➵ Chapitre 29

Après avoir chargé nos affaires dans les deux voitures, nous nous séparâmes en deux groupes : moi, Luke, maman et Alésia d'un côté, et Simon, papa et William de l'autre. Je m'installai à l'arrière avec Luke, qui me souriait joyeusement, et fermai les yeux, croyant être au beau milieu d'un rêve.

Ces dernières semaines n'avaient pas été faciles. Entre la quantité astronomique de devoirs que nous avions reçue, les résultats différents de ce à quoi je m'attendais et la fatigue accumulée, je n'avais pas eu le temps d'appeler Luke ou de lui parler. Le voir en personne me réchauffait le coeur et me rassurait, car malgré la présence quotidienne d'Alice, je me sentais terriblement seule. Pas abandonnée, non, mais bel et bien seule, et la solitude était ce que je craignais le plus. Car une fois seule avec vous-même, irrémédiablement vos peurs les plus secrètes vous terrassent et vous assaillent, vos démons les plus sournois se présentent à vous sous la forme de souvenirs oubliés, de regrets que vous pensiez cachés. Généralement, c'est la nuit que cela arrive. Tout simplement parce que la nuit c'est noir, vous êtes seuls, et il n'y a pas une seule étoile à laquelle on peut se raccrocher.

— Tu dors ? me glissa Luke, à l'oreille

— Non, je vérifie simplement que les anges ne me jouent pas de tours, que je ne rêve pas, dis-je en ouvrant les yeux, tournant mon visage vers le sien qui était déjà à quelques centimètres du mien.

— Eh bien je suis là, en chair et en os, touche-moi si tu ne me crois pas, commenta-t-il, une lueur espiègle dans les yeux

— Lucas ! le réprimai-je, en ébouriffant ses cheveux blonds

— Quoi ? Si on ne peut même plus plaisanter ! s'exclama-t-il en levant les bras au ciel, évitant de justesse de se cogner contre le plafond de la voiture.

Il se remit à sa place, souriant imperceptiblement comme je le faisais. La voiture démarra et je profitai de la vue qui s'offrait à mes yeux : New-York sous la neige. Les routes, les sols, les trottoirs, les gratte-ciel étaient recouverts de poudre blanche d'apparence épaisse. Les enfants s'extasiaient devant la neige et organisaient des batailles de boules de neige dans un parc avoisinant. D'autres encore construisaient des bonhommes de neige. Les façades de certains magasins étaient ornées de décorations de Noël. Des lumières clignotaient, des boules scintillaient, des sapins s'appuyaient contre les murs. Sous la neige abondante, je peinais à reconnaître les lieux. J'en profitai pour envoyer un message à Alice, qui n'avait pas pu venir aux Etats-Unis cette fois-ci.

« Bien arrivée, ici tout est blanc ! Dommage que tu n'aies pas pu venir »

Elle me répondit dans la seconde :

« Quoi ?! Vous n'avez pas croisé de dragueur des toilettes ? »

« Oh, ça veut dire que je ne vais pas pouvoir te demander de faire un bonhomme de neige... »

Comprenant l'allusion, je lui répondis aussitôt :

« La Reine Des Neiges est le meilleur Disney ! »

« Certainement pas ma cocotte ! Le Roi Lion reste sur le trône aux côtés de Bambi ! » m'avait-elle répondu, quelques minutes plus tard.

Je souris bêtement devant l'écran de mon téléphone, et quelques secondes plus tard, je reçus un dernier message de sa part, me disant de passer de bonnes vacances et de profiter.

« Et ne fais pas de bêtises avec Luke ! Je l'ai déjà briefé de toute façon » déclara-t-elle dans un second message

« Oui, maman » lui envoyai-je, amusée.

Je relevai la tête et croisai le regard bleu océan de Luke, qui m'observait en se mordillant la lèvre inférieure. Je rougis face à son regard intense et baissai les yeux vers mes chaussures, dont les semelles étaient recouvertes de neige fondue. La voiture se gara et je m'aperçus que nous étions arrivés à Brooklyn, dans la rue où habitaient Luke et Mike.

— Vous avez une jolie maison, commenta doucement ma mère, en fixant la façade bleue

— Merci, répondit aussitôt Alésia, en sortant les clés de la maison de son sac à main.

Elle avait des traits doux, semblables à ceux de Luke, et des yeux aussi clair que le ciel, comme Luke.

J'aidai Luke à sortir nos affaires du coffre de la voiture, mais celui-ci m'interdisait de soulever une seule valise, me jugeant « bien trop fluette » pour reprendre ses dires.

— Mike est absent tout le week-end, m'annonça Luke en sortant la dernière valise du coffre, et Caitlin est chez Gaël, alors tu ne pourras les voir que lundi, m'informa-t-il

J'hochai la tête en esquissant un sourire et ajoutai :
— On va avoir le week-end rien que pour nous !

— Ça me plaît bien, répondit Luke, en me lançant un regard envoûtant accompagné de son éternel sourire au coin.

Je m'esclaffai et rentrai derrière lui dans la maison, qui n'avait pas changé depuis que je l'avais vue, il y a quatre ou cinq mois. La porte s'ouvrait sur un long couloir avec à sa gauche un escalier menant au deuxième étage. Au bout du couloir, se dessinait la cuisine « à l'américaine ». Le long du couloir, il y avait quelques pièces dont la salle de bains et la chambre des parents de Luke, ainsi qu'un escalier menant à la cave, qui avait été aménagée en salon-télévision. Nous montâmes tous à l'étage, où se trouvaient deux chambres : celle de Luke et celle d'Anna.

Alésia se tourna vers nous, l'air un peu embêtée.

— Je suis désolée, on a que deux chambres ; les trois grands vont devoir dormir ensemble, si ça vous-...

— Ça sera parfait, coupa ma mère, en souriant

Alésia lui rendit son sourire, et je m'empressai de suivre Luke dans sa chambre, mon sac à dos sur mes épaules. La pièce n'avait pas changé : les murs étaient peints en blanc et gris, et des photos ainsi que des posters de groupes de rock les recouvraient. Je souris en observant les lieux. Une grande fenêtre avec vue sur la rue enneigée éclairait la pièce.  À côté d'elle, le bureau en bois clair reposait contre les murs et son lit était juste en face. Il y avait également une grande armoire, une commode et une bibliothèque. Un lit deux places avait été ajouté non loin du sien.

  Simon bailla bruyamment et posa sa valise ainsi que son sac à dos sur le parquet et se munit de son téléphone.

— Je vous laisse, dit-il, en baillant à nouveau, je vais appeler Aurélie.

Nous hochâmes la tête et Simon quitta la pièce.

— Il lui a enfin avoué ses sentiments ? questionna Luke, en scrutant la porte que Simon venait de refermer

— Non, réfutai-je, il attend le bon moment.

— Tu l'as déjà rencontrée ?

— Non.

  Un silence s'ensuivit et je m'assis sur le double lit. Luke s'assit juste en face de moi et joignit ses mains ensemble, pensif.

— Au fait, commença-t-il, on a trouvé trois cafés qui acceptent qu'on joue et chante, on va donc faire trois concerts, un avant Noël et deux entre Noël et Nouvel An, m'expliqua-t-il

Mon visage s'éclaira d'un sourire :
— C'est génial ! Je ne peux pas attendre aussi longtemps ! m'exclamai-je

Il éclata de rire :
— J'étais sûr que tu réagirais comme ça !

Il m'observa, riant à moitié, et pencha la tête de côté :
— Tu es trop fatiguée ou tu te sens d'attaque à visiter New-York sous la neige ?

— Tu plaisantes ! m'exclamai-je en me levant, laisse-moi mettre mon écharpe et on y va !

À son tour, il se leva en souriant et m'embrassa sur le front.

— Je t'attends à côté, conclut-il, en quittant la pièce.

N'attendant pas une minute de plus, j'attrapai mon épaisse écharpe noire et bleu marine en laine et l'enfilai, n'oubliant pas de ressortir mes longs cheveux bruns. Je pris ensuite ma veste et sortis de la chambre en la mettant. Sans aucune surprise, je retrouvai Luke dans la chambre voisine, soit l'ancienne chambre d'Anna, aujourd'hui transformée en chambre d'amis. Je ne fis aucun bruit en rentrant dans la pièce et observai les lieux. Un grand lit occupait une grande partie de l'espace ainsi qu'une grande armoire et une commode en bois clair. Un bureau du même bois était au fond de la pièce. Les murs étaient peints en bleu pâle et en blanc. Certaines partie étaient également tapissées avec un papier peint blanc aux motifs géométriques argentés et du même bleu pâle.

— Ça a tellement changé, soupira Luke, dos à moi

Je m'approchai de lui et le regardai. Il semblait perdu dans ses souvenirs. Je lui pris la main.

— C'est peut-être mieux comme ça... dis-je, bien que je n'en étais pas trop sûre

— Sans doute, déclara-t-il, amèrement, c'est de la faute de la psychologue.

— Pourquoi ? questionnai-je, en fronçant les sourcils

— Bah, elle nous a conseillé de tourner la page, de passer à autre chose. C'était surtout à cause de moi. Si mes parents étaient désespérés —ils ont fait une dépression chacun—, je l'étais tout autant si ce n'est plus. Je ne dormais plus et je n'arrivais plus à avaler quoi que ce soit, alors elle a dit qu'on devrait effacer toute trace de son existence. Enfin, elle ne l'a pas dit comme ça, se corrigea-t-il, elle a suggéré qu'on réaménage sa chambre. Je n'étais pas d'accord ; je trouvais que c'était injuste, qu'elle ne méritait pas ça. Pour moi, on devait attendre qu'elle revienne. Mais, elle n'est jamais revenue, alors mes parents ont fait ce qu'elle a dit. Je leur en ai longtemps voulu d'avoir fait ça. Mais j'ai fini par comprendre qu'ils avaient fait ça pour moi, pour que j'ai plus de facilité à avancer, et que ça avait été tout aussi dur pour eux. Au final, je ne sais pas si on est passé à autre chose, débita-t-il stoïquement, d'une traite.

— Ne perdons pas de temps, reprit-il, quelques secondes plus tard, avant de me tirer hors de la pièce, me laissant sans voix.

En réfléchissant, mes parents avaient fait comme les siens : suite au décès — je n'arrivais pas à dire mort, mort, c'est trop heurtant, dur, agressif, alors que décès est plus doux à l'oreille — de Claire, ils m'avaient fait couper les ponts avec tout le monde au collège. Ça n'avait pas été difficile : je n'avais pas d'amis. Au début, j'avais eu du mal, puis j'avais fini par ne plus y penser. J'avais laissé Claire partir. Mais comment faire son deuil quand on ne sait pas si ladite personne est morte ou vivante ?

— Maman, on sort, prévint Luke, en passant la tête dans le salon

— D'accord, répondit-elle, mais soyez prudents et rentrez avant la nuit ! Et tu m'appelles en cas de problème !

— Ne t'inquiète pas, la rassura Luke, à tout à l'heure !

Sur ce, il me tira à l'extérieur en souriant légèrement, attrapant au passage sa veste et un bonnet qu'il enfonça sur sa tête, laissant sortir quelques touffes de cheveux blonds.

— Prête ? questionna-t-il, en me tendant la main, un sourire enjôleur étiré sur ses lèvres

— Toujours, répondis-je en la prenant

   Nous descendîmes les escaliers menant à la porte d'entrée et, arrivés au bas de la porte, Luke s'arrêta presque net.

— Je ne t'ai même pas embrassée comme il se doit, me fit-il remarquer, en se tournant vers moi.

Je m'esclaffai et penchai la tête de côté, joueuse :
— Je parie que c'est parce que tu n'as pas osé le faire devant mes parents.

— Absolument pas, répliqua-t-il, en se grattant la nuque

— Tu ne serais pas en train de rougir ? continuai-je, amusée en voyant ses joues rosir

— Tais-toi, Dray, c'est le froid ! rétorqua-t-il, du tac au tac

J'haussai les sourcils, les mains sur les hanches, croyant peu à son excuse et le fixai.

— Tu penses réellement que je te crois ?

Il soupira et me prit par la taille. J'en profitai pour passer mes mains autour de son cou.

— Tu sais que je n'aime pas quand tu insistes comme ça pour avoir raison ? lança-t-il, moqueur

— Je sais que j'ai raison, c'est pour ça que j'insiste, répondis-je en lui tirant la langue

— Et toi, pourquoi tu ne l'as pas fait ? me taquina-t-il, pour les mêmes raisons, je suppose ?

— Tais-toi et embrasse-moi, soupirai-je

— Quand c'est demandé comme ça, commenta Luke, dans un souffle.

  Il pressa ses lèvres douces contre les miennes, m'obligeant à me hisser sur la pointe des pieds pour approfondir le baiser. Je caressais ses cheveux clairs et des papillons dansaient à l'intérieur de mon ventre. Il se pencha un peu plus et arrêta de m'embrasser pour descendre ses lèvres jusqu'à mon oreille.

— Regarde qui nous observe depuis la fenêtre de la cuisine, murmura-t-il

Je me retournai pour apercevoir mon grand frère nous observer. Je rougis un peu en le voyant, et Luke reprit mon visage entre ses mains. Derechef, il m'embrassa passionnément, ignorant Simon qui nous regardait derrière la fenêtre. Nous nous séparâmes et nous lui fîmes une grimace à laquelle il répondit immédiatement.

  Nous partîmes du côté droit de la rue, main dans la main, sous la neige légère qui virevoltait. Quelques maisons étaient décorées.

— L'année dernière, un concours de la maison la plus décorée avait été organisé, se souvint Luke, je n'avais jamais vu le quartier aussi décoré !

J'éclatai de rire :
— On se serait cru dans un film de Noël !

— Tu crois que les scénaristes s'inspirent de quoi ? rétorqua-t-il, riant à moitié

  À mon tour, je ris légèrement. Je déviai mon regard sur le trottoir d'en face et aperçus une femme d'une trentaine d'années à l'air pincé. Mme Schwarzwolk.

— Mais qu'est-ce qu'elle fait là ? m'étonnai-je, presque à voix basse, pour moi-même

— Qui ? De quoi tu parles ? interrogea Luke, en fronçant les sourcils, scrutant la rue

— D'elle, dis-je en désignant discrètement Mme Schwarzwolk, ma professeur de lettres musicales

— Eh bien elle a le droit d'aller à New-York quand elle veut, non ?! répondit Luke

— C'est vrai, acquiesçai-je.

Elle s'était arrêté devant une maison pour la photographier, et nous étions sur le point de passer devant elle. Même si nous étions de l'autre côté, je ne pus m'empêcher de dire :

— Tu ne connaîtrais pas un passage pour qu'on l'évite ?

— Sérieusement ?! soupira Luke, avant de me tirer dans une ruelle voisine.

~

Hey ! Comment allez-vous ? :)

Merci d'avoir lu ce chapitre ! J'ai conscience que l'histoire stagne un peu pour l'instant, mais croyez-moi ça va bientôt bouger ! Bref, merci à vous d'être toujours là ❤️

On se retrouve vendredi prochain pour le chapitre 30 (du point de vue d'Emmy) ! 🧡

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