➵ Chapitre 37 ~ Luke
Luke était assis sur son lit, les genoux repliés contre son menton, seul. Ses yeux étaient secs. Plus aucune larme ne coulait. Plus aucune larme ne pouvait couler. En revanche, son âme, elle, était prise de sanglots.
Il détaillait le noir de sa chambre, le regard brisé. Dans ses yeux, le néant. Dans ses yeux, l'océan de sa tristesse. Il y avait pourtant cru. Pour une fois, il s'était autorisé à y croire, et encore une fois, la vie s'était moquée de lui. Sa seule erreur -erreur fatale !- avait été d'y croire.
Il ne la reverrait plus jamais. Cette pensée, ces simples mots, suffisaient à le blesser cruellement et à le faire revenir à la réalité. Il avait l'impression de s'étouffer, de mourir de l'intérieur. Au final, il se mentait à lui-même depuis des années : il avait toujours su, au fond de lui-même, qu'elle ne reviendrait pas. Quelqu'un la lui avait prise, et le bonheur de Luke s'était envolé avec elle.
Il ne pensait à rien. Il portait les mêmes vêtements depuis plusieurs jours et n'était pas sorti depuis plusieurs jours non plus. Renvoyé chez lui, il était seul dans sa chambre, et seul dans sa maison avec ses parents.
Il avait l'impression qu'on lui avait appris la terrible nouvelle il y a des années, alors qu'une semaine s'était écoulée. Il se souvenait que ses parents avaient appelé le lycée pour dire qu'il devait les rejoindre au commissariat. Mike et Caitlin l'avait accompagné. Il avait tant espéré que cela était un nouvel indice !
Mais, lorsqu'il était arrivé, quand il avait vu l'air grave et la mine attristée et compatissante de la secrétaire puis de l'agent, Luke avait compris que quelque chose clochait.
« On l'a retrouvée. » avait dit l'agent.
Luke se souvenait avoir souri mais s'être demandé pourquoi tout le monde avait l'air si malheureux.
« Morte. » avait impassiblement terminé l'agent, « son corps a été retrouvé calciné avec des marques de torture ».
Il avait écarquillé les yeux, reculé de plusieurs pas, laissé couler une larme. L'agent Clayton lui avait planté un couteau en plein coeur. Il avait d'abord chancelé. C'était impossible, elle ne pouvait pas être morte, elle ne pouvait le quitter comme ça, sans même lui dire au revoir ! Non, c'était une mauvaise blague, l'agent allait bientôt éclater de rire, ses parents sourire et l'agent annoncerait qu'ils avaient trouvé quelque chose. Sauf qu'il n'avait rien dit.
« Ce n'est pas drôle de jouer avec mes émotions comme ça, s'était exclamé Luke, ce n'est pas drôle du tout ! »
« Je suis sérieux. »
Luke avait ri d'un rire effrayant, qui en temps normal l'aurait inquiété.
« Non, impossible, je l'aurais su, s'était-il entêté, c'est une mauvaise blague ! »
« Je suis désolé, jeune homme, Anna Fidelings a été retrouvée morte aujourd'hui, sans aucun trace de son agresseur. »
Il avait vacillé et tremblé en secouant la tête. Tout d'un coup, sans prévenir, la signification de ces paroles l'avait percuté de plein fouet, tel le Titanic percutant un iceberg il y a plus d'un siècle. Comme le paquebot, son âme s'était cassée en deux et chacune de ses parties avait sombré dans les flots noirs de la douleur, en poussant des cris stridents. Luke se souvenait avoir senti ses jambes se dérober sous lui, puis avoir heurté le sol.
L'adolescent s'était ensuite réveillé à l'hôpital avec l'impression d'avoir fait un cauchemar. Tout s'était enchaîné rapidement. D'abord le difficile retour à la réalité, qui l'avait refait tourner de l'œil, puis les infirmières, le médecin, ses parents, Mike, Caitlin. Em, tous les appels manqués sur son téléphone. On lui avait proposé de voir le corps, mais il avait refusé. Il ne pouvait pas. Il voulait garder en mémoire l'image d'une petite fille heureuse, pas celle d'une petite fille décédée.
Décédée. Il n'arrivait pas à y croire. C'était sûrement un cauchemar imbriqué dans un autre cauchemar, à la manière d'Inception, et il allait bientôt se réveiller. Mais, son esprit, conscient de la réalité, essayait en vain de la faire entendre à son âme sourde.
Luke souriait doucement dans le noir, songeant à tous les bons moments passés, ceux qu'il aurait pu passer actuellement et ceux qu'il passerait dans le futur. Luke souriait dans le noir. Luke se laissait submerger par la tempête de souvenirs dans le noir, Luke se noyait sous les souvenirs, Luke souriait. Ses yeux appelaient à l'aide. Luke chantait dans le noir. Sa voix suppliait de recevoir de l'aide. Son corps était vide. Luke était mort de l'intérieur.
Cette nuit-là, il n'écrivit pas. Il ne lui écrivit pas. Plus jamais il ne le ferait. Elle n'était plus là. Définitivement. Elle ne lira jamais ces lettres. Tous ces mots étaient des couteaux qu'il se plantait lui-même dans la poitrine. Ces lettres, c'étaient comme un enfer qui l'aspirait à petit feu. Ces pensées, c'étaient comme des lames chauffées à blanc appuyées sur la peau nue.
« I wish that I could wake up with amnesia »
Ces paroles lui étaient tout d'un coup revenues à l'esprit. C'était tiré d'une chanson dont il ne se souvenait ni du titre ni du groupe. Mais, se réveiller amnésique et tout oublier étaient une solution qu'il aimerait pouvoir avoir. Ce serait un cadeau. Rien que le fait de dormir serait un cadeau. En dormant, au moins, il n'y penserait plus.
Impossible de trouver le sommeil. Ses yeux refusaient de se fermer ; ses fenêtres restaient ouvertes, laissant apercevoir l'ouragan de chagrin qui faisait rage en son âme. La nuit, propice au terrassement par la peine douloureuse, l'empêchait insidieusement de dormir.
Par contre, le jour, ses yeux se fermaient tous seuls, mais seulement pour quelques heures. Si son état moral ressemblait à un diamant brisé, son état physique n'était pas mieux.
Des cernes bleues coupaient son visage amaigri. Il était livide, les cheveux emmêlés, les yeux rouges, gonflés et déjà injectés de sang à cause du manque de sommeil. Son corps était amaigri. Mais, il se fichait bien de son apparence. Ce n'était pas ce qui comptait.
« Luke, s'il te plaît, sors de ta chambre » l'appelait en vain Alésia
« Lucas... » suppliait-elle.
Luke n'avait pas le courage d'affronter le regard de ses parents. Il ne voulait pas voir un miroir de l'état dans lequel il se trouvait. Il ne voulait pas voir leurs mines effondrées, leurs visages creusés par la fatigue, la tristesse, ni les sillons créés par les larmes. Non. Aucun enfant ne devrait avoir à supporter ce spectacle.
Il se souvenait que dans la religion juive, on recouvrait les miroirs pendant quelques temps, durant tout le deuil. Il comprenait pourquoi à présent : pour ne pas avoir à contempler son reflet brisé.
Il aurait voulu se mettre à hurler dans la nuit, casser des fenêtres avec son poings, frapper le sol d'hystérie en hurlant, sauf qu'il n'en avait pas la force. Il n'en avait pas même l'envie. Il ne ressentait même pas de colère, juste du vide, comme si un vortex avait aspiré toute forme de sentiment.
Luke finit par sortir de sa torpeur et par allumer la lumière. N'ayant pas le courage d'affronter son reflet dans le miroir en face de lui, il s'en détourna bien vite. Il s'empara d'un recueil de poèmes, qui contenait tous les poèmes sans exception d'Arthur Rimbaud. C'était celui d'Emilie. Il lui avait emprunté lorsqu'elle lui avait dit que c'était son poète préféré. Il l'avait déjà lu un nombre incalculable de fois, bien qu'il ne comprenait pas tout en raison de la langue et de certaines subtilités. Lui qui adorait surligner des phrases importantes dans chacun des livres qu'il lisait, n'avait osé le faire dans celui-ci : elle l'avait déjà fait.
Son poème préféré s'intitulait « Ophélie ». Il parlait du personnage d'Ophélie de la pièce Hamlet du fameux Shakespeare. De ce que Luke en avait compris, c'était une sorte d'ode au personnage, bien qu'il n'en fût pas tout à fait sûr.
« Un chant mystérieux tombe des astres d'or »
C'était son vers préféré. Il ne savait pas quel sens lui donner, ni quel double sens pouvait bien se cacher derrière lui, mais c'était beau. Et cela lui suffisait.
Il souriait. Elle l'avait surligné en bleu. Elle aimait ce vers aussi. Mais, son sourire se ternit quand il se rendit compte que sur son visage s'esquissait une marque de bonheur à l'état pur, que pendant une seconde il avait oublié Anna alors que celle-ci n'était plus là, qu'elle ne le serait plus jamais. Il ne pouvait pas se permettre d'être heureux alors qu'elle était morte, alors qu'elle avait souffert et souffrait peut-être encore dans la mort.
Le bonheur, c'est rendre les personnes qu'on aime heureuses. Il n'avait pu la rendre heureuse. Il ne méritait pas le bonheur, et le bonheur méritait bien mieux que de le porter en fardeau.
~
Hey ! Comment allez-vous ? :)
Que pensez-vous de ce chapitre ? Luke n'est clairement au meilleur de sa forme 😅
Comment envisagez-vous la suite ?
On se retrouve vendredi prochain ! Prenez soin de vous ! 🖤
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