➵ Chapitre 50
« Parce que répéter des notions apprises par cœur, sans réflexion aucune, sans en avoir fait aucune interprétation, sans se les être appropriées, c'est être pédant, pas intelligent. Nous sommes bien plus que des gens débitant des connaissances dénuées d'émotions, nous sommes curieux, éveillés par le monde et tout ce qu'il y a à y découvrir. Alors, transmettons cette envie de tout connaître. » écrivis-je, clôturant mon commentaire sur De l'éducation des enfants par Michel de Montaigne.
Je soufflai un bon coup et observai ma copie, satisfaite. Ce coup-ci, j'étais sûre de moi ! Mme Bucarest se leva dans un raclement sonore qui fit sursauter quelques élèves.
— C'est terminé, annonça-t-elle d'une voix forte et claire. Posez vos stylos ! ordonna-t-elle. Pensez à mettre vos noms, à numéroter vos pages.
Des élèves commencèrent à se lever pour rendre leur copie. Feignant la perfection, je me mis en tête de relire ma copie pour corriger les quelques fautes qui s'y étaient glissées. Quelques minutes plus tard (deux, au total), je me levai à mon tour et rendis ma copie.
— Alors, qu'en avez-vous pensé ? demanda Mme Bucarest, en rangeant ses affaires
— Ça allait ! répondit Thomas, encore dans la salle
— Intéressant ! répondis-je, en souriant à ma prof' de français
— Ça allait, oui ! répéta Ludovic
— Tant mieux, sourit-elle. Passez une bonne fin de journée et reposez-vous bien ! A demain !
Elle quitta la pièce et je resserrai machinalement l'élastique qui retenait mes cheveux en une queue-de-cheval. Quelques mèches en avaient bien-sûr profité pour s'échapper.
— Dépêche-toi Emilie, on va être en retard ! m'interpela Ludovic. Souviens-toi qu'on a utilisé la récré' pour terminer et le duo Ginsique/Wiener n'aime pas les retards ! En plus, Judickaël ne m'a même pas attendu ! gémit-il
— Qui t'attendrait ? le taquinai-je en enfilant ma veste
J'attrapai mon sac et le mis sur mon épaule. Je passai devant lui en lui tirant la langue.
— Je prends ça comme une provocation ! s'exclama-t-il, derrière moi
— Si tu veux, Lulu ! répondis-je en riant
— Je déteste ce surnom, renâcla l'interpelé en passant devant moi
Il se mit à marcher à reculons, m'observant avec un air de défi.
— C'est marrant, Luke aussi, commentai-je, en souriant au souvenir de ses « Ne m'appelle pas Lulu ! » à Simon
— Eh bien, tu devrais me le présenter ! À nous deux, nous pourrons éradiquer ce vile surnom ! s'exclama-t-il
— Tu l'as déjà rencontré ! lui rappelai-je
— Ça ne compte pas ! Je lui ai parlé trois fois dont deux pour lui demander s'il avait un mouchoir ! Ce n'est pas ce que j'appelle « rencontrer » ! protesta-t-il en secouant ses cheveux blonds
— Eh bien, lui glissai-je avec un sourire malicieux en le dépassant à mon tour, dans ce cas, tu n'as qu'à m'attraper !
Sans plus attendre, je commençai à courir. Je dépassai Thomas en arrivant à la sortie du bâtiment et détalai dans la cour vide. Un regard derrière moi me permit d'apercevoir Ludovic, essoufflé, les cheveux dans les yeux.
— Tu ne perds rien pour attendre, vile sorcière ! s'exclama-t-il, en me poursuivant
Je partis dans un fou rire et arrivai toute essoufflée à l'entrée du bâtiment. Vite ! Je m'y introduisis et montai quatre à quatre les escaliers, talonnée de près par Ludovic. Je pilai net devant la porte de la salle, fermée.
— Tu cours vite, en fait, constata-t-il en frappant à la porte
Il l'ouvrit et nous pûmes apercevoir une trentaine de paires d'yeux se fixer sur nous.
— Veuillez nous excuser du retard, nous avions un commentaire en français, annonça poliment Ludovic, masquant son essoufflement par une respiration hâtive.
J'opinai de la tête pour confirmer ses dires, et M. Ginsique nous invita à nous asseoir. Ce ne fut pas bien compliqué de trouver une place : il n'en restait que deux, côte à côte, au troisième rang. M. Ginsique reprit ses consignes, secondé par M. Wiener avant d'être encore une fois interrompu par l'entrée de Thomas, cette fois. Il lui fit signe d'entrer d'un air las. Je pus enfin découvrir ce qui nous attendait durant cette séance : les professeurs voulaient faire un bilan sur chaque chanson. Seule une semaine s'était écoulée depuis l'annonce, et dire qu'absolument rien n'était au point était un euphémisme...
— C'est pas vrai, gémit Ludovic, la seule chose qu'on a faite, c'est chanter le refrain et répartir les paroles ! Qu'est-ce qu'on va lui dire ! Oh, j'espère qu'on n'aura pas Wiener pour nous encadrer ! D'après mon frère, il est horrible !
— Tu as un frère qui était ici ? m'étonnai-je
— Oui, Olivier, affirma-t-il en repoussant une mèche blonde d'un geste impatient. Il a pu décrocher une place dans l'orchestre philharmonique de Londres ! ajouta-t-il, fièrement.
— Ah, super ! commentai-je, en retour, ne sachant, à vrai dire, pas trop quoi dire
— Bref, on va se faire tuer ! exagéra-t-il en grimaçant
— J'ai l'air si méchant que ça, Monsieur Geaidale ? intervint M. Ginsique.
Le teint de Ludovic prit la teinte d'une pivoine et je réprimai un rire discret. J'aperçus Alice faire de même et lui offrit un grand sourire. Solange, elle, ne réfréna pas son rire.
— Bien-sûr que nous savons que vous n'avez pas eu beaucoup de temps, reprit le professeur, ignorant les quelques rires qui retentissaient encore. Aussi, je ne savais par quel chanson commencer, ce sera une des tiennes ! Celle avec votre voisine ; elle a l'air trop heureuse d'y échapper...
— Ça va être un massacre, le prévins-je, les mains déjà moites et tremblantes
— En trente ans d'enseignement, j'en ai vu passer, des massacres ! Mes oreilles sont immunisées. Allez, debout tous les trois ! Ismaël et Thalie, allez avec M. Wiener, il s'occupera de vous !
J'obéis et rejoignis Judickaël sur l'estrade, talonnée de près par Ludovic. Je réalisai soudain ce que tout cela impliquait : nous allions devoir chanter pendant qu'une autre chanson passerait en même temps...
— C'est pour vous forcer à bien vous concentrer. Le jour du spectacle, vous serez stressés et c'est important de bien savoir gérer ça. L'entraînement dans des conditions difficiles vous y aidera, expliqua M. Ginsique, en écho à mes pensées
Ludovic ouvrit les yeux ronds :
— Ça veut dire que vous nous ferez chanter la tête en bas, le corps immergé dans de la glace ?
— Vos références à L'Enfer de Dante traduisent votre intérêt pour les chants, répondit le professeur en lui décochant un regard désapprobateur
— Je ne vois pas ce que vous reprochez à l'habitacle de Lucifer. La glace est si... glaçante ! Merveilleuse et effroyable, puissante et fragile à la fois ! déclama Ludovic
— Ludo ! le réprima Judickaël tandis que je riais discrètement, tu pourrais te taire !
— Et si vous me disiez où vous en êtes ? reprit sérieusement M. Ginsique
— On sait chanter le refrain tous ensemble, et... euh on s'est partagé les couplets, lui apprit Judickaël en lui tendant nerveusement sa feuille surlignée de différentes couleurs
— Hum... Pour être honnête je pensais vous partager le refrain et ne vous faire chanter ensemble qu'à la fin. Je pensais aussi jouer avec vos voix, étant donné que ta voix, Ludovic, se marie aussi bien avec celle d'Emilie qu'avec celle de Judickaël, détailla le professeur. Mais qu'importe, on va déjà voir ce que ça donne ! Je ne vous mets pas tout de suite l'instrumentale, prévint-il en s'approchant de son ordinateur. 3, 2, 1, je lance !
Mes doigts serrèrent mon trieur sur lequel reposait ma feuille jusqu'à en pâlir. Heureusement, la voix réconfortante de Ludovic, collée à celle de Michael Jackson, entra dans mes oreilles, claire, juste et envoûtante. OK, ça ne sera peut-être pas un massacre, finalement.
Judickaël continua, puis ce fut mon tour. Ludovic et moi avions été médisants en parlant de massacres : nous l'avions écoutées pas moins de vingt fois pour être sûrs d'avoir bien réparti les paroles. C'était tout sauf parfait : nos notes étaient parfois trop longues ou trop courtes, l'intensité était mal dosée et quelques fausses notes sortaient de nulle part.
— Je m'attendais à pire, annonça M. Ginsique une fois la chanson terminée. Je suis d'accord avec votre répartition sur les couplets, mais j'en voudrais une semblable pour les refrains excepté le dernier que vous chanterez ensemble.
Il attrapa un stylo sur son bureau et prit la feuille de Ludovic :
— Emilie, je te donne ça. Le « cuz this is thriller, thriller night » vous le faites tous ensemble. Ensuite, Ludovic. Pareil, ces mots-là, tous ensemble, dit-il en entourant des paroles avec son crayon. Et enfin Judickaël. Entraînez-vous d'ici mercredi !
Il nous renvoya à nos places, et Alice se fraya immédiatement un passage jusqu'à moi.
— Alors, ce commentaire ? demanda-t-elle
— Franchement, je le sens bien ! Je ne pense pas avoir fait d'interprétations risquées, cette fois ! expliquai-je, ravie
— Ouf ! Je ne t'entendrai pas râler cette semaine, alors ! Et toi, Lulu ?
— Mais qu'est-ce que vous avez toutes avec ce surnom ? se plaignit-il. Sartre a raison, L'Enfer, c'est les autres ! Vous ne pourriez pas m'appeler Ludo, comme tout le monde ?
— Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, nous ne sommes pas tout le monde ! répliquai-je, du tac au tac
— Ce commentaire ? reprit Alice en observant le concerné d'un œil amusé
— Ça va, c'était de l'argumentation et pas de la poésie, alors j'étais aux anges ! répondit-il, tranquillement
— Alors je n'aurai qu'à supporter les plaintes d'Antoine, ouf ! plaisanta-t-elle
— Il l'a raté ? demandai-je
Elle hocha la tête d'un air préoccupé.
— Et tu sais que quand Antoine dit qu'il a raté un contrôle, il l'a très bien raté...
— L'argumentation, ce n'est pas ce qu'il y a de plus simple, objecta Ludovic. Je vais aller le voir !
Il se leva et se dirigea vers lui. Alice prit sa place. Luke m'avait téléphoné samedi et nous avions parlé de tout et de rien. Il m'avait confié être allé voir Mme Watson, son ancienne psychologue, sans trop vraiment y croire. Il s'était avéré qu'il s'était senti un peu mieux en sortant et qu'elle lui avait donné un autre rendez-vous pour la semaine d'après. Je n'étais pas sûre qu'il se soit réellement senti un tout petit peu mieux ; Mike m'avait confessé que ça ne se voyait pas et qu'il voulait sans doute me rassurer. J'espérais qu'elle avait pu rallumer les braises et qu'elle n'avait pas trouvé que des cendres.
— Tu penses encore à Luke, constata Alice, me tirant hors de mes pensées
— Comment pourrais-je penser à autre chose ? soupirai-je. J'irai mieux quand il ira vraiment mieux.
— Seul le temps le pourra, me réconforta Alice
Je soupirai, attristée.
— Souris Emmy ! Ça va bientôt être à nous ! On va tous les éblouir comme des diamants ! fit alors la voix joyeuse de Solange
Elle s'assit nonchalamment en tailleur en face de nous, souriant de toutes ses dents. Un sourire peignit mes traits.
— Et puis, je suis sûre qu'il préférerait te voir sourire, claironna-t-elle. Les lamentations, c'est surfait, ça ne sert à rien !
— Ça sert à montrer ton soutien à l'autre, contrecarrai-je, un sourire au coin
— Mmh, et si je meurs demain, tu vas te lamenter et non pas croquer la vie à pleines dents ? rétorqua-t-elle. Ça serait contraire à tout ce que je m'échine à te transmettre ! Il y a des choses sur lesquelles on n'a pas de prise, alors s'en inquiéter n'y fera rien. Imagine-toi ne plus avoir d'électricité et réparer les canalisations... Ça ne résoudra pas ton problème d'électricité car il te faut un électricien ! Là, c'est exactement la même chose, détailla-t-elle avec assurance
— Je ne suis pas sûre qu'un être humain soit assimilable à de l'électricité, répliquai-je, amusée
— Bien-sûr que si ! L'électricité est incontrôlable, belle et terrifiante, comme l'être humain. Elle échappe à toutes les règles !
— Techniquement, elle obéit aux lois de la physique, intervint Alice
— Solange, Émilie ! J'aimerais vous entendre ! demanda alors M. Ginsique, empêchant Solange de répondre.
Je me levai, prête à recouvrir de mes diamants M. Ginsique et Alice, qui clamait être notre plus grande fan... bien que nous ne soyons pas très avancées. Solange me jeta un regard confiant avant de détailler M. Wiener d'un air perçant.
La chanson se déroula tranquillement, comme pour Thriller. M. Ginsique refit le partage des paroles et se réjouit à l'avance du résultat. Bad Romance plus tard, il était on ne peut plus content.
— Il ne vous reste plus qu'à apprendre les paroles ! conclut-il. Oh, Emilie, concernant Titanium, M. Wiener et moi avons pensé que tu pourrais t'entraîner avec nous vendredi soir, après le cours ! Alice pourra rester avec nous et nous aider à te conseiller ! proposa-t-il. Enfin, si tu es d'accord, Alice !
— Avec plaisir ! affirma l'interpelée, toute sourire
— Je pourrai aussi rester ? demanda Solange, non sans m'avoir fait un clin d'œil avant de prendre la parole
— Bien-sûr ! Sur ce, j'aimerais entendre Judickaël et Ludovic ! appela M. Ginsique, tandis que je retournai à ma place et m'y laissai choir.
Ouf ! Seuls les professeurs, Alice et Solange entendraient mes fausses notes...
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Hey ! Comment allez-vous ? :)
Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ? :)
Aujourd'hui, c'est le premier jour du CampNaNoWriMo, vous participez ? 😄
On se retrouve vendredi pour le prochain chapitre ! 😊💚
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