➵ Chapitre 45

    Il était tard, tout le monde dormait à poings fermés. Je ne bougeai pas, écoutant simplement le rythme des respirations qui perçait le silence de la nuit. Mon matelas entre celui de Luke et Mike, j'avais les yeux grands ouverts. Le reste de la journée s'était bien passée :  nous avions joué à Mario Kart – Mike m'a littéralement poussée par terre pour ne pas que je gagne la course (ça n'a pas marché) –, nous avions beaucoup ri, discuté de tout et de rien : de la confiture de fraises au doudou d'Alice en passant par l'amour de Caitlin pour les ratons-laveurs. Nous avions aussi fait des crêpes, ce qui, avec Mike s'était bien-sûr avéré compliqué... Il mettait toujours ses doigts dans la pâte pour goûter, m'avait étalé de la farine sur les cheveux, et avait failli pousser Luke sur les œufs – ça avait au moins eu le mérite de l'amuser. Une fois la (difficile) cuisson achevée, nous les avions dégustées en racontant pleins d'anecdotes. Puis, nous avions nettoyé la cuisine de fond en comble, et il avait fallu retenir Alice et Caitlin de ne pas faire du patin à glace sur le sol avec les brosses. Leur excuse ? Fifi Brindacier le fait, nous pouvons bien essayer ! Enfin, nous étions montés dans la chambre de Mike et nous avions regardé un premier film. Entre Jurassic Park, Les Dents de La Mer et Avengers, Luke avait opté pour Jurassic Park. Nous avions ensuite terminé par un film comique et avions encore ri et discuté, chacun dans son sac de couchage. Au bout d'un moment, les gens ont commencé à s'endormir. Bien que Luke soit resté effacé, cela avait semblé lui faire du bien ; il m'avait l'air un peu plus léger.

   Dans l'obscurité, je m'assis et me levai sur la pointe des pieds. Ce n'était pas maintenant que j'allais trouver le sommeil. Je me dirigeai silencieusement dans la chambre d'à côté pour y chercher mon livre, Manon Lescaut, et m'installai sur le lit. Je m'absorbai quelques instants dans l'univers du livre, désireuse de mieux cerner les aventures de Manon et Des Grieux. Je ne sus pas combien de temps s'écoula, c'était comme si il s'était arrêté. Pendant un moment, je m'autorisai à penser à autre chose qu'à tout ce qui était en train de m'arriver, et cela me fit du bien.

Manon Lescaut ? Il doit être bien pour que tu sois si captivée, chuchota une voix, me tirant de ma lecture

Je sursautai et me relevai d'un bond, tombant nez à nez avec Luke qui m'observait à l'entrée de la chambre. Il s'assit à côté de moi, le regard fixé sur mon livre.

— Il l'est, répondis-je. C'est ma prof de français qui m'a conseillé de le lire, tout comme La Princesse de Clèves. Si tu as l'occasion de les lire, n'hésite pas, je pense qu'ils pourront t'intéresser. Les thématiques qu'ils abordent ont transcendé les époques, tout comme les messages qu'ils portent.

— Bon, eh bien, je les ajoute à ma longue liste de livres à lire ! lança-t-il, en me gratifiant de son sourire au coin. Ça fait des lustres que je n'ai pas lu, ajouta-t-il à mi-voix

— Ça te ferait du bien, appuyai-je en lui souriant à mon tour

— Tu as sans doute raison, affirma-t-il d'une voix neutre. La dernière fois que j'étais en cours d'anglais, on étudiait Les Hauts de Hurlevent. Je ne sais pas si tu l'as lu, mais c'est une histoire très captivante. Je ne pouvais pas m'arrêter de lire tellement j'étais emballé par l'histoire ! C'est très sombre, mais ça vaut le coup.

— Je comptais le lire prochainement, avouai-je. Ça fait un moment qu'il traîne dans ma bibliothèque ! Tout comme Orgueil et Préjugés... Simon me l'a vivement conseillé, et pour qu'il me le conseille, tu devines bien qu'il doit être vraiment super !

— Je l'ai lu il y a longtemps, se souvint Luke. C'était avant Saint-Matthew. De souvenir, il est intéressant.

— Tu as lu Le portrait de Dorian Gray ? Alice l'a en haine depuis qu'elle a dû le lire pour son cours de littérature ! Ça fait un mois qu'ils sont dessus, expliquai-je

— Pas encore, mais on va l'étudier en anglais, m'avoua-t-il. Je ne sais pas trop à quoi m'attendre, je n'ai jamais lu Oscar Wilde !

— Moi non plus !

— Un des derniers livres que j'ai lu, avant que..

Sa voix se brisa, mais il se reprit avant même que je n'ai pu esquisser le moindre geste.

— Bref, avant... tu sais quoi, est Autant en emporte le vent, il pourrait te plaire, je pense.

— Tu as le droit de me prendre pour une idiote, mais jusqu'à ce que tu me le dises, je ne savais pas que c'était un livre à l'origine, confessai-je. J'ai vu et aimé le film, mais...

— Mais non, tu n'es pas idiote ! contrebalança-t-il. Il est de Margaret Mitchell et a été publié en 1936, m'apprit-il. Si tu as aimé le film, effectivement, je te conseille vivement ce livre !

— Encore un livre ajouté à ma très longue pile à lire ! m'exclamai-je, ravie

— Un autre livre conseillé par ma prof' d'anglais est Sur la route, de Jack Kerouac, poursuivit Luke. Ma foi, je t'en dirai plus lorsque je l'aurai lu !

— En général, les profs de français ne se trompent pas lorsqu'ils conseillent des livres !

— Va dire ça à Mike qui n'a pas du tout apprécié Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur ! rétorqua Luke en riant légèrement

— Il ne sait pas ce qu'il manque !

Nous rîmes discrètement et, bientôt, un silence s'installa. Je ne savais ni comment le briser, ni si je devais le faire. Non pas que je ne savais pas comment au sens strict, il me suffisait de parler, de dire quelque chose, n'importe quoi, mais au moindre faux pas, je pourrais détruire tout ce que Mike, moi et les autres avions commencé à reconstruire avec lui.

— Tu devrais dormir, tu as l'air si fatigué, finis-je par arguer en détaillant ses yeux bleutés par les cernes

— Je n'y arrive pas. Toutes les nuits, c'est la même chose. Mes paupières sont lourdes, mes yeux me brûlent comme si tout l'Enfer y habitait soudainement, et pourtant je ne peux pas fermer l'œil de la nuit, me confia-t-il, le regard fixé sur le mur en face de lui.

— Tu as pensé à aller voir quelqu'un pour avoir des somnifères ? questionnai-je, prudemment

— Je n'en ai pas envie, répondit-il

— Ça pourrait t'aider, tu sais, argumentai-je. Peut-être qu'avec une prise en charge tu arriveras à l'accepter.

— Tu penses que j'en ai besoin ?

J'avalai ma salive.

— Oui, je pense que ça t'aidera, affirmai-je le cœur battant

— Mike et Caitlin aussi, soupira-t-il, ses iris perdues dans les limbes de son passé révolu

— Alice aussi, ajoutai-je en le regardant droit dans les yeux. S'il faut t'accompagner jusqu'à la salle d'attente ou prendre rendez-vous pour toi, on le fera.

L'ombre d'un sourire apparut sur son visage.

— C'est gentil, commenta-t-il, simplement, mais je n'en ai pas envie. Je ne me vois pas déballer toute ma vie à un inconnu.

— Un inconnu qui pourra te permettre de voir les choses sous un autre angle, un inconnu dont le seul objectif sera de te comprendre, un inconnu dont le seul but sera de te sauver, répliquai-je

— Et si je n'aime pas ce qu'il y a au fond de moi ?

— Tu n'as pas à l'aimer, tu dois l'accepter, contre-attaquai-je, du tac au tac, avant de me rendre compte de la maladresse de ma phrase...

Il ne répondit pas, et garda obstinément les yeux fixés sur le mur pâle en face de lui.

— Donc, tu confirmes que je ne peux pas changer..., murmura-t-il

— Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire, rattrapai-je, euh... en fait...

Allez Emmy, réfléchis ! Sors de ce pétrin !

OK, respire. Inspire, expire. Voilà. Ne pense plus à rien excepté au néant.

Reviens dans la pièce, maintenant. Très bien. Maintenant, qu'est-ce qu'il a besoin d'entendre ?

— Le fond de ta personne, ton essence, tu ne peux pas la changer. C'est ce que j'ai voulu dire. Mais, ton état actuel ne reflète pas l'aura de ta personne. Être perpétuellement triste et anéanti, ce n'est pas une vie. Être étreint par la douleur et étranglé par le poids du passé n'est pas une vie. Être mort à l'intérieur ce n'est pas être en vie, lui dis-je alors, d'une traite, le cœur battant.

    Il m'observa un instant, soupira, puis se leva pour aller jusqu'à la fenêtre. Il s'y accouda et se perdit un instant dans la nuit noire, comme s'il n'aspirait qu'à une chose : qu'elle le consume entièrement et que ça soit la fin.

   Je me levai du lit grinçant et le rejoignis. Que pouvais-je bien faire, moi, pauvre petite humaine désemparée, face à un tel déferlement d'émotions ? La réponse scintillait comme des néons au-dessus de ma tête.

— Tu devrais aller te coucher. Dormir un peu. Tu as des cernes immenses, m'enjoignit-il, le visage englouti par les froides et épaisses ténèbres

— Je n'irai pas tant que tu n'iras pas, affirmai-je, à présent immergée dans la nuit noire et glacée

— Ce que tu es têtue... souffla-t-il, le visage rongé par un sentiment que je ne saurais décrypter

— Regarde, poursuivis-je comme si je n'avais pas entendu sa phrase, les étoiles se sont rallumées.

Et c'était vrai. Le ciel était désormais couvert de lumières. Les prières du monde brillaient pour nous.

Je tournai mon visage dans sa direction. Il ne regardait pas le ciel. Il me regardait, moi.

— Tu me donnes envie de croire, Em. Mais je ne sais pas en quoi. En la vie, en la nuit, aux étoiles.

— Est-ce que c'est positif ? questionnai-je, en réponse

— Je crois, répondit-il du bout des lèvres

Mais il n'était pas sûr. Alors, j'ai simplement reporté mon regard sur la voûte céleste. Les étoiles ont frémi cette nuit-là, je le sais. Il a dit quelque chose mais je n'ai pas entendu. Je lui ai demandé de répéter, et il a murmuré que c'était beau, qu'on soit, lui et moi, en train de regarder le ciel tout plein d'étoiles.

Ses yeux ont d'abord fuit les miens, et puis ils s'y sont accrochés pour ne plus les lâcher.

— Excuse-moi, Em. Vraiment.

   Je l'observai d'abord d'un air étonné. Il replaça une de ses mèches blondes qui tombaient devant ses yeux.

— Je t'ai fait du mal, expliqua-t-il en mordillant sa lèvre inférieure

— Ce n'est pas grave, Luke. Je comprends. Je me suis un peu emportée, cette après-midi. Mon inquiétude avait pris le dessus, détaillai-je, aussi gênée que lui

— J'ai un peu déconné, confia-t-il

— Je ne peux pas t'en vouloir, contrebalançai-je, compréhensive. N'en parlons plus, cette histoire est réglée, il y a plus important à faire, maintenant.

— Comme quoi ? interrogea-t-il, non sans m'avoir détaillée de haut en bas avec un sourire taquin

   Je levai les yeux au ciel, ignorant les vagues de chaleur qui s'écrasaient contre les falaises de mon coeur. Je l'observai, la bouche légèrement entrouverte, et ne put m'empêcher de m'attarder sur ses pommettes désormais saillantes, son teint pâle, ses lèvres pleines.

— Je parlais de toi, finis-je par laisser échapper

— Ça, j'avais compris, constata-t-il avec sarcasme

Je reportai mon regard sur le ciel. Un nuage cachait la lune. Mes yeux retrouvèrent les siens. Puis, il réduisit l'espace entre nos deux corps et ce fut au tour de mes lèvres de retrouver les siennes.

   La suite, je l'ai vécue comme dans un rêve. Tout était plus fort, plus flou. Je ne pensais à rien, je ne parlais pas. Mon coeur battait au creux du sien. Nos vêtements avaient volé aussi vite que le vent emporte les vagues.

   J'étais parcourue par des centaines de décharges électriques. J'étais vivante. Je le jure, une tempête faisait rage en moi. Et elle m'a élevée très haut au-dessus des nuages. La vue était merveilleuse ; jamais mes yeux ne m'avaient paru aussi éveillés. Nous étions rois, rois du monde, empereurs des fleurs et chanceliers des cieux.

🎶🎶🎶

Hey ! Comment allez-vous ?

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? La discussion " livres " d'Em et Luke ? Et la fin du chapitre, bien-sûr ?

Emmy et Luke ont l'air d'apprécier les livres que leurs profs de français leur ont conseillé. Est-ce que vos profs vous ont déjà conseillé de lire un livre ? Si oui lequel ? L'avez-vous aimé ? 😄

Pour ma part, ma prof de français de première m'avait conseillé Manon Lescaut, comme Emmy, et j'ai adoré !

On se retrouve vendredi pour le chapitre 46, qui sera particulier, vous verrez...

À très vite ! 🖤

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