➵ Chapitre 23

   Je fixais ma feuille blanche à grands carreaux, le regard vide, un peu perdu. Que ce cours de sciences physiques me paraissait long et interminable ! Je baillai silencieusement et tournai la tête vers Antoine, qui lui, écoutait le cours d'un air intéressé. Moi aussi j'aimerais pouvoir l'écouter aussi attentivement, mais ce cours avait plutôt un impact soporifique sur moi. La voix du professeur revenait à mes oreilles comme une berceuse endormante. Sa voix était si calme, si monotone, si lente...

   Lorsque enfin, la sonnerie se fit entendre, je notai rapidement les devoirs, composés d'une liste de cinq ou six exercices, et de la leçon à travailler. Je rangeai machinalement toutes mes affaires dans mon sac à dos et quittai la salle, derrière Antoine, après avoir salué l'enseignant.

— J'ai adoré ce cours ! S'ils sont tous comme ça, cela promet d'être génial et enrichissant ! s'enthousiasma Antoine, en marchant d'un pas énergique

— Je ne pourrais pas même te dire les points que nous avons abordés, soupirai-je, en frottant mes paupières

— Emmy, tu sais que les nuits servent à se reposer et à dormir ?! répliqua-t-il, sur un ton moqueur

— Tu ne vas pas t'y mettre aussi ? grognai-je, je dors la nuit ! C'est juste que mes nuits sont trop courtes !

— Parce que tu discutes avec Luke, argumenta-t-il, en me fixant sévèrement

— Je me couche tôt, rétorquai-je, je n'ai même pas pu parler avec lui, hier ; je m'endormais sur mes questions de français ! râlai-je

— Et c'est pour ça que tu es d'une humeur maussade, termina Antoine, en riant à moitié

— Très drôle, Antoine, commentai-je en lui jetant un regard noir, alors que celui-ci remettait en place ses cheveux foncés

— Avoue que le cours que tu attends le plus est celui que nous allons avoir maintenant, c'est-à-dire lettres musicales, lança-t-il, pour changer de sujet

— Évidemment ! m'exclamai-je, c'est une nouvelle matière ! J'ai vraiment hâte de voir ce que c'est et en quoi cela consiste ! dis-je joyeusement, alors que nous descendions au deuxième étage

— Moi je crois surtout que cette matière nous donnera beaucoup de travail, riposta Antoine, pessimiste

— On verra, fis-je simplement en haussant les épaules.

   Arrivés devant la salle, nous y entrâmes aussitôt pour retrouver Alice dont les yeux pétillaient d'impatience et de joie -elle venait d'avoir un cours de culture musicale-. Je déposai mes affaires sur la table de droite à côté de la sienne et Antoine sur celle de gauche et me laissai lourdement tomber sur ma chaise, comme une masse. Cette masse n'était pas uniquement présente sur mon corps tout entier, mais aussi sur mon cerveau et mes paupières. Le professeur n'était pas encore arrivé, alors j'en profitai pour mettre mon visage entre mes mains et fermer les yeux. Quelques minutes de repos ne me feraient pas de mal. Promis, ce soir, je rentre, mange, expédie mes devoirs et dors le plus tôt possible.

— On a étudié les mouvements musicaux ! C'est intéressant, ça devrait te plaire ! s'exclama Alice

Je relevai aussitôt la tête -tant pis pour mes quelques secondes de somnolence- et regardai ma meilleure amie, les yeux brillants, qui était assise sur les genoux d'Antoine.

— Tu me les prêteras ? demandai-je, avec espoir

— Non, je vais me contenter de les agiter sous ton nez et de t'interdire de jeter un œil dessus, ironisa Alice en levant les yeux au ciel, bien-sûr que je vais te les prêter !

   Je lui souris et m'apprêtai à la remercier d'avance lorsque le silence se fit. Antoine s'empressa de rejoindre sa place, les joues en feu. La professeure venait de faire son entrée. Tous s'étaient tus en la voyant. Et, je comprenais bien pourquoi. Devant moi se tenait une femme peu commode d'une trentaine d'années à l'air pincé. Elle avait une posture, une autorité naturelle qui faisait que chacun semblait la craindre. Ses cheveux foncés étaient attachés en un chignon stricte d'où aucune mèche ne s'échappait. Elle referma lentement la porte, posa sa sacoche et son sac à main sur le bureau et nous regarda simplement.

— Bonjour à tous, asseyez-vous.

  Un raclement sonore se fit entendre, tandis qu'elle prenait place sur son bureau et qu'Alice et moi échangions un regard inquisiteur.

— Je suis Madame Schwarzwolk, se présenta-t-elle, toujours de sa voix calme. Je vais d'abord faire l'appel, annonça-t-elle.

  C'était incroyable. Aucun son ne résonnait dans la salle. Rien. Juste le silence. On entendait les mouches voler. De toutes les classes dans lesquelles j'avais été, jamais une n'avait été aussi silencieuse. Je fus prise d'un léger stress : elle ne m'avait pas encore vue. Allait-elle réagir en me voyant ? Peut-être m'avait-elle oubliée...

— Dray Emilie ? appela-t-elle, en parcourant la classe du regard

Je levai timidement ma main et murmurai un faible « là », les joues empourprées du fait du silence qui animait la classe, et que bon nombre de regards avait convergé vers moi. À ma grande surprise, l'enseignante me décocha un énorme sourire. Mes maladresses étaient oubliées.

— Bien, alors vous allez tous sortir une feuille.

  De suite, les traits de quelques élèves dont les miens prirent une teinte livide.

— C'est une fiche de renseignement, informa-t-elle, voyons, vous pensiez réellement que j'allais faire ça dès le premier jour ? fit-elle

Des sourires vinrent se loger sur nos visages soulagés.

— Je veux que vous me mettiez votre nom, prénom, âge, date de naissance, d'où vous venez, le numéro de vos parents, ce que vous aimez faire –donc vos loisirs–, ce vous voulez faire plus tard et vos études envisagées.

   J'écrivis ce qu'elle demandait pour ensuite m'arrêter au métier et aux études envisagées. Je ne savais plus quoi mettre. J'étais totalement perdue. Je voulais travailler dans la musique, ça oui, mais qu'est-ce que je voulais réellement ? Qu'est-ce qui, concrètement, me plaisait ?

Je ne voulais pas être enseignante en musique, ça j'en étais sûre. Je ne voulais pas non plus travailler dans un orchestre. Non, ce que je voulais, c'était chanter et écrire mes propres textes –nos propres textes– et être avec Luke. Mon estomac se tordit en pensant à lui, et malgré moi, je rougis et sentis mon coeur devenir brûlant. Que dirait mon père s'il savait qu'être avec un garçon –même si c'était Luke– comptait plus que mon avenir ? Je secouai la tête et soupirai discrètement. Mes parents savaient pour Luke et moi... Si je voulais pouvoir le revoir, il valait mieux qu'ils sachent pourquoi... Sans compter que c'était Simon qui m'avait tiré les vers du nez. Je me souvenais ensuite que mon père m'avait sermonnée sur l'importance qu'avaient les études et le lycée, et que cela devait passer avant Luke, etc... Tout ça pour que finalement, je me retrouve à penser à lui en cours, comme si je ne pensais pas tout le temps à lui. « Concentre-toi sur ton travail et tes devoirs » Facile à dire quand la personne qui détient ton coeur est à des milliers de kilomètres de toi, et qu'elle a perdu sa petite sœur, et que tu ne peux pas être auprès d'elle pour la réconforter quand ses démons reprennent le dessus.

Alors que Madame Schwarzwolk commençait à ramasser les feuilles, je griffonnai rapidement guitariste et chanteuse / parolière et compositrice. Je lui tendis ma feuille. Elle l'inspecta rapidement et me sourit légèrement. Le mieux serait que je puisse faire ces quatre métiers en même temps. Mais, je me rendais néanmoins compte que je n'avais pas de roue de secours, pas de « sécurité » comme disaient mes parents.

— Ce cours joindra la musique aux lettres. De la poésie à la musique, il n'y a qu'un pas, et comme disait Verlaine, la poésie est « de la musique avant toute chose ». Alors oui, nous parlerons essentiellement de poésie et de musique. Les travaux seront basés sur une réflexion sur soi –en lien avec la musique et les lettres, bien évidemment– et sur l'expression de soi, des sentiments. Il faudra sans cesse vous poser les questions « qu'est-ce que je ressens en lisant ce texte ? Qu'est-ce qui me touche dans cette chanson ? » ou alors « en quoi je me sens proche de ce personnage décrit ? ». Nous étudierons des textes, des paroles et bien sûr des morceaux. Cette matière doit avant tout vous aider et vous permettre de vous éclater, détailla madame Schwarzwolk en faisant les cent pas, des questions ?

   Aucune main ne se leva, et je jetai un coup d'œil à l'horloge accrochée au dessus du tableau. Il ne restait déjà plus que dix minutes. Je n'avais pas vu l'heure passer.

— Très bien, commenta l'enseignante, j'aimerais que pour la semaine prochaine, vous me fassiez une réflexion, une sorte de dissertation sur une chanson qui vous tient à cœur. J'attends de vous que vous m'expliquez ce que vous ressentez, ce que vous rappelle cette chanson, et en quoi elle vous touche. Et en quoi elle est importante pour vous. Une page à deux pages maximum. Évitez de paraphraser ! J'écouterai votre chanson avant de corriger votre copie.

— On peut vraiment prendre celle qu'on veut ? questionna Alice

— Bien-sûr, l'important est qu'elle ait une signification pour vous. Une signification qui sera, bien évidemment, personnelle. Je me contenterai de noter l'orthographe, la syntaxe et le sens : je ne pourrai pas vous dire que vos sentiments sont faux. La seule chose que je demande, je le répète, c'est que cela ait du sens, répondit-elle

— Chouette ! chuchotai-je à Alice, en écrivant dans mon agenda ce qu'elle venait de dire

— Enfin une prof' ouverte d'esprit ! se réjouit Antoine

— Quelle chanson vas-tu prendre ? interrogea Alice

— Je pense prendre Wonderwall, répondis-je, en rangeant mes affaires, ou Boulevard of Broken Dreams, mais dans l'immédiat, je chosirais plutôt Wonderwall, admis-je

— Parce qu'elle te rappelle Luke, déduisit Alice en me jetant un regard appuyé

— Un peu, avouai-je, les joues rougies, et toi ?

— Je ne sais pas, soupira ma meilleure amie en fronçant les sourcils, probablement une chanson poignante.

J'hochai la tête et quittai la salle derrière Alice, me dirigeant vers la salle d'anglais.

— Dormir dans le train n'est pas conseillé, on pourrait... je ne sais pas... manquer son arrêt ?! fit la voix amusée de madame Schwarzwolk, dans mon dos

— J'étais fatiguée, répondis-je, un peu maladroitement

Elle éclata de rire :

— A la semaine prochaine !

🎶🎶🎶

« Today is gonna be the day
That they're gonna throw it back to you
By now you should've somehow realized
What you gotta do »

  Rageusement, je chiffonnai ma feuille et la détruisis en morceau. Je la jetai à travers la pièce, énervée et frustrée. Énervée car cela faisait plus deux heures que je surchauffais sur mon devoir de lettres musicales, et frustrée car je n'y arrivais pas. J'étais incapable d'exprimer quoi que ce soit. Qu'est-ce que je pouvais bien trouver à raconter ? Que Luke me manquait ? Que j'étais en colère ? Je n'avais pas même de quoi faire dix lignes, à moins d'écrire très gros.

  Concrètement, que m'évoquait cette chanson ? Les dernières heures passées avec Luke, lorsque nous étions dans le bus pour aller à l'aéroport. Mais encore ? Plus profondément ? Je soufflai bruyamment et barrai furieusement le peu d'idées inscrites sur ma nouvelle feuille de brouillon, qui rejoignit bientôt les autres au fond de la corbeille.

Je finis par me calmer, faire le vide dans mon esprit et par relancer la chanson. Inspire, expire calmement, Emilie. Concentre-toi.

« I don't believe that anybody feels
The way I do about you now »

Bien, qu'est-ce que je ressentais ? De la tristesse, de la mélancolie, de la nostalgie, de la solitude.

« Backbeat the word is on the street
That the fire in your heart is out »

Les notes étaient touchantes, les paroles troublantes et me prenaient là où j'avais mal.

« Because maybe
You're gonna be the one that saves me ?
And after all
You're my wonderwall »

J'avais presque l'impression que pour quiconque entendrait cette chanson, il aurait l'impression que sa moitié lui parlait, que c'était cette personne qui avait écrit cela.

Mais, concrètement, que pouvais-je expliquer ? Découragée, je reposai mon stylo et observai ma feuille blanche, dénuée de mots.

J'étais sûre d'une chose, je comprenais la musique, mais quant à m'exprimer, c'était une toute autre histoire. Je détestais parler de moi, alors je devais trouver le moyen d'être indirecte. Je soupirai. Ce travail risquait d'être beaucoup plus difficile que prévu...

🎶🎶🎶

Sur le point de me coucher, épuisée malgré le fait que nous étions samedi soir et que je m'étais levée tard ce matin, je vérifiai machinalement mon téléphone avant de bondir de joie, faisant sursauter Alice. Simon m'avait inondée de messages !

« Dis à ton Romeo de préparer son billet pour la France ! »

« PS : maman a appelé notre belle-famille pour régler les détails »

« Double PS : c'est mon idée, alors j'espère que tu m'aideras avec Aurélie quand je voudrai la ramener à la maison ! »

« Dernière chose : ne crie pas trop fort »

Pourvu que le temps passe vite, pensai-je, en pianotant à toute allure sur mon téléphone un message pour Luke, que j'allai voir dans six longues semaines, et un pour Simon, le remerciant et lui rappelant qu'il n'était toujours pas avec cette fameuse Aurélie.

Luke me répondit à la seconde qu'il ne pourrait jamais patienter jusque là, et qu'il serait capable de traverser l'Atlantique à la nage pour venir plus tôt.

Un sourire béat aux lèvres, je m'endormis, heureuse de savoir qu'il viendrait, et qu'il ne m'oubliait pas. Pour la première fois de ma vie, j'étais importante aux yeux de quelqu'un. Quelqu'un s'intéressait à la fille discrète, timide et réservée au fond de la classe, qui rêvait éveillée de musique.

~

Hello ! Comment allez-vous ? :)

Que pensez-vous de ce chapitre ? J'ai voulu prendre mon temps pour bien poser les choses avant... hum ... quelque chose :') (je crois que vous aller me maudire d'ici une bonne dizaine de chapitres haha x) )

Rien à voir mais je viens d'apprendre que j'ai validé mon S3 alors je suis aux anges 😍 Ce n'est pas mon genre de raconter ce genre de choses, mais je suis vraiment contente, je me suis tellement investie ! Bref, j'ai plus que hâte de vous retrouver la semaine prochaine pour le prochain chapitre (du point de vue de Luke) ! <3

Prenez soin de vous ! <3

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