➵ Chapitre 11

Cela faisait une petite heure que nous nous entraînions chacun de notre côté. Nous avions déjà mis un peu de temps à trouver les partitions nécessaires, même si nous savions jouer des parties de la chanson à l'oreille. Nous voulions que cela soit parfait. Luke était parti chanter dans le salon, tandis que chacun apprenait à son rythme ce qu'il avait à jouer. Le tout formait une espèce de cacophonie désagréable.

   Jouer de la guitare m'avait manqué, si bien que je n'avais de cesse de me demander pourquoi j'avais fait une si longue pause. D'aussi longtemps que je me souvienne, la musique a toujours été mon échappatoire, mon oxygène (ou plutôt mon dioxygène, corrigerait la lointaine scientifique vivant en moi), et la guitare mon premier amour. Je l'avais ensuite délaissée pour le piano. Mais, on n'oublie jamais son premier amour.

— Bon ! cria Alice en s'épongeant le front, nous faisant tous arrêter de jouer. Vous êtes tous à peu près OK ?

Trois « oui » prononcés en chœur la rendirent toute sourire.

— Parfait ! Je vais aller chercher notre chanteur, histoire qu'on fasse un premier essai ! Et ensuite je propose qu'on aille rejoindre Thomas pour manger ! s'exclama-t-elle en quittant la pièce à toute allure

Caitlin reposa sa guitare électrique, ou plutôt celle de Luke, et s'étira comme un chat.

— Ah ! J'ai vraiment hâte de voir ce que jouer ensemble va donner ! Surtout qu'on ne va pas utiliser de synthétiseur... J'espère que ça ne sera pas un massacre ! s'inquiéta-t-elle

— Mais non Cait' ! On demandera à Clara, Thomas, Emma, John et Eileen leur avis ! Et si c'est mauvais, eh bien tu pourras utiliser le synthétiseur ! la rassura Mike

Je grimaçai à la mention de Clara et mes deux acolytes rirent aux éclats.

— Pourquoi tu ne t'entends plus avec elle ? questionna Caitlin

— Elle a fait des choses impardonnables, elle a franchi la ligne noire. C'est très long à expliquer. Ça serait même à Lise de le faire, répondis-je

— Je ne te suis pas, intervint Mike les sourcils froncés, il s'est passé un truc entre Lise et Clara ? En quoi cela te regarde-t-il ?

— Depuis que Clara a été raconter n'importe quoi à tout le monde sur Lise, et qu'elle a monté tout le monde contre elle. Tu n'imagines même pas toutes les choses ignobles qui se sont produites... Alice et moi avions tiqué, car ce que racontait Clara sur Lise n'avait aucun sens. Alors, on est allé voir Lise pour avoir sa version. Et, par la force des choses, on s'est retrouvé du côté de Lise... Elle était seule contre tous à cause d'erreurs qu'elle n'avait pas commises.

— Oh je vois, éluda Mike, et donc, tu lui en veux ?

— Exact, affirmai-je, mais je me suis promis de l'ignorer.

— Si tu n'es pas la première concernée, alors tu as raison de vouloir l'ignorer. D'ailleurs, je suis soulagée que c'est ce que tu veuilles faire ! Il y a suffisamment de tensions dans le groupe, n'en rajoutons pas ! ajouta Caitlin en secouant la tête

— Et puis, tu sais, elle et-..., commença Mike

Mais je n'entendis jamais la fin de sa phrase : Alice et Luke venaient d'entrer en trombes dans la pièce avec un stock de bouteilles d'eau et cinq verres.

— Tu disais, Mike ? l'accosta Luke, un sourire narquois aux lèvres

Pour toute réponse, les lèvres de Mike s'étirèrent en un sourire carnassier.

— Oh ! Rien ! Je disais juste à Emmy que tu chantais merveilleusement bien depuis que tu es eunuque !

— Très drôle Michael, commenta l'intéressé sous nos rires un peu survoltés.

Les verres d'eau avalés, nous nous mîmes en place. Alice était à la batterie, Mike à la basse électrique, Caitlin à la guitare électrique et moi à la guitare acoustique. Luke, qui s'était muni du micro, s'improvisa alors chef d'orchestre :

— Comme Alibaba m'a dit que vous n'aviez pas encore joué ensemble, je propose qu'on fasse d'abord l'instrumentale ! C'est promis, vous entendrez ma voix divine plus tard !

— Eh bien, répondit Caitlin, si c'est ta voix qu'on entend à l'entrée du paradis, je choisis les enfers !

— Tu es jalouse ! Allez, tous en place !

— Attends ! coupa Mike, Alice tu sais quand commencer ? Parfait ! Luke, je te laisse faire le décompte !

Ce dernier ne se fit pas prier :

— 3, 2, 1, c'est parti !

Je commençai doucement à gratter les cordes de ma guitare, ce qui marquait déjà une grosse différence avec la chanson originale... C'était ce qu'on appelait s'approprier la chanson ... non ? Mes mains étaient saisies de spasmes si violents que j'avais peur de louper une corde.

— Arrête de stresser Emmy, grogna Alice, ça s'entend, tu joues trop vite ! Zen, tu n'es plus en khôlle avec Wiener ! Promis, il ne va pas sortir de nulle part pour te faire perdre tous tes moyens !

— Désolée Alice, marmonnai-je

— Mike a le même souci que toi, on va régler ça, ne t'inquiète pas, me rassura – à ma plus grande surprise – Luke

Pour masquer mon agréable étonnement, je jetai une note de musique à Mike, qui me sourit tristement.

— Alors, Emmy, qu'est-ce qui te met mal à l'aise ? reprit Luke sous mes yeux médusés

Là, maintenant, tout de suite ? débitai-je, très vite

— Assieds-toi, répondit-il, simplement

  Après avoir jeté un coup d'œil à Alice qui m'incita à obéir, je m'assis, en tailleur, à même le sol. Ayant sans doute perçu mon désarroi, Mike fit de même.

— Moi aussi je stresse, annonça-t-il, face au regard interrogatif de son meilleur ami. On faisait ça avant chaque colle, ajouta-t-il, à mon attention, tandis que je faisais tout pour éviter le regard de Luke

— Alors, Emilie, qu'est-ce qui te met mal à l'aise ? répéta Luke, ses yeux azur ancrés dans les miens

    « Toi » eus-je envie de répondre, tant sa soudaine bienveillance me déstabilisait. Mais je savais que ce n'était pas ça qui me faisait jouer trop vite, me causait des palpitations et me donnait envie de m'écrouler sur le sol. Pourquoi n'étais-je plus capable de m'isoler dans ma bulle comme avant ? De tout oublier dès l'instant où mes doigts rejoignaient ma guitare ? Je jetai un coup d'œil à mes mains. Elles tremblaient. Si fort. Comme en colle.

— Je ne sais pas, dis-je avec mille précautions

— Voilà qui nous aide beaucoup ! commenta Caitlin en s'asseyant à côté de son meilleur ami

— Elle n'ose juste pas le dire, lui indiqua Luke en me sondant. Mike ? interrogea-t-il

— Euh ... le fait qu'on n'ait pas joué tous ensemble depuis un peu plus de deux ans me rend confus. La perspective que peut-être, ça ne fonctionne pas et que je sois condamné à mener une vie que je déteste me terrifie, avoua-t-il. Et... je crains qu'on n'arrive plus à s'entendre, enfin surtout toi et Emmy, et que ça détruise tout... En fait, ça me cloue littéralement sur place. Désolé Emmy, je sais que tu fais des efforts, mais ça m'effraie quand même, s'excusa-t-il.

Pour toute réponse, je lui souris d'un air compréhensif en prenant bien soin de ne pas regarder Luke. Il allait bien falloir que je lui parle à un moment donné, histoire de mettre les choses à plat...

— Tu sais Mike, intervint Caitlin non sans avoir jaugé Luke que les explications de Mike avaient rendu silencieux, je pense que très peu de personnes ici soient épanouies dans leur vie. Par conséquent, chacun d'entre nous veut que ça marche et s'en donnera les moyens. Et j'ajouterai que j'ai eu l'impression d'avoir quitté Emmy et Ali' la veille ! Alors, tu peux respirer Mickey.

— Mais Caitlin, on n'est pas dans la tête des autres ! protesta-t-il, imagine que-...

— Tu sais exactement comment je vois la chose, le coupa Luke, alors tu n'as plus à t'inquiéter pour ça.

— Et puis Emmy a peur de ne pas être à la hauteur, ajouta Alice en se joignant à nous. Mais, ce n'est pas de sa faute si elle a perdu le peu d'estime d'elle-même qu'elle avait, c'est celle de notre colleur ! Il nous en a fait baver celui-là ! Tellement qu'Emmy n'a plus touché à sa guitare pendant un an !

Les regards des trois new-yorkais convergèrent vers moi et je rougis jusqu'aux oreilles, gardant obstinément mes yeux fixés sur le sol. Alice omettait une autre raison bien plus importante encore...

— Alors elle a peur de ne plus savoir en jouer. En tout cas devant des gens, car hier elle a brillamment joué lorsqu'elle était seule. Aussi, elle s'imagine que tout va déraper d'une seconde à l'autre, qu'elle va dire quelque chose qu'elle n'aurait pas dû dire, qu'une dispute va éclater... Bref, que ça se passe mal. Elle imagine tous les scénarios possibles, sans exception. Ce n'était pas qu'elle n'osait pas te le dire, Luke, c'est qu'elle n'arrive pas à poser de mots là-dessus, débita ma meilleure amie, alors que j'évitai tout contact visuel avec les autres

— Oh, Emmy ! Tu aurais dû nous dire que tu n'avais pas joué depuis si longtemps ! On aurait pu t'aider, laissa échapper Caitlin

— Je sais encore jouer... Je n'ai rien oublié, murmurai-je, rouge écarlate

— Elle pense pouvoir gérer ça toute seule, traduisit Alice, me faisant m'empourprer encore plus

A ce stade, mon visage allait finir par devenir noir de confusion.

— Or, on est un groupe. On peut l'encourager, et surtout s'adapter à elle pour qu'elle puisse apprendre à gérer ça, poursuivit Alice

— On peut aussi lui laisser plus de temps pour gérer ça. Aujourd'hui, Mike y arrive très bien une fois qu'il est rassuré, enchérit Caitlin en me souriant avec compassion

— Tu n'as pas peur d'échouer, tu as peur de réussir. La perspective que tu puisses être bourrée de talent te terrifie autant qu'elle te fascine, et ça te ronge. Tu te brides toi-même. La crainte, que peut-être en te libérant totalement tu doives tout abandonner, famille, études, amis, te liquéfie. Mais tu n'iras jamais bien si tu continues à t'emprisonner comme ça, à te couper les ailes à chaque fois qu'elles commencent à pousser, ou à laisser les autres te les arracher, plume par plume. Tu n'iras jamais bien si tu n'as pas le courage de dire clairement les choses quand il le faut, si tu ne trouves plus la force de te forger un monde où tu ne cesses de te construire, si tu laisses la peur te dominer. La peur crispe et bloque l'épanouissement.

C'était Luke qui avait parlé, en me dévisageant d'un air songeur, et me laissant bouche bée. Je ne savais plus si c'était sa soudaine envie de m'aider ou l'effet de ses mots qui m'empourprait. Est-ce qu'il avait raison ? Est-ce qu'il avait tort ? Je ne le savais pas. Mes lèvres tremblaient. Je les mordis pour tenter d'atténuer les preuves physiques de mon mal-être.

— C'est la psychologie que tu aurais dû étudier Luke, murmurai-je avec un rire nerveux

— J'ai raison ? questionna-t-il avec une moue intriguée, jouant avec son piercing

— Je...

— En fait, elle-..., commença Alice

— C'est à Emilie que je parle, pas à toi, Alice, la coupa Luke, le regard riveté sur mon visage. Alors ? J'ai vu juste ? reprit-il

— Honnêtement ? Je ne sais pas, articulai-je d'une petite voix

— Si tu es perdue, c'est peut-être parce que j'ai raison. Penses-y, la réponse te viendra d'elle-même. Tu te sens prête à rejouer ?

— Je crois, oui. Je... Je vais réessayer, répondis-je avant de me lever en détaillant toujours plus le plancher abîmé

Oh, si je pouvais disparaître dans un trou de souris...

— Non, rétorqua-t-il sous mon air pantois, tu ne vas pas réessayer. Nous allons jouer de façon divinement remarquable et ma voix va tous vos transporter dans les limbes de l'irréel, acheva-t-il avec un petit sourire narquois

— Mon œil ! A la moindre fausse note, tu me payes un coup ! riposta Alice en se levant d'un bond

— Tenu ! Allez, Sad Joy, en place !

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Hey ! Comment allez-vous ? 🍁

Que pensez-vous de ce chapitre ? Vous a-t-il plu ? 🍂

À vendredi prochain pour le chapitre suivant ! :) 🍄

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