➵ Chapitre 35 ~ Luke
Ils allaient la retrouver, Luke en était persuadé. Il retrouverait sa petite sœur, il l'enlacerait de nouveau. Tout serait comme avant. Sa vie reprendrait son cours normal. Des larmes de joie avaient coulé sur ses joues, et des sanglots de bonheur pur le secouaient. Jamais il n'aurait cru un jour pleurer de joie pour sa sœur.
Les larmes avaient laissé de longues traînées salées sur ses joues et des traces grisées, comme si elles avaient creusé sa peau. Mais, il souriait, il souriait. Un grand sourire, bien large, bien vrai, étirait ses lèvres rosées et marquait ses fossettes.
Incapable de trouver le sommeil, il restait là à embrasser du regard la nuit qui régnait dans la chambre, souriant de manière imperturbable et rêvant les yeux grands ouverts. Il imaginait tout dans les moindres détails : des retrouvailles débordantes de larmes, de sentiments inexprimables ; à la rencontre entre Anna et Em en passant par tout le reste.
Sa vie n'en serait que meilleure. Il aurait enfin une base solide sur laquelle s'appuyer, et pourrait tout redémarrer. Fini les peurs inexpliquées, les paniques incontrôlables, les cauchemars incessants, les images furtives, vestiges d'un passé révolu qui allait refaire surface. Fini les insomnies terribles où il restait allongé sur son lit, les yeux grand ouverts, en sueur, terrifié à la seule idée de fermer les yeux.
Tout d'abord, lorsqu'il verra Anna, il sera étonné de la voir aussi changée. Elle aura les cheveux plus longs, plus blonds, les yeux plus clairs, plus brillants, le visage affiné. Elle aura grandi et sera plus belle, elle sera au bord de l'adolescence. Tous deux se fixeront d'abord avec étonnement, puis se sauteront dessus pour s'enlacer et se retrouver. Ils rentreront alors à la maison où ils s'enfermeront dans la chambre de Luke. Ils discuteront, discuteront, et discuteront, rattrapant le temps perdu. Ils pleureront tous, émus par ces années de séparation.
Ensuite, ils dégusteront le plat préféré d'Anna, à savoir des pâtes au pesto. Le repas durera longtemps car on racontera tout. Le temps semblera s'être arrêté. On se sourira les uns aux autres, s'observant silencieusement autour de la table. En cet instant, aucun mot ne sera prononcé, on profitera simplement de la présence des autres, du bonheur d'être une famille réunie. On se tiendra les mains.
Puis, on s'installera sur le canapé devant un bon film, on se blottira dans d'épaisses couvertures et on passera le meilleur moment de toute sa vie. On versera sans doute quelques larmes aux moments les plus tristes, mais on se reprendra en se rappelant que tout est bien maintenant.
Finalement, Luke et Anna se coucheront dans la chambre de celui-ci et passeront la première moitié de la nuit à chuchoter tout ce qui leur passera par la tête. Les souvenirs referont surface avec plus de douceur, on parlera de l'avenir heureux qui les attendait, et Luke parlerait d'Em. Anna sera couchée en face de lui, à l'observer et à l'écouter attentivement parler d'elle. Anna lui posera des questions. Luke lui répondra. Ça ne faisait aucun doute. Et, aux alentours de cinq heures du matin, leurs corps tomberont de fatigue, leurs paupières se fermeront, et leurs esprits sombrerons dans un sommeil réparateur bien mérité.
Ce moment approchait à grands pas. Jamais l'espoir de retrouver sa sœur n'avait autant brûlé en Luke. Sa flamme le consumait en éradiquant toute forme de souffrance et de douleur.
Luke se munit de son carnet et d'un stylo. Il se hâta de faire glisser sa plume sur le papier lisse et de se laisser bercer par le doux son que cela rendait.
Chère Anna,
Tu vas revenir. Tu vas revenir !
Mes plaintes et mes prières incessantes ne sont pas restées vaines.
Merci ! J'ignore qui ou quoi t'as remise sur mon chemin, mais, dans tous les cas, je ne le remercierai jamais assez. Je suis déjà bien abîmé, alors peut-être que quelqu'un là-haut à voulu rééquilibrer la balance... Je ne sais pas.
Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux. La vie me sourit enfin !
Aucun mot ne serait assez puissant pour exprimer ce que je ressens.
Nous allons enfin nous revoir. Trois ans. Trois années, trois longues années que je t'attends, Anna, et enfin, par je ne sais pas quel signe du destin, te revoilà ! Ces trois années ont été les pires qu'il m'a été donné de vivre, et pour rien au monde je ne veux m'en souvenir. Elles sont bien trop blessantes et tueraient plus d'une âme.
Ô bien-sûr, ces années n'ont pas été vides ! Il y a des choses bien qui s'y sont produites, notamment l'année dernière, mais quand tu liras ces lignes, tu sauras déjà tout !
J'ai conscience que tu ne seras plus la même. Tu ne seras plus la petite fille de dix ans que j'aie laissée, mais une belle jeune fille de treize ans.
Nos parents seront à nouveau heureux. Notre famille ne sera plus déchirée. Nous n'aurons plus à faire semblant.
Peut-être que je retrouverai une meilleure relation avec eux. Elle est totalement tombée en miettes après ta disparition. C'est triste à dire, mais j'ai parfois l'impression de les connaître aussi bien que des étrangers, alors que ce sont mes parents, les personnes censées me connaître le mieux.
Tu sais, nous aurons des tas de choses à faire ! Des tas de discussions à rattraper ! J'ai déjà hâte. Et je me languis de t'entendre à nouveau et de te voir à nouveau.
J'ai fait exprès d'utiliser le verbe « se languir », je sais que tu en as horreur...
Mis bout à bout, je crois que toutes mes lettres feraient plusieurs cahiers. Tu auras de la lecture ! Mais qu'importe, tu seras là. Toi, juste toi, et avec toi, la tranquillité reviendra.
A ce moment, des gouttes salées heurtèrent le papier lisse et le mouillèrent légèrement. Les gouttes s'élargirent et formèrent des cercles gondolés. Heureusement, aucune d'entre elles n'avait atteint l'encre de la feuille. Luke essuya ses yeux et reprit l'écriture d'une de ses dernières lettres.
Je m'imagine déjà à tes côtés. Je te vois déjà sourire et j'entends déjà ton rire cristallin. Je t'entends aussi déjà râler car je serai bien plus grand que toi, et que tu resteras la plus petite.
Je ne sais pas comment j'ai pu tenir le coup pendant tout ce temps. Je crois que mes livres et surtout la musique n'y sont pas pour rien. La musique, essentiellement, et bien-sûr ma chère guitare. Le nombre de chansons que j'ai écrites et composées en secret ! Plusieurs cahiers en sont remplis. Les notes et les portées s'enchaînent, suivies par les mots. J'aime prendre mon temps pour dessiner chacune de mes notes, leurs formes arrondies. J'aime y transmettre mes émotions. « A chaque fois que je joue, c'est un morceau de mon coeur que je décroche. » J'ai lu ça quelque part. Qu'en penses-tu ? Je crois que Em adorerait cette citation aussi. Je la lui dirai dès que je pourrai.
Je pense que je vais m'arrêter là. La musique qui se joue dans mes oreilles m'enivre trop et le sommeil me tire à lui. J'ai envie de me laisser tomber dans ses bras, et ça, ça fait longtemps que cela n'a pas été le cas. Mes yeux me piquent, mes paupières sont lourdes. J'ai presque oublié ce que ça fait d'avoir envie de dormir.
Nous serons très vite ensemble, Anna. Je n'arrête pas de répéter ton nom, comme une litanie. Le manque de sommeil me rend dingue, je crois.
Luke.
Émotionnellement vidé, tant il avait pleuré et s'était épanché le coeur, il referma son cahier et le déposa à côté de son lit. Il éteignit sa lampe de poche et savoura le moment où il se coucha pour de bon, fatigué.
Comme tout le monde le faisait, Luke s'imagina des tas de scénarios avant de s'endormir. Mais cette-fois, ses scénarios auraient bel et bien lieu. Ils ne resteraient pas à l'état d'ébauches dans son esprit.
Il emmenait sa sœur en France et lui montrait Paris, Lyon aux côtés d'Em. Toutes les personnes auxquelles il tenait étaient présentes. Tout était parfait. Pas de tâches au tableau, pas de fausses notes.
🎶🎶🎶
Luke était au paradis. Pour la première fois depuis longtemps, la vie lui souriait et le prenait dans ses bras. Il vivait dans un était de béatitude intense, et pour la première fois depuis des années, Mike et Caitlin revoyaient le Luke qu'ils avaient connu pendant leur enfance, à savoir un garçon joyeux, joueur, moqueur et débordant de joie.
L'animosité du jeune homme s'était répandue à la manière d'un virus dans la classe. Tout le monde souriait, riait ensemble, traînait ensemble. Les « clans » s'étaient disloqués, et Luke riait même parfois avec Josh, qui, au final, n'était pas si insupportable.
— La valeur absolue de ... commença Luke, en plein cours de mathématiques
— Tais-toi ! J'essaie de comprendre ! le coupa Mike
— Moi aussi ! s'exclama Josh, devant Luke, en se retournant vers Mike
— Mais c'est simple ! riposta Luke en observant Josh
— T'ai-je adressé la parole ? rétorqua Josh, mimant un air suffisant
— Oui, à l'instant ! s'esclaffa Luke
— Josh, réponds à la question, intervint le professeur sérieux
Ce dernier se retourna en faisant onduler ses cheveux châtain clair et buta un instant sur la question mais finit par trouver.
🎶🎶🎶
— Tu aurais pu m'aider, grogna Mike, en sortant, tu as bien aidé Josh !
— Non, tu es trop mignon quand tu as du mal ! le railla Luke, un sourire moqueur éclairant son visage
— Tu es exécrable, tu le sais, ça hein ? râla Mike en soupirant
— Seulement exécrable ? s'étonna Luke, je fais des efforts et je n'ai droit qu'au qualificatif « exécrable » !? s'écria-t-il en écartant les bras tel Hamlet dans toute sa splendeur, j'aurais plutôt employé les mots « excellent » et « horripilant » !
Mike leva les yeux au ciel, feignant d'être agacé, soufflant un « tu m'énerves » tout droit sorti du coeur. Néanmoins, Mike était heureux de voir son ami réellement heureux. Il ne faisait plus semblant. Em lui manquait, mais il n'était plus aussi sombre et pessimiste qu'avant.
Luke sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Sa mère lui avait envoyé un message lui disant qu'un nouvel indice avait été retrouvé : un anneau doré calciné qu'Anna portait aux oreilles le jour de sa disparition. Cela faisait pile poil un mois que Luke était allé au commissariat, et qu'il avait appris qu'ils avaient déniché un morceau de tissu appartenant à Anna. S'il n'y était pas passé dans la journée, l'inspecteur aurait bien-sûr téléphoné à ses parents.
Luke sauta de joie au beau milieu du couloir, ce qui lui valut un regard interloqué de la part de Mike. Il s'empressa de tout lui dire.
— Un nouvel indice ! Génial ! s'extasia Mike, ses yeux émeraude brillant de bonheur.
— On doit vite trouver Caitlin ! s'exclamèrent-ils, d'une même voix, parfaitement synchrones.
Le sourire de Luke redoublait tant il prenait conscience de ce qui arrivait. La vie ne lui souriait pas, elle s'offrait à lui !
S'ajoutait à tout ça le fait qu'il n'était absolument pas épuisé. Ses yeux n'étaient plus ni rouges ni cernés. Le manque de sommeil ne creusait plus ses traits. Il avait repris des couleurs et était moins pâle. Des étincelles brillaient à nouveau dans ses yeux. Il sortait du piège qu'il avait cru inextricable. Il n'avait plus peur de la nuit, ni des cauchemars : c'étaient des rêves qu'il faisait à présent.
— Oh Luke, je suis tellement contente pour toi ! s'exclama Caitlin en lui sautant au cou quand ils lui eurent annoncé la nouvelle.
Luke la serra contre lui, au bord des larmes tant il était heureux. Il souriait.
— Tout ira bien, Luke, maintenant, lui murmura Caitlin
— Tu ne seras plus brisé, ajouta doucement Mike
— Tout ira bien, répéta Luke, ses cheveux clairs lui tombant devant les yeux.
Et c'était vrai. Pourquoi cela n'irait-il pas ?
~
Hello ! Comment allez-vous, aujourd'hui ?
Merci d'avoir lu ce chapitre ! La vie semble enfin sourire à Luke, c'est plutôt bon signe, non ? N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez :) En tout cas, on aura plus de réponses au prochain chapitre !
Prenez soin de vous ! <3
On se retrouve vendredi prochain pour le chapitre 36 ! :)
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