➵ Chapitre 54 ~ Luke
Le panda en peluche le regardait de ses grands yeux sombres. A ses côtés, un lion pailleté de doré siégeait en roi. Un kangourou bien heureux semblait être sur le point de se jeter hors de la vitrine. Un chat violet oscillait entre sourire et clavier de piano.
Anna aurait sûrement aimé cette boutique. Elle l'aimait déjà étant enfant. C'était de là que venait Roy, son ourson en peluche fétiche, et puis pleins d'autres jouets.
A Noël, la vitrine était couverte de décorations. Des flocons s'épanouissaient en bas et en haut de la vitrine, des lumières clignotaient entre les jouets. Un train enneigé, non sans rappeler le Pôle Express, circulait entre les casse-noisettes, les poupées et les voitures. Une année, Anna avait supplié leurs parents de lui acheter un de ces casse-noisettes. Aujourd'hui, il prenait la poussière dans le grenier, puisque plus personne ne l'utilisait.
Luke soupira. Qu'est-ce qu'il aurait aimé pouvoir l'y emmener une dernière fois ! Ses yeux étaient toujours comme deux orbes de lumière lorsqu'ils passaient les portes. Il avait la désagréable sensation de ne pas avoir assez profité. Il n'avait pas mesuré à quel point l'être humain était éphémère.
Une boule se forma dans sa gorge et ses yeux lui piquèrent. Le panda parut le regarder d'un air compréhensif et il tourna les talons, prenant la direction du lycée.
Aujourd'hui, Mme Watson avait vérifié ses bras, comme elle le faisait depuis deux semaines. Elle l'avait découvert dès la première séance, parce que Luke s'était frotté le poignet plusieurs fois d'un geste nerveux. A sa grande surprise, elle ne s'était pas énervée. Luke s'était ensuite fait la réflexion que c'était son travail.
Elle lui avait alors dit que s'il voulait en parler, elle l'écouterait. Et que s'il ne voulait pas, elle respecterait son choix. Mais les mots étaient sortis tout seul, et il avait tout narré, le coeur lourd comme une pierre. Elle l'avait écouté sans émettre aucun jugement, d'une oreille bienveillante. Désormais, à chaque fois qu'il y pensait et voulait recommencer, il avait le choix entre plusieurs choses à faire. Mais il ne devait pas recommencer.
Cette mesure embêtait Luke au plus haut point : il pensait avoir trouvé un moyen de se sentir mieux (ça fonctionnait, alors pourquoi arrêter ?), de respirer. Dans le laps de temps réduit entre la première fois et la première séance, il avait expérimenté la chose deux fois de plus et avait obtenu un résultat identique à la première fois. Non seulement, il dormait mieux, mais il se réveillait le matin avec un poids en moins sur le corps.
Mme Watson avait tenté de lui expliquer que c'était une mauvaise réaction, que faire ça le détruirait plus qu'autre chose. Il était longtemps resté dubitatif : les résultats étaient pourtant là !
Selon elle, il contrôlait car ce n'était que le début. Mais, un jour, il lui en faudrait plus, comme une drogue à laquelle on ne peut plus résister. Il rentrerait dans un labyrinthe brumeux, dont les épaisses ténèbres ne le rassureraient plus comme avant. Mais, se faire du mal resterait un besoin pressant, comme un grand vide devant être comblé d'urgence pour ne pas être totalement aspiré par soi-même, pour s'échapper à soi-même.
Elle avait aussi évoqué la honte qui l'assaillirait si ses amis le découvraient, la douleur et la culpabilité qu'ils éprouveraient en voyant que ça s'était produit sous leur nez. Ils ne comprendraient pas le bien que cela lui apportait, tout simplement parce que rien de bon n'en ressortirait.
Elle lui avait conseillé de dessiner sur ses poignets dès que l'envie se présentait, d'écrire ce qu'il ressentait dans un carnet. Ne voulant pas voir quelqu'un d'autre, il s'était résolu à l'écouter. Des papillons fleurissaient de temps en temps sur ses poignets.
Si au début il pensait qu'elle avait voulu lui faire peur, il commençait dès à présent à entrevoir le revers de la médaille : il y pensait tout le temps, du réveil au coucher en passant par les repas. C'en était presque de l'obsession. Il éprouvait même des difficultés à se concentrer. Il avait mis ça sur le compte de l'absence de moyens de se sentir mieux. La nuit, il n'avait plus de problèmes : Mme Watson lui avait prescrit des médicaments, des cachets à avaler avec un peu d'eau. Chaque soir, il sombrait au fond de la mer des rêves.
Mme Watson avait semblé contente de le voir, ou plutôt, elle avait trouvé positif le fait qu'il soit venu de lui-même. Ses parents lui avaient même paru soulagé lorsqu'il leur avait confié avoir décidé de s'y rendre, Mike et Caitlin lui avaient dit qu'il avait fait le bon choix.
A présent, il était arrivé devant le lycée depuis cinq bonnes minutes, ses écouteurs dans les oreilles. Il se décida finalement à entrer. Il sonna, montra sa carte et poussa la lourde porte, tête baissée, sans prêter attention au reste du monde. Au rythme du vent, il rejoignit ses amis dans une salle de travail.
— Ah, salut, Luke ! Regarde, je suis un super koala mangeur de laitue ! s'exclama Caitlin, en lui sautant dessus, feignant de lui croquer la nuque
Luke se tourna vers ses amis, intrigué :
— Zoey, Gaël, Eileen, vous avez drogué son verre ou quoi ?
— Ça fait... une... heure... qu'on raconte... n'importe quoi ! articula péniblement Eileen, en essuyant deux larmes de rire, tu aurais vu ta tête ! ajouta-t-elle, en riant de plus belle avec les trois autres
— Quoi, je ne suis pas beau ? s'offusqua Luke, en posant son sac sur une table
— Si, si, très. Trop, même, dit-elle en rougissant un peu.
Sentant ses joues chauffer, Luke choisit de ne pas lui répondre. Elle n'était pas supposée répondre aussi sérieusement !
— Où est Mike ? demanda-t-il en s'asseyant sur une table, les jambes dans le vide
— En soutien de bio, répondit Zoey, tandis que Caitlin jetait un regard noir à Eileen
Luke fronça les sourcils :
— Ça ne devait pas finir il y a une heure ?
— Il y avait du retard pour l'économie, et c'est dans la même salle, expliqua Gaël
Luke hocha la tête.
— J'imagine que ça t'a aidé, commenta-t-il, ignorant tant bien que mal la conversation de regard entre les trois filles
Caitlin lui expliquera plus tard.
— Si je n'apprenais pas mon cours au dernier moment, je n'aurais pas besoin d'y aller, soupira Gaël. Ça va, toi ?
Luke haussa les épaules. Il ne sut pas pourquoi, mais il sentit qu'il ne fallait pas qu'il se confie maintenant.
— Ça peut aller, acquiesça-t-il en se mordillant la lèvre
— Luke ! l'appela Zoey. J'ai une question en maths...
Il hocha la tête.
— L'exercice 58, expliqua-t-elle, simplement. Je n'arrive pas à le faire. J'ai essayé de pleins de façons différentes, mais impossible de s'en sortir !
Elle repoussa une mèche brune d'un geste impatient, et Luke se leva.
— Montre-moi.
Elle lui montra ce qu'elle avait fait et il s'avéra qu'elle avait mal compris l'énoncé du problème. Luke prit le temps de lui réexpliquer tout ce qu'elle n'avait pas compris. Il y mit tellement d'importance qu'il oublia tout pendant un instant.
— Tu es sûr que tu ne veux pas être prof' ? lui demanda Zoey, une fois qu'il eut fini
— Non merci, j'appartiens à la scène, moi ! répondit-il, en lui offrant un sourire enjôleur (c'était comme ça que Caitlin caractérisait ce genre de sourire, et il n'avait jamais su pourquoi)
— Nous, tu veux dire ! le corrigea Caitlin
— Nous, quoi ? demanda Mike, qui venait d'entrer
— Tu as survécu à ton soutien de bio ? remblaya Eileen
— Évitons de parler des choses qui fâchent, veux-tu ? répondit-il en fronçant le nez. Ça va Luke, elles ne t'ont pas trop embêté ? Elles étaient déchaînées quand je suis parti !
— Si tu savais, plaisanta l'interpelé
Mike s'approcha de son ami et s'assit à côté de lui, les autres venant de reprendre leur travail et leur conversation.
— Ça a été ? demanda-t-il, sur le ton discret de la confidence
Comprenant qu'il parlait de sa séance, il répondit :
— Assez bien, oui. A vrai dire, je ne saurais pas te dire si ça s'est bien passé ou pas. Je ne sais plus ce que ça veut dire.
Mike posa sa main sur son épaule.
— Tu sauras. Bientôt, tu rentreras en m'affirmant que ça s'est très bien passé, que tu as été à l'aise et que tu te sens mieux.
— Je l'espère. Je déteste parler de moi comme ça, elle me pousse toujours au fond de moi-même, elle me montre des choses que je ne veux pas voir, me dit des paroles que je ne veux pas entendre, confia-t-il, le cœur battant au creux de l'oreille
— Le seul moyen d'aller mieux, Luke, c'est de s'affronter tel que l'on est. Tu peux te mentir à toi-même, t'envelopper dans ton mal-être, elle saura toujours te percer à jour. C'est plus facile pour elle de t'aider. D'une part parce que c'est son métier, d'autre part parce qu'elle est extérieure à la situation. Je crois que je te l'ai déjà dit, se souvint Mike en fronçant les sourcils
— C'est un métier que je ne pourrais pas faire, en tout cas, éluda Luke. Je me sentirais écrasé et impuissant face à la souffrance des autres.
— Justement, son rôle est d'agir, contrebalança Mike. De tendre la main et de tirer très fort. J'ai appelé Emmy en attendant mon cours de bio. Il y avait un boucan horrible autour d'elle ! Ils étaient en train de s'entraîner pour leur spectacle... Elle était surexcitée, ça faisait plaisir à entendre ! se réjouit-il
Un sourire illumina le visage de Luke.
— Je suis vraiment content qu'elle aille bien, laissa-t-il échapper, avec une telle sincérité que Mike sentit son cœur bondir dans sa poitrine
Et peut-être qu'elle irait encore mieux avec un fardeau en moins, songea Luke, les lèvres serrées.
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Hey ! Comment allez-vous ?
Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ? N'hésitez pas à me donner votre avis ! 😄
On se retrouve lundi pour un nouveau chapitre ! 🖤
Passez un bon week-end ! 🖤
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