➵ Chapitre 46 ~ Luke

⚠️ Attention : ⚠️ Ce chapitre contient une scène explicite d'automutilation. Si vous n'êtes pas à l'aise avec le sujet, ne lisez pas la partie correspondante. Je vous informe du début et de la fin de la scène avec un TW. Ainsi, vous pouvez facilement la sauter si vous ne voulez pas lire ce passage difficile :) Ne pas la lire n'aura pas d'influence sur la lecture de la suite, pensez d'abord à vous :)

Sur ce, bonne lecture !

🎶

   Il ne trouvait pas le sommeil. Les images dansaient dans sa mémoires, et il devait admettre que c'était tout sauf désagréable. Son cœur et son esprit étaient animés par tout un tas d'émotions qui lui semblaient inconnues. Mais il était en paix. Pour la première fois depuis si longtemps. Un sourire fendit l'obscurité. Le sien. Il ferma les yeux. Trouva le sommeil. L'accueillit comme un vieil ami. Oui, cette nuit-là, il dormit. Il dormit pour toutes les nuits qu'il avait passées à attendre que la Liberté vienne le chercher, que les Ailes lui poussent et que la Vie l'emmène sur le mont Olympe.

Il s'éveilla, un poids sur le coeur. Il délaissa la brune endormie à côté de lui et ouvrit la fenêtre. L'air froid lui mordit le visage, mais ce n'était rien comparé à ses émotions qui bouillonnaient en lui. Qu'étaient-elles ? Il ne le savait pas. De la joie ? De la tristesse ? Du désespoir ? De l'angoisse ? De la légèreté ? Pour la première fois de sa vie, il était confronté à quelque chose d'inconnu, d'incontrôlable. Quelque chose qui pourrait bien faire tomber ses barrières, une à une.

Il se recoucha, et avant même que son cerveau n'ait pu se mettre à tourner et retourner la situation dans tous les sens, il se rendormit, la fatigue ayant pris le dessus. Il dormit d'un sommeil lourd, sans rêves. Il fut réveillé par les cris de Mike et Alice qui semblaient se courir après dans la maison. À côté de lui, Emilie s'agita, et il se sentit soudain pris de vertiges à la pensée de la jeune fille. Il n'eut pas le temps de creuser la question : elle venait d'ouvrir les yeux.

— Bonjour, murmura-t-elle

   Luke lui murmura la même chose, troublé par la désagréable sensation qu'il avait d'être en chute libre. Quand est-ce qu'il s'écraserait au sol, encore ? Et surtout dans quel état ? Il s'interdit d'y penser. Cela pourrait le faire craquer, et il s'était promis de ne craquer devant personne.

   Il se leva et chercha le teeshirt qui lui servait de haut de pyjama, rougit en voyant que c'était elle qui le portait et lui demanda timidement si il pouvait le récupérer, étant donné qu'il n'avait rien d'autre. Il détourna le regard et lui sourit après avoir enfilé son haut et l'avoir vue faire de même. Il lutta pour ne pas se perdre dans ses pensées. Elle lui parut si lointaine, inatteignable là-haut dans les nuages.

   Elle ouvrit la porte et il la suivit. Elle lui prit la main, et comme un robot, il la serra. Dans les escaliers, elle lui vola un rapide baiser, mais lui n'avait pas la tête à ça. Il était occupé à contrôler les sombres idées qui lui passaient par la tête : que ce passerait-il si il chutait dans les escaliers et qu'il se brisait la nuque ? C'est vrai, il serait sans doute mieux. Anna avait trouvé la paix, elle. Ou du moins il l'espérait. Mais, il y avait Mike. Caitlin. Alice. Em. Il se disait qu'il leur avait déjà fait assez de mal comme ça, qu'il ne fallait pas en rajouter. Et après tout, penser n'était pas agir, pas vrai ?

   La porte de la cuisine s'ouvrit sur Mike, Alice et Caitlin, qui les détaillaient d'un air goguenard. Si la fille à qui il tenait la main rougissait, la seule preuve qu'il avait d'être en vie était la brûlure de ses joues, simplement due au fait que tout le monde était à côté de la plaque. Le bien-être de cette nuit ? Oublié. Il lui paraissait si onirique qu'il n'était même plus certain de l'avoir bel et bien vécu.

— Alors, bien dormi ? questionna Mike, une lueur perverse dans les yeux

Un sourire diabolique étirait sa bouche.

— Ne sois pas aussi lourd dès le matin, s'entendit répondre Luke, sur un ton amusé.

  Mais non, ce n'était pas lui qui avait parlé. Impossible ! Et pourtant... Pourquoi s'obstinait-il à faire semblant, pourquoi ne pouvait-il pas tout simplement tout avouer ?

« Ça ne va pas, ça ne va plus, c'est de pire en pire. Ça me brûle de plus en plus. J'ai de plus en plus mal, c'est insupportable, comme si des milliers de lames me transperçaient toutes en même temps. Comme si on me scalpait le coeur, ou du moins ce qu'il en reste. Je veux que ça s'arrête. J'ai envie de disparaître. Je ne veux pas d'aide. Enfin, si. Achevez-moi, s'il vous plaît. La douleur partira avec moi dans le néant, mais je ne la ressentirai plus. Je ne connais plus que le poids de la souffrance sur ma poitrine. Je ne connais plus que cette lourde morosité permanente qui me perce le crâne. Délivrez-moi. Je ne suis pas assez fort pour le faire moi-même. Je suis trop lâche. »

« Je n'ai plus peur. Vraiment. Si vous m'aimez, alors aidez-moi à partir. La mort ne sera qu'une douce consolation à mes yeux, une délivrance pure et dénuée de tout péché. Je n'attends pas la miséricorde. Je sais que je n'y aurai pas droit. Mais malgré tout, gardez bien en tête que je pourrai enfin me reposer, arrêter de penser. Tout sera enfin réglé, et je vous promets que ça sera comme si je n'avais jamais existé. Ça fera mal au début, mais ça passera, je vous le promets. Parce que vous, vous le méritez. Avec le temps, vous m'oublierez, je ne serai plus qu'un vague souvenir coincé entre deux fragments d'adolescence, auquel vous penserez avec nostalgie, comme ces vieilles photos d'enfance qui traînent dans des cartons. »

« Je serai comme le vent d'automne qui caressent les feuilles mortes, doux et éphémère. Je serai comme l'écume des mers, invisible mais toujours présent. Je serai comme les anneaux de Saturne, en morceaux mais pour une bonne raison. »

  Mais les mots trépassèrent sur ses lèvres. Il ne put ouvrir la bouche. A la place, il offrit un sourire qu'il espérait convaincant et s'assit à table. Un coup d'œil à l'horloge située au-dessus de la table lui indiqua qu'il était midi et sept minutes. Du reste du petit-déjeuner, il ne pipa mot. Mais il écouta. Il laissa ses amis décider du programme de la journée, et se souvint avec effroi qu'il lui faudrait bientôt retourner en cours. Apprendre, découvrir de nouvelles choses, de nouveaux aspects à la vie, alors qu'elle, elle ne les connaîtrait jamais.

Jamais, jamais. Il détestait ce mot aux consonances effrayantes. Il lui évoquait le néant, le vide absolu. A chaque fois qu'il le prononçait, l'accélération de la pesanteur se faisait plus forte, et l'attraction vers le Tartare l'attirait comme un aimant.

   Ils voulaient sortir. Marcher sous le ciel bleu miséricorde. Alors, ils sortirent. Ils riaient, couraient, dansaient dans le vent d'hiver. Quelques rares flocons s'accrochaient à leurs cheveux, et Luke les détaillait, un à un, étudiant leurs mimiques, la forme de leur traits.

Les nuages se firent soudain plus lourds. Cela n'annonçait rien de bon. L'atmosphère était plus électrique qu'avant. Caitlin dansait avec Emilie. Alice avec Mike. Luke se noyait dans leurs gestes en riant aux éclats.

Une goutte tomba sur son front, suivie par une autre et encore une autre. Bientôt, il ne resta plus un seul coin de ciel bleu, et plus une seule once du bonheur qu'il avait éprouvé en se promenant cette après-midi d'hiver.

Une pluie diluvienne s'abattait maintenant sur eux et la ville. Ils devaient trouver un abri.

Ils offrirent un sourire au soleil disparu, firent un doigt d'honneur à l'orage qui se préparait et maudirent la pluie. Ils crièrent au monde, à la vie, aux immeubles qui perçaient le ciel, aux gouttes d'eau qui caressaient leur visage. Puis, ils se mirent à courir en riant encore et pour toujours.

Ils couraient encore, cheveux au vent, flaques d'eau volantes, lorsqu'il les appela. C'était le cinéma. Le bâtiment, tout en néon, illuminait la nuit. C'était sans réfléchir qu'ils étaient entrés dedans.

Ils prirent chacun une place pour le premier film qui s'était présenté à eux, et ils n'avaient aucune idée de ce qu'ils allaient voir. Ils s'étaient assis sur des fauteuils au hasard, et bien vite, les lumières et les murmures s'étaient éteints.

Seule la lumière de l'écran éclairait les visages épanouis des spectateurs. Pourtant, il faisait aussi noir qu'à minuit lors d'une nuit étoilée.

Les images défilaient sous ses yeux embués. Comment ! Lui, Luke, devait rester silencieux devant ce spectacle si abominable ? D'accord, elle avait des pouvoirs, d'accord elle ne se maîtrisait pas. Mais ce n'était pas une raison pour la huer, lui cracher dessus, l'insulter, l'humilier. Ou elle finirait aussi froide que la glace qu'elle manipulait avec virtuosité.

   Ça y est, elle fuyait pieds nus dans les hautes montagnes enneigées. Elle détacha ses cheveux, brisa le reflet de ses parents ; c'en était fini de la reine parfaite. Un garçon aux cheveux blancs la rejoignit, et ensemble, ils s'amusèrent avec leurs pouvoirs. Leur haine semblait oubliée pour le moment. Ils construisirent un palais, puis il dut s'éclipser.

   Alors, elle dût affronter la peur. Sa peur. Sa peur d'elle-même. Et bien-sûr, cela attira le croquemitaine, qui s'amusa à la torturer des heures. C'était vraiment difficile à regarder, au point que Luke était parcouru d'effroi. Néanmoins, il gardait les yeux grand ouvert, fasciné. Chacun de ses muscles était tendu comme une corde de guitare.

Et puis tout d'un coup, il l'abandonna, à moitié morte, là sur le sol glacé. Dans un rire sordide, il observa tranquillement le jeune homme aux cheveux blancs arriver par la voie des airs, un air contrit sur visage. Il appela la jeune fille, précisant qu'il y avait un souci avec le royaume. Il s'interrompit en la voyant inerte. Un cri déchirant franchit ses lèvres, et le croque-mitaine s'en fut, satisfait d'avoir pu atteindre l'apothéose de son plan.

Il s'agenouilla auprès du corps de la jeune fille, en proie à des larmes. Il cria à la Lune. Elle lui murmura qu'elle n'était pas encore morte. Il caressa son visage et lui chuchota que tout irait bien, qu'il allait l'emmener au nord se faire soigner. Elle lui dit qu'il est trop tard. Elle le supplia de l'achever. Il s'y refusa. Elle ajouta qu'il n'avait pas le choix, car elle allait se laisser partir. Comprenant que c'était la fin, il posa ses lèvres froides sur les siennes.

   Elle rendit son dernier soupir contre sa bouche. Il hurla à s'en déchirer la poitrine. Si fort que la neige se mit à tomber plus fort. Une tempête se leva et détruisit tout sur son passage. Et lui, il était au milieu, toujours à serrer son corps sans vie alors qu'il laissait ses pouvoirs se déchaîner sur la planète. Mais, la Lune sembla revenir sur sa décision, car elle ouvrit les yeux et fut saisie d'une quinte de toux. Fin. A suivre.

Le générique défila, ainsi que le nom des acteurs. La musique pénétra droit dans leurs cœurs déjà abîmés par la vie. Personne ne prononça un seul mot. Tout le monde fixait l'écran, subjugué.

   Doucement, Luke reprit conscience. Le sang afflua de nouveau dans ses veines, ses muscles engourdis se réveillèrent, la froide humidité de ses vêtements l'ancra dans le réel. Il entendit ses amis parler avec animation des personnages, de leurs émotions, de leur développement, des visuels, des graphismes, de leur scène préférée.

De son côté, il était encore trop troublé pour prendre la parole et ordonner ses pensées. Il les suivit jusqu'à chez Mike. Et ce fût comme cela toutes les vacances. Des deux semaines, il ne put rester seul et rentrer se terrer dans sa chambre. Il était trop fatigué pour s'imposer, et puis, il avait beaucoup plus dormi et mangé ces deux semaines que durant le mois dernier. Mais il n'y voyait toujours pas plus clair. Il était toujours mort parmi les vivants.

Il avait fallu leur dire au revoir. Cela n'avait pas été trop effusif. Juste ce qu'il faut. Il s'était senti si vide, si stoïque, impassible. Il n'aurait pas dû, il le savait, mais il n'avait pas pu se résoudre à faire semblant. Il aurait dû ressentir un déchirement, une pointe de tristesse à leur départ, mais au contraire, il l'avait attendu. Car il allait enfin pouvoir regagner son cocon.

— Ça ira ? avait demandé Mike avant qu'il ne parte de chez lui

Bien-sûr que non.

— Oui, avait menti Luke, souhaitant plus que tout rentrer.

A présent, il était debout devant sa porte d'entrée, la main sur son trousseau de clés. La nuit était tombée. Elle était clair, on voyait les étoiles. Il pensa à Emilie, et il se sentit étouffer. Son écharpe l'étranglait. Il avait chaud, trop chaud.

Il ouvrit sa veste et desserra son écharpe. L'air froid s'insinua en lui, mordillant chaque parcelle de son corps. Il tremblait, et les papillons avaient décidé de lui rappeler leur existence, voltigeant partout dans son corps, même dans les ruines qu'étaient son cœur.

   Et là, sous le ciel étoilé, il eut peur. Il eut peur à s'en retourner l'estomac, à s'arracher les yeux, à se racler la peau avec les ongles. Violemment, elle le lacéra de l'intérieur. Il eut peur de ses sentiments qui affluaient en masse, tellement vite qu'il n'arrivait pas à mettre de mots dessus. Non, il ne pouvait pas continuer comme ça. C'est décidé, il irait. Au moins une fois, pour essayer. Un créneau lui était réservé le mercredi soir, il le savait au vu du nombre d'appels des secrétaires signalant son absence chaque semaine. Heureusement que Mike et Caitlin n'en savent rien pour l'instant, pensait-il, tendu.

Il mit la clef dans la serrure et la tourna dans un cliquetis désagréable. La maison était silencieuse. Ses parents devaient déjà être couchés. En même temps, il avait trainé chez Mike jusqu'à très tard, et puis, ses parents aussi étaient épuisés par le manque de sommeil.

Il monta jusqu'à sa chambre. Rien n'avait bougé depuis la dernière fois. Les meubles étaient toujours encombrés, le sol jonché de partitions.

La première entreprise fut de trier et ranger les partitions. Ensuite, il changea les draps et prit une rapide douche. L'eau chaude le revigora, et en arrivant dans sa chambre il ne put se résoudre à se coucher. Et si... et si tout refaisait surface ?

Alors, il ne se coucha pas. Il étudia. Caitlin et Mike lui avaient photocopié leurs cours, et il avait deux jours pour rattraper son retard, ce qui ne lui parut pas insurmontable si il ne dormait pas. Il commença par les maths. Peut-être que toutes ces formules et définitions l'aideraient à penser à autre chose.

Mais que nenni, c'était trop facile. Il termina ses exercices en soupirant. Il avait rattrapé un mois de cours en moins de deux. Il se prit la tête entre les mains, ne sachant plus quoi faire pour que ça s'arrête. Si mêmes les maths ne pouvaient plus l'aider... Il renonça à l'idée de faire de la physique et de la biologie.

Il souffla bruyamment. Ses yeux lui brûlaient, il allait devoir dormir. Le poids du vide l'écrasait comme un kilogramme de plomb. Il ne ressentait plus rien, rien du tout. Comment faire pour sentir à nouveau ? Sans ça, il n'était plus humain et ne faisait donc plus partie des vivants. Les émotions, les sentiments. Voilà ce qu'était le propre de l'homme. Alors, à quoi bon ? A quoi bon s'il n'y avait plus rien ?

Il ne servait à rien, il n'était qu'un poids pour les autres. Un fardeau. Si il mourrait, là tout de suite, tout serait plus simple. C'était comme une évidence.

Cependant, une chose détestable subsistait. La peur. Elle l'étrangla soudainement avec une force inouïe, plus violemment que jamais. Une fulgurante douleur le poignarda soudainement en plein cœur. Il s'écroula, la main sur le coeur.

   Ça lui lançait. Oui, son cœur lui lançait, tiraillé de toute part, comme s'il était transpercé par une côte. Le voilà, l'atterrissage. Il s'appliqua à respirer doucement. Après tout, ce serait bientôt fini.

   La douleur s'amoindrit jusqu'à se réduire de moitié. Elle resta un moment au fond de lui, comme une vieil air populaire qui ressurgit quand on s'y attend le moins. Puis, elle disparut. Alors, il se leva.

   Il n'avait plus peur. Même ça, il n'en était plus capable. Plus une seule émotion, plus un seul sentiment ne le retenait. S'il ne pensait pas à lui, personne ne le ferait. Il se connaissait le mieux, c'était lui qui savait ce dont il avait le plus besoin. Rien ni personne ne serait jamais à sa place.

Il s'avança vers la fenêtre. Le temps semblait s'être figé. Il avait l'impression d'être capable de voir toutes les molécules qu'il agitait en se déplaçant, le désordre qu'il créait juste en étant en vie. Il y avait une erreur dans la matrice de son ADN, il en était certain. Il était une erreur de nature.

Lentement, il ouvrit la fenêtre. Le froid mordit chacun de ses frissons. Il grimpa sur le rebord et sourit. Bientôt, tout ceci ne serait plus qu'un vague souvenir oublié. La liberté et la délivrance étaient toutes proches. Des ailes poussaient soudainement sur l'oiseau qui en était jusqu'alors dépourvu.

Désolé Mike, Caitlin, Alice, Emilie. J'ai décidé d'être assez fort pour le faire.

Ce furent ses dernières pensées. Il respira un grand coup, prêt à faire le grand saut. Il plia même les jambes pour prendre de l'élan.

Mais il suspendit son geste. Une idée venait de germer dans son esprit. Une affreuse idée. Effroyable. Plus terrible encore que la mort. Il fit machine arrière et lorsque ses pieds nus touchèrent le sol de sa chambre, il commença à haleter.

Son coeur cognait comme des cymbales, lui rappelant qu'il était en vie. Son corps tout entier était saisi de tremblements. Des gouttes de sueur froide ruisselaient le long de sa colonne vertébrale. Ses dents claquaient. Mais il n'oubliait pas l'idée qu'il avait eue.

Il resterait en vie. Pour souffrir. C'était bien connu, la vie n'était qu'une succession de douleurs et d'obstacles à surmonter. Ça faisait mal, la vie. Vivre, c'est pire que mourir. Un pâle sourire mourut sur ses lèvres. C'était finalement la pire punition que de rester en vie après les péchés qu'il avait commis. L'expiation. Il l'avait enfin trouvée.

En paix, il se leva et ferma la fenêtre. Il tira les rideaux. A trop ressentir, on finit par ne plus rien ressentir du tout. Il alla dans la salle de bains, à la recherche de n'importe quel objet pouvant lui rappeler qu'il était encore capable de ressentir. S'il arrivait à transférer sa douleur mentale en une douleur physique, tout irait mieux, n'est-ce pas ?

⚠️ TW : automutilation ⚠️


   Il ouvrit d'abord un des deux tiroirs. Non, ça ne ferait pas l'affaire. Il regarda dans le placard et fouilla un peu. Non, ça non plus. Il se rabattit sur autre chose, au fin fond du dit placard. Ça, ça ferait l'affaire.

   Il ouvrit les placards et sortit du désinfectant, des cotons, des compresses, des bandages, des pansements, du sparadrap, des sutures adhésives. Son cœur cognait très fort : qu'est-ce qu'il ferait, si ça ne marchait pas ? S'il ne ressentait rien ? Pourtant, il devait s'attaquer, ou plutôt l'attaquer, lui, le monstre qui sommeillait en lui, celui qui avait tué sa sœur, celui qui faisait du mal aux autres, celui qui détruisait tout sur son passage.

   Il désinfecta l'objet avec soin. Il repensa à elle. La douleur lui fit serrer les dents. Une fois. Deux fois. Trois fois. Ça ne suffisait pas. Alors, il s'entailla plus profondément. Et il ressentit. C'était comme une brûlure. Il continua encore un peu, sentant ses idées s'éclaircir. Ça fonctionnait ! Il se sentait mieux, oui, et soulagé.

   Ce n'était pas du sang qui coulait, non. C'étaient toutes les horreurs qu'il avait commises, toutes les souffrances refoulées, tout ce qu'il n'était plus capable de ressentir. Il contempla son bras. Il s'était arrêté avant les veines de ses poignets. Trop de risques.

   Il tremblait légèrement. Un soupir de soulagement lui échappa. Il prit les cotons et désinfecta les plaies. Un gémissement de douleur lui échappa. Il était allé trop loin pour quelques coupures. Il comprima d'une main et prit les sutures d'une autre.

   Il attendit une dizaine de minutes avant d'y coller les sutures. Puis, il trempa une compresse dans le désinfectant et la fixa dessus avec du sparadrap. Il mit des pansements sur certaines. Pour finir, il banda la zone aux compresses.

   Il nettoya l'objet mensonger avec de l'alcool et le rangea à sa place. Puis, il rangea les pansements et tout le reste dans le placard. Il prit une éponge et du produit, nettoya les gouttes de sang. Puis il contempla la pièce. C'était comme si rien n'était arrivé.

⚠️ Fin du TW ⚠️


   Il retourna dans sa chambre et rejoignit son lit, le coeur léger. Peut-être qu'il y aurait droit, à la rédemption.

🎶🎶🎶

[Il devrait y avoir un GIF ou une vidéo ici. Procédez à une mise à jour de l'application maintenant pour le voir.]

Il était tard. Il était seul. Seul avec son piano, cette fois. Sa guitare se reposait, épuisée. Il fallait dire qu'il ne l'avait pas ménagée ces dernières semaines. Il joua d'abord quelques classiques, L'Hymne à la joie, Lettre à Elise, Sonnet Au Clair de Lune, L'Hiver. Puis il ferma douloureusement les yeux. Elle dansait dans sa chambre, au creux de sa mémoire.

C'était sa dernière nuit. Demain, il lui faudrait retourner à Saint-Matthew. Et son piano allait lui manquer.

— You tought me the courage of stars before you left, chanta-t-il, la voix rouillée par le chagrin

— How light carries on endlessly, even after death. With shortness of breath, you explained the infinite. How rare and beautiful it is to even exist. I couldn't help but ask for you to say it all again. I tried to write it down but, I could never find a pen. I'd give anything to hear you say it one more time, that the universe was made just to be seen by my eyes.

Une boule entravait sa gorge, au point que chanter lui était devenu douloureux. Mais tant pis, il était en vie pour souffrir. Il chanterait, jusqu'au bout, jusqu'à se briser les cordes vocales. Il fallait que ça sorte. Il était né pour ça. Il le savait, elle le lui avait dit.

Soudainement, il monta en intensité, au point d'en frissonner. C'était son âme qui hurlait dans la nuit.

— I couldn't help but ask for you to say it all again. I tried to write it down but, I could never find a pen. I'd give anything to hear you say it one more time, that the universe was made just to be seen by my eyes.

Il ferma les yeux, ses mains caressant encore les touches. A présent, des paillettes dansaient dans sa chambre. L'univers s'y reflétait tout entier. Elles formaient un halo ombré autour duquel gravitaient des fragments d'étoiles. Il sourit, et Saturne tourna plus vite.

— With shortness of breath, I'll explain the infinite. How rare and beautiful it truly is that we exist.

🎶🎶🎶

Ils chuchotaient. Ils le regardaient avec pitié et compassion, de haut en bas, chuchotant sur son poids. Ils croyaient qu'il ne les voyait pas. Il luttait terriblement pour ne pas leur faire de remarques bien méritées, au point que sa mâchoire se contractait. Mike ne le lâchait pas d'un pouce.

Un bras sur son épaule, il l'aidait à traverser la foule qui s'était formée. Caitlin fermait la marche. Le temps semblait s'être ralenti. Les visages étaient flous, c'étaient tous les mêmes. Les mêmes visages, les mêmes questions, la même hypocrisie, la même fausseté. Il ignora tout, les yeux outrageusement fixés sur le sol, les poings serrés.

— Comment tu te sens ?

— Ça va mieux ?

— Elle ne te manque pas trop ?

— Tu fais une dépression ?

— T'es pas trop dégoûté qu'on ait pas retrouvé le coupable ?

— T'as perdu du poids, ça va ?

— T'en fais pas un peu trop ?

— Mais ça va pas dans ta tête ? s'indigna Caitlin en fixant avec dégoût une lycéenne au Q.I aussi faible qu'une huître

— Tes parents veulent adopter un autre enfant ?

Il pila net.

— TU CROIS QUE C'EST UN PAQUET ? UN TRUC QUE TU JETTES À LA POUBELLE QUAND IL EST MORT ET QUE TU RACHÈTES ? hurla hargneusement Luke en se tournant vers le petit con qui avait eu l'idée de poser cette question plus qu'indécente

Un silence de plomb cogna toute la salle.

— Vous voulez pas dégager et surtout vous la boucler avec vos questions déplacées ? intervint la voix forte de Josh. Allez vous éduquer !

« C'est le fils Clayton ! » murmurèrent-ils tous, avant de se disperser sous le regard mauvais de Caitlin.

Josh soupira et s'avança.

— Désolé, ils sont aussi limités qu'un développement. Je leur avais demandé de te laisser tranquille mais ces crétins se croient plus malins. Ça leur passera, annonça-t-il sur un ton las. T'as besoin d'aide pour rattraper les cours ?

— C'est gentil, répondit Luke, hésitant. Mais, euh...

— Tu n'as pas dit que tu avais du mal avec le cours de bio ? termina Mike. Je ne peux pas t'aider, moi...

— Si, admit Luke, mais je...

— Peux t'aider, continua Josh, avec un sourire qui se voulait rassurant

Luke hésita. Il n'aimait pas beaucoup Josh, et il savait bien que s'il s'intéressait à lui, c'était parce que son père lui avait demandé de faire attention. Mais, d'un autre côté, il ne maîtrisait pas du tout la fin du cours, et il y avait ce contrôle vendredi...

— C'est d'accord, affirma-t-il

— Parfait !

Luke le remercia d'un sourire.

— Ah, Caitlin, ajouta Josh, l'abruti qui te sert de mec risque de te faire une crise de jalousie dans les prochains temps, je l'ai entendu se plaindre à Zoey et Eileen que tu ne faisais plus attention à lui et bla-bla-bla. Un conseil : fuis ! Bref. Luke, tu veux qu'on se retrouve quand ?

Caitlin soupira discrètement.

— Ce soir ? proposa-t-il, hésitant

🎶🎶🎶🎶

Ils avaient dîné en petit comité. Lui, Mike, Caitlin et Josh. Ce dernier lui avait expliqué une bonne partie du cours, si bien que les analyses de roches n'auraient bientôt plus de secrets pour lui. Il fallait aussi dire que les notes de cours qu'il avait récupérées n'étaient pas très claires.

A présent, il lui fallait se lever pour aller en cours. Il n'était pas sûr d'en avoir envie. Il allait encore devoir affronter les autres.

— Ne t'en fais pas, je leur clouerai le bec, affirma Mike, le tirant de sa rêverie

   Luke soupira et observa son meilleur ami, qui torse nu, le détaillait avec bienveillance.

— S'ils pouvaient juste... faire comme si je n'étais pas là, éluda-t-il

— Un peu de patience, répondit Mike en enfilant son teeshirt

   Il s'extirpa des draps et fila dans la salle de bain se mettre de l'eau sur le visage. Ça le réveilla un peu, mais pas aussi bien qu'un café. Un sweat, un jean noir et des chaussettes plus tard, il était prêt. Mike ferma le studio à clés. Caitlin les rejoignit, suivie par Zoey et  Eileen. Cette dernière s'approcha de lui :

— Tu as récupéré tout le cours d'histoire ? Il est assez conséquent, surtout qu'on aura une dissertation mercredi. Mais ne t'en fais pas, la prof' nous a dit qu'elle serait indulgente avec toi, ajouta-t-elle devant la mine toute déconfite de Luke

L'histoire... il avait complètement oublié l'histoire !

— J'ai complètement zappé son existence, avoua-t-il, penaud

— Elle comprendra, j'en suis sûre, assura Zoey

— J'espère, marmonna-t-il, alors qu'ils arrivaient devant la cafétéria

  Ils se placèrent dans la file, se fondirent dans la masse. Cela fonctionna jusqu'à leur arrivée à la caisse, où chacun paya son repas. Un silence se fit alors dans la cafétéria. Tout le monde avait arrêté de manger, de parler pour le regarder.

— Sympa, grommela Mike

Mal à l'aise, Luke releva la tête et rassembla tout son courage :

— Ma beauté vous éblouit-elle au point de vous laisser bouche bée ?

Quelques rires se firent entendre et les conversations reprirent tout doucement. La table à laquelle Josh, James, Penny, Peter, Julia mais aussi John et Gaël lui apparut, et John lui fit de grands gestes. Luke eut à peine le temps de poser son plateau que John se rua sur lui, l'enlaçant :

— Je suis si content de te voir, Luke ! Je vais te faire rire comme une baleine, jusqu'à te donner mal au ventre ! s'exclama-t-il

Luke lui sourit, amusé et touché par l'intérêt que lui portait son ami. Il s'assit et but une gorgée de café.

— C'est bon de te revoir parmi nous, déclara Gaël en lui jetant un regard appuyé

Luke le remercia d'un hochement de tête.

— J'espère que t'as pas trop rêvé de feldspaths plagioclase et de micas noir ? le taquina Josh

— Non, mais j'ai rêvé qu'une péridotite me poursuivait à dos d'epsilon, grimaça-t-il en réponse

Josh rit aux éclats et Luke mordit dans son toast tartiné de chocolat. Il écouta James et Peter débattre sur qui était la plus belle fille du lycée (Lily ou Amy, on ne saura jamais), Julia et Penny parler de leur série préférée. Et il ne pouvait que les approuver quand elles disaient que Doctor Who était un chef-d'œuvre.

Luke croisa le regard intrigué d'Eileen.

— Alors Luke, tu te réveilles toujours en hurlant de terreur, ou tu as trouvé une solution ? questionna-t-elle d'une voix forte et d'un air foncièrement intéressé

   Et comme Luke ne sut pas si elle s'inquiétait sérieusement pour lui ou si elle cherchait à l'humilier devant Josh, James, Penny, Peter et Julia en parlant si fort, il oublia les efforts qu'il faisait pour Caitlin :

— Je n'en parle déjà pas à Em alors ne va pas croire que c'est à toi que je vais me confier, répliqua-t-il, froidement

— Je suis sérieuse, répondit-elle en se mordant la lèvre, on s'inquiète tous, ici.

— Je ne crois pas ! Qui es-tu pour moi ? Personne, alors je te prie de t'occuper de tes affaires ! s'écria-t-il, agressivement

— Pourquoi tu ne m'aimes pas, Lucas ? demanda-t-elle, tristement

— Parce que tu es trop curieuse, répondit Mike, avant même que Luke n'ait eu le temps d'esquisser la moindre réponse

D'un regard, il remercia son meilleur ami.

— Et surtout, il y a l'art et la manière de dire les choses, marmonna-t-il

   Caitlin leur jeta un regard désolé. Luke soupira et se résolut à moins s'emporter la prochaine fois. Il lui faisait du mal en se comportant comme ça avec Eileen. Peut-être finira-t-il par l'apprécier...

🎶🎶🎶

Bonjour à tout.e.s !

J'espère que vous allez bien !

Ce chapitre est un chapitre d'une importance capitale, non seulement pour la suite, mais aussi pour Luke. Les décisions qu'il y prend sont les mauvaises. Elles auront un impact très fort sur lui.

Excepté lorsqu'il décide d'aller demander de l'aide à un professionnel. Admettre qu'on a besoin d'aide demande beaucoup de force et de courage. Ce n'est en aucun cas un signe de faiblesse, au contraire. C'est une preuve d'héroïsme. Le mot paraît peut-être un peu fort, mais pour avoir vu et soutenu des amis, je vous assure qu'il faut une sacrée force mentale pour en parler, se sentir légitime et prendre un rendez-vous.

Si vous êtes dans la même situation que Luke, si vous n'en pouvez plus d'aller mal, parlez. Parlez-en à vos proches, à quelqu'un en qui vous avez confiance, et même à un professionnel si vous vous sentez prêt. Vous méritez le bonheur. Vous méritez d'être heureux.

J'ai longuement hésité avant de publier ce chapitre. Je l'ai remanié plusieurs fois ; j'avais vraiment peur de mal m'y prendre. Je n'ai volontairement pas mentionné l'objet qu'utilise Luke pour s'automutiler, parce que je ne voulais pas que vous ressortiez de ce chapitre en " sachant quoi utiliser ". Je le répète, il a pris une mauvaise décision, et il va s'en rendre compte. Il va aussi aller mieux et s'en sortir.

Si vous voulez en savoir plus sur l'automutilation, je vous conseille ce site : www.automutilations.info
Il explique ce qu'est l'automutilation, comment y faire face, quoi faire si l'un de vos proche en souffre. Il y a même un forum si vous souhaitez en parler.

Voici quelques numéros que vous pouvez composer en cas de problèmes :

France :
• Urgence :
– SAMU : 15 ou 112
– pour les personnes sourdes et malentendantes : 114
• Suicide écoute : 01 45 39 40 00
• SOS Dépression : 01 40 61 05 66
• Croix rouge écoute : 0800 858 858
• Fil Santé Jeunes : 0800 235 236

Québec :
• Urgence : 911
• Suicide Action Montréal (SAM) : 1-866-277-3553
• Déprimés Anonymes (ligne d'écoute, référence, groupe d'entraide) : 514-278-2130
• Phobies-Zero (ligne d'écoute pour stress, phobies, trauma) : 514-276-3105
• Tel-aide (ligne d'écoute) : 514-737-3604
• Gai-écoute (ligne d'écoute, information sur la sexualité) : 1-888-505-1010

Belgique :
• Urgence : 100 (aide médicale, pompiers) ou 112 (gratuit)
• Croix Rouge : 105
• Prévention du suicide : 0 800 32 123 (24h/24, anonymat, gratuit)
• Écoute Jeunes (étude, famille, drogue, sida, sévices, chômage, solitude. A qui parler ? 24h/24) : 078 15 44 22

D'autres numéros sont disponibles sur le site mentionné plus haut. Vous n'êtes pas seul.e.

Si vous êtes collégien ou lycéen, vous pouvez parler à votre infirmière ou infirmier. Si vous êtes étudiant, vous pouvez contacter votre Centre d'Accueil Médico-psychologique Universitaire (par exemple à Strasbourg, on peut contacter le CAMUS par mail) ou bien le Service de Santé Universitaire. Je ne connais que ceux de Strasbourg, mais j'imagine qu'il y a l'équivalent ailleurs. Vous êtes courageux, vous êtes aimés et vous méritez le bonheur. Vous pouvez m'envoyer un message si vous éprouvez le besoin de parler.

Si vous trouvez que des éléments de ce chapitres sont mauvais, mal amenés, mal dits, mal exploités, n'hésitez pas à m'en faire part, pour que je puisse mieux m'informer et mieux traiter le ou les sujet.s impliqué.s la prochaine fois. Bref, n'hésitez pas à me donner votre avis concernant ce chapitre, c'est très important pour moi.

Je vous envoie plein d'amour et de soutien ! ❤️❤️❤️ Prenez soin de vous et de vos proches ! ❤️❤️❤️

On se retrouve mardi pour le chapitre 47 du point de vue d'Emilie !

PS : A cause de la scène d'automutilation (ce sera la seule du livre), l'histoire est désormais classée en mature :)

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