Des fleurs. Il pleuvait des fleurs aujourd'hui. Leur odeur m'avait enivrée sur le chemin de la maison de Mike, ou du moins tâchais-je de m'en convaincre. Peut-être qu'imaginer des pétales à la place des perles d'eau qui roulaient sur mes joues me permettrait de les arrêter dans leur course effrénée. Je ne savais même pas pourquoi la pluie tombait de mes yeux aujourd'hui.

Au beau milieu d'une rue fleurie, elles disparurent. Je pouvais maintenant me reprendre. J'avais pensé à chanter Boulevard Of Broken Dreams. C'était quand même incroyable qu'en l'espace de quatre ans nous ne l'ayons jamais chantée ! Alice affirmait que c'était une bonne idée et Thomas avait passé en revue toutes les covers de la chaîne pour vérifier qu'elle n'y était pas déjà, tellement il ne nous croyait pas. Je m'étais promis d'ignorer Clara, si elle était là, et d'éviter le sujet.

Alors que nous n'étions plus qu'à une rue de chez Mike, je m'arrêtai brutalement et sortis mon téléphone pour observer mon reflet. Je soupirai : mon mascara avait coulé sur mes joues et j'avais les yeux rouges, pire qu'un raton-laveur égrotant ! Je fouillai dans mon sac à main et en sortis un mouchoir. Je devais avoir un espèce de sixième sens, un peu comme Spiderman, puisqu'aujourd'hui j'étais sortie avec mon correcteur et mon mascara.

— Tu répares les dégâts ? se moqua gentiment Thomas

— J'essaie.

Hier, je m'étais énervée pour rien. Avant, je n'étais pas comme ça. Qu'est-ce qui m'a rendue aussi soupe au lait ? Moi-même je ne le savais pas. Lise pensait qu'elle m'avait influencée. Je pensais surtout qu'il fallait que j'apprenne à me détacher des choses, et à arrêter de prendre tout à coeur. J'avais tellement pleuré que c'était miraculeux que je ne me sois pas littéralement noyée dans mes larmes. C'est vrai, ce matin j'avais de l'eau jusqu'aux chevilles ! 

   Maintenant que je ne ressemble plus à un vieux panda aigri, on peut reprendre la route, songeai-je en recommençant à marcher sous le silence étonnant d'Alice. D'habitude, elle ne se serait pas gênée pour m'embêter. Quelque chose clochait, et je décidai de régler la chose avec plus ou moins de subtilité :

— Tu es bien silencieuse, Alice. Que se passe-t-il ?

— Je ne suis plus sûre que ça soit une bonne idée, soupira-t-elle. On n'a pas vraiment pris le temps d'y réfléchir, ça va trop vite.

— C'est ta seule chance, Alice, notre seule chance, corrigeai-je, alors pour une fois, je te demande d'être impulsive et de foncer tête baissée.

— Décidément, Emmy, le manque de sommeil t'empêche de trop penser. Pour une fois, ajouta-t-elle, en riant légèrement.

  Ah, si elle savait ! Depuis que nous avions parlé à Lise je n'avais fait que de ressasser la journée d'hier. Et toutes celles d'il y a deux ans, aussi. Enfin, on passera bientôt à trois ans. Et puis, j'avais pensé à Clara aussi, à son comportement bizarre en arts plastiques lorsque nous étions à Saint-Mathew. Comment ai-je pu être aussi aveugle ?

  Et évidemment, j'avais pensé à Luke. Malheureusement. Solange m'a un jour confié que, dans son cas, la meilleure technique pour oublier quelqu'un est de rencontrer quelqu'un d'autre. Ça pourrait marcher. Si je n'étais pas aussi sociable qu'un flamant rose en fin de vie évidemment. Oh, qu'est-ce que je l'aimais, Solange !

   Devant moi, Alice et Thomas discutaient de comics, débattant cette fois entre Aquaman et Captain America.

— Sérieusement ! m'écriai-je, cette comparaison n'a pas lieu d'être !

Mon cousin de tourna vers moi, goguenard, et lança :

— Tu vois Alice, je t'avais dit que ça la ferait atterrir parmi nous !

Celle-ci partit dans un rire léger, tandis que la maison de Mike apparaissait sous nos yeux. Modeste, des escaliers recouverts de sable gris menaient à son entrée. Quelques arbustes et petites fleurs rouges s'épanouissaient çà et là. Qu'est-ce que j'aimerais que Ludovic soit là ! Il aurait pu me dire exactement quelle type de plante c'était. J'allais faire part de ma pensée à Alice, mais elle était déjà plantée devant la porte d'entrée, la main sur la sonnette.

  Quand Mike ouvrit la porte, nous l'avions déjà rejointe.

— Ah, salut tout le monde ! On vous attendait ! se réjouit Mike en s'effaçant pour nous laisser entrer

Les joues déjà rougissantes, j'étreignis Caitlin, laissant à Thomas le soin de se présenter à elle. Et comme mon coeur se pensait sur un roller coaster, je dûs me faire violence pour ne pas dire deux mots à Luke, qui pourtant n'avait fait que de me saluer. Calme-toi, Emmy. Pas encore.

   Comme dans un rêve, j'écoutai Mike nous proposer quelque chose à boire et Thomas lui demander où étaient passés ses parents. Il lui répondit qu'ils travaillaient. Me sentant aussi vide qu'un coquillage esseulé sur la plage, je me laissai tomber à côté de Mike, sur le canapé.

— Quel cachalot ! commenta-t-il en riant. Tu prends toujours autant de place !

— Ma graisse et moi, on t'emm-

— Quelle graisse ?! se récria subitement Alice, si subitement qu'en se redressant son coude cogna le menton de son voisin

— Aïe ! protesta Luke en se frottant le menton

— Oups. Désolée Lucas, je n'ai vraiment pas fait exprès, gazouilla-t-elle avant de me faire un clin d'œil qui me fit m'esclaffer

— Des enfants, soupira Caitlin, vous êtes des enfants... Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas qu'on fasse des reprises de comptines ?

— A ce propos, les filles, vous avez eu des idées ? questionna joyeusement Mike

— Boulevard Of Broken Dreams ! m'exclamai-je immédiatement

Ma déclaration jeta un froid glacial dans la pièce. Bien vite, je me ratatinai dans mon coin, on ne peut plus confuse.

— Il... il ... il y a un problème ? bredouillai-je

— Non, non, me rassura Caitlin en souriant, c'est juste que ça colle étrangement à notre situation...

— Peut-être même un peu trop, murmura Luke, que mes yeux fuyaient

— Justement, répondis-je à Caitlin, il faut qu'on reprenne des choses qui nous parlent, des trucs qui nous prennent par les tripes au point qu'on en oublie de respirer.

— Emmy, tu es un génie ! affirma Mike, à la surprise générale. Désolé, ajouta-t-il à mon attention, tu m'as laissé sans voix, car je n'y avais même pas pensé ! Alors que c'est ta chanson préférée ! Ça rendra si bien ! se réjouit-il

— Si tu veux la chanter Mickey, alors moi aussi, annonça Luke, sûr de lui. Et toi, Alice, tu as pensé à quoi ? Car il n'y a qu'Emilie pour penser à Boulevard Of Broken Dreams !

— Ou toi, marmonna Mike à côté de moi, tandis que je tentais par tous les moyens de ne pas lui répondre que c'était aussi, en tout cas à l'époque, sa chanson préférée

— J'ai pensé à Numb du groupe Linkin Park, avoua ma meilleure amie, et aussi à Ignorance de Paramore...

— Ce ne sont pas des chansons très joyeuses ! commenta Luke, sinon, nous on a songé à Leave Out All The Rest de Linkin Park, aussi.

— Ah, parce que tu trouves que c'est une chanson joyeuse ? laissai-je échapper

Il plongea son regard azur dans le mien, et je luttai pour ne pas déchanter. Car cette fois-ci je ne pourrai pas l'ignorer.

— Dans notre cas, c'est peut-être un peu plus joyeux qu'une chanson parlant de rêves brisés et une autre évoquant la difficile acceptation de soi par les autres, notamment par les parents, tu ne crois pas ?

— Si tu le dis, répondis-je, mais les premières paroles sont quand même « I dreamed I was missing you were so scared », et cætera. Et ..., hésitai-je, ne va pas me dire que ça ne t'évoque rien !

  Son regard se voila un court instant. Bien-sûr que cela lui évoquait quelque chose ! Et à moi aussi, d'ailleurs. Il se racla la gorge, mal à l'aise et reprit :

— C'est triste, mais d'une différente manière. Parce que ça évoque ... autre chose, comme tu l'as si bien dit. Tu n'aimes pas cette chanson ? questionna-t-il

— Non, réfutai-je avec un léger sourire que j'espérais convaincant, là n'est pas la question. C'est une belle chanson. Trop même. Elle me fait mal au coeur à chaque fois que je l'écoute, avouai-je, sans m'en rendre compte.

   Je mordis la lèvre et mes joues prirent la teinte d'une pivoine. Je venais de faire une énorme bourde ! Pitié, pitié, qu'il ne pose pas de questions. Je ne veux pas en parler ! Mon coeur courait hors de ma poitrine, une goutte de sueur ruisselait le long de ma colonne vertébrale et mes muscles étaient aussi tendus que pendant une séance de gainage.

— Oh, je vois, laissa-t-il échapper, ses yeux clairs fuyant soudainement les miens

   Le soulagement que je ressentis fut tel que mes muscles s'en trouvèrent interdits. J'étais de nouveau un coquillage. Luke mordillait son piercing, les yeux rivés sur le sol. C'était peut-être sa nouvelle habitude quand il était plongé dans ses pensées, ou quand il était mal à l'aise. Avant, il se serait sûrement gratté la nuque ou aurait passé sa main dans ses cheveux. Quoique, il mordillait déjà sa lèvre inférieure à l'époque.

— Moi, je veux bien qu'on fasse Leave Out All The Rest, annonça Alice. Elle a aussi le mérite de nous parler à tous. Sans exception, ajouta-t-elle, prudemment, son regard dirigé dans ma direction

— Ça pourrait être une bonne chose de recommencer avec cette chanson, appuya Caitlin, d'ailleurs Mickey tu as une idée de ce qu'on va dire à nos ... euh ... fans ? Je n'aime pas ce mots, il faut qu'on en trouve un autre !

— Auditeurs ? Viewers ? suggérai-je

— Pourquoi pas Emmy, admit Mike. Pour répondre à ta question Cait', j'ai songé à tout dire de A à Z. Tout, absolument tout, précisa-t-il en nous dévisageant successivement moi et Luke.

Je regardai alors mes pieds, le teint pâlissant. Un rapide coup d'œil à Luke me permit de voir qu'il lorgnait son ami d'un air agacé, qui voulait clairement dire « certainement pas ! ».

— Mais rassurez-vous, reprit tranquillement Mike, je me suis ensuite dit qu'on n'allait pas dévoiler toute notre vie privée à nos quinze mille abonnés ! Donc, je-...

— Quoi ? coupai-je, quinze mille ? Il y a quinze mille personnes maintenant ?! Tu plaisantes !

— Bien-sûr que non, Emmy ! assura-t-il, fièrement. Je disais donc, qu'on pouvait tout simplement leur dire que comme vous viviez en France et nous ici et qu'avec nos diplômes et études, ça a été compliqué ces deux dernières années. Ce qui, en soit, n'est pas trop faux, précisa-t-il, et qu'on a sérieusement songé à arrêter. Parce qu'avec tout ça, on s'est éloigné. Et, euh, toussota-t-il, on ne va pas détailler le tout ça. De toute façon, Luke, il y en a qui t'avaient reconnus comme le frère d'Anna, donc ça leur donne déjà une petite idée...

— Tu m'en vois ravi, ironisa mornement l'intéressé

— Bref, on va juste passer sous silence quelques éléments. Ça ne fait pas de nous des menteurs, si ? demanda piteusement Mike

— Techniquement si, répondit Caitlin. La vérité, la seule et irrévocable, est qu'on a rencontré des problèmes importants qui ont eu pour conséquences l'éloignement et l'abandon du groupe.

— C'est exactement ce que j'ai dit, bougonna Mike en croisant les bras

— Pas au mot près ! rétorqua-t-elle, en riant

— Tu pinailles ! protesta-t-il

Alice s'éclaircit la gorge :

— Donc, tout le monde est d'accord pour Leave Out All The Rest ?

— Si Emilie le veut bien, répondit alors Luke, en me gratifiant d'un sourire au coin

   Comment pouvait-il faire cela ? « Ok, Emmy, là tu exagères. Luke a toujours fait des sourires au coin et a toujours taquiné tout le monde » songeai-je. Ma parole, je deviens frappa dingue !

— Je n'ai jamais dit que je ne voulais pas ! protestai-je, avec véhémence.

   Et sans doute un peu trop car tout le monde me regarda d'un air interdit. Je me mordis la lèvre. Ma susceptibilité n'avait pas fini de me jouer des tours...

— J'ai simplement dit que ce n'était pas une chanson heureuse. Et je suis tout à fait d'accord pour qu'on la chante. Reste juste à savoir comment on va s'organiser ! m'empressai-je d'ajouter avec entrain

Face au regard alarmiste d'Alice, je devinai que je devais absolument parler à Luke. Et rapidement.

— Facile ! répondit immédiatement Mike, me sauvant d'un autre silence gênant. On joue tous les quatre et Luke est au chant ! On n'a jamais testé cette configuration, alors c'est l'occasion ! se réjouit-il. Et je peux faire les chœurs !

— Emballé, c'est pesé ! s'exclama Alice, avant de se lever d'un bond. Oh ! Au fait, vous avez réussi à vous procurer une batterie ? questionna-t-elle, joyeusement

— Celle de DobbleKay, oui ! répondit Luke, se levant à son tour

— Elle t'attend dans mon garage ! Je n'ai pas trouvé de meilleur endroit, expliqua Mike, car on ne va pas jouer dans le salon quand mes parents seront là... Ils vont me tuer sinon !

Je suivis Mike jusque dans le garage, ma guitare à mes côtés. La pièce était grande, grise et une lampe puissante l'illuminait comme en plein jour. Au fond de la pièce, trônaient une batterie et un synthétiseur. Sur la droite, près de la où nous venions de rentrer, des étagères remplies d'outils et de pièces en tout genre reposaient contre le mur. Il y faisait frais.

— En place ! s'exclama joyeusement Mike

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Hey ! Comment allez-vous ? :) 🍁

Que pensez-vous de cette première discussion du groupe, de la chanson qu'ils ont choisie de chanter ? :) Êtes-vous fan du groupe Linkin Park ?

Sinon, avez-vous un groupe, chanteur/chanteuse préféré(e) ? Un style préféré ? :)

Merci d'avoir lu ce chapitre et à vendredi prochain ! 🍄🍂

Prenez soin de vous ! ❤️