➵ Chapitre 107
On y était. Au premier concert. Il y a une heure, nous avions mis en place nos instruments avec l'aide de John. Emma, assise à une table avec Eileen et Thomas nous lançait des grands sourires. Glenn aussi était là. Il avait ramené quelques amis à lui. Tout le monde était présent, sauf Clara. Je ne savais pas ce que j'espérais, mais son absence me décevait. Comme pour souligner tout ce que j'avais gagné en la poussant hors de ma vie, Lise m'avait envoyé une tonne de messages encourageants, geignant parfois qu'elle était « dégoûtée de ne pas être là pour ce grand moment. »
Moi, devenir amie avec Lise et ne plus m'entendre avec Clara. Qui l'eut cru ? Cela dit, si j'y réfléchissais, cela faisait bien longtemps que Clara n'était plus mon amie. Elle avait cessé de l'être au moment où elle s'en était prise à Lise de la façon la plus lâche possible, mais j'avais délibérément choisi de me mentir à moi-même.
La fraîcheur bleue des soirs d'été tombait sur les gratte-ciel. Le café se remplissait doucement, nous ne devions pas commencer avant neuf heures. La table juste en face de nos instruments avait été réquisitionnée pour nos boissons. C'était là que nous étions, à attendre que l'heure arrive.
— Ça va être de la bombe ! se réjouit Mike, dont la version finale d'Un été pour tout écrire avait été enregistrée aujourd'hui. J'espère qu'ils feront encore des glaces à minuit trente !
— J'espère aussi ; je vais mourir si je n'ai pas de quoi me remettre ! ajouta aussitôt ma meilleure amie, d'une joie non feinte.
Les répétitions avaient réussi l'exploit de lui faire oublier Antoine : elle ne s'endormait plus en pleurant et ne se réveillait plus les yeux bouffis d'avoir trop pleuré. Doucement, mais sûrement, elle guérissait et redevenait cette jeune femme bouillonnante d'énergie et de motivation.
— Ils y a ceux qui mangent pour vivre et ceux qui vivent pour manger, philosopha Luke, un sourire taquin sur les lèvres.
— Joli chiasme, commentai-je, en posant mon verre vide sur la table.
— Tenez ! s'immisça Caitlin, en posant sur la table la coupe à partager au Alice et Mike avaient réclamée.
Elle s'était proposée pour aller la commander au bar, expliquant qu'il lui était impossible de rester assise sans rien faire en attendant le début. Son regard n'arrêtait pas de se poser sur les gens qui allaient et venaient sur la terrasse, peut-être attendait-elle quelqu'un ?
Elle se rassit à côté de moi, la mine perplexe.
— Mike, tu as déjà de la chantilly sur le nez, signala-t-elle, sur un ton réprobateur.
D'un air glouton, l'intéressé la retira de son doigt qu'il s'empressa de lécher sous l'air dégoûté d'Alice – il avait mis du fond de teint pour camoufler ses pores qu'il jugeait trop apparents – et sous le rire de Luke, guère étonné par le comportement de ses deux amis d'enfance.
— Je ne sais pas comment vous faites pour vous empiffrer autant, dis-je en secouant la tête.
Il n'y avait rien d'étonnant à ça. Mike et Alice avaient toujours faim. Tout était une bonne excuse pour se sustenter et la nourriture était la solution à tous leurs problèmes. Tu as trop chaud ? Mange une glace. Tu as trop froid ? Mange une raclette. Tu as envie de pleurer ? Tiens, prends du chocolat.
— Tu en veux ? proposa Mike en me tendant sa cuillère dégoulinante de crème glacée.
— Non merci, déclinai-je en voyant Alice lui chiper un morceau de meringue.
— N'empêche, reprit cette dernière, la bouche pleine. On a jamais eu autant de projets sur le feu ! Entre ces concerts, notre chaîne YouTube qui se développe et notre EP, on n'a pas le temps de lever le nez ! Et tant mieux !
— C'est vrai qu'on est sur tous les fronts, appuya pensivement Luke.
— Que de bonnes choses à venir, conclut Caitlin en tapotant l'épaule de Mike. Argh ! fit-elle, l'air écœuré. Tu as du chocolat sur ton teeshirt.
Mike haussa les épaules.
— Je fais mes réserves pour le concert. Un coup langue et hop ! Un peu de chocolat.
🎶🎶🎶
Il était temps. Enfin. Le stress s'était fait ressentir chez nous cinq il y a dix minutes, quand nous nous étions rendus compte que le mur était dangereusement proche. Néanmoins, nous avions de quoi l'escalader, et si jamais, de quoi l'exploser. J'avais la gorge tellement nouée que j'ai demandé à Luke de nous présenter à ma place.
La plupart ne faisait pas attention à nous. Ils venaient pour écouter, pas pour voir. D'autres venaient simplement voir leurs amis. Cependant, une dizaine avait les yeux sur nous et attendaient qu'on se lance, et ça me suffisait pour me donner la chair de poule.
« Allons, Emmy ! me sermonnai-je. Tu as déjà dû chanter devant plusieurs centaines de personnes, ce n'est pas ça qui va te poser problème ! » Mais ça faisait un peu plus d'un an que je n'avais pas chanté face à un public.
— Bonsoir ! commença joyeusement Luke.
Du coin de l'œil, je remarquai un groupe de jeunes femmes cesser leur discussion pour le lorgner. Pas étonnant. Dans le public, on nous salua en retour.
— On est le groupe Sad Joy et on va passer la soirée ensemble ! reprit Luke, toujours d'une voix chaleureuse. Vous êtes prêts ?
Un « ouiiii ! » sonore lui répondit.
— Comment ? Je n'entends pas très bien, Alice m'a rendu sourd avec sa batterie ! s'exclama Luke en lui jetant un regard espiègle.
Elle lui tira la langue et tapa un grand coup sur une de ces cimbales, faisant rire les clients qui crièrent plus fort leur approbation.
— Parfait, parfait ! On va commencer par une chanson que vous connaissez peut-être, de notre bien-aimée Taylor Swift. Em, c'est quand tu veux ! termina-t-il en empoignant sa guitare et en ponctuant sa phrase d'un regard dans ma direction.
J'étais au centre, Mike et Luke sur mes deux côtés, Caitlin et Alice derrière nous.
— Quand tu veux toi ! lançai-je en lui offrant un sourire mutin. C'est lui le chef, même si il prétend le contraire, glissai-je au public, dont quelques rires se firent entendre.
Puis, les premières notes de I Knew You Were Trouble annoncèrent l'ouverture du concert.
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— Once upon a time a few mistakes ago
I was in your sights you got me alone
You found me you found me, you found me ! commençai-je, retrouvant aussitôt mes points de repères, Luke et sa guitare à ma droite et Mike et sa basse à ma gauche.
— I guess you didn't care, and I guess I liked that
And when I fell hard you took a step back
Without me without me, without me ! enchaîna Caitlin, derrière moi et Luke.
— And he's long gone when he's next to me
And I realize the blame is on me ! ajouta Mike, en levant la tête vers mon cousin.
Peinée par la fin qui se dessinait pour eux, je fermai les yeux pour entonner le refrain.
— Cause I knew you were trouble when you walked in
So shame on me now !
— Flew me to places I've never been
Till you put me down oh ! clama ensuite Caitlin
Elle empoigna son micro et me rejoignit sur le devant, puisque nous n'avions pas besoin de synthétiseur pour l'instant.
— I knew you were trouble when you walked in
So shame on me now
Flew me to places I've never been ! chantâmes-nous toutes les deux, dos à dos.
— Now I'm lying on the cold hard ground
oh, oh, trouble, trouble, trouble
oh, oh, trouble, trouble, trouble ! continuai-je, seule.
Le stress d'avant le concert complètement oublié et n'ayant pas besoin de ma guitare pour cette chanson, je me laissai entraîner par Caitlin dans une danse improvisée que quelques enfants présents s'empressèrent d'imiter. Car au final, l'essentiel était bien de s'amuser ! La chanson se termina, mes pieds rythmés sur la mesure d'Alice. Des applaudissements nous félicitèrent – sans doute plus pour notre prestation auditive que pour notre interprétation visuelle.
— Merci, merci ! dis-je alors après avoir repris mon souffle. Bonsoir à ceux qui viennent de nous rejoindre !
J'annonçai la chanson suivante et les musiques défilèrent, comme un film au cinéma, sauf que cette fois, j'étais une des actrices principales. Mike se démena vocalement sur Highwell To Hell, d'AC/DC.
— I'm on the highwell to hell ! beuglait-il, la voix presque aussi rêche que la version originale.
S'il y avait bien une image que je voulais garder de lui, c'était celle-là. Celle de mon ami qui oublie son manque d'assurance pour ce concentrer uniquement sur le moment présent, son moment, puisque c'était un quasi-solo. Luke ne l'accompagnait que sur quelques notes, pas même sur toutes les parties où Mike lui avait demandé de l'appui. Il n'en avait pas besoin, et il n'avait pas l'air de s'être aperçu qu'il chantait seul, à présent. Peut-être qu'un jour il pourra se voir à travers nos yeux et apercevoir l'ami en or et travailleur qu'il est.
La chanson suivante, Knocking out on heaven's door, était plutôt pour Luke, puisque c'était son solo. Mike et moi donnions tout avec nos guitare et basse, accompagnés par Alice à la batterie et Caitlin au synthétiseur en mode guitare électrique. Luke était dans son élément, et j'aurais sans doute été subjuguée si je ne devais garder mon regard sur mes cordes de guitare. Sa voix était profonde, pleine d'émotions, atteignant en moi des royaumes de sentiments encore inexplorés. Un regard vers le public du café me permit de conclure qu'eux aussi voyageaient au cœur de leurs propres méandres. Quant à ce que lui ressentait, cela demeurait un mystère. Il y a longtemps que je ne suis plus capable de lire en lui.
Les applaudissements fusèrent aussitôt la chanson terminée. C'était maintenant le tour de Girls Just Want To Have Fun. Et j'étais plutôt excitée à l'idée de la chanter ! Je n'avais rien à faire à part l'interpréter, puisque Mike, Luke, Alice et Caitlin s'occupaient de l'instrumentale. Bref, le public pouvait compter sur moi pour prendre mon micro et me promener un peu parmi eux.
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Mes amis commencèrent à jouer et Mike cria un yeah digne des meilleurs métalleux, ce qui, je le vis, alluma des étoiles dans quelques regards. J'empoignai mon micro et me lançai dans les premières paroles en m'avançant d'abord de quelques pas.
— I come home, in the mornin' light
My mother says "When you gonna live your life right?"
Ma voix était puissante, au point qu'elle semblait tout droit sortir du cœur et révéler mes intentions : m'amuser jusqu'à tout oublier. Et pourquoi pas, après tout ?
— Oh momma dear, we're not the fortunate ones
And girls, they wanna have fun !
Oh girls just wanna have fun... !
Je me faufilai entre quelques tables et secouai mes cheveux en tous sens, imitant Eileen, Emma et John qui faisaient virevolter leurs cheveux. Puis, je me calmai et posai mon pied sur une chaise, jetant ma nuque en arrière pour chanter la suite.
— The phone rings, in the middle of the night
My father yells "What you gonna do with your life?"
Oh daddy dear, you know you're still number one
But girls they wanna have fun
Oh girls just wanna have !
Je m'empressai de descendre mon pied et ma tête quand mon regard s'arrêta sur une adolescente installée avec son frère et ses parents. La coupe de glace devant elle avait l'air appétissante...
— That's all they really want !
Some fun
When the workin' day is done
Oh girls, they wanna have fun
Ho hoo girls just wanna have fun !
A la fin du refrain, j'étais en face de la jeune fille. Profitant du fait que je disposais d'un interlude musical, j'attrapai la coupe et m'empressai de courir la porter à Mike, tandis que Caitlin et Alice scandaient :
— Girls ! They want !
Wanna have fun !
Girls !
Wanna have !
Mike éclata de rire dans son micro et lança un « merci pour la gâterie, sweetie ! » à l'intention de la jeune fille qui avait l'air complètement perdue. En riant, je me dépêchai de la lui rendre. Puis, juste avant de me jeter dans le couplet suivant, j'attrapai Eileen par la main et la fit tourner sur elle-même en chantant :
— Some boys take a beautiful girl
And hide her away from the rest o' the world !
Elle sourit et les larmes qui menaçaient de couler sur ses joues disparurent.
— I wanna be the one to walk in the sun
Oh girls, they wanna have fun
Ho hoo girls just wanna have !
Je l'entraînai dans une danse improvisée totalement ridicule, et fidèle à ses habitudes, Emma nous rejoignit. Prise dans la fièvre de la chanson et de mes mouvements, je ne remarquai pas les flash de l'appareil photo de John. Autour de nous, les gens semblaient amusés, mais ils ne comprenaient que moi, j'étais en train de tout lâcher, de me débarrasser du poids de deux longues années passées à être malheureuse, abandonnée par mes propres aspirations. Maintenant, il était temps d'enlever le plomb de mes semelles.
— That's all they really want
Is some fun
When the workin' day is done
Oh girls, they wanna have fun
Oh girls just wanna have fun !
En reprenant mon souffle, j'entendis percussions supplémentaires : les clients du café battaient des mains au rythme de la musique, ce qui me motiva à me démener encore plus. J'étais dans mon élément, et je le savais. Pour la première fois depuis longtemps, j'étais à ma place et je voulais que tout le monde le voit.
— Girls ! They want !
Wanna have fun !
Girls !
Wanna have ! clamaient mes amies, y compris Eileen et Emma.
J'étais là, j'étais l'adolescente à la coupe de glace, le couple à la cinquantaine juste à côté d'elle, le serveur qui nettoyait une table vide, j'étais Solange, j'étais moi. On brillait toutes les deux. Moi aussi, je serai une étoile, mais pas trop vite j'espère. J'ai encore beaucoup de montagnes à escalader, de forêts à traverser, de fleuves à passer, de tempêtes à maîtriser. J'ai tellement à donner et puis à recevoir aussi. Des rubans, des fleurs, des livres, des mélodies à jeter aux quatre vents. J'ai manqué beaucoup trop d'aube et de crépuscule pour rater les prochains ; j'ai peint trop peu de soleils sous mes paupières pour les fermer maintenant. J'ai beaucoup à expérimenter.
— Girl just wanna have fun ! m'exclamai-je une dernière fois, laissant ma voix monter, haut, très haut, si haut qu'un rire nerveux m'échappa juste après.
— Désolée, ajoutai-je une fois mon rire calmé, ce qui déclencha quelques rires parmi les spectateurs.
Nous fîmes une brève pause le temps de boire un verre d'eau et de nous rafraîchir un peu. Et puis, Alice décrocha le micro perché sur sa batterie et se plaça entre Mike et Luke. Caitlin s'installa à la place d'Alice et je m'installai à la place de Caitlin, prête à jouer les premières notes d'Alice d'Avril Lavigne. Alice attendait que je commence à jouer. C'était bien-sûr son idée d'interpréter la seule chanson éponyme qu'elle connaissait.
Avec l'aide de Mike et Caitlin, elle avait enlevé les couleurs rouge et noire de ses cheveux, retrouvant sa blondeur naturel. Et puis, elle portait une robe bleue avec des collants blancs à carreaux, trèfles, cœurs et pics, ce qui la faisait vraiment ressembler à la Alice. Je souris avant de laisser mes doigts pleuvoir de touche en touche.
Alice s'y projeta de tout son cœur. Sa voix fut d'abord ténébreuse, taillée par la brume du mystère, puis claire comme le pelage du lapin qu'elle devait poursuivre en esprit. Elle portait encore l'ombre d'Antoine en elle, mais j'espérais que bientôt, il ne serait rien de plus qu'une cicatrice indolore. Je serai là pour la soigner.
Un tonnerre d'applaudissements récompensa la performance d'Alice, qui exécuta une révérence parfaite au point qu'elle aurait fait rougir de jalousie les dames de la cour de Louis XIV.
— Merci, merci ! conclut-elle avant de retourner à sa batterie.
Je pris ma guitare. Cette fois, c'était Caitlin qui allait chanter seule.
— Cette chanson est un peu spéciale, annonça-t-elle. Déjà parce que vous la connaissez tous, et ensuite... papa c'est pour toi. Sans toi, on ne serait pas là, dit-elle en regardant ses parents à la table à côté de la fille à la glace.
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Le silence se fit et j'entamai les premières notes à la guitare. Alice me rejoignit à la batterie. Mike joua quelques notes. Caitlin se lança dans Purple Rain, son teeshirt violet étincelant de mille feux sous les quelques projecteurs du café. Au deuxième couplet, Luke s'ajouta à nous. La voix de Caitlin me mena tout droit en enfance, lorsque mes parents, mon frère et moi partions tous les quatre en vacances et que nous nous arrêtions dans des cafés sur le port, et qu'un groupe de rock y chantait cette chanson.
La voix douce et rauque de Caitlin berça son père qui s'était levé pour chanter avec elle. Elle fondit en larmes en entendant le public chanter avec elle, en balançant leur téléphone, lampe torche allumée. Ça rendit son interprétation encore plus marquante. L'on aurait dit qu'un ciel complet d'étoiles nous contemplait gagner en intensité, et mettait en lumière la performance émotive de Caitlin, dont l'éclat zébrait, fendait l'atmosphère brumeuse de l'été. Les passants s'arrêtèrent même pour l'écouter, formant un cercle autour de la terrasse du café, s'immisçant dans l'intimité du moment. Il me semblait alors qu'un fragile fil argenté reliait toutes les personnes présentes, mêlant les océans de sensations de chacun. La musique s'acheva. La connexion se rompit.
Cette fois-ci, une pluie diluvienne d'applaudissements s'abattit sur nous, ravageant les derniers doutes qui étreignaient Mike, lavant les empreintes d'Antoine du cœur d'Alice et essuyant les perles des joues de Caitlin. Il me fut difficile de d'émerger hors du brouillard provoqué par la pluie violette, mais pourtant il le fallut ; j'aurai tout le temps de revivre en boucle l'instant lors de mes prochaines nuits blanches.
— Comme après la pluie vient le beau temps, on va partir sur du Coldplay. Voici Hymn For The Week-end avec Emmy et Luke au chant ! annonça Caitlin, remise de ses émotions.
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Luke et moi échangeâmes un sourire. Cette chanson, c'était notre plus belle interprétation en duo. Caitlin se réinstalla derrière son synthétiseur. On avait dû enlever l'introduction en a capella, puisqu'on n'avait pas réussi à aboutir à l'effet d'écho et de voix lointaine qu'on voulait absolument pour le début. Caitlin joua donc les premières notes au piano, accompagnée par la mesure d'Alice, qui guidera mes pas à travers la forêt.
— Oh, angel sent from up above
You know you make my world light up, débutai-je, errant seule dans l'ombre des pins d'une forêt.
— When I was down, when I was hurt
You came to lift me up, enchaîna Luke, débarquant à côté de moi.
Il désigna de sa main le sentier dont nous nous étions éloignés ces dernières années.
— Life is a drink and love's a drug
Oh now I think I must be miles up, ajoutai-je, en regardant la distance qui me séparait du droit chemin
— When I was a river dried up
You came to rain a flood, termina Luke, en revenant sur le sentier, moi sur ses talons.
J'écrasai sans ménagement les pommes de pins et les aiguilles qui traînaient sur le sol. Je n'ai pas besoin de doutes.
— You said drink from me, drink from me, murmurâmes-nous en avançant, les yeux rivés sur un ruisseau qui nous barrait le chemin.
Ruisseau qui deviendrait une rivière, puis un fleuve, puis une mer, puis l'océan tout entier si nous le nourrissions assez.
— When I was so thirsty, avoua Luke en me regardant enjamber l'eau.
— Poured on a symphony !
— Now I just can't get enough, soupirai-je en me retournant pour observer le ruisseau qui à présent était devenu une rivière.
Il lui faudrait encore beaucoup d'eau pour arriver au stade qu'il rêvait d'atteindre. Cependant, ce n'étaient pas à nous de le remplir, il devait se montrer patient, se laisser former goutte à goutte par la pluie et les flocons. Et ensuite, il pourrait affronter les tempêtes.
— Put your wings on me, wings on me.
Le décor avait changé. Je ne m'en étais pas rendue compte, mais le chemin nous avait menés droit sur une ascension escarpée. Luke et moi nous soutenions mutuellement. Tantôt, je l'aidais à escalader un rocher, tantôt c'était lui qui m'empêchait de sombrer dans l'abîme.
— When I was so heavy, entonna Luke, en me tirant plus haut.
Le sol était loin désormais. Nous nous élevions enfin, et vite. Le sommet n'était plus qu'à quelques enjambements.
— Poured on a symphony !
— When I'm low, low, low, low ! m'exclamai-je, en voyant le gigantesque lac en bas de la montagne.
Il n'y avait pas d'escaliers, pas de toboggan pour descendre. Il nous faudrait faire le grand saut. L'étendue d'eau saurait nous accueillir et nous empêcher de nous briser en plein envol, n'est-ce pas ?
— I, Oh-I, Oh-I
Got me feeling drunk and high
So high, so high ! se lança Luke, du haut de la montagne.
Il sauta.
— Oh-I, Oh-I, Oh-I
Now I'm feeling drunk and high
So high, so high ! répétai-je, avant de le suivre dans le vide.
Le vent me coupa la peau du visage et des bras et des jambes, et enfin, l'eau disloqua chacun de mes os. Le son résonna atrocement dans tout mon corps, mais jamais je ne m'étais sentie aussi vivante qu'en cet instant, plongée dans un lac fictif.
— Oh, angel sent from up above, reprit Luke, la tête hors de l'eau.
— I feel you coursing through my blood
Life is a drink and your love's about
— To make the stars come out, continuai-je, nageant à ses côtés.
— Put your wings on me, wings on me !
— When I was so heavy, dit encore Luke.
Je désignai le maelström qui était au centre de l'étendue d'eau. C'était là que nous devions aller.
— Poured on a symphony, dîmes-nous en nous contemplant l'un l'autre.
— When I'm low, low, low, low ! m'écriai-je, en me mettant soudainement à nager plus vite.
Dès l'instant où j'atteignis l'une des immenses pattes d'araignée, je fus embarquée dans le tourbillon. Très vite, je me retrouvai en son centre. J'avais le choix : me laisser tomber dans le trou béant ou me battre contre le courant.
— I, Oh-I, Oh-I
Got me feeling drunk and high
So high, so high ! se jeta Luke, sans y penser à deux fois.
— Oh-I, Oh-I, Oh-I
I'm feeling drunk and high
So high, so high ! me jetai-je à mon tour.
La lumière s'éteignit. Les ténèbres nous enveloppèrent.Le temps se ralentit. Il me sembla que je tombais lentement, comme si chacun de mes membres était englué dans un quelque chose de visqueux, rendant impossible toute rapidité. Peut-être qu'on avait voulu aller trop haut, peut-être qu'on avait vu trop grand.
— I, Oh-I, Oh-I
La, la, la, la, la, la, la
So high, so high, dit encore Luke
— I, Oh-I, Oh-I
Now I'm feeling drunk and high
So high, so high, répétai-je, plus fort que Luke, intimant à la lumière de revenir et au temps d'arrêter de se jouer de nous.
Je ne suis pas une comète, moi ! Je n'ai pas ma propre lumière pour sillon.
Et puis, la lumière m'éblouit, le silence écrasant fut remplacé par les rires des oiseaux et j'atterris sur une surface cotonneuse. Un nuage ! J'étais sur un nuage. Luke aussi avait le sien. Maintenant, je pourrai me promener dans le ciel pour l'éternité.
— That I shoot across the sky
That I shoot across the... ! chanta Luke, d'une voix plus haute qu'à l'accoutumée
— That I shoot across the sky
Let me shoot across the..., murmurai-je à mon tour, les yeux rivés sur la montagne qui me semblait ridiculement petite, maintenant que j'avais atteint le ciel que je croyais inaccessible.
Je le traversais. Comme une étoile. Comme Solange. Comme Anna.
— Let me shoot across the sky
Let me shoot across the... ! répéta Luke, clôturant sa partie et disparaissant de son nuage.
— Let me shoot across the sky
That we shoot across the..., conclus-je, en revenant à mon tour dans le café.
Tout mon monde fictif disparut, aussi vite qu'il m'était apparu.
Et cette fois, je vis au regard de Luke qu'il avait vu les mêmes images que moi. On nous applaudit à tout rompre : peut-être les clients étaient-ils venus avec nous dans notre escapade ? Avaient-ils remarqué que c'était là une promenade dans nos cinq esprits que nous leurs proposions ?
Je partageai un morceau de bonheur avec mes quatre amis.
Un sourire.
Maintenant, il était temps de voler de nos propres ailes.
~
Hello ! Comment allez-vous ? :)
Voilà, on y est, c'était le dernier chapitre de Tout pour la musique. Je n'arrive pas à réaliser ! 107 chapitres, wow ! Je n'ai jamais écrit une histoire aussi longue 🙈 Bon bien sûr, il reste l'épilogue !
N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de ce chapitre : le tout début, le concert, l'arrêt sur chaque personnage le temps de quelques mots (et d'une chanson😉), le duo d'Emmy et Luke à la toute fin, etc... Pensez-vous qu'il conclut bien le roman ?
Je vous remercie pour votre fidélité ! 💚
Merci de m'avoir suivie ces dernières années, malgré la longueur extrême de l'histoire 💜
On se retrouve mercredi 14 juillet 2021 pour l'épilogue !
Prenez bien soin de vous ! 💚🎶
(Et écoutez de la musique 😁)
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