Je chutai dans un frêle tas de feuilles décomposées. Les engrenages étaient enclenchés. Je n'avais rien d'autre à faire à part attendre, attendre avec l'espoir de les voir tous les deux passer le pas de la porte de la maison de Mike. Pourvu que j'aie bien parlé ! Le visage barré par un pli soucieux, j'observai avec intérêt la vapeur qui sortait de mes lèvres. Soudain, la porte de la maison de Mike s'ouvrit et Alice apparut sur le seuil, d'un air quelque peu pincé :

— Ne me dis pas que ça fait dix minutes que tu es dehors ! Tu vas attraper froid ! Jack Frost va te tirer les oreilles ! râla-t-elle, en s'écartant pour me laisser entrer

— Je suis sûre que tu n'as pas encore lu le dernier chapitre, la narguai-je tandis qu'elle refermait la porte

— Bien-sûr que si ! se récria ma meilleure amie. Il fallait bien que je pense à autre chose en t'attendant... D'ailleurs la fin du chapitre était horrible, j'espère que l'auteure ne sera pas trop sadique avec Jack pour la suite, le pauvre !

— Ah ça, tu l'as dit ! attestai-je en retirant ma veste

Alice soupira, soudainement soucieuse.

— Comment ça s'est passé ? questionna-t-elle

J'haussai les épaules, les yeux fixés sur le sol.

— Je ne sais pas trop. Il a l'air très renfermé et semble vouloir le rester. J'avais l'impression que chaque seconde de plus qu'il passait en vie l'enfonçait plus encore. Je lui ai dit de vivre pour Anna, et pleins d'autres choses, mais ce n'est pas si simple. On ne soigne pas les maux avec les mots. On ne peut pas non plus le forcer à se confier, à ne pas s'isoler. On peut juste le lui suggérer, le laisser devant la porte avec les clés en espérant qu'il s'en serve.

— Il t'a dit quoi, exactement, en te voyant ? Il avait l'air surpris ? Que t'a-t-il dit quand tu as eu fini de parler ? demanda-t-elle à toute allure

— Il m'a juste dit « salut », et il avait l'air plus abattu que surpris. Je ne crois pas qu'il s'y attendait, mais je ne crois pas non plus que ça l'ait cloué sur place. On l'avait anticipé, alors ce n'est rien de grave. Il était distant, au début. Et puis, quand j'ai terminé ma tirade, j'ai voulu partir et il m'a retenue. La suite, tu la connais.

— Ne t'en fais pas, me rassura Alice, je suis sûre que tu as bien parlé. Et puis, Mike est en train d'en remettre une couche. De plus, Caitlin est en chemin pour nous rejoindre. Elle va aussi aller le voir, mais ici. Mike va essayer de convaincre Luke de passer le reste de la journée avec nous, ça sera déjà une avancée, et puis ça lui changera les idées.

— Tu as raison, affirmai-je, machinalement

J'avais eu si mal en le voyant. Et j'étais si impuissante ! Il n'y avait rien que je puisse faire pour l'aider, tout simplement parce que ce n'était pas de mon ressort. C'était terriblement frustrant de devoir rester assise à regarder la vie lui (ou devrais-je dire, leur) infliger mille et une blessures. Car Mike aussi était meurtri, il fallait être aveugle pour ne pas s'en apercevoir. Lui aussi, il avait espéré, et lui aussi il avait été brisé. Et Caitlin... Je n'osais pas imaginer ce qu'elle avait ressenti. Elle avait beau être discrète sur ses sentiments, je savais qu'elle avait souffert. Luke m'a un jour confié que Caitlin considérait Anna comme la petite sœur qu'elle n'avait jamais eue. Il faut dire que la vie n'avait pas toujours été facile pour elle... Caitlin avait un grand frère, Kris âgé de 25 ans, et ils n'avaient pas le même père. En réalité, le père de Kris était mort d'un cancer généralisé... Par la suite, la mère de Caitlin a fait son deuil puis épousé quelqu'un d'autre. Ça n'avait pas été facile pour Kris, qui n'était alors qu'un enfant. Quand Caitlin est née, il l'a tout de suite détestée, simplement parce qu'elle, elle aurait le droit de grandir avec ses deux parents. Mais on ne peut rien faire face à l'injustice de la vie. Le temps passait et Kris la détestait toujours autant, simplement parce qu'elle était là. Ils n'ont jamais passé de bons moments ensemble. Et puis, ce qui devait se passer est arrivé : Kris a grandi et a quitté la maison familiale. Il ne donnait plus de nouvelles. À personne. Ni à son beau-père, qui pourtant l'a élevé comme son fils, ni à Caitlin qui ne lui a jamais fermé la porte malgré le fait qu'il l'eût mérité, et pas même à sa mère. Et un beau jour, il est revenu. Il s'est excusé. Tout le monde s'est excusé, et tout le monde s'est pardonné. Mais on ne rattrape jamais le temps perdu. Caitlin avait toujours eu l'habitude de prêter ses vêtements à Anna, de la coiffer et de lui lire des histoires. La nouvelle glaçante l'avait tout aussi tuméfiée que Mike...

— Ne te fais pas de mal en tournant et retournant le problème dans ta tête, me conseilla Alice, me tirant hors de mes pensées.

— Ce n'est pas ça, répondis-je. C'est qu'il n'y a pas que lui qui souffre. Il y a aussi Mike, Caitlin, ...

— Bien-sûr, attesta Alice. Ce qu'il y a de pire dans la douleur, c'est de voir ce qu'elle fait aux autres. Si nous, nous souffrons, ce n'est pas grave, ce n'est que nous. Mais les autres... On ferait n'importe pas pour qu'ils n'aient pas à affronter ça. Ça ira mieux, Emmy, tu verras. Tout le monde ira mieux. Ce n'est qu'un mauvais moment, un de plus, ajouta-t-elle, à mi-voix

Un silence s'installa quelques secondes, avant d'être brisé par la sonnette. Je tournai la tête vers la porte d'entrée, pleine d'espoir.

— C'est sûrement Caitlin, affirma Alice en se dirigeant vers la porte.

  Elle avait raison. Caitlin se tenait à l'embrasure de la porte, avec pour seule compagnie son inquiétude.

— Mon Dieu, Emmy, les cernes que tu as ! s'exclama-t-elle en se jetant sur moi, me serrant contre elle. Je suis désolée, vraiment ! poursuivit-elle, en se reculant. On ne savait pas quoi faire, on était désemparé, et inquiet, et je ne voulais pas, je savais que c'était une mauvaise idée, mais-...

— Calme-toi, Cait', je sais que tu ne pensais pas à mal, la rassurai-je

Un sourire se dessina sur son visage fatigué.

— Alice ! reprit-elle, en enlaçant ma meilleure amie. Tu as l'air épuisée... Oh, désolée, c'est de ma faute !

— Ne t'en fais pas Caitlin, tu n'es pas la seule personne fautive dans cette histoire. Et comme l'a souligné Emmy, tu ne pensais pas à mal.

— C'était une erreur, répondit-elle, attristée alors qu'Alice refermait la porte

— L'important, c'est que vous vous en soyez rendus compte et que vous en appreniez. Ça ne sert à rien d'en parler encore pendant des lustres. Ce qui compte maintenant, c'est aider Luke, déclarai-je en l'observant enlever sa veste et l'accrocher au porte-manteau

— Elle a raison, m'appuya Alice

— Et moi, j'espérais que vous réagiriez comme ça, sourit-elle

   Elle prit nonchalamment le trajet du salon et s'assit sur le canapé. Nous la suivîmes et je regardai l'heure sur mon téléphone, inquiète de ne pas voir Mike revenir et de ne pas avoir de nouvelles.

— Ça ne fait que vingt minutes, Emmy. Ne te tracasse pas, voulut me rassurer Alice

Caitlin me jeta un regard compatissant.

— Il était comment, physiquement ? questionna précautionneusement Caitlin

— Pâle comme l'hiver, murmurai-je

— Non, je veux dire... est-ce qu'il était négligé ? précisa doucement Caitlin

— Oui, attestai-je, je crois qu'il portait les mêmes vêtements depuis quelques jours.

— Et moi, j'en suis sûre, soupira-t-elle

— C'est vraiment très grave alors, observa Alice

— Non, tu crois ? Ce que tu es perspicace ! soufflai-je avec sarcasme

Alice m'ignora et regarda Caitlin droit dans les yeux :

— Il faut le convaincre d'aller voir un psychologue. Nous ne sommes pas en mesure de l'aider, nous pouvons juste lui montrer que nous sommes derrière lui et que nous ne l'abandonnerons pas, dit-elle d'une traite

— Je le sais, acquiesça Caitlin. Mike aussi. C'est Luke qui ne veut pas. Et pourtant, on lui a proposé de l'aide...

— Alors, on doit lui montrer par A plus B que c'est la seule solution. Et s'il faut l'accompagner jusqu'à la salle d'attente, on le fera, décrétai-je

— Bonne idée, affirma Caitlin. Et pour qu'il accepte, il faut qu'on lui dise de le faire pour nous, parce qu'il nous inquiète. C'est terrible, mais on n'a pas le choix, sinon il ne le fera pas.

— On a de bonnes raisons de faire ça, Cait', répondit Alice. Et il s'en rendra compte un jour, crois-moi.

Mon téléphone vibra dans ma poche.

— Mike m'a envoyé un message ! m'exclamai-je en me redressant d'un coup

« On arrive d'ici une vingtaine de minutes...
Ça a fonctionné ! »

Je lus le message à haute voix et mes deux amies laissèrent échapper des cris de joie et de soulagement. Il y avait encore de l'espoir. Je répondis à Mike que nous les attendions avec impatience et laissai un sourire s'étendre sur mes lèvres. Ce n'était pas encore gagné, mais nous étions sur la bonne voie.

— Parfait ! s'exclama Caitlin. Je suis tellement heureuse qu'il ait décidé de venir. Nous pourrons lui changer les idées, le faire rire.

— On aura qu'à regarder un film, proposa Alice, un film d'action ! Quelque chose qui finit bien, en tout cas !

— Oui ! attesta Caitlin, et on pourra aussi discuter de tout et de rien, raconter des blagues !

— Et pourquoi pas jouer de la musique ? ajoutai-je

— Oh oui ! s'exclama Caitlin, après tout c'est ce qui nous lie !

— Oh ! Je viens de penser aux consoles que possède Mike ! On pourra jouer à Mario Kart ! s'écria subitement Alice

— Quelle bonne idée ! la complimentai-je

— Je n'ai QUE des bonnes idées ! répliqua-t-elle, fièrement

Caitlin s'esclaffa et je fis de même.

— Ah, je ne peux plus attendre ! lança Alice, excitée comme une puce. Encore combien de temps ? Quoi ? Quinze minutes ! Oh, si je pouvais avancer le temps...

🎶🎶🎶

Ça faisait cinq bonnes minutes que mes doigts tapaient nerveusement la table de salon. Et vingt-cinq minutes que j'avais reçu le message de Mike. La sonnette retentit. Je m'y précipitai et Alice me retint par le bras .

— Laisse d'abord Caitlin y aller !

— Mais Alice, protestai-je

— S'il-te-plaît !

Je capitulai, songeant qu'elle avait sûrement de bonnes raisons pour ne pas me laisser me précipiter dans l'entrée. D'ailleurs, pourquoi Mike a-t-il sonné ? C'est lui qui a les clefs... Des échos de voix parvinrent à mes oreilles et j'entendis la voix fatiguée de Luke avant de l'apercevoir. Avant même que je ne puisse esquisser le moindre geste, ma meilleure amie se jeta sur lui.

— Tu m'as manqué, Lulu ! s'exclama-t-elle en le serrant contre elle

Il parut plus surpris qu'autre chose et lui répondit quelque chose que je ne parvins pas à entendre. Je les rejoignis et cherchai le regard de Mike pour obtenir des réponses. Il haussa simplement les épaules d'un air attristé. Cela ne me rassura pas et je laissai mon inquiétude peindre mon visage.

— Fais-moi une ébauche de sourire, on va passer une super après-midi ! l'enthousiasma Alice

Un pâle sourire se dessina sur son visage.

— Un peu plus grand, quand même ! l'encouragea-t-elle

— Tu me demandes d'avoir l'air content alors que je suis sûr que tu as prévu de me maquiller ?! protesta Luke

Ma meilleure amie esquissa un sourire malicieux et lui répondit qu'elle n'en savait rien. A mon tour, je m'approchai et, n'y tenant plus, je me jetai dans ses bras. Il mit du temps à me rendre mon étreinte, et quand il le fit, je la resserrai, songeant qu'Alice et Caitlin avaient raison ; nous n'étions pas habilités à l'aider. Je le relâchai, et ne sachant que dire, je l'observai simplement.

— Merci d'être venues, dit-il, son regard oscillant de moi à Alice. C'est...

— Normal, termina ma meilleure amie en lui souriant affectueusement

Il se gratta la nuque d'un air gêné, une goutte d'eau tomba de ses cheveux humides, et Caitlin brisa le silence :

— Une partie de Mario Kart, ça vous tente ?

~
Hey ! Comment allez-vous ? 🖤

Merci d'avoir lu ce chapitre ! Que pensez-vous de ce qu'ont prévu de faire Alice, Em et Caitlin ? Qu'auriez-vous prévu de faire à leur place ? 🎶

Quand j'étais au collège, je jouais énormément à Mario Kart et Mario Bros sur Wii. Et vous, aviez-vous un jeu vidéo préféré, une console préférée ? Ou peut-être que vous jouez encore ? (J'ai perdu l'habitude avec la prépa 😅) Si oui, quel est votre jeu préféré du moment ? (Candy Crush, ça compte ! 😄) Je veux tout savoir ! 🙈

On se retrouve mardi pour le prochain chapitre ! 🖤

Prenez soin de vous ! 🖤