➵ Chapitre 87 ~ Alice - partie 1/2
Alice enfouit son visage dans la nuque de sa meilleure amie. Elle aurait aimé avoir plus de force, être un pilier de marbre inaltérable par le vent des souffrances et la pluie des blessures, mais elle n'était qu'une poutre en bois qui se rompait dès qu'un ouragan au sang noir s'approchait un peu trop près.
Elle entendit vaguement Glenn et Eileen s'en aller ; elle était déjà emportée dans les ténébreuses profondeurs de la douleur. Malgré Émilie, la frêle bouée de sauvetage à laquelle elle se raccrochait, elle ne parvenait pas à maintenir sa tête hors de l'eau. Elle ne respirait plus qu'un océan salé de désespoir. Elle était seule, désormais.
Les poumons boursouflés d'eau, elle se demandait combien de temps elle pourrait survivre dans cette noirceur totale, où aucun phare ne pouvait la guider. La seule chose qu'il lui laissait, c'étaient des plaies béantes qu'elle ne savait pas comment refermer. Il ne reviendrait jamais. Le vertige provoqué par cette vérité lui éclata le cœur.
Personne ne parla. Alice n'entendait rien d'autre que l'écho de ses sanglots qui se répercutaient dans chacun de ses os. C'était un sentiment qu'elle avait espéré ne plus jamais connaître, mais force était de constater que ça ne dépendait pas d'elle. Au fond, c'était le plus terrible : se rendre compte de notre impuissance face à notre propre perte dans les confins des tourments.
Tout son univers n'était plus que désolation, comme si un cruel dragon avait carbonisé toute son âme et que l'ondée rieuse s'était fait un plaisir d'arriver trop tard. Comment survivre dans un monde calciné, où tout n'est plus que cendres ? Alice vérifia à plusieurs reprises : il n'y avait plus de braises.
Pourtant, elle parvint à puiser en elle la force de lâcher Émilie et de reculer d'un demi-pas. Elle ne put regarder sa meilleur amie dans les yeux ; elle avait trop peur de voir son propre reflet brisé.
Luke lui tendit un verre d'eau qu'elle accepta sans broncher. Elle eut l'impression d'attiser l'océan de peine qui la renversait.
— Je suis désolée, murmura Alice en reniflant. J'ai gâché ta soirée.
Luke secoua la tête.
— Mais non. Ce n'est pas de ta faute.
— C'est moi qui suis désolée Alice, s'excusa gravement Émilie. Si je n'avais rien dit...
« On serait encore ensemble » songea Alice.
Cependant, ça n'aurait pas été une bonne chose.
« J'ai rencontré une londonienne. »
« On parle beaucoup, de la vie, du monde, des gens qui ne sont que de passage, mais on ne discute jamais du passé, des secrets enterrés au fond de la terre, des amitiés effacées. »
Dis-moi que c'est terminé. Je ne peux pas le faire moi-même, même si je sais qu'il le faut.
Émilie ne finit pas sa phrase.
— Non, c'est de la mienne, argua Alice, d'une voix blanche. Je ne faisais que de repousser le moment. Au moins, je suis fixée maintenant.
Elle reposa le verre vide sur la table.
— Je ne savais pas que ça faisait si mal, et pourtant je t'ai vue souffrir, marmotta-t-elle, ses iris fatiguées par les larmes déposées sur Émilie
Un sourire compatissant étira ses lèvres et Alice sentit son cœur chanceler sous le poids du chagrin. À nouveau, il déborda et une nuée salée se déversa dans tout son corps. C'était comme se noyer.
— J'ai l'impression...
— D'avoir le cœur comprimé jusqu'à qu'il se fracasse ? compléta Émilie, un air compréhensif sur le visage
— ... Oui ... et ...
— Que ça ne s'arrêtera jamais de saigner ? ajouta Luke, le visage voilé par la compassion
— Totalement, chuchota Alice
Elle parcourut la pièce du regard, apercevant Emma, Mike et Caitlin sans les voir. Néanmoins, elle se fit la réflexion que Clara avait disparu des radars.
— Tu veux rentrer te reposer ? questionna Émilie, son visage fin barré par un pli soucieux
Alice ouvrit la bouche pour accepter mais n'eut pas le temps de prononcer un seul mot :
— Vous feriez mieux de rester, je peux tous vous faire dormir ici, intervint Luke, ses prunelles ancrées dans celles d'Emilie
En temps normal, Alice se serait réjouie de tout ce qui s'était passé entre eux ce soir, mais elle n'en avait pas la force.
— Oui, vous serez mieux ici, appuya Caitlin, après avoir dévisagé Alice avec bienveillance
Ses jambes tremblaient au point qu'elle se demandait comment elle pouvait tenir debout. Au fond, elle n'avait qu'une envie : s'allonger et dormir, pour se persuader que tout ça n'était rien de plus qu'un cauchemar, mais demain, au réveil, son cœur serait encore transpercé par les pics de la douleur. Et il faudrait affronter le soleil qui ne brillerait plus pour elle.
Elle se laissa guider par Luke dans sa chambre. La main d'Emilie sur son dos était la seule sensation qui lui prouvait qu'elle n'était pas encore seule dans cette tempête de spectres horrifiques. Elle ne sut comment, mais elle se retrouva allongée sur un lit qui n'était pas le sien, dans des draps qui portaient une odeur qui lui était familière.
— Restez avec moi, s'il vous plaît. Je ne veux pas être seule, chuchota-t-elle, les paupières mi-closes.
Elle devina qu'ils échangèrent un regard avant de s'adosser au lit. Émilie posa sa tête au bord du matelas et ses cheveux chatouillèrent la bras d'Alice.
— Tu me racontes ? questionna-t-elle
Alice eut un ersatz de sourire. Emmy savait que c'était plus facile pour elle de se confier en ne voyant pas la personne, c'était trop difficile de voir un miroir de sa propre souffrance sur le visage de son confident.
— Il a dit qu'il était désolé, murmura Alice. Vous croyez qu'il l'est vraiment, ou qu'il n'en pense pas un mot ?
— Je crois qu'il le pense vraiment, répondit Luke. Il n'est pas du genre à ne pas être compatissant.
— Elle s'appelle Thalia. Elle joue de la contrebasse et elle peint des tableaux. Ils discutent beaucoup. Elle est confiante envers l'avenir, elle n'a pas peur de perdre, pas comme moi, déplora Alice, la voix bercée par les larmes
— Ne te torture pas en te comparant à elle. Ce n'est pas de ta faute, l'apaisa Émilie
— Peut-être que si j'étais différente, ça ne se serait pas passé comme ça, objecta sinistrement la jeune femme
— Je ne crois pas, Alice. Tu es toi-même et c'est amplement suffisant, la contredit Luke.
— Peut-être que si je changeais..., poursuivit-elle, comme si elle ne l'avait pas entendu
— La plus belle personne que tu puisses être, c'est toi-même, la coupa Émilie, d'une voix ferme
— Je ne sais pas. Je ne suis plus sûre de rien. Tout vole en éclats autour de moi. Le groupe, Solange, Clara, Antoine, et bientôt notre groupe explosera encore une fois, marmonna-t-elle, le visage strié par les pleurs
— Non, pas notre groupe, pas cette fois, rétorqua Luke. C'est une promesse que j'ai faite à Mike.
— La dernière fois aussi on s'était dit que c'était pour toujours, mais on n'avait pas compris que toujours pouvait dire un mois, une vie ou un an, s'accabla Alice
— Non, cette fois on ne lâchera rien. Tu pourras compter sur nous tous, affirma-t-il, sûr de lui
— J'aimerais te croire, souffla Alice, la voix fatiguée
— Tu devrais dormir, conseilla doucement Émilie
Alice eut l'impression qu'elle venait de lui offrir un fragile pétale, qui contrastait outrageusement avec son sol noirci par les flammes. Celui-là, il ne faudrait pas le laisser perdre de son éclat.
— Sans doute, acquiesça-t-elle, vaincue.
La porte grinça, des raies de lumière baignèrent la pièce d'une aura rassurante, puis les ténèbres inquiétantes reprirent leur terrain. Les yeux grands ouverts, Alice affronta le voile opaque en serrant les dents.
« Je suis désolé. J'aurais aimé que ça se passe différemment, seulement, ça m'est tombé dessus comme ça, sans prévenir. J'aimerais te dire de ne pas t'inquiéter, que tout ira bien, mais c'est faux bien-sûr, tu es en train de sombrer dans des bois lugubres. J'espère juste que tu ne mettras pas trop de temps à arriver au bout et à te rendre compte qu'après, il y a bien de la lumière qui t'attend. »
Ce n'était pas comme ça que ça aurait dû se passer. Je t'aime, ce n'est pas suffisant ? Je pensais peindre plus de tableaux avec toi, que tu serais plus que quelques chapitres dans le livre de ma vie, que tu serais plus qu'une portée inachevée au fond d'une boîte, dont la mélodie me sera toujours trop difficile à écouter.
« Je crois qu'elle me plait beaucoup, elle fait battre mon coeur plus grand, elle me transperce d'étincelles, et je ne peux rien y faire. J'ai essayé d'ignorer ces entailles scintillantes, de me convaincre que c'était pour de faux, mais elle a allumé une lanterne en moi dont je ne connaissais même pas l'existence. »
Ne t'en ai-je pas allumé une dizaine ?
« Elles luiront toujours, tu sais, mais il est temps pour toi de suivre ta route et moi la mienne. Je ne regrette pas le bout de chemin qu'on a partagé ensemble, et je le chérirai toujours. J'ai beaucoup appris à tes côtés. »
Et tu aurais pu apprendre encore plus.
Sa poitrine se soulevait à un rythme effréné. Ce n'était là que la première fois qu'elle se repassait la scène. Plus que tout, elle espérait que leurs chemins se croisent à nouveau, même si elle devait passer plus de deux ans à errer dans ce labyrinthe sylvestre noyé par la nuit. Elle attendrait.
~
Bonsoir ! Comment allez-vous ?
Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ? Ça ne s'annonce pas très bien pour Alice 😅
On se retrouve samedi prochain pour la prochaine partie !
Prenez soin de vous 🖤
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