➵ Chapitre 63

    Nous nous étions entraînés jusqu'à la fin de la journée. Nous avions décidé que nous parlerions de Man Down à M. Ginsique mardi soir. Il n'y avait, apparemment, aucune raison que lui et M. Wiener refusent. Je m'étais endormie très tard, baignée dans les larmes et j'avais même rêvé de Luke.

Au matin, j'avais caché mes traces de larmes sous une couche de maquillage. La journée avait filé à la vitesse de l'éclair. Comme pour ajouter une note sinistre à ma journée, M. Tullier a rendu nos copies. Je m'en étais finalement tirée avec un 8, ce qui n'était pas si mal au vu du sujet. Bilan de cet examen blanc : écrire le cours en guise de réponse quand on ne sait pas quoi mettre a du bon.

A présent, j'étais allongée dans l'obscurité de notre chambre. La respiration d'Alice aurait dû me bercer, mais il n'en était rien. Impossible de trouver le sommeil. Pour une fois, je ne pleurais pas. J'étais juste là, les yeux grands ouverts à contempler la nuit silencieuse.

La lumière s'alluma tout d'un coup :

— J'ai une idée ! s'exclama Alice

— Quoi ? fis-je en baillant

— On n'a qu'à apprendre une chanson. Là, tout de suite ! dit-elle

— Mais... on va faire du bruit ! protestai-je

— Donc, tu n'es pas contre ! affirma-t-elle. On est au bout du couloir et la chambre à côté de la nôtre est vide ! Et les secondes d'en face sont à New-York ; aucun risque de déranger qui que ce soit !

— J'imagine que tu as une chanson en tête ? demandai-je

— Non ! contrecarra-t-elle, TU as une chanson en tête ! Ça fait une semaine que tu écoutes Eyes Closed d'Halsey en boucle. On va l'ajouter au spectacle ! Je suis presque sûre qu'il y a encore de la place ! Et puis sinon... bah de toute façon tu n'arrives pas à dormir !

— D'accord, acceptai-je en repoussant les couvertures. Allons-y !

   Alice chercha la version instrumentale sur YouTube et la lança sur son enceinte, dont elle avait baissé le son. Durant toute la nuit, nous nous entraînâmes d'arrache-pied, jusqu'à atteindre l'excellence. A chaque fois que mes paupières menaçaient de se fermer, je me forçais à les garder ouvertes. Nous nous étions aspergés le visage d'eau froide à plusieurs reprises.

   A l'aube, nous avions atteint cet idéal communément appelé perfection. Alors, tandis que les premiers rayons du soleil filtraient à travers les rideaux et que cinq heures sonnaient, nous nous endormîmes pour trois petites heures de sommeil.

  Le réveil fut évidemment difficile. Trois heures de sommeil, ce n'est pas beaucoup, et nos amis n'eurent aucun mal à deviner que nos têtes de zombie étaient dues à notre courte nuit.

— Laissez-moi deviner, avait soupiré Solange. Netflix ?

— Même pas ! confessa Alice. Tu auras la réponse ce soir.

   Elle s'était servie cinq généreuses tasses de café, et je n'avais pu que l'imiter. Le moment le plus compliqué pour ne pas sombrer dans le sommeil fut l'après-midi. Même en temps normal, il n'y a pas pire que d'avoir cours pendant la digestion !

  Lorsque enfin le cours de musique arriva, je ne pus m'empêcher de ressentir une pointe d'excitation. Non seulement, nous allions parler de Man Down, mais aussi de Eyes Closed. Et personne n'était au courant pour cette dernière...

   M. Ginsique nous salua et M. Wiener nous informa qu'il était plutôt satisfait de notre travail. Il demanda si quelqu'un avait des questions. Je levai la main, sans réfléchir. Finalement, la fatigue donne des ailes...

— Lucie, qui est danseuse, fait une chorégraphie sur Man Down de Rihanna. Elle m'a proposé de la chanter. J'ai déjà travaillé dessus, je peux vous montrer ? questionnai-je d'une voix assurée

Visiblement, le manque de sommeil me donne beaucoup plus confiance en moi. A moins que ça ne soit parce que Solange, Alice et Ludovic m'ont entraînée ?

— D'accord, oui, accepta dans la seconde M. Ginsique

— Allez, hop, en place ! ajouta M. Wiener en me faisant signe de me lever

Je me levai et les rejoignis sur l'estrade.

— J'imagine que tu as la mélodie ? demanda M. Ginsique

— Moi, je l'ai ! répondit Alice en se levant d'un bond

Elle farfouilla rapidement dans son sac avant d'en sortir son téléphone, que M. Ginsique lui demanda de connecter à son enceinte.

— Quand tu veux, Emilie, annonça M. Wiener

Ludovic leva ses deux pouces en l'air en signe de soutien, et Solange m'offrit un large sourire. J'hochai la tête à l'attention d'Alice et la chanson démarra.

   Je commençai pile au bon moment, parfaitement en rythme en articulant bien. Tout le monde écoutait en écarquillant parfois les yeux, au vu du flot de paroles qui franchissait mes lèvres. J'appliquai les conseils de mes amis et m'autorisai donc à monter très haut aux « Oh, why ? ».

— It's a twenty-two, I call her Peggy Sue
When she fits right down in my shoes
What you expect me to do if you're playing me for a fool ?
I will lose my cool and reach for my firearm
I didn't mean to lay him down ! m'exclamai-je, les sourcils plissés par le remord

— But it's too late to turn back now !
Don't know what I was thinking
Now he's no longer living
So I'm 'bout to leave town, aye-uh !

   Je repris le pré-refrain sous les hochements de tête approbateurs de M. Ginsique, puis le refrain sous le regard neutre de M. Wiener. Enfin, vint la partie la plus difficile à chanter : le bridge. Je battis inconsciemment la mesure du pied et bougeai inconsciemment mes mains pour chanter sous le bon rythme.

— 'Cause now I am criminal, criminal, criminal !
Oh Lord have mercy !
Now I am a criminal !
Man down...
Tell the judge please give me minimal !
Run out a town, none of them can see me now, see me now !

Sous le sourire de M. Ginsique, je conclus la chanson par le refrain. Les applaudissements retentirent et je souris simplement, ne sachant à vrai dire, pas trop quoi faire.

— Pas mal, commenta Wiener. Il te manque encore un peu d'entraînement pour la fin.

— J'ajoute ton nom à la chanson ! m'informa tranquillement M. Ginsique. C'est très bien ! Tu t'es entraînée toute seule ?

— Non, avouai-je. Alice, Ludovic et Solange m'ont aidée.

— C'est un bon travail d'équipe alors ! termina-t-il, tandis que je me rasseyais aux côtés d'Alice, contente de la tournure des événements

— Maintenant que tout le monde maîtrise à peu près ses chansons, sachez que vous pouvez ajouter des chansons de votre choix. Des volontaires ? demanda M. Wiener

Alice et moi échangeâmes un regard : c'était le moment !

— Emilie et moi, on a quelque chose, annonça-t-elle. On a travaillé sur la chanson Eyes Closed d'Halsey.

— Je ne connais pas, confia M. Ginsique

— Eh bien, décidément ! Je me demande comment est-ce que vous pouvez trouver le temps pour travailler sur des chansons. Attention à ne pas les bâcler ! prévint M. Wiener d'une voix quelque peu rocailleuse

— Il faut croire que certains ont besoin de moins d'heures sommeil, marmonna Solange à Ludovic, suffisamment fort pour que toute la classe entende

Quand nous rejoignîmes à nouveau les professeurs sur l'estrade, M. Ginsique souriait.

— Tu sais comment faire, Alice, lui dit-il tandis que cette dernière reconnectait son téléphone à l'enceinte

— J'espère que ça en vaut le détour, grimaça M. Wiener. Vous n'avez pas eu beaucoup de temps.

S'il savait ! songeai-je.

— Oh mais vous ne serez pas déçu, affirma Alice, tandis que je croisais les doigts pour qu'il finisse par changer d'avis

Sur ce, elle lança la chanson.

[Il devrait y avoir un GIF ou une vidéo ici. Procédez à une mise à jour de l'application maintenant pour le voir.]

I, I know where to lay, I know what to say. It's all the same, commençai-je, en parcourant la salle du regard

— And I, I know how to play, I know this game. It's all the same, continua Alice, le visage plissé par ses émotions

— Now if I keep my eyes closed he looks just like you ! But he'll never stay, they never do ! m'exclamai-je, imaginant m'adresser à Luke

Je serrai les dents. Pourquoi diable me reconnaissais-je autant dans les paroles ?

— Now if I keep my eyes closed he feels just like you ! But you've been replaced, I'm face to face with someone new ! clama ma meilleure amie

— Would've gave it all for you, cared for you ! So tell me where I went wrong ! Would've gave it all for you, cared for you ! lui demandai-je, les larmes aux yeux

— My lover, my liar ! murmura Alice, en fond

— Would've trade it all for you, there for you ! So tell me how to move on ! Would've trade it all for you, cared for you ! lui avouai-je d'une voix perlée de craquelures virevoltantes

— My lover, my liar ! répéta Alice

Trop d'émotions transparaissaient sur mon visage. Mais tant pis, elles transperçaient ma voix. N'était-ce pas là l'objectif ultime ? Faire de la musique un catharsis ?

— Now if I keep my eyes closed he looks just like you ! But he'll never stay, they never do ! reprit-elle

— Now if I keep my eyes closed he feels just like you ! But you've been replaced ! I'm face to face with someone new ! poursuivis-je, plus pour me convaincre moi que lui, surtout que la partie « you've been replaced » ne risquait pas d'être actualité avant un très long moment.

Peut-être jamais.

— They don't realize that you're thinking about him ! enchaîna Alice, d'une voix apaisante

Elle avait changé les paroles. C'était normalement « They don't realize that I'm thinking about you ».

— It's nothing new, déplorai-je, mes yeux croisant les siens

— It's nothing new, concéda-t-elle d'une voix douce

— Now if I keep my eyes closed he looks just like you ! reprîmes-nous, en chœur. But he'll never stay, they never do ! Now if I keep my eyes closed he feels just like you ! But you've been replaced ! I'm face to face with someone new !

   Je me mordillai la lèvre. Ce n'était pas supposé être aussi... émotif. « C'est le but d'une chanson ! Tu ne dois pas avoir honte de t'être ouverte là-dessus ! » me sermonnai-je, intérieurement.

— Bon, finit par dire M. Wiener. J'imagine que j'ai parlé trop vite. C'était bien. Beaucoup d'émotions. Ça me plaît, c'est ce que les gens veulent.

— Je vous ajoute à la liste ! Je suis fier de vous ! nous congratula M. Ginsique

   Nous le remerciâmes et retournâmes nous asseoir, sourires aux lèvres. Judickaël, assis à côté de moi, chuchota :

— Voici donc ce à quoi vous avez passé la nuit. C'est réussi, en tout cas, bravo !

Il sourit à travers ses lunettes et Alice lui murmura qu'elle n'avait qu'une hâte : aller au lit.

Chanter Eyes Closed m'avait littéralement vidée. Je me sentais comme un fantôme. Je m'avachis au fond de ma chaise et écoutai d'une oreille les autres s'inscrire pour des chansons.

— J'en connais deux qui vont bien dormir, commenta Solange

Je sursautai :

— Hein ?

Je remarquai alors la classe en train de se vider, et mes amis en train de nous détailler Alice et moi. Alice, qui s'était endormie, et moi... qui avais dû faire pareil. Antoine entreprit de la réveiller tandis que je me frottai les paupières.

Je pris ma veste sous mon bras et mon sac sur une épaule et suivis mes amis hors de la salle, l'esprit enveloppé par le brouillard du sommeil. Nous nous installâmes dans une salle, et avec l'aide de Ludovic, Antoine et Judickaël, je parvins à terminer tous les exercices de maths demandés pour le lendemain.

La bonne humeur du repas me fit oublier ma fatigue et je pris en photos mon assiette vide pour l'envoyer à Mike. Alice et moi remontâmes tôt, épuisées. Nous prîmes chacune une douche avant de nous coucher.

Et pour finir, lorsque Alice éteignit sa lumière et sombra immédiatement dans un profond sommeil, je fondis en larmes silencieuses. Elles coulèrent jusqu'à puiser toute mon énergie vitale, jusqu'à me brûler les yeux, jusqu'à ce que je m'endorme.

~

Hey ! Comment allez-vous ?

Que pensez-vous de ce chapitre ? Comment voyez-vous la suite ? 🎶

Étant donné qu'à partir de demain on est au mois d'août, le rythme de publication va changer. Du coup, un chapitre sera publié tous les mercredis :) Je suis désolée, je ne peux pas faire plus, sinon je risque d'être à court de chapitre après la rentrée et je ne sais pas encore comment sera ma charge de travail cette année :)

Merci de me lire ! 🖤

On se retrouve mercredi 5 août pour le prochain chapitre ! 🖤🎶

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