retrouve dans les songes, tout le monde revint à lui, à sa vie, à ses problèmes. Il n'y avait que moi qui cherchais désespérément à rester entre ciel et enfer, incapable de poser un seul pied dans les flammes, incapable de toucher le ciel. Je n'étais pas une étoile, pas comme l'héroïne du livre que Thomas avait vu dans ma chambre.

~

Bonsoir ! Comment ça va ? :)

Je vous remercie d'avoir lu ce chapitre ! Que pensez-vous de l'idée d'Alice, de What A Time chantée à Central Park ? :)

On se retrouve samedi prochain pour le chapitre suivant ! 🎶

Prenez soin de vous ! ❤️🖤

(PS : j'ai avalé la première saison de Shadow and Bone, et oh là là, j'ai adoré ! Il y en a qui l'ont vue, par ici ? Ou qui ont lu les livres ? (Pareil, ils sont excellents ! Si vous aimez la fantasy, foncez sur Grisha !))
(((Tout ça pour dire que c'est pour ça que je n'ai pas écrit, oups 😬)))

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