➵ Chapitre 19

    La foudre avait frappé plusieurs fois. Pendant une bonne heure, le vent avait soufflé fort, faisant même voler quelques chaises en plastique que des serveurs s'étaient empressés de ramasser. Nous étions restés à l'intérieur du café, et John nous avait même fait rire avec quelques blagues...

— A votre avis, quelle est la destination préférée des canards ? Indice, c'est en France ! avait précisé John en levant son index

— Je donne ma langue au chat, avait répondu Alice, pour rentrer dans son jeu

— Le festival de Cannes !

     L'après-midi était passée rapidement. Nous l'avions passé à rire et à parler de tout et de rien. Eileen n'avait plus mis son nez dans les affaires de qui que ce soit, ce qui d'après Luke relevait de l'impossible, personne n'avait évoqué Clara ou même Solange.

— Mike, celle-là est pour toi ! Que fait une poule qui a de la fièvre ? avait ensuite reprit John

— Euh, elle me court après en caquetant que c'est de ma faute ? supposa Mike

— Mais non ! Elle fait des œufs durs !

J'avais pu observer à loisir la complicité entre John et Emma. Elle m'avait confié qu'elle l'aimait comme au premier jour. Étant une éponge émotionnelle, j'avais absorbé une partie de sa joyeuseté, et j'étais rentrée avec Alice toute guillerette, comme si j'avais respiré un bon bol d'air frais.

Nous avions mangé tôt, Alice et moi. Thomas était quant à lui au restaurant pour la troisième fois avec un dénommé Victor, rencontré lorsque nous étions allés en boîte de nuit. Douchée et vêtue de mon pyjama, j'étais allongée sur mon lit. Plongée dans la mélancolie, je finis par me lever et enfiler un pantalon noir et un teeshirt. J'expliquai Alice que j'avais besoin d'être seule un moment et fourrai un cahier et des feutres dans mon sac à dos. Perdue, j'attachai à mon poignet le fameux bracelet.

Quelques minutes plus tard, j'étais dehors. Je marchai droit devant moi, sans réfléchir, durant ce qui me parut être des heures. La nuit tombait doucement sur la cité qui ne dort jamais. Le soleil disparaissait lentement, plongeant la ville dans des couleurs orangées. Une brise légère faisait voler mes cheveux autour de mes épaules. Je ne savais plus où j'étais, mais je m'en fichais. Je me sentais libre, libre de laisser mes larmes couler sur mes joues.

La première étoile perçait le ciel quand j'arrivai devant un Starbucks. Pensant qu'une boisson fraîche ne pourrait pas me faire de mal, je m'y introduis et commandai un thé glacé, avant de monter à l'étage m'assoir à une table isolée. Je sortis mon cahier et mes feutres et tentai de mettre de l'ordre dans mes pensées. Je devrais peut-être leur écrire. Ça m'aiderait. En un an et demi, c'est la première fois que j'y pense.

Chère Rachelle,

Je suis désolée qu'on n'ait dû couper les ponts, toi et moi. Tu étais une bonne copine, et on aurait pu devenir amies si ce n'était pas arrivé. Mais je crois qu'on n'aurait pas supporté de se voir tous les jours, sans elle. Je crois qu'on n'était pas assez fortes pour ça.

Je t'envoie beaucoup de courage et te souhaite le meilleur. Merci d'avoir parcouru un bout de chemin avec moi.

Emmy.

C'était bref, mais cela me soulagea en partie. J'avalai une grande gorgée de ma boisson, comme pour me donner du courage et repris ma tâche.

Chère Solange,

Il n'y a personne comme toi, personne. Partout où je vais, je m'imagine à tes côtés. C'est tellement injuste. Je n'ose même plus regarder nos photos sur mon téléphone.

On dit que les mots sont puissants, qu'ils peuvent tout faire. Ils peuvent détruire, tuer, nous bercer d'illusions mais ils ont aussi le pouvoir de guérir, de sauver, d'embellir. On devrait les traiter avec soin. Néanmoins, Solange, aucun mot n'est suffisamment puissant pour décrire ce que je ressens.

— Qu'est-ce que tu écris ? Je peux voir ?

Je sursautai. Un garçon, à peine plus vieux que moi venait de s'asseoir à côté de moi. Il avait des yeux très clairs et des cheveux très foncés. A à peine quelques tables de la mienne, un groupe de cinq garçons m'observait. Je ne les avais même pas vus arriver. Sentant mon coeur battre la chamade, je répondis, du tac au tac :

— Rien qui ne te regarde !

Je fermai mon cahier d'un coup sec. De toute façon, c'était du français, il y avait très peu de chance pour qu'il comprenne. Je fourrai vite mon cahier et mes feutres dans mon sac, habitée par un mauvais pressentiment.

— Comment tu t'appelles ? remblaya le jeune homme

— Emilie.

— Tu habites où ?

— Ça te regarde ? ripostai-je, agacée par son manque de politesse.

Depuis quand on s'assoit comme ça à la table de quelqu'un ? C'est vrai, ça ne se fait pas !

— Tu as un beau pantalon, poursuivit-il en posant sa main sur ma cuisse

Je me crispai. Mon coeur avait cessé de battre.

— Vraiment très beau..., répéta-t-il, plus bas

  Sa main était désormais sur mon genou et son regard se faisait plus insistant. Mon instinct me hurla de fuir et de lui crier de ne pas me toucher. Mais j'étais si tétanisée que je fus incapable du moindre mouvement. J'étais prisonnière de ma propre torpeur.

  Vite, je devais trouver une diversion pour m'enfuir. Mon téléphone posé sur la table me parut être une bonne option, surtout qu'il avait resserré son emprise sur mon genou. « Dégage ! » pensai-je avec dégoût. Mais les mots restèrent coincés dans ma gorge.

  Je regardai l'heure sur mon téléphone.

— Oh ! Déjà ? Je vais rentrer ! m'exclamai-je en me levant d'un bond, attrapant mon sac par la même occasion

— Mais il n'est que dix heures trente ! protesta un des garçons de la table d'à côté

— Au revoir ! rétorquai-je, en descendant les escaliers à toute allure.

L'air chaud de New-York effleura ma peau, me faisant tout de même frissonner. Par où devais-je partir ? A droite ou à gauche ? Je ne savais même plus par quel côté j'étais arrivée... J'accordai un regard au Starbucks derrière moi et vis les garçons descendre les marches et regarder à droite. Parfait, j'irai à gauche dans ce cas.

Je commençai à marcher à grands pas, pensant m'éloigner du problème. J'activai mon GPS sur mon téléphone et constatai avec effroi que j'avais pris la mauvaise direction. Un regard derrière mon épaule me permit de voir l'homme et trois de ses copains derrière moi, les yeux fixés sur ma chevelure bleue, qui évidemment était plus que visible dans la rue.

Des gouttes de sueur perlaient sur ma nuque et je tremblais comme une feuille. J'accélérai pas, constatant que mon GPS me faisait passer par une espèce de ruelle sombre. Je m'y introduis, songeant que l'obscurité me ferait passer inaperçue, avant de me raviser. Jack L'Eventreur pourrait très bien m'attendre dans cette ruelle, surtout avec la chance que j'aie ce soir...

Évidemment, après avoir fait demi tour et être sortie de cette ruelle, je tombai nez à nez avec les quatre hommes. Ni une ni deux, je repris ma route à pas de géant et collai mon téléphone contre mon oreille, ignorant leurs « T'es mignonne » qui me révulsaient.

— Oui, Alice ! J'arrive, je suis en route ! dis-je très fort, en français, espérant les faire fuir

Mais c'était peine perdue. Il y avait encore des gens dans la rue mais dès l'instant où je serai seule, cela finira mal... Ma vie prenait le tournant d'un film d'horreur ou alors du prologue d'un roman policier. Et bien-sûr, en lisant le prologue, les gens se diront « mais quelle idiote ! Elle aurait dû appeler à l'aide ! ». Seulement, qui pouvais-je bien appeler ?

Je me retournai et remarquai que la distance entre eux et moi avait augmenté. Horreur ! Ils me laissaient de l'avance. Je m'étais bien malgré moi lancée dans le jeu du chat et de la souris.

« Quelle idiote ! pensai-je, j'ai mon téléphone en main ! » Mon cœur immédiatement tourné vers Mike, j'allai dans mes numéros d'urgence et sélectionnai le deuxième numéro. Quelle chance de ne pas l'avoir retiré !

Ce n'est qu'en entendant sa voix à lui que je compris mon énorme erreur... Le numéro de Mike était tellement resté juste après celui de Luke que j'avais oublié les avoir échangés de place...

— Allô ? Emmy ? demanda Luke, tandis qu'une voix fluette disait « c'est qui ? » à côté de lui

— Luke ! m'exclamai-je, sur un ton paniqué

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu es où ? J'entends du bruit...

Le bruit, c'était celui que faisaient les voitures sur ma gauche. Trop tard pour reculer...

— Je ne sais pas ! Il y a des hommes qui me suivent..., confessai-je avec dégoût. J'étais au Starbucks, et il est venu, et je suis partie, et maintenant il est avec ses 3 copains derrière moi et je-..., débitai-je, rapidement

— Où, Emmy ? Où es-tu ? me coupa Luke, tandis qu'un bruit de clefs passait à travers le combiné

— Mon GPS m'indiquait Blueberry's Street... dans le Queens..., avouai-je

— Mais qu'est-ce que tu fais dans le Queens ? Je croyais que ton auberge de jeunesse était à Brooklyn ?! s'écria-t-il. Bon, reste dans cette rue, j'arrive !

— Je voulais me promener ! protestai-je. Et j'avais besoin d'être seule... Ça veut dire que tu viens comme Superman ? demandai-je en riant nerveusement

— Ce n'est pas le moment de plaisanter ! répliqua-t-il

— Désolée, c'est nerveux, expliquai-je, en me retournant.

Ils se rapprochaient ! J'accélérai encore le pas.

— Ne raccroche pas ! le suppliai-je alors

— Em, je vais prendre le volant alors je ne peux pas rester au téléphone. Reste dans cette rue, je suis là dans moins de cinq minutes. Tu es devant quel magasin, là ? questionna-t-il, alors qu'un bruit de portière se faisait entendre

— Je viens de passer devant un café, Andrew's Place

— Bien, je vais faire vite. À tout de suite, conclut-il d'une voix calme.

Ok, Emmy respire. Mais, peine perdue, ma respiration s'accélérait ! Je me retournai vivement et pris mes jambes à mon cou. Moi qui n'étais pas une grande sportive allais le regretter ! L'adrénaline m'empêcha de ressentir la douleur de mon corps.

  A quoi ressemblait la voiture de Luke, déjà ? Je me souvenais juste qu'elle était noire. Comment la reconnaîtrais-je ? Je ralentis ma course effrénée, songeant que je devais garder des forces si je voulais maintenir la distance. Je regardai mon téléphone avec effarement. Cela faisait seulement une minute que je courais...

   Comme si le destin se moquait de moi, une douleur aiguë me poignarda le côté de mon ventre. Il ne manquait plus que ça ! Je pourrais peut-être m'offrir une petite minute de marche rapide en respirant lentement, lampée d'oxygène après lampée d'oxygène... C'est ce que je fis. Une fois la douleur amoindrie, je remarquai que trois minutes s'étaient écoulées depuis mon appel avec Luke.

   Je m'étais peut-être trompée de numéro, mais mon erreur était peut-être bénéfique : Mike n'avait pas le permis, il n'aurait pas pu m'aider. Et puis même, il en aurait eu pour un moment pour me rejoindre depuis Brooklyn... Mon inconscient avait fait le bon choix.

— Tu aimes qu'on te cours après, non ?

    Je fis volte-face. Je n'aurais jamais dû ralentir, jamais ! Ils étaient derrière moi, tous les quatre. Pourquoi diable n'avais-je pas ma bombe lacrymogène sur moi ?! Ah oui, elle est en France ! Pâle comme la mort, je ne répondis pas au garçon et reculai d'un pas. C'était celui qui avait protesté sur l'heure.

— Tu ne penses pas qu'il est un peu tôt pour rentrer chez toi ? Tu n'as pas envie de t'amuser un peu ? poursuivit celui qui s'était assis à côté de moi au Starbucks

— Non merci, déclinai-je, poliment.

   Je pouvais peut-être gagner du temps... Luke, par pitié, c'est le moment d'apparaître ! Comme Spiderman ferait... mais ne me laisse pas terminer dans le même état que Gwen Stacy !

— On ne te fera rien, éluda un autre

— Vraiment ? C'est ce qu'on dit toujours aux canards avant d'en faire du foie-gras ! Et je ne veux pas finir en foie-gras ! m'exclamai-je, perdant mon sang de froid en scrutant la rue

— Tu as de l'humour, j'aime bien, commenta le brun aux yeux clairs

A ces mots, il réduit l'écart qui nous séparait en se positionnant à quelques centimètres de moi. Si là, tout de suite, je lui criais qu'un gigantesque lapin rose volait derrière lui, aurais-je assez de temps pour m'enfuir ? Ce n'est qu'en voyant ses yeux assombris fixer intensément mes lèvres que je compris ce qu'il comptait faire... Alors ça non, mon coco, même pas en rêve !

Alors qu'il approchait son visage du mien, le sang afflua à nouveau ma main. Et je lui assénai une gifle monumentale, dont le « clac » sonore retentit comme une sirène dans la nuit. Le regard qu'il me lança me glaça d'effroi et je me ratatinai, condamnée. Les visages effrayants de ses trois amis me tétanisèrent, et les larmes me montèrent aux yeux.

Violemment, il m'attrapa le poignet et me surplomba de toute sa hauteur. Les mots « Lâche-moi, abruti ! » moururent sur mes lèvres.

— Comment as-tu osé ?! tonna-t-il, d'une voix si rude que je me mis à haleter. Tu n'es qu-...

— Emmy ?

— Oh, Luke ! m'écriai-je, avec beaucoup trop de soulagement

Sa poigne se fit plus légère et je me dégageai, apercevant Luke qui se tenait juste derrière lui. Il se retourna, regarda Luke, puis moi, avant de s'exclamer en me sondant :

— Mais tu aurais dû nous dire que tu avais un petit ami !

— Je ne suis pas son petit ami, répondit froidement Luke

— Ta tête me dit quelque chose, on ne se serait pas déjà vu ?

~
Hello ! Comment allez-vous ? :)

Qu'avez-vous pensé de ce chapitre ? Emmy a eu chaud... 😅 A votre avis, d'où Luke pourrait-il bien connaître ces... ordures ... euh pardon... hommes ? Ils n'ont pas l'air très fréquentables...

Changeons de sujet ! J'espère que vous avez passé un bon Noël si vous le fêtez ! Qu'avez-vous reçu ? :) 🎄

Merci d'avoir lu ce chapitre ! On se retrouve mardi matin pour le chapitre 20 qui clôturera cette première partie ! ❄️ En attendant, prenez soin de vous ! ☃️

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