Est-ce qu'un coeur déjà brisé peut à nouveau voler en morceaux à cause de la même personne ? Peut-être que j'exagère. Au fond, j'avais toujours su qu'il ne fallait pas que je me voile la face. Et pourtant, je l'ai fait. Un court instant, j'y ai cru. On ne m'y prendra plus.

   Maintenant, son regard évitait le mien comme la peste et je ne trouvais plus d'ancre à laquelle me raccrocher dans l'océan qu'il me laissait. L'ambiance était étrange, pas électrique, mais baignée d'un halo de résignation, comme si nous avions tacitement convenu que nous nous étions tous les deux fourvoyés.

   Alors, lui et Mike étaient partis à la recherche de cafés susceptibles d'accepter des chanteurs au mois d'août. Pendant ce temps, Caitlin, moi et Alice, réfléchissions à des chansons que nous pourrions chanter.

   Nos choix s'étaient portés sur trois chansons : One Last Time, I Love You et Ocean Eyes, puisque nous les connaissions toutes les trois. Alice et moi avions même chanté One Last Time à l'occasion d'un show, au lycée.

— Je me souviens, disait Alice. On était en plein mois de janvier. On n'arrivait pas à encaisser le fait que la vie suivait son cours comme si rien ne s'était passé.

— C'est compliqué, répondit Caitlin, de voir le monde continuer de tourner alors que le nôtre s'est effondré. Il ne reste plus que des échos.

— Il ne reste que des échos, répétai-je, avant de prendre mon téléphone et de noter cette phrase. Et des éclats de tout ce qui aurait pu être.

Caitlin pressa sa main sur mon épaule.

— Et surtout, il reste la joie et la gratitude d'avoir pu la connaître.

— Tu as raison, soupirai-je. Ça ne sert à rien de s'appesantir. On n'est pas dans une série ou un livre, rien ne peut la ramener à la vie. Des fois, j'ai l'impression d'avoir oublié son visage et son rire.

Un sourire compatissant peignit les traits de Caitlin.

— Avec le temps, les image s'effacent. Cependant, les émotions restent, et c'est le plus important.

Alice se racla la gorge.

— Et euh, avec le temps, je pourrai penser à Antoine sans avoir mal ?

Un sourire peiné trahit la vérité.

— Les blessures restent, soupirai-je

— Et la mélancolie heureuse, ajouta Caitlin, les yeux voilés. Quand ton coeur dur comme la pierre fond comme la neige à la seule pensée de ses sourires.

— De quoi tu te souviens ? questionnai-je

— Je me souviens des feuilles qui volaient en tout sens, de son pull rouge, de l'odeur humide de la pluie. De tout ce que je ne savais pas. De la saveur amère de l'été quand elle m'a dit que c'était terminé, avoua-t-elle

— Zoey, devina Alice

Caitlin acquiesça.

— Elle m'a montré à quel point le monde rayonne, quand on est avec quelqu'un de bien. Gaël m'avait dégoûtée de l'amour, et elle m'a montré que c'était avant tout du travail que d'avoir une relation saine et constructive.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demandai-je

— Avec Zoey ?

J'hochai la tête.

— Elle est partie étudier à Los Angeles et a rompu contact, dit-elle d'un ton égal

— Oh. Je sais que c'est douloureux, la consolai-je

— Elle m'avait prévenue, soupira-t-elle. Elle a été honnête jusqu'au bout.

— Est-ce que tu lui en veux encore ? questionnai-je

Caitlin eut un temps de réflexion avant de répondre.

— Non. J'ai fini par comprendre que lui en vouloir n'y changerait rien. Je pourrais continuer à pleurer et à l'appeler, mais elle continuerait à ne pas me répondre. Il arrive un moment où il faut laisser les gens partir.

— Sûrement, acquiesçai-je

— Parfois, certaines personnes restent malgré toutes nos tentatives de les sortir de notre tête, parce qu'elles ne doivent surtout pas partir, ajouta-t-elle sur un ton grave

Et à travers son regard bienveillant, j'eus l'impression qu'elle voyait à travers mon âme tout ce que je ne pouvais pas expliquer.

— Comment fait-on la différence ? intervint Alice. Par pitié, ne me dis pas que c'est le temps !

— Je ne te le dis pas, dans ce cas.

— Pfff, souffla ma meilleure amie.

— Ou alors rencontrer quelqu'un d'autre, suggéra Caitlin

— C'est aussi une question de temps, répliqua Alice. Ils font quoi, nos deux imbéciles ?

— Luke m'a dit qu'ils arrivaient.

— Tu crois qu'ils ont pu trouver des endroits qui acceptent encore des musiciens ?

Caitlin haussa les épaules.

— On sera vite fixé, répondit Alice après avoir regardé par une des fenêtres.

Elle traversa le salon et ouvrit la porte d'entrée.

— Wow, la tête que tu tires, Mike ! lui cria-t-elle

J'entendis sa voix lointaine protester qu'il avait faim.

Quelques secondes plus tard, elle s'écarta pour les laisser entrer.

Heureusement pour moi, mon cœur ne loupa pas un battement lorsque je l'aperçus. A la place, mes joues rougirent quand mes prunelles se plongèrent dans les siennes. Je détournai le regard. Il en fit autant.

En fait, je ne savais pas ce qui était pire : se prendre la tête pour un oui ou pour un non, ou s'ignorer, se regarder à peine et se parler a minima.

— Alors, toussota Mike, après avoir sorti des toasts et de la confiture des placards, on a trouvé un café qui veut bien de nous trois fois dans le mois. Vos trois derniers lundis soirs seront donc occupés, conclut-il, ravi

Cette nouvelle éclaira mon visage.

— Trop génial ! se réjouit Alice

— On a essuyé deux trois refus, avant, compléta Luke

— Quatre, précisa Mike en plantant son couteau dans le pot de confiture

— Bravo, les congratula Caitlin

— Et vous, ça a donné quoi ? questionna Luke

— On gère du tonnerre ! répondit Alice

Luke pencha la tête de côté.

— Ah oui ? fit-il, taquin

— Tu doutes de moi, Blondie ?

— Toujours, Arlequin.

Alice se tourna vers moi et Caitlin :

— On leur montre ?

J'hochai la tête et Caitlin s'installa au piano qui siégeait dans le salon.

— On a que les versions au piano, pour l'instant, les informai-je

— Ça sera très bien, répondit Luke

— De toute façon, tu n'as pas vraiment le choix, répliquai-je

— Pas faux, admit-il en souriant

Je n'eus pas le loisir de répondre : Caitlin avait commencé à jouer.

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— I was a liar, I gave in to the fire
I know I should've fought it, at least I'm being honest, commença-t-elle

Et pourtant, c'est encore à ses lèvres sur les miennes que je pense à chaque fois que mes yeux ont le malheur de tomber sur son visage.

— Feel like a failure, 'cause I know that I failed you
I should've done you better, 'cause you don't want a liar ! poursuivit Alice

Une larme roula sur sa joue, semblable à une légère craquelure sur un vase antique.

— And I know, and I know, and I know she gives you everything
But boy, I couldn't give it to you
And I know, and I know, and I know that you got everything
But I got nothing here without you, reprit Caitlin

Je gardai les yeux fixés sur mes pieds au moment d'entamer le refrain.

— So one last time
I need to be the one who takes you home
One more time
I promise after that, I'll let you go ! m'exclamai-je

— Baby, I don't care if you got her in your heart
All I really care is you wake up in my arms
One last time
I need to be the one who takes you home ! enchaîna Alice, le visage déjà couvert de larmes

   Je lui pris la main avant de commencer le second couplet. Je plantai mes yeux dans ses orbes bruns pour lui rappeler qu'elle n'était pas seule, et puis, malgré moi, ils se reposèrent sur Luke.

— I don't deserve it, I know I don't deserve it
But stay with me a minute, I swear I'll make it worth it
Can't you forgive me? At least just temporarily
I know that this is my fault, I should have been more careful, ponctuai-je, avant de reporter mon regard sur Alice

— And I know, and I know, and I know she gives you everything
But boy, I couldn't give it to you, avoua-t-elle, même s'il ne pouvait pas l'entendre

— And I know, and I know, and I know that you got everything
But I got nothing here without you, baby, reprit Caitlin

— So one last time
I need to be the one who takes you home
One more time
I promise after that, I'll let you go ! répétai-je

— Baby, I don't care if you got her in your heart
All I really care is you wake up in my arms
One last time
I need to be the one who takes you home ! compléta Caitlin

— Yeah, I know I should've fought it
At least I'm being honest ! enchaîna Alice

   Elle avait l'air abattue, comme si elle avait déposé toutes les armes et s'était rendue après une guerre éprouvante.

— But stay with me a minute
I swear I'll make it worth it, implora Caitlin

— 'Cause I don't wanna be without you ! achevai-je

— So one last time
I need to be the one who takes you home ! reprit une dernière fois Alice

— One more time
I promise after that, I'll let you go ! ajoutai-je

— Baby, I don't care if you got her in your heart,
All I really care is you wake up in my arms ! s'écria Alice

— One last time
I need to be the one who takes you home, yeah ! terminai-je

— One last time
I need to be the one who takes you home, conclut Caitlin, sous les reniflements d'Alice

Luke lui tendit un mouchoir qu'elle accepta.

— Tu as raison, Arlequin, tu gères. Et même si tes larmes sont comme des diamants, ça serait quand même mieux qu'elles ne tombent pas au sol. Après, tout le monde va pouvoir les ramasser.

Sa remarque lui arracha un sourire et elle essuya le mascara sur ses joues.

— Et je ne laisse pas mes larmes aux pieds de n'importe qui, tu as raison, plaisanta-t-elle. Vas-y, Caitlin, tu peux jouer la suivante.

— Tu es sûre ? Ça peut attendre...

Alice réfuta de la tête. Caitlin hocha la tête, ferma les yeux et respira un bon coup avant de se pencher et de jouer les premières notes.

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— Uh-oh, uh-oh, here I go again, baby, baby
I hear your name and it's like I'm breaking, aching !
You still got that power hanging over me
It's always over but still happening
Uh-oh, uh-oh, here I go again, baby, baby ! démarra doucement Caitlin

Les yeux fixés sur un cadre représentant Caitlin avec son diplôme, je me lançai.

— I just wanna scream out 'til my voice breaks
Even if the tears fall and my heart hates me
Baby, I love you ! continuai-je, d'une voix maîtrisée

Il était temps de faire face. Je reportai mon regard sur Luke, le cœur battant.

— Uh-oh, uh-oh, don't know how I'm still breathing, breathing, enchaîna Alice, la voix craquelée par les émotions

Il me renvoya mon regard insistant et je déviai sur Mike, qui fixait Alice.

— I'm breathin' ! murmura Caitlin

— I got this hole up in my heart baby, baby
And it doesn't matter what no one say
Even though it's broken, I love you anyway
Uh-oh, uh-oh, here I go again ! clama Alice

« I love you anyway », répétai-je intérieurement, en frissonnant.

— Here I go again ! répéta Caitlin

Je relevai la tête et laissai toute la lave brûler mon corps. J'irradiais. C'était le feu qui courait mes veines.

— Baby, baby ! cria Alice

— My baby ! lança puissamment Caitlin

Ce n'était pas grave s'il le voyait. Je laissai toutes mes émotions percer ma voix :

— I just wanna scream out 'til my voice breaks !

— Ooh-ahh ! chantonna Caitlin

— Even if the tears fall and my heart hates me ! confiai-je, priant pour qu'il comprenne

— Ooh-woah, entonna Alice

— Hmm, yeah, ajouta Caitlin

— I just wanna know how ! criai-je, les larmes roulant sur mes joues par la force du feu

— Ahh, fredonna Caitlin

— I can ! continuai-je

— Ahh !

— save me ! terminai-je, les gouttes brûlantes tombant au sol

— Save me, hmm, yeah, répéta Alice

— Even if these three words, enchaînai-je, mes larmes noyées dans ses yeux

— Ahh, murmura encore Caitlin

— choke and, poursuivis-je, les yeux brûlants

— Ahh !

— take me ! terminai-je

— Ahh !

— Baby, I love you, murmurai-je, en le regardant bien droit dans les yeux

— I feel your touch when I'm alone at night
But it's just me who's holding tight, poursuivit Alice

— And this life don't feel like you
There's nothing left but these I love you's, enchaîna Caitlin

— And I just wanna scream out 'til my voice breaks
Even if the tears fall and my heart hates me, chanta doucement, mais tristement Alice

— I just wanna know how I can save me, yeah, yeah ! repris-je, toujours immergée dans les deux grands lacs qu'étaient ses yeux

— I just wanna know, no, murmura Alice

— Even if these three words choke and take me ! continuai-je

Il me semblait que la lave avait atteint mes paupières et brûlé mes joues.

— No, marmonna Caitlin

— Baby, I love you ! conclus-je

— I love you, I love you, confessa Caitlin

— Baby, I love you, I love you,
Baby, I love you ! termina Alice, avant de soupirer et de se moucher bruyamment

— Ça va aller, Alice, tenta de la rassurer Luke, qui avait rapidement détourné le regard

D'un geste discret, je fis disparaître les coulées de magma.

— On pourrait faire des chœurs, proposa Mike. Toi et moi, précisa-t-il en observant Luke. J'aime bien le côté brut de l'acoustique, on devrait les enregistrer comme ça, pour une fois.

— Avec la suivante, accepta Alice

— Vous en avez encore une ? s'étonna Luke, dont les prunelles fuyaient les miennes

— Je te l'ai dit, Blondie, on gère, rétorqua Alice en lui faisant un clin d'œil. On n'a pas chômé ! Et puis, on avait déjà appris One Last Time au lycée.

— Et on a choisi des chansons qu'on connaissait toutes les trois, renchéris-je, le feu s'étant éteint

— Et exprimant drôlement vos sentiments, compléta Mike, dont les joues prirent très vite une teinte cramoisie

— En même temps, soupira Alice, il n'y a pas une seule chanson qui pourrait ne pas me faire pleurer, en ce moment.

— D'ici quelques temps, ça ira mieux, affirma Mike

Alice grimaça. Elle avait du mal à voir comment, et je la comprenais : dans cette phase, on a surtout l'impression que plus rien n'a de sens. Pourtant, Mike a raison. Seulement, elle n'a pas encore le recul nécessaire pour s'en rendre compte.

— Quand tu veux, Em, m'indiqua Caitlin

— Vas-y, répondis-je, mes pupilles diluées dans les iris océan de Luke

Cette fois, il ne rompit pas la connexion.

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Caitlin joua la première note qui me permettait de me situer et je me lançai :

— I've been watching you for some time
Can't stop staring at those ocean eyes, commençai-je, d'un ton bas, comme si je chuchotais un secret inavoué

   Après avoir versé des larmes, il y avait toujours une période suspendue au-dessus de la mer, un bref moment où l'humidité des embruns marins câlinaient mon visage, où un lac d'ataraxie garnissait mon cœur goutte à goutte. Je ne faisais plus qu'un avec la légèreté, comme si toute la masse de mes émotions avait soudainement disparu. Et c'était le cas.

— Burning cities and napalm skies
Fifteen flares inside those ocean eyes
Your ocean eyes, continua Caitlin, d'une voix très douce semblable à un murmure

— No fair
You really know how to make me cry
When you give me those ocean eyes, poursuivit Alice

   C'était comme flotter sur l'eau et entendre le lointain fracas de la mer qui rapporte et reprend le ciel qui se mêle à elle, la respiration réglée sur les va-et-vient des vagues.

— I'm scared
I've never fallen from quite this high
Falling into your ocean eyes
Those ocean eyes, enchaînai-je

   Plus rien d'autre ne comptait à présent. Il ne restait plus que le trou immense que les flammes avaient laissé, mais déjà, la douleur disparaissait, endormie par l'eau salée de l'océan. Mon cœur irait mieux, déchargé du fardeau qu'étaient devenus mes sentiments.

— I've been walking through a world gone blind
Can't stop thinking of your diamond mind
Careful creature made friends with time
He left her lonely with a diamond mind
And those ocean eyes, susurra Caitlin, achevant le second couplet

   J'espérais, qu'à travers mes fenêtres, il pourrait comprendre que j'en avais eu besoin pour aller mieux, et que si j'avais pu faire autrement, je n'aurais pas hésité.

— No fair
You really know how to make me cry
When you give me those ocean eyes
I'm scared
I've never fallen from quite this high
Falling into your ocean eyes
Those ocean eyes, chuchotai-je

   Les doigts de Caitlin couraient comme des fées au milieu des perles de rosée. La mélodie apaisante leur permettait de s'arrêter et de contempler les larmes du matin. Mêmes les fées ont besoin de sentir allégées.

— No fair, chantonna Alice, sur un timbre berceur

— You really know how to make me cry
When you give me those ocean eyes, repris-je

— I'm scared, continua Caitlin, d'une voix enchanteresse

— I've never fallen from quite this high, conclut Alice sur un ton suave

— Falling into your ocean eyes
Those ocean eyes, achevai-je, avec tout l'apaisement que je ressentais

Il y eut un temps de silence, et les fées reprirent leurs activités. Mike applaudit.

— Ça sonnait comme une berceuse, j'adore ! commenta-t-il. Ça change de tout ce qu'on a pu faire. J'avoue qu'avec ta voix puissante, Emmy, je ne te pensais pas capable de chanter une chanson aussi relaxante.

— En voix de tête, répondis-je, tout est possible.

— On les enregistrera très vite. Qu'est-ce que tu en penses, Luke ?

— Étant donné qu'il faut qu'on travaille pas mal de nouvelles chansons pour nos concerts, je suis pour, déclara-t-il, en ponctuant sa phrase d'une œillade neutre dans ma direction

— OK, ça me va, affirma Caitlin, après l'avoir jaugé d'un air songeur. Mike, Alice, vous venez m'aider à vider le lave-vaisselle ?

~

Bonsoir ! Comment allez-vous ? 😄

Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ?

Je suis actuellement en pleine réflexion concernant la fin de ce tome 🙈 On s'en approche, mais je suis incapable de vous donner une idée du nombre de chapitres ! 😅

On se retrouve samedi prochain pour le prochain chapitre !

Prenez soin de vous ! 🎶🖤