➵ Chapitre 36
~ Un mois plus tôt ~
J'ouvris mon classeur de lettres musicales et rangeai le cours d'il y a un mois dedans. En relisant tout ce que nous avions fait depuis le début de l'année, je constatai alors que Madame Schwarzwolk nous avait cité deux fois Verlaine. « La poésie est de la musique avant toute chose. » Cette citation était bien vraie. Les poètes et les musiciens ne s'expriment-ils pas à travers de belles images et de beaux mots ? N'essaient-ils pas de donner du rythme et de mêler passions et émotions à leurs travaux ? Les poèmes tout comme les paroles sont souvent à double sens, pouvant aller jusqu'au troisième voire quatrième degré si ce n'est plus. C'est ce qui fait leur beauté.
Mais, pourquoi vouloir tout classer ? Pourquoi vouloir enfermer dans des boîtes les créations des hommes et les hommes eux-mêmes ? On dira que tel livre appartient à tel genre, tel auteur à tel mouvement, alors qu'il tend à brouiller les codes pour justement éviter d'être classé. On dira qu'une chanson appartiendra à un genre particulier, un style particulier, alors que chaque style sera différent. Chacun donne une âme à ce qu'il fait, et c'est ce qui fait la différence. L'homme tend à tout analyser et répertorier pour se sentir exister, et quelque part, pour se sentir mieux, et ne pas se rendre compte que parfois, les choses sont faites pour sortir du lot.
Je soupirai : pourquoi n'avais-je pas écrit cela dans ma dissertation deux heures plus tôt ? Évidemment, les idées arrivaient toujours trop tard. Je râlais.
— Qu'est-ce qu'il y a ? questionna Alice, nonchalamment couchée sur son lit
— Eh bien mon cerveau ne sait pas choisir ses moments pour donner des idées pour les dissertations, râlai-je
— Oh, allez, ce n'est pas grave, je suis sûre que tu as très bien réussi, et-...
Elle fut coupée par les vibrations de mon téléphone posé sur ma table de nuit, qui émettait des bruits désagréables. Qui pouvait bien m'appeler à dix-sept heures un samedi soir après une journée d'examens blancs ?
Je m'empressai de prendre mon téléphone. Voyant le nom de Luke apparaître sur l'écran, un sourire se dessina sur mes lèvres. À chaque fois que son nom apparaissait sur l'écran de mon téléphone, cela provoquait des frissons et une chaleur au creux de mon dos. Mon coeur bondissait, et c'était on ne peut plus agréable.
— C'est Luke ! m'exclamai-je, à l'intention d'Alice.
Vite, je cliquai sur le bouton répondre et collai l'appareil contre mon oreille, un sourire béât toujours flottant sur mon visage.
— Allô ? fis-je, heureuse
— Oh, Em je suis si heureux ! s'exclama sa voix rauque à l'autre bout du fil, ne me laissant pas le temps de dire quelque chose
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Ils ont trouvé quelque chose, Em, tu te rends compte !?
🎶🎶🎶
J'étais très heureuse pour Luke. Après tout ce temps, il avait enfin quelque chose de concret à se raccrocher ! Anna pouvait très bien être retrouvée demain, ou après demain, ou dans une semaine, ou dans un mois, ou plus. Qu'importe, je savais qu'ils étaient sur la bonne voie, et que Luke serait patient. Je savais qu'il ne tenait pas en place, je le voyais faire les cent pas en trépignant. Mais, surtout, je le voyais sourire. Il souriais à qui mieux mieux, d'un vrai sourire, et ses yeux brillaient. Quand on sourit pour de vrai, notre regard s'illumine, on y lit de la joie, et c'est comme ça que j'imaginais Luke.
Je lui avais exprimé toute ma joie. Et c'était vrai : j'étais aux anges pour lui. Je n'avais plus à m'inquiéter, à présent. J'étais sûre qu'il dormait la nuit à présent, que tout allait bien. Comme quoi, tout est possible. La roue tourne. J'avais ici la preuve qu'on pouvait sortir d'une pièce hermétique.
J'effleurais délicatement le bracelet que je portais au poignet. Celui d'Anna. Depuis que Luke me l'avait accroché, je n'y avais pas touché. Je souris en le regardant : j'avais hâte de rencontrer son propriétaire.
🎶🎶🎶
~ Un mois plus tard ~
Je restais positive. J'avais conscience qu'elle n'était pas là, pas encore. Néanmoins, ce n'était qu'une question de temps : en plus du morceau de tissu trouvé il y a un mois, un anneau doré avait été retrouvé calciné. Encore une fois, les tests ADN prouvaient que c'était bien à Anna. En revanche, on ne savait pas qui l'avait faite disparaître : il n'y avait absolument rien d'autre que l'ADN d'Anna.
Luke m'avait dit avoir été impressionné en voyant la manière dont la police scientifique analysait les traces d'ADN et déterminaient à qui il appartenait. Il avait eu la chance de les voir à l'œuvre. C'était normalement fermé au public, mais l'agent chargé de l'enquête depuis le début avait autorisé Luke à voir comment on faisait. Ils utilisaient une « sorte de poudre gris magnétique » m'avait-il dit, qui formait une grosse boule autour du pinceau quand on la sortait du pot. Cette "boule" avait des tas de piquants hérissés, un peu comme un pissenlit. On la déposait ensuite sur l'objet à analyser, et les empreintes d'ADN se révélaient. Ensuite, on utilisait un ordinateur pour trouver l'identité de la personne dont était issu l'ADN.
Je me souvenais parfaitement des mots de Luke : « C'était incroyable ! Tu aurais dû voir ! Et même si cette poudre paraissait être un nid d'aiguilles, dès que tu la touchais, tu avais l'impression de toucher de la soie ! »
Cependant, Alice était un peu plus dubitative que moi. Elle nous disait de redescendre sur Terre, qu'il valait mieux ne pas se faire trop d'espoir. Anna pouvait très bien être retrouvée dans quelques années. C'était vrai, néanmoins, jamais Luke n'avait été si proche de revoir sa sœur.
— Emmy, le prof' te parle, chuchota Antoine en me donnant un léger coup de coude.
Je revins brutalement à la réalité. Mon professeur d'allemand me fixait d'un air sévère. Il m'avait posé une question, mais j'ignorais laquelle. Ne voulant pas paraître impolie, je n'osais lui demander de répéter. Tous les visages s'étaient tournés vers moi, et un lourd silence s'était installé. J'entendis Antoine me chuchoter la phrase, que je m'empressai de répéter, les joues rougissantes.
Il reprit son cours. Soulagée, je remerciai Antoine.
— De rien, mais je ne serai pas toujours là, fais attention, m'avertit-il en me souriant légèrement
— Alice te tuera si tu ne me sauves pas de ce genre de situation, dis-je à voix basse, souriant à mon tour.
Il rit silencieusement avant de se concentrer à nouveau sur le cours. Je suivis son exemple et m'efforçai d'écouter le cours portant sur le mur de Berlin, le professeur appréciant très particulièrement ce chapitre. « Un incontournable » disait-il.
« 9 octobre 1989, chute du mur de Berlin » me répétai-je, mentalement, tentant de rester concentrée.
🎶🎶🎶
Je ne savais pas qu'est-ce qui pouvait être pire que de terminer par une heure et demie de sciences le jeudi soir. Pourquoi ne pas les avoir mises de huit heures trente à dix heures plutôt que de seize heures trente à dix-huit heures ? Je soupirai face à mon cours de géologie. C'était intéressant, et j'aimais ça, comprendre comment la Terre fonctionnait au cours du temps, voir ce qui se passait à des kilomètres en-dessous de nos pieds, et aussi comment empêcher mon cerveau de s'embrumer. Entre la faim qui me tiraillait l'estomac et la fatigue accumulée, je n'étais pas aidée !
Antoine bâillait à côté de moi, et peinait à répondre aux questions sur le document portant sur les plaques, qui était posé juste devant nous.
— Je n'aime pas cette partie, s'exaspéra-t-il, à voix basse, je préférais la partie sur l'ADN !
— Je trouve que c'est intéressant, chuchotai-je, en réponse
— Il reste dix minutes, m'informa-t-il en souriant largement, je sens qu'elles vont être longues, ajouta-t-il en fermant son visage.
Je roulai des yeux ; nous n'étions plus à dix minutes près ! Distraitement, je commençai à griffonner un dessin abstrait sur le bord de ma feuille de cours, laissant Antoine s'énerver encore un peu sur ses questions. Je devais admettre que le voir s'énerver était amusant.
Cinq minutes avant la fin, je finis par lui prêter ma feuille.
— C'était si simple ?! s'exclama-t-il, en voyant mes réponses
— Pas la peine chercher midi à quatorze heures ! rétorquai-je, avec un sourire narquois, en commençant à ranger mes affaires.
Je notai rapidement les devoirs sous le regard agacé mais aimable d'Antoine. Je fermai ma veste et l'attendis. Nous sortîmes les derniers de la salle, comme d'habitude et j'implorai Antoine de faire un détour par la « salle d'éloge ».
— Tu aimes vraiment cette salle, hein ? souffla-t-il, tandis que je le suppliais.
J'hochai la tête. Cette salle renfermait des photos de tous les anciens élèves de Sainte-Cécile, depuis le dix-neuvième siècle. Saint-Matthew possédait également une salle jumelle. Depuis que ces deux écoles avaient été créées, elles étaient jumelées. Des rumeurs disaient que c'était parce que les deux personnes à l'origine du projet étaient en couple. Selon ces dires, ils auraient voulu inventer un endroit où on apprendrait à exploiter ses capacités selon ses passions, mais l'ampleur du projet était telle qu'ils avaient dû faire deux écoles : une à Paris pour la musique et une à New-York pour les arts. Ce n'était que plus tard que les autres "disciplines" s'étaient développées, et que des écoles semblables s'étaient développées dans d'autres pays.
On racontait également que si les deux lycées portaient le nom de Sainte-Cécile et Saint-Matthew, c'était pour leur rendre hommage. Certains s'amusaient également à effrayer les secondes en leur racontant que Cécile avait été assassinée par Matthew ici, et que son fantôme rôdait encore dans le lycée. C'était du grand n'importe quoi : en réalité, les deux écoles étaient jumelées parce que chacun avait l'habitude de passer six mois chez l'autre, pour ne jamais se quitter, et depuis, la tradition avait perduré, à défaut que c'était deux fois trois mois, à présent.
La salle était d'apparence rustique et sentait le vieux meuble et un petit peu le renfermé. Le sol était couvert de moquette rouge vive, si bien qu'on avait l'impression de marcher dans un palace. Les fenêtres étaient recouvertes de vitraux, comme une église, mais laissaient tout de même filtrer des rayons lumineux. Leurs bords étaient en bois foncé lustré, qui craquait lorsqu'on appuyait ne serait-ce qu'un peu dessus. Le sol grinçait également lorsqu'on marchait dessus. Les murs étaient d'un blanc délavé.
Au milieu de la pièce, trônaient des vitrines dans lesquelles se trouvaient des dessins, partitions, poèmes d'élèves. On en trouvait également contre les murs. Le papier était jauni, et on avait l'impression qu'il se briserait si on le touchait.
« C'est pour ça que c'est sous verre » pensai-je.
Au bout de la salle, qui s'étendait tout en longueur, reposaient un vieux piano déréglé ainsi que des vieux instruments comme les luths, ancêtres des guitares actuelles. Des tableaux à l'aquarelle et à la gouache étaient également affichés, aux côtés de sculptures, de pièces de vêtement, de vieux chaussons de danse et de manuscrits. Chaque objet était annoté avec des explications. Comme dans un musée, la pièce était baignée dans le silence, et nous nous devions de respecter ces lieux.
Je respirai l'air vieillot qui s'en émanait. C'était tout de même mon deuxième endroit préféré de l'école, après la bibliothèque.
— Bon, tu as fini de contempler les murs de la pièce ? résonna la voix d'Antoine, me faisant sursauter, ça pue en plus ici !
— J'arrive, répondis-je, en bâillant un peu.
Sur le chemin menant à la cafétéria où nous devions retrouver Alice et les autres, je fus surprise d'entendre mon téléphone sonner. Le temps de le sortir de mon sac, il avait fini de sonner. J'avais un appel manqué de Caitlin. Je m'empressai de la rappeler, mais comme elle ne répondait pas, je jugeai bon de penser que ce n'était pas grave, et je n'insistai pas.
— J'en ai marre de devoir apprendre toute la vie de Bach, Chopin, Beethoven, Schubert et j'en passe ! râlait Alice
— Tu oublies Vivaldi, Saint-Saens, Liszt, Mozart, Tchaïkowski et pleins d'autres ! se moquait Emma, qui avait choisi la même option qu'Alice
Celle-ci roulait des yeux, exaspérée. Les bras autour du cou d'Antoine, sa tête appuyée sur son épaule, elle déplorait ses cours de culture musicale, qui, je cite, la « gonflait sérieusement ».
— On n'étudie même pas le rock, maugréait-elle.
Je la taquinais un peu tout en faisant mes devoirs de français pour le lendemain, pressée de m'en être débarrassée. Je n'aimais pas vraiment la séquence que nous faisions en ce moment, mais je faisais avec.
— J'ai déjà faim, fis-je, dès que j'eus terminé
— Mike, sors de ce corps ! Vade retro satanas ! s'exclama Alice
— Va-t-en Satan ?! répéta Antoine
— Excuse-moi, mes cours de latin me montent au cerveau, s'expliqua Alice
— Je suis à côté de toi en latin, rappelai-je distraitement, en vérifiant mon téléphone.
Aucun message. Étrange, d'habitude Luke m'en envoyait toujours un. Je le reposai sur la table et m'étirai, faisant craquer ma colonne vertébrale, chose que je détestais.
— J'espère qu'on mange un truc bon, grimaça Alice en jouant avec une de ses mèches roses
Nous acquiesçâmes : la nourriture était de moins en moins bonne, et c'était le seul bémol de l'école.
Mon téléphone sonna à nouveau. C'était Caitlin, et cette fois, je décrochai, sans me douter de ce qu'elle allait m'annoncer.
— Allô ? fis-je, en souriant, heureuse qu'elle m'appelât
Sa voix paniquée empreinte de sanglots débita un flot de paroles tellement rapides que je n'en saisis pas le moindre mot.
— Quoi ? Caitlin, calme-toi et explique-moi plus lentement ! m'écriai-je, inquiète
— Anna... Luke, répondit-elle avec difficulté
— Quoi Anna ? Quoi Luke ? Qu'est-ce qui se passe ? criai-je, agressivement
Elle renifla à l'autre bout de l'appareil. J'entendais sa respiration saccadée. Elle peinait à parler des sanglots la secouaient.
— Cait, calme-toi, prends ton temps et explique-moi, repris-je, plus lentement.
Autour de moi, Alice, Antoine et Emma tendaient l'oreille et me regardaient, soucieux.
— Ils l'ont retrouvée, Emmy, ils l'ont retrouvée, sanglota Caitlin
— Oh, c'est vrai, répondis-je en sentant mon visage s'illuminer, c'est génial ! Mais, dans ce cas, pourquoi tu...
— Son corps, Em, coupa Caitlin en pleurant, Luke n'a pas supporté, il...
— Quoi ? criai-je, d'une voix suraiguë, comment ça son corps ? Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Et Luke ? Où il est ?
J'entendis Caitlin respirer un grand coup pour finalement dire :
— Anna est morte. Son corps a été retrouvé. Brûlé, avec des marques de torture. Luke ...
Je sentis un couteau me déchirer la poitrine, et le sang couler.
— Oh mon dieu, Lucas, murmurai-je, les larmes aux yeux
— Il, il s'est évanoui, hoqueta Caitlin, je suis désolée, il n'a pas pu encaisser, c'est trop dur...
— Luke, soufflai-je, sentant une larme couler sur ma joue
— Emmy, il se passe quoi ? interrogea Alice, inquiète.
Je me contentai de la fixer d'un regard brisé, le visage inondé par les larmes avant de finir par laisser échapper les mots que m'avaient dits Caitlin. Les dire me fit prendre conscience de leur réalité et leur violence me heurta si fort que je serrai le coin de la table. Mes jointures étaient blanches comme la neige. Ça ne pouvait pas être vrai, non, pas encore, pourquoi lui ?
~
Hey ! Comment allez-vous ? Vous vous en sortez avec ce confinement ? Ce n'est pas trop dur de suivre les cours à distance et/ou d'être en télétravail ?
Ça y est, la bombe est lâchée, on sait ce qui est advenu d'Anna...
A votre avis, comment ça va se passer pour Luke, maintenant ?
Ce qui est sûr, c'est que les semaines suivantes ne vont pas être faciles pour lui...
Bref ! On se retrouve vendredi prochain pour en savoir plus !
A très vite et prenez soin de vous ! :) 🖤
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