➵ Chapitre 32 ~ Luke

   Il marchait. Il marchait simplement dans la brume, sur le sol gelé. Un froid glacial régnait autour de lui. Il ne voyait rien, mais Luke ne s'en inquiétait pas. C'était normal, en hiver. Les rues de New-York étaient plongées dans un espèce de gris opaque, en plus de la brume qui tombait. Seul avec ses pensées, ses pieds martelaient le sol d'eux-mêmes.

Il pensait. Des images lui revenaient en tête. Des souvenirs du passés, du présent et même du futur. Il voyait sa vie telle qu'il rêvait de la voir. À partir d'un éclat de souvenir, il créait pièce par pièce la vie parfaite qu'il aurait dû vivre. Mais, on la lui avait arrachée. Et du paradis, du bonheur, il était passé à l'enfer, aux flammes. Ça n'arrive qu'aux autres. C'était toujours qu'il avait pensé, jusqu'à ce que le destin lui prouve qu'il avait tort. Maintenant, il était décidé à vivre une vie normale. Il ne voulait pas oublier, non, il en était incapable, mais au moins avancer.

Tout est dans la tête.

  C'était comme ça qu'il s'efforçait de raisonner, maintenant. Il cherchait du positif partout. Mais, ce qui l'aidait le plus, c'était d'avoir Em. Il serait beaucoup plus malheureux sans elle, et il le savait.

  Au début, jamais il n'aurait pensé qu'elle eût pu s'intéresser à lui, surtout qu'elle était avec Thomas, quand il l'avait rencontrée. Il n'avait pas cherché plus loin, contrairement à Mike. Et puis finalement, il s'était attaché à elle rapidement. Il se souvenait qu'au début, il n'arrivait pas à démêler ses sentiments, il n'arrivait pas à mettre le doigt sur ce qu'il ressentait pour elle. Puis, tout s'était profilé.

  Certains pensaient qu'il fallait guérir le mal par le mal. Luke n'était pas de cet avis : un peu de douceur et d'amour dans sa vie lui permettait, au contraire, de remonter la pente. Tout irait bien maintenant. Il en avait assez d'être perpétuellement triste et sombre, et n'être heureux qu'occasionnellement. Maintenant, c'était décidé, il arrêtait d'y penser.

Alors, il évitait de se regarder dans le miroir, car à chaque fois, il ne voyait pas son reflet à lui mais le sien. Il restait concentré et contrôlait ses pensées. Il ne voyait pas d'autres solutions pour le moment. Mais, bien souvent, la nuit, tout repartait. Le jour, c'est facile de se contrôler : tout est blanc, clair. Le soleil est levé. La nuit, tout est noir, sombre, opaque, on ne voit rien. Il en est de même pour l'esprit. Alors, tel un navire échoué, il dérive, affrontant orages, tempêtes, éclairs, tornades et flots tumultueux. Toute sa noirceur la plus secrète ressort et luit sous l'obscurité.

Chaque soir, c'était la même chose. Luke se battait contre lui-même pour pouvoir dormir. La seule fois où il avait tout de suite trouvé la paix, c'était avec Em. Elle était comme le beau temps après un orage dévastateur. Ou l'odeur avant la pluie, car malgré tout il avait plu dans son coeur cette nuit-là. Mais pas une pluie violente, non, mais une pluie fine, douce comme la soie, qui l'avait chaleureusement enveloppé. Cela changeait du tonnerre.

Luke s'arrêta et détailla tout ce qui se trouvait autour de lui. L'aurore aux doigts de fée arrivait à peine. Luke leva la tête et observa le ciel voilé. Il était d'un gris très foncé, recouvert de nuages encore plus ténébreux. Voilà qui ne présageait rien de bon. Autour de lui, la brume déjà épaisse s'était faite plus dense. Malgré lui, Luke frissonna. C'était sombre. Il commença à sillonner la rue. Mais, il ne savait plus où il allait. Il était perdu.

Il pila net et réfléchit. Le brouillard ressemblait maintenant à un manteau épais. C'était compact. Il soupira. Le temps lui-même se jouait de lui. Il avait l'impression que s'il tendait la main vers cette brume, il ne rencontrerait pas un amas vaporeux mais bel et bien quelque chose de solide. On l'emmurait. Il était prisonnier et ne pouvait s'échapper. Tout l'espace autour de lui était restreint. Il observa partout, mais tout était blanc laiteux. Le mince écart entre lui et sa prison d'apparence transparente lui hérissa les poils.

Luke se recroquevilla presque sur lui-même, serrant ses bras l'un contre l'autre, tentant d'étouffer les battements frénétiques de son coeur. Crispé, tendu, les muscles serrés, il était maintenant au milieu d'un tourbillon trouble et regardait avec horreur le brouillard tourner autour de lui, créant une cage mouvante. Il sentit immédiatement une profonde douleur envahir son coeur mêlée à une peur panique, comme si on lui plantait un violent coup de couteau dans le torse. Il regarda ses mains et s'aperçut qu'elles tremblaient violemment, et, horreur ! Elles blanchissaient ! Il resta bloqué face à cette vue, puis, d'un coup sans prévenir, une vague de terreur l'assaillit. Il remarqua alors que ses pieds étaient fichés dans le sol, dans le brouillard. Glacé d'effroi, il voulut sortir de là, mais il était empêtré, il ne pouvait bouger. Sa respiration s'accéléra sans prévenir. Ça lui rappela alors qu'il était toujours en vie. Son instinct lui criait de fuir. Mais ses pieds demeuraient collés sur le sol, comme s'il avait été recouvert de super-glue. Il voulait plus que tout sortir, mais il ne pouvait pas. Un sanglot lui coupa la respiration, et encore plus paniqué, il n'arriva pas à reprendre sa respiration. Une douleur terrible lui striait les poumons et le coeur. Il s'étouffait.

Soudain, sans prévenir, le souffle lui revint. Il respira jusqu'à s'en briser les côtes, et terrorisé, il regardait, priant pour qu'une solution s'offre à lui. Le souffle saccadé, il se redressa, les yeux brillants. Un changement s'opéra en lui. Il allait mourir ici, mais cela ne l'effraya pas. Au contraire, cela le rassurait ; cela mettrait fin à son supplice. Un calme olympien l'envahit, et immédiatement, il reprit le contrôle de son corps, de ses jambes.

La panique l'étreignit de nouveau en voyant le manteau épais se resserrer autour de lui, comme pour l'étouffer. Il détala. Il traversa cette couche comme si c'était du vide et arriva essoufflé au beau milieu de Central Park. Curieux, il ne se souvenait pas avoir pris cette direction.

La brume enveloppait paisiblement le parc, et Luke voyait flou. Il entendit son nom prononcé plusieurs fois, en complet puis son surnom, encore et encore.

— Lucas, Lucas, Luke, Luke, chuchotait une voix suppliante qui lui était méconnaissable.

Luke scrutait les environs, à peine remis de ce qui venait de lui arriver. Qui cela pouvait bien être ? Cette voix... Elle ne lui rappelait rien...

— Lucas, Luke,...

Elle continuait, inlassable. Mais qui était-ce ? Il fronça les sourcils et plissa les yeux, distinguant les contours d'une forme humaine allongée au sol. Le brouillard l'empêchait d'y voir plus clair. Il était sûr que ce qu'il voyait était en train d'agoniser. Dans un élan de courage, il décida de s'approcher. Il marcha lentement, d'un pas mal assuré, vers la chose humaine.

Le monstrueux brouillard se dissipa brusquement, dévoilant le corps encore animé d'une fille recouverte de sang noir, aux cheveux blonds poissés de sang. Luke écarquilla les yeux d'horreur et courut jusqu'au corps de sa sœur.

— Anna ! cria-t-il, les larmes aux yeux

Il croisa son regard aussi bleu que le sien et se jeta à côté d'elle, tremblant.

— Que t'est-il arrivé ? hoqueta-t-il en voyant son visage mortifié.

  Elle saignait de partout, et Luke peinait à reconnaître le visage angélique de sa sœur. Des mèches de cheveux lui avaient été arrachées. Ses vêtements étaient déchirés, difformes, devenus transparents par endroit. Elle était gravement blessée, et son sang était maintenant sur les mains de Luke. Elle gémissait faiblement et semblait sombrer dans la folie. Luke avait pris sa tête et l'avait posée sur ses genoux. Il lui caressait les tempes, tentant lui-même de ne pas s'étouffer. Des sons incompréhensibles sortaient de la bouche de la jeune fille. Ses yeux roulaient dans leurs orbites. Un sanglot franchit les lèvres de Luke.

— Oh, Anna, s'il te plaît, ne pars pas, murmura-t-il, d'une voix rauque.

Son corps se convulsait à présent. Ses yeux étaient clos. Un râle sortait de sa bouche.

— Anna...

Elle ouvrit la bouche pour articuler quelque chose, mais un flot de sang âcre s'écoula à la place, l'étouffant presque. Luke la souleva délicatement et elle toussa, crachant du sang.

— Ça...ça va aller, balbutia Luke en passant sa main sur le visage de sa petite sœur.

Soudain, ses yeux s'ouvrirent en grand, et ses pupilles dilatées revinrent à la normale. Un éclat de lucidité dans la folie.

— Luke, chuchota-t-elle dans un râle, pourquoi m'as-tu abandonnée ?

À ces mots, la vie quitta son corps.

Luke cria de toutes ses forces et éclata en sanglots.

— Anna !

  Le désespoir criait dans sa voix. Il la serra contre lui, si fort qu'il lui brisa presque les os. Une main dans ses cheveux poisseux, l'autre dans son dos ; il criait et pleurait très fort. Elle eut un dernier soubresaut, et Luke sentit un changement de texture s'opérer dans les cheveux d'Anna. Il ouvrit les yeux et découvrit de longs cheveux bruns bouclés, et le visage inanimé d'Em.

— Em ! hurla-t-il, de toutes ses forces.

Il sanglota sur son corps, laissant tomber des larmes qui s'échouèrent sur le visage de la jeune fille.

— Non ! hurla-t-il à nouveau, en prenant conscience de qui il tenait dans ses bras, non ! Em ! Non ! hurla-t-il, au summum de son désespoir.

Une lumière l'éblouit soudainement.

— Lucas ! Bordel, mais qu'est-ce qui ne va pas chez toi pour hurler comme ça à deux heures du matin ? fit la voix furieuse de Mike, je dors, moi ! Hein ?!

  Luke était assis dans son lit, hagard et détaillait un point fixe de la chambre, l'air terrorisé. Il était toujours dans son rêve, en train de tenir le cadavre de sa petite-amie. Il la secouait mais elle ne bougeait pas. Non, non, cela ne pouvait pas être vrai, cela ne pouvait pas être elle, elle allait ouvrir ses yeux dans moins de deux minutes. Pourquoi ne bougeait-elle pas ?

  Mike voyait son meilleur ami s'agripper aux draps au point que ses jointures avaient blanchi. Il avait beau claquer des doigts devant les yeux de Luke, celui-ci ne réagissait pas. Son regarde était fixe, vide. Mike tenta de l'appeler, mais pareil, il ne réagit pas. Il était là mais pas présent. La panique saisit le coeur de Mike : que devait-il faire ? Luke était psychologiquement absent. Que pouvait-il voir pour avoir l'air aussi terrorisé ? Ses yeux s'agrandirent d'horreur et ses pupilles se dilatèrent.

  Sans réfléchir, il se rua dans la salle de bain, remplit deux verres d'eau et s'empressa de revenir. Il jeta l'eau sur Luke, sans savoir si c'était déconseillé ou pas. Luke poussa un cri de surprise et parut revenir à la réalité, arraché à sa réalité.

— Mais pourquoi t'as fait ça ? hurla-t-il, crispé, où est Em ? Qu'est-ce que je fais là ? Où suis-je ? Michael !

Désorienté, Luke s'agrippait au rebord de son lit, jetant des regards paniqués à travers la pièce. Sa respiration se fit plus rapide, et Luke éprouvait de la difficulté à respirer. Il voyait de la peur partout. Ses membres tremblaient et se convulsaient presque. Il revoyait tout ce qu'il venait de voir en rêve, face à un Mike tout à fait démuni. Luke fixa Mike sans le reconnaître. Dans ses yeux bleus, Mike aperçut le néant.

— Lucas, tout va bien, tu es à New-York, à Saint-Matthew, dans ta chambre que tu partages avec ton meilleur ami de toujours. C'est moi, Michael, dit maladroitement ce dernier, en s'approchant de Luke, qui était incapable d'articuler quoi que ce soit.

  Sa bouche s'ouvrit et se tordit. Ses lèvres tremblaient toutes seules et aucun son n'en sortait. C'était comme si il avait perdu toute faculté à parler. Ses yeux étaient à présent vides, dénués de toute étincelle de vie. Tout le bonheur l'avait quitté, pour laisser place à une peur terrible qui le rongeait.

— Luke ? Tu me vois ? l'interpela Mike, hésitant, en s'approchant de lui.

  Mike vit les pupilles de Luke revenir à la normale, mais il gardait ses iris fixés sur le mur blanc, où des photos s'enchevêtraient. Il tremblait moins, et Mike ne savait pas comment il s'était calmé.

« Il a dû réussir à reprendre le contrôle sur lui-même » songea Mike, en le regardant de ses yeux inquiets.

— Ne me refais jamais ça, souffla Mike, soulagé en croisant le regard azur de Luke.

— J'ai vu Anna, commença Luke, d'une voix dure et rauque

— C'était...

— Et Em, coupa-t-il, d'une voix brisée

— C'était un cauchemar. Un cauchemar qui paraissait réel, mais qui n'était que le fruit de ton imagination. N'y pense plus, conclut Mike, en se levant pour serrer son ami dans ses bras.

  Chose qu'il n'avait pas faite depuis longtemps. Luke lui avait fait une grosse frayeur qu'il n'oublierait pas de sitôt !

— Ça me fait bizarre que tu me fasses un câlin, ce n'est pas arrivé depuis longtemps, commenta Luke, Em est la seule qui m'en fasse.

— Tu veux que je la remplace ? rétorqua Mike

— Si tu m'embrasses, je le prendrai pour une tentative d'abus sur mineur, répondit Luke, du tac au tac

— C'est bon Lukey, je blague, ... ou pas, fit malicieusement Mike, en tirant le bout des cheveux de Luke

— Ne me touche pas avec tes sales mains pleines de doigts ! s'exclama Luke, horrifié, en se reculant sous le rire de Mike.

~

Hey ! Comment allez-vous ? J'espère que tout va bien pour vous, en cette période de confinement... Prenez bien soin de vous et de vos proches !

Sinon, qu'avez-vous pensé de ce chapitre, du rêve qu'a fait Luke ? Je me suis éclatée à l'écrire haha, n'hésitez pas à me donner votre avis !

Je vous souhaite un bon week-end et une bonne semaine ! A très vite ! ❤️

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