➵ Chapitre 22 ~ Luke

    L'appartement des deux garçons était plongé dans la pénombre la plus obscure. Les rideaux étaient tirés, les fenêtres fermées, les volets clos, la porte verrouillée. Un doux silence régnait paresseusement et se glissait, ombre sinueuse, par toutes les failles possibles. La chambre n'y échappait pas. Seuls les ronflements sonores de Mike venaient le perturber, comme des faussets viendraient troubler l'harmonie d'une mélodie caressante. La respiration de Luke, plus légère et plus douce, était presque imperceptible, et se mêlait parfaitement au calme de la nuit. La fatigue prenait lentement possession de lui, amollissant chaque partie de lui.

   Luke se frotta les yeux et bailla pour la énième fois, épuisé. Il cligna successivement des yeux pour rester encore un peu réveillé, malgré l'heure tardive. La pâle lumière émanant de son téléphone illuminait la pièce par petite touche, lui donnant un aspect mal-éclairé et peu rassurant. Mais il avait décidé qu'il enverrait un message à sa petite-amie à sept heures tapantes pour la réveiller, ce qui faisait qu'il serait une heure du matin pour lui. Heure qui venait tout juste d'apparaître sur l'écran de son téléphone.

« Bonne rentrée, sweetie ! J'espère que ta journée sera bonne et que ton emploi du temps sera bien aussi ! Et que tu ne seras pas dans la classe de Thomas ! Prends soin de toi ! »

La réponse ne se fit pas tarder :

« LUCAS ALEXANDER JAMES FIDELINGS, VA IMMÉDIATEMENT TE COUCHER ! IL EST UNE HEURE DU MATIN LÀ OÙ TU ES ET TU TE LÈVES DANS CINQ HEURES ! »

« Merci, toi aussi, Lukey, et prendre soin de soi passe par se coucher tôt, comme tu l'as si bien dit à Alice hier. Alors dors bien... »

L'adolescent sourit en voyant ces deux messages et rougit en voyant le surnom qu'elle avait employé.

« Bonne journée/nuit ma guitariste préférée »

Et Luke était sûr à deux mille pour cent qu'elle avait rougi. Il éteignit son téléphone, un sourire fier, heureux et satisfait aux lèvres, et s'endormit aussitôt, apaisé. Il était tellement épuisé qu'il sombra dans un profond sommeil, dépourvu de rêves.

   La nuit du jeune homme fut bien trop courte à son goût... Bien vite, l'horrible réveil de Mike sonna, arrachant brutalement Luke à son sommeil. L'aversion qu'éprouvait Luke pour les réveils augmenta d'un cran. À ce stade, ce n'était plus de l'aversion mais bel et bien de la haine.

— Coupe-moi cette horreur ! grogna le blond en se bouchant les oreilles

Pour toute réponse, Mike augmenta le volume et alluma la lampe, illuminant toute la pièce d'un coup

— Éteins ! pesta encore Luke en se cachant sous sa couette

   Mike lui jeta un coussin à la figure en éclatant de rire et éteignit son réveil, qui répandait toujours un infâme « bip bip » sonore dans la pièce.

— Je te déteste, bougonna Luke en se frottant les yeux

— Allez Blondie, debout ! Aujourd'hui c'est la rentrée, et tu ne vas pas être en retard dès le premier jour ! Et je sais que tu es resté éveillé jusque très tard pour envoyer un billet doux à ta Juliette étant donné qu'elle m'a demandé de te prendre ton téléphone ce soir pour que tu te couches tôt ! C'est mignon de faire ça, Laj, mais ta santé passe avant tout, et Em te dirait la même chose !

— Je déteste ce surnom... Laj, il est horrible, rétorqua Luke, en retombant mollement sur son oreiller

— Tu n'as qu'à t'en prendre à tes parents, je reprends simplement les initiales de ton nom complet, répondit Mike en sortant un pantalon et un teeshirt de son armoire

— Je pourrais t'appeler Mir, Michael Isaac Robert Gwillem ! s'écria Luke, en insistant sur son nom complet

Mike leva les yeux au ciel :
— Bouge tes fesses, si tu veux avoir le temps de toucher la prise électrique pour te coiffer, blondinet !

— Ne m'appelle pas « blondinet », grommela-t-il, en s'extirpant difficilement de son lit moelleux, qui lui criait de rester avec lui

— Je déteste la rentrée, ronchonna-t-il, en prenant le premier tee-shirt et le premier pantalon des piles de vêtements, sous le sourire amusé de son meilleur ami

— Luke, ce sont MES vêtements, l'informa Mike, en riant

Luke regarda les vêtements qu'il tenait dans ses mains et soupira. La journée promettait d'être longue...

🎶🎶🎶

— Bien, pourquoi les emplois du temps sont toujours horribles ? Pourquoi je finis tard et commence tôt tous les jours ? Pourquoi je finis le vendredi soir par deux heures de mathématiques de seize heures à dix-huit heures ? Et pourquoi je commence par deux heures de physique-chimie lundi matin ? Qu'est-ce que j'ai fait ? se plaignit Luke, en posant son plateau sur la table qu'occupaient ses amis, et pourquoi je dois supporter Mike dans ma classe en plus du reste du temps ?

— Ne te plains pas, Lucas, nous te supportons depuis ta naissance, lui rappela sarcastiquement Caitlin

   Luke soupira et prit son téléphone, heureux de pouvoir parler avec sa dulcinée, qui lui manquait beaucoup. Sans compter qu'il était dix-huit heures en France, et qu'il pouvait donc lui parler sans risquer de l'empêcher de dormir...

« Emploi du temps horrible, classe parfaite (parce que je suis dedans). Pourquoi je finis à dix-huit heures tous les soirs et que ce n'est pas par musique comme l'année dernière ? »

« Quel narcissique ! Attention, tu finiras par tomber amoureux de ton reflet...et par te cogner contre le miroir ! Comment te dire que mon emploi du temps est un copié-collé du tien ? »

« Tout ceci va être compliqué à gérer. Décalage horaire + travail + cours + x = y + irritabilité + z + fatigue + encore plus de difficultés. C'est un cercle vicieux. »

« On ne peut pas résoudre cette équation... Il y a trop d'inconnues ! Une équation pour une inconnue, si mes souvenirs sont bons. Je dirais que x= problèmes inattendus tels qu'un mauvais réseau ou une connexion internet désastreuse, et donc cela fait y + deux fois plus d'irritabilité + fatigue + z + trois fois plus de difficultés. »

« Tu es une matheuse dans l'âme ! »

— Lâche ton téléphone et mange ! s'exclama Caitlin, en prenant son téléphone des mains de Luke

— Caitlin ! C'est le seul moment où je peux... commença l'adolescent

— Non, l'interrompit-elle, il est dix-huit heures passées en France, et elle n'a plus cours, sa journée est finie. Tu peux bien manger et lui parler après. Je pense que tu peux attendre dix minutes, non ? argumenta Caitlin, en le jaugeant de son regard perçant

— Et si je te fais les yeux doux ? plaida Luke

— Je ne suis pas Em, tu ne m'auras pas, blondie, rétorqua-t-elle, en rangeant le téléphone du jeune homme dans son propre sac

— Pourquoi est-ce que tout le monde m'appelle blondie ou blondinet ? se plaignit le concerné en levant les mains au ciel, tel un tragédien

    Sa remarque lui valut un concert de soupirs agacés et un ensemble de regards noirs consternés. Non, Luke ne changerait jamais. Son côté « j'aime me donner en spectacle » était et demeurait une moitié de sa personnalité, voire sa personnalité toute entière.

   Un silence s'ensuivit, troublé par les raclements des couverts sur le fond des assiettes. Luke mastiquait, tout en se demandant ce qu'il mangeait. Il avait souvenir que la nourriture était meilleure que ça... Il détailla de ses yeux clairs le mur rouge derrière Mike, qui se confondait avec les cheveux de ce dernier, songeant que son ami était un caméléon. Le-dit mur était totalement uniforme : pas une seule nuance de couleur ne lui apparaissait, pas une seule image ne venait l' agrémenter. C'était comme si du sang avait coulé de manière uniforme le long du mur, recouvrant chaque parcelle, sans jamais s'amasser, se contentant uniquement de glisser, laissant une fine couche foncée. Un frisson descendit le long de sa colonne vertébrale et malgré lui, il contracta chacun de ses muscles tremblants : à présent il voyait du sang, mais pas n'importe quel sang, le sien, celui de sa sœur. Il en avait partout, sur le corps, sur les mains, sur le cœur. Sa respiration s'accéléra, son souffle se fit plus bruyant, plus fort et plus saccadé, son cœur menaça de briser sa poitrine pour en sortir ; une profonde oppression, un lourd abîme, l'étreignirent brutalement. Ses yeux azurs se voilaient, gardant leur teinte claire mais devenant de plus en plus vides, fades, transparents. Il haletait.

— Lucas ? Luke ! Tu m'entends ? Luke ? Tu me vois ? Luke ? fit la voix lointaine de Caitlin

   Elle résonnait comme un écho lointain, perdu, une vague de mots qui s'échouait et se brisait contre une paroi insonorisée, un écho, une bribe de voix, un morceau de voix humaine, qui devenait de plus en plus fort.

— Lucas ! Si c'est une blague, ce n'est pas drôle ! s'exclama éperdument Mike, en claquant des doigts devant ses yeux perdus

— Je vais chercher l'infirmière ! cria alors John, se levant d'un bond

   Luke cligna successivement des yeux, hagard, et regarda ses amis inquiets, totalement égaré. Que venait-il de lui arriver ? Lui-même ne savait pas.

— Tu peux nous expliquer ? Tu m'as fait peur, Luke ! cria presque Caitlin, d'une voix suraiguë

—  Je–...je–... Je n'en ai...aucune idée, bredouilla maladroitement Luke, encore sous le choc

— Je m'inquiète, Luke ! lança Mike, en haussant le ton tout en le dévisageant, je veux que tu m'en parles, si ça se reproduit. John est parti chercher l'infirmière, ajouta-t-il, avec plus de douceur.

Une lueur apeurée animait ses yeux émeraude, et l'inquiétude crispait ses traits fins.

   Le jeune homme hocha la tête avant de passer une main dans ses cheveux blonds ébouriffés et de se frotter les yeux, tâchant de reprendre ses esprits. Il s'appliqua à respirer calmement, et, progressivement, son rythme cardiaque ralentit, son regard se fit plus vif, plus présent, son teint livide reprit peu à peu une couleur normale, ses muscles se relâchèrent aussi brusquement qu'ils s'étaient contractés, et Luke se sentit fade. Vide. Il avait la désagréable impression que son âme avait été vidée entièrement de l'esprit qu'elle contenait, de la vie qui s'y était amassée goutte par goutte. Son coeur lui parut aussi empli que le néant.

   Il essuya énergiquement ses mains moites sur son pantalon noir –attitude diamétralement opposée à la vacuité qui le tiraillait– et attrapa la bouteille d'eau posée sur son plateau qu'il vida d'un trait, avant de se laisser tomber lourdement au fond de sa chaise, le corps tout endormi. La seule chose dont il avait envie, à ce moment précis, était son lit pour pouvoir dormir et oublier tout ça. Et aussi sa petite-amie.

   Un déferlement d'appréhension mêlée à de la peur l'assaillit de toutes parts : la date, cette même date fatidique approchait. 23 septembre. Cette même date qu'il ne pouvait pas oublier, cette date qui demeurait gravée, imprégnée dans sa chair et sur son coeur. Il la voyait marcher lentement vers lui, comme un prédateur s'approcherait lentement, silencieusement et sinueusement vers sa proie. Sa pâle petite silhouette flottante s'esquissait sous ses yeux, sa petite menotte tentait de l'atteindre pour revenir, sa douce voix enfantine murmurait son nom, l'appelant vainement, telle une triste plainte pourtant enivrante, comme un appel au secours déchirant, sans qu'il ne puisse faire quoique ce soit pour l'empêcher de tomber dans le précipice qui lui tendait les bras.

— Je suis là ! fis la voix essoufflée de John, suivi de près par l'infirmière dont le visage était barré par l'inquiétude...

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Hey ! Comment allez-vous ? :)

Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en avez-vous pensé ? :)

On se retrouve vendredi prochain pour le chapitre 23 ! 🎶

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