➵ Chapitre 85 ~ Alice
Émilie écarquilla les yeux de stupeur.
— Quoi ? Mais non ! s'écria-t-elle, une fois remise de sa surprise. Où vas-tu chercher une telle idée ?
Alice haussa un sourcil. Elle en était intimement convaincue.
— Tu crois que Thomas et Luke parlaient de quoi, dans la voiture ?
Elle entrouvrit la bouche puis la referma, visiblement sous le choc.
— Tu crois ? finit-elle par dire
— J'en suis persuadée.
— Mais... on est amis ! protesta-t-elle. Je t'assure qu'il n'y a rien de plus.
— Mouais. Et quand vous vous êtes embrassés, l'autre jour quand on était en boîte, c'était rien peut-être ? répliqua Alice, fière de sa réponse qu'on pouvait difficilement contredire
— Il voulait se faire remarquer par quelqu'un, expliqua-t-elle sans ciller.
« Elle a vraiment gobé ça ? » pensa Alice avec étonnement.
— Ah, bon ? Vraiment ? demanda-t-elle, en croisant les bras
— Oui, vraiment, affirma Emmy. On a même convenu qu'on était amis, avant !
— Eh bien je serais curieuse de savoir qui il voulait rendre jaloux, commenta simplement Alice
— Il ne me l'a pas dit, confia-t-elle
Sa réponse n'étonna pas Alice.
— Évidemment, il n'allait pas te dire que c'était toi, répliqua-t-elle
— Ça me paraît quand même tiré par les cheveux.
— Emmy, j'ai toujours raison. Rien que ce qu'il s'est passé ce matin me le prouve.
— Il ne s'est rien passé ce matin... si ? demanda-t-elle, face à la moue dubitative d'Alice
— Je cite, « Emmy est plus belle que toi. »
— Il n'a pas le droit de le penser ? Tu me le dis bien régulièrement et pourtant on est amies, objecta-t-elle
— Tut-tut ! fit Alice en agitant négativement son index. Cette excuse n'est pas acceptable. Elle l'aurait été si vous ne vous étiez pas embrassés.
— Mais moi, je ne l'aime pas comme ça. Il est mon ami, répliqua Émilie, embarrassée
— Ah, mais je n'ai pas parlé de toi, j'ai juste parlé de lui, rappela la jeune femme. Je voulais juste que tu en aies conscience.
— Je maintiens quand même que tu te trompes, s'entêta Émilie. Je le sentirais, sinon.
— Et moi, je dis que les signes ne mentent pas, répondit Alice, amusée. Penses-y, conseilla-t-elle
Émilie soupira et Alice éteignit la lumière.
— Bonne nuit, murmura Alice
— Bonne nuit, chuchota-t-elle, en réponse.
La légèreté que cette discussion avait provoqué en Alice disparut aussitôt que le silence se fit. Ses peurs resurgirent aussi vite qu'elles l'avaient quittée. Elle se mordit la lèvre et écouta le bruit de son cœur qui cognait à toute allure dans sa cage thoracique.
Alice n'avait pas tout dit. Si Antoine venait, c'était avant tout parce qu'il voulait parler. D'eux. D'où ils en étaient. Elle était tout bonnement terrorisée par l'issue que pourrait avoir leur discussion. Ils ne s'étaient presque pas vus cette année, et les messages qu'ils s'envoyaient étaient trop brefs et trop rares.
Il restait deux nuits avant qu'il arrive. Deux petites journées avant d'avoir le fin mot de cette histoire. Deux petites journées où ils s'entraîneraient, enregistreraient et filmeraient. Elles passeraient rapidement, surtout la deuxième qui serait écourtée par son arrivée en fin d'après-midi.
Alice s'appliqua à respirer profondément. Elle attendait et redoutait le moment où elle verrait Antoine. Mais tôt ou tard, il lui faudrait l'affronter. Elle finit par sombrer dans le sommeil.
Quand le réveil sonna, quelques heures plus tard, elle songea tout de suite qu'il ne restait plus qu'une nuit avant vendredi. Elle se mordit la lèvre, stressée et s'extirpa de suite des draps.
Elle entendit un grognement étouffé et sourit en voyant la chevelure bleue de son amie jurer avec la blancheur des draps. Émilie n'était clairement pas une personne matinale. Alice ouvrit les rideaux d'une fenêtre et prit sa trousse de toilette. Elle sauta dans ses vêtements sans même avoir le temps de dire ouf et se dirigea ensuite vers la salle de bains pour se préparer. Une dizaine de minutes plus tard, elle était prête et croisait Émilie qui entrait dans la salle de bains.
Alice s'assit sur son lit et poussa un soupir inquiet. Elle vérifia son téléphone et ne vit aucune notifications. On ne dirait pas qu'Antoine venait le lendemain vers 17 heures. « Peut-être qu'il s'en fiche de moi. Peut-être qu'il s'est lassé. » songea-t-elle, le cœur serré. Le fil de ses pensées fut coupé par Émilie qui revenait maquillée de la salle de bains :
— Je meurs de faim ! annonça-t-elle en reposant sa trousse de toilette sur sa valise
— Moi aussi, répondit Alice, feignant l'enthousiasme
Elles retrouvèrent Thomas, déjà attablé et Alice ne put s'empêcher de se demander ce qui le poussait à vouloir passer toutes ses journées enfermé avec eux à les écouter chanter et jouer.
Elle se reperdit dans ses pensées. Elles gravitaient autour d'Antoine, au point que la jeune femme était obligée de se forcer à manger pour ne pas alarmer Émilie et Thomas, qui discutaient avec animation de films Marvel. Comme d'habitude, Émilie défendait Spiderman et Thomas trouvait tout et n'importe quoi pour l'embêter. Cependant Alice n'avait pas le cœur à les écouter.
Elle se demandait ce qu'elle ferait si elle et Antoine rompaient. Elle perdrait un de ses repères, encore. D'accord, elle avait peut-être retrouvé Caitlin, Luke et Mike, mais Solange, elle ne la reverrait plus jamais. N'avait-elle pas assez perdu ?
Elle ne connaissait que trop bien ce vide oppressant qui grandissait dans la poitrine, jusqu'à complètement vous briser. Elle ne voulait pas revivre ça. Les yeux rivés sur les bâtiments qui défilaient à travers les fenêtres du tram, elle songeait tristement au fait que de l'attachement, il ne résultait toujours qu'un goût amer, subtile rancoeur qu'on n'oubliait pas si facilement.
Les portes s'ouvrirent et elle suivit les cheveux bleus d'Emilie, son seul point d'accroche dans sa vie, désormais. Quelque part au fond d'elle, elle espérait se tromper, et que de cette discussion ne résulteraient que des bonnes choses.
Ils arrivèrent chez Mike et Alice salua lui et Caitlin entre deux mirages. Elle imaginait toutes les situations possibles, toutes les issues pour ne pas être prise au dépourvu. Comme d'habitude, Luke arriva un peu en retard.
— C'est la circulation ! se justifia-t-il. Et puis, j'étais vraiment trop en retard pour partir à pieds.
— Donc, tu étais en retard ! conclut Mike
— Je ne suis pas du matin, c'est tout, se défendit-il en faisant la moue
Ils recommencèrent à s'entraîner. Tout le monde fut ravi de voir qu'ils y arrivaient encore mieux qu'hier, y compris Alice, qui se fit la remarque tout n'était pas si noir. Il y aurait au moins une tâche éclatante de positivité dans cette journée.
A mesure qu'ils s'entraînaient, une question claire comme le jour fendit l'esprit d'Alice. Au vu du message que portait Never Really Over, qu'est-ce que ça faisait à Luke et Emmy de chanter ça ? Pour Émilie, elle connaissait la réponse, mais pour Luke, elle l'ignorait. Comme toujours, Alice cherchait du réconfort en pensant aux problèmes des autres plutôt qu'aux siens.
Elle ne vit pas la longue journée passer, et pourtant ils terminèrent aussi tard que la veille. John promit de venir les aider à enregistrer demain. Il ajouta qu'il les filmerait demain et qu'il avait une petite idée de quoi faire.
Alice s'endormit le cœur baigné d'angoisse. Elle rêva d'ombres, de peurs et de larmes, si bien qu'au réveil, elle se sentit laminée par toutes les luttes cauchemardesques qu'elle avait dû mener toute la nuit. La brume l'enveloppa pour la journée entière.
Cachées derrière un visage concentré et attentif, ses peurs gagnaient du terrain. Pourtant elle n'en toucha mot à quiconque. Il était hors de question de tout retarder pour si peu. Et puis, tant qu'elle arrivait à se projeter dans la chanson, tout irait bien. C'est pour cela que la voix d'Alice vibra autant. John s'avoua impressionné par tous, et la jeune femme eut la sensation qu'au fond, ils avaient tous les cinq de très bonnes raisons de s'acharner comme ça.
L'idée de clip que John avait eue consistait à les filmer tous les cinq séparément en train de chanter toute la chanson et d'ensuite faire un montage qui passait de l'un à l'autre. Il filma Caitlin sur le pont de Brooklyn sous un ciel aussi bleu que la mer, Luke dans un parc, Émilie au bord de l'eau, Alice sous un arbre fleuri, et Mike dans sa chambre. Il les filma aussi à leur insu pour s'assurer des plans supplémentaires.
Ils marchèrent toute la journée sous le soleil, rirent aux blagues de John et Alice se sentit à vingt mille lieues de la réalité.
Au final, ils rentrèrent chez Mike aux alentours de seize heures. Lui et John entreprirent de commencer le montage. L'heure fatidique approchait : l'avion d'Antoine atterrissait dans une petite heure. La gorge sèche, Alice prit son courage à deux mains :
— Je vais vous laisser, il faut que j'aille à l'aéroport.
— Tu y vas comment ? questionna Luke
« Bonne question. » songea Alice
— Euh... Je vais prendre le métro.
Luke balaya sa réponse de la main.
— Allez, viens, je t'emmène.
— Non, c'est bon, refusa Alice
— Ah. Mais ce n'était pas une question.
— Tu es sûr ? capitula Alice
— Bien-sûr ! Je suis ton chauffeur personnel, plaisanta-t-il, le poing sur le coeur
— Dans ce cas, allons-y ! décida la jeune femme
— A vos ordres, Madame, répondit-il en s'inclinant. A toute à l'heure ! ajouta-t-il à l'adresse d'Emilie, Caitlin et Thomas
Alice ne savait pas ce qu'elle était censée dire à Luke, maintenant qu'elle était assise à côté de lui et qu'il bougonnait des insultes à quiconque ne mettait pas son clignotant. Pourtant, elle avait bien des questions à lui poser. Elle décida de tâter le terrain :
— Comment ça se fait qu'on ait perdu contact, toi et moi ?
— Pour beaucoup de raisons, j'imagine, éluda-t-il
Alice renonça à l'idée d'interroger Luke au sujet d'Emilie. Ça ne la regardait pas, bien qu'elle mourait d'envie d'en savoir plus.
— Bonnes ou mauvaises ? insista Alice
— A toi de voir, répondit-il
— Pour ça, il faudrait que je les connaisse, non ?
— Qui est Solange ? questionna-t-il, en réponse
Alice cligna des yeux, scotchée. Elle se sentit défaillir et son visage se décomposa.
— Pourquoi tu me poses cette question ? dit-elle, après avoir repris contenance
— Parce qu'Emilie ne me l'a pas dit. Et toi, pourquoi tu me demandes tout ça ?
— Parce que je pensais avoir le droit de savoir, avoua-t-elle.
Elle n'avait pourtant qu'à dire deux mots : Solange Griveaux. Il pâlirait comme Mike avant lui, puisque Mike leur avait confié que tout Saint-Matthew connaissait l'histoire. C'était pour ça que toutes les sorties étaient maintenant interdites à Sainte-Cécile et Saint-Matthew, et sûrement dans toutes les autres écoles du même genre. Mme Joyce avait diffusé la nouvelle.
Alice trouvait même étrange qu'il n'ait pas encore deviné. Elle songea aussi qu'il faudrait peut-être en parler à Caitlin, mais elle ne voulait plus jamais avoir à parler de ça et à expliquer les deux erreurs fatales qu'elle avait commises : celle de ne pas l'avoir empêchée de trop boire et celle de ne pas l'avoir surveillée.
— Tu sembles avoir tes secrets, observa Luke, après lui avoir jeté un coup d'œil. J'ai aussi les miens.
Alice tourna la tête vers lui. Il mordillait son piercing d'un air perdu. Elle chercha une réponse adéquate, et comme elle n'en trouva pas, elle confirma :
— Effectivement.
Un silence s'installa et Alice prit conscience qu'elle venait de passer un accord tacite avec lui. Il ne lui poserait pas de questions si elle ne lui en posait pas.
— J'aimerais bien tous vous inviter chez moi demain soir, annonça Luke. Tu crois qu'Antoine sera d'accord ?
— Je pense que oui, répondit Alice
— Cool. J'inviterai Glenn et Eileen aussi. Uniquement parce que j'apprécie Glenn, précisa-t-il en grimaçant
Alice se garda à grande peine de demander si Clara serait là.
— Tu n'aimes pas Eileen ? questionna-t-elle
— Tu as déjà dû remarquer à quel point elle adore mettre les pieds dans le plat.
— T'es sorti avec elle, non ?
— Deux semaines, s'esclaffa-t-il
— Et elle en parle encore ?
— C'est parce que je suis inoubliable au lit, répliqua-t-il avec un sourire narquois
— Luke ! Est-ce que j'ai vraiment besoin de savoir ça ?
— Ça peut toujours t'être utile, objecta-t-il
— Évidemment, ironisa Alice en levant les yeux au ciel.
Ils étaient arrivés. « En parlant de mettre les pieds dans le plat... » pensa la française.
— Et sinon, c'est dans tes habitudes de détester tes exs ?
— Je ne déteste pas Emmy, si c'était ta question. Au contraire, je l'apprécie beaucoup, répondit-il en détachant sa ceinture
Alice n'ajouta rien.
— J'espère que tu détesteras Clara, marmonna-t-elle en refermant la portière
Alice n'avait toujours pas digéré qu'elle ait essayé de monter tout le groupe contre Lise avec de fausses accusations et qu'elle ait en partie réussi. Ça et tout le reste.
Luke s'arrêta net.
— On n'est pas ensemble. Elle t'a dit le contraire ?
— Non, réfuta Alice. Attends, comment ça vous n'êtes pas ensemble ? Tu l'embrasses devant nous, tu danses un slow avec elle et tu me dis que tu n'es pas avec elle ?
— Vue sous cet angle, c'est sûr que ça a l'air étrange, admit-il, mais non, on n'est pas ensemble.
— Ah, donc c'est pour s'amuser ? questionna Alice
— En quelque sorte. C'est elle qui m'a proposé, expliqua-t-il
— Quand j'ai suggéré à Emmy l'idée d'avoir un sexfriend, elle m'a regardée comme si je lui avais proposé de l'écarteler, avoua Alice, amusée
— De moi-même je n'y aurais jamais pensé, confia Luke
Alice sentit qu'il voulait la questionner davantage mais qu'il s'abstenait. Ils passèrent les portes de l'aéroport et tous deux se dirigèrent vers les portiques. D'après les panneaux, l'avion en provenance de Paris n'allait pas tarder à atterrir.
— Ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ? demanda Luke. Vous l'étiez déjà en seconde.
— Presque cinq ans, répondit Alice
— Wow, vous vendez du rêve, lâcha-t-il
Alice lui sourit.
« S'il savait » songea-t-elle, en sentant son cœur craqueler.
Le temps sembla se suspendre un instant, comme des nuages au-dessus du ciel. Puis, les gens commencèrent à affluer. Alice guettait la foule, au paroxysme de son inquiétude. Elle se disait que son univers n'avait jamais été aussi brinquebalant. Puis, elle l'aperçut et toutes ses peurs disparurent.
Elle sentit des picotements traverser son corps et des flux de chaleur la transpercer. Comme dans un rêve, il marcha jusqu'à elle et un feu d'artifice éclata au cœur de son âme au moment où elle l'embrassa, à tel point que quand elle se sépara de lui, le gris avait été remplacé par une multitude de couleurs vivifiantes.
— Wow ! Luke, tu as changé ! s'exclama Antoine. T'as pris combien de centimètres, sérieusement ? Je suis presque sûr que tu n'étais pas aussi grand...
— Ce sont ses cheveux, l'accusa Alice en désignant sa chevelure ébouriffée
— Et toi donc ? répliqua Luke après l'avoir salué. La dernière fois tu n'avais pas de barbe. Quant à toi Ali', je sais que tu es jalouse de ma coupe de cheveux. J'ai des sources très fiables, ajouta-t-il, un air taquin flottant sur le visage
Alice lui tira la langue. Ils sortirent tous les trois de l'aéroport et le vent les décoiffa. Alice se fit la réflexion que Luke était beau, comme ça. Non pas qu'il fût laid le reste du temps, Luke était toujours beau, mais avec ses cheveux au vent, un charme hypnotique émanait de lui. Elle songea que ça devait faire partie des choses qui avaient fait tomber Émilie amoureuse de lui.
Antoine s'installa devant et Alice l'écouta parler de Londres à Luke et lui raconter comment c'était, à l'orchestre. Elle se sentait entourée d'une bulle de plénitude. Tout ce qu'elle touchait était taché de rouge, jaune ou rose. Elle entendit aussi Antoine accepter l'invitation de Luke pour le lendemain.
Dès qu'ils arrivèrent chez Mike, Alice descendit de la voiture, toute guillerette. Elle avait eu tort de s'inquiéter : il ne l'aurait pas embrassée comme ça s'il n'y croyait pas. Mike, John, Caitlin, Emilie et Thomas l'accueillirent et Alice eut la sensation qu'Antoine avait toujours été là.
Elle remarqua cependant l'œillade envoûtée qu'Emilie lançait – involontairement – à Luke. Il ne semblait ni s'en apercevoir, ni s'intéresser plus que ça à elle. Alice eut un pincement au cœur pour elle. Elle le regardait comme on contemplerait une œuvre d'art.
~
Hello ! Comment allez-vous ? :)
J'espère que vous arrivez à tenir le coup en ce moment :) Si vous éprouvez le besoin de parler à quelqu'un, ma messagerie est ouverte ! 🧡
Que pensez-vous de ce chapitre ? Le point de vue d'Alice ? Sa discussion avec Emmy en début de chapitre, et tout ? 💚
Merci d'avoir lu ce chapitre ! ❤️🎶
On se retrouve samedi 23 janvier pour le prochain chapitre !
Prenez soin de vous ! 🖤
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