➵ Chapitre 1
— Tu es sûr que c'est une bonne idée ? demandai-je à Thomas, pour la énième fois.
Mon cousin leva les yeux au ciel et soupira.
— Bien-sûr que oui, j'en suis sûr. Ça te fera du bien, ça fera du bien à Alice, ça me fera du bien. Conclusion : ça nous fera du bien, répondit calmement Thomas.
Thomas Dray était l'idée même que l'on se faisait d'un étudiant lambda. Cheveux bruns en bataille, yeux bruns, grand et légèrement musclé. Et « incroyablement beau » selon la plupart des filles de mon amphithéâtre. Sauf qu'il avait horreur des fêtes étudiantes et qu'il n'y mettait jamais les pieds. Tout comme moi, d'ailleurs. Si lui étudiait la chimie, j'avais choisi de m'orienter dans la littérature...
Thomas avait toujours rêvé de faire ses études à l'étranger. Alors, quand il m'avait proposé une colocation sur Paris, je n'avais pas hésité une seule seconde. Tout droit venu de Seattle, il m'avait apporté fraîcheur et bien-être, et aussi son accent à couper au couteau. J'avais enfin pu tourner la page.
— Je n'en suis pas si sûre, marmonnai-je, sceptique
— Emmy, soupira-t-il en s'asseyant à côté de moi, ce ne sont que des vacances entre nous trois, rien de plus. Franchement, qu'est-ce qui peut nous arriver ? C'est juste un voyage à New-York, on ne va pas mourir à ce que je sache ! Le temps est passé. Alice a su prendre du recul, et elle aimerait te changer les idées pour que tu puisses faire de même.
J'opinai de la tête, tandis que mon cousin jouait avec une de mes mèches de cheveux, bleus et mi-longs, avant de la lâcher.
— On aurait aussi pu aller à la cité émeraude, lâchai-je
— Non, c'est beaucoup moins distrayant, argumenta-t-il
A ces mots, il se leva.
— Tu devrais terminer ta valise, me conseilla-t-il, avant de quitter la pièce. Alice ne va pas tarder à arriver. Et ne rumine pas !
J'acquiesçai, même s'il avait le dos tourné et qu'il ne pouvait pas me voir faire oui de la tête. Je ne savais pas où j'en étais. Facile à dire. Ça faisait quoi, deux ans ? Oui, ça allait faire deux ans que je n'avais pas mis les pieds à New-York. Je me souvenais que la toute première fois, j'étais une adolescente insouciante et surexcitée, qui voulait en savoir plus sur le correspondant de sa meilleure amie, dont elle était secrètement amoureuse, bien que ce n'était pas si secret puisqu'elle était au courant. Et puis, les deux fois suivantes, j'y étais d'abord allée languissante puis inquiète. Je chassai vite ces souvenirs de ma tête. Aujourd'hui, c'était plutôt une jeune femme perdue qui partait.
Comme à mon habitude, je pris mes écouteurs et lançai Boulevard of Broken Dreams. Certaines choses ne changeraient jamais. Je finis ma valise en fredonnant les paroles, qui tournaient en boucle dans ma tête depuis des années. Et je m'y étais retrouvée, dans ce boulevard, et je donnerais n'importe quoi pour en sortir, mon âme s'il le fallait. Je ne vivais pas, mais alors pas du tout, une miette de la vie dont j'avais tant rêvée.
Il ne me restait plus qu'à ne pas oublier mon passeport, mon billet, mon visa et le tour était joué. J'observai mon énorme valise bleue, fermée au moyen d'un cadenas à code, et mon sac à dos noir, satisfaite. J'avais quand même hâte de partir, sans compter que j'adorais les voyages. J'espérais être à côté du hublot. Sans réfléchir, je rangeai ma vieille guitare acoustique dans sa housse de transport. Je n'irai nulle part sans ma vieille amie.
— J'espère que tu n'as pas oublié ton maillot de bain ! chantonna une voix espiègle, à l'entrée de ma chambre
— Et toi ta crème solaire ! claironnai-je, soudain plus joyeuse.
La présence d'Alice avait toujours égayé mes journées, et ce n'était pas prêt de changer. Même avec les années, elle n'avait pas perdu sa joie. Ni son côté un peu désaxé, même si elle avait mûri. J'observai ses cheveux courts aujourd'hui teints en rouge vif et aux mille mèches noires.
— Qu'est-ce qu'il y a ? questionna-t-elle, sourcils froncés, pourquoi tu me regardes comme ça ?
— Rien, dis-je, en détournant le regard, c'est juste que... Tout a changé.
— Oh, Emmy, murmura-t-elle en s'asseyant sur mon lit, c'est New-York qui te met dans cet état ?
— Un peu, avouai-je, je n'y pensais plus avant que tu m'en parles, il y a un mois...
— D'un côté, je te comprends car si Antoine et moi étions amenés à nous séparer, je mettrais des années à m'en remettre. Ce n'est pas étonnant que tu penses encore à Luke. Tu n'es peut-être pas restée plus d'un an avec lui, mais c'était fort ce que vous avez vécu. Tu ne l'oublieras jamais. En plus, c'était assez sombre comme histoire. Ça laisse des marques, déclara-t-elle avec douceur
— Je ne veux pas vivre dans le passé, Alice. J'en ai vu les conséquences...
— C'est pour ça que je t'emmène à New-York. Et non, soupira-t-elle devant mes yeux écarquillés suite à la pensée qui venait de me scinder l'esprit, je n'ai envoyé de messages à personne concernant notre arrivée. De toute façon, ça fait presque deux ans que je n'ai plus de nouvelles. A part Mike, de temps en temps. Mais je n'ai rien dit.
Elle m'avait devancée.
— Et puis, on te fera penser à autre chose, sourit-elle
— Mais Alice, je ne suis plus attachée à lui, lui rappelai-je en secouant la tête
Elle haussa un sourcil avant de me dire que c'était l'heure de dîner et qu'on devait se coucher tôt pour prendre un peu de repos. Je dis oui à toutes ses paroles, l'esprit trop embrumé par mes souvenirs et par le futur. Je ne savais pas si ce voyage était une bonne idée, mais la seule chose dont j'étais certaine était que prendre des vacances ne me ferait pas de mal. Il me suffisait de ne pas y penser. Mais depuis un mois je ne pouvais m'en empêcher.
Dans un souffle tremblant, je rejoignis Thomas et ma meilleure amie dans la cuisine. Nous avions commandé des pâtes et j'étais bien trop nerveuse pour avaler quoique ce soit. Mon estomac était noué et mon bas ventre se noyait dans une douce chaleur que je n'avais pas sentie depuis longtemps. Je ne savais pas ce que j'attendais de ce voyage, je partais sans réfléchir. J'avalai ma nourriture tant bien que mal, faisant de mon mieux pour participer à la conversation, mais le coeur n'y était pas.
Comme un automate, je fis la vaisselle tandis qu'Alice essuyait et Thomas rangeait. Ce fut rapide. Ils parlaient des endroits à visiter, des parcs d'attraction.
— Tu vas adorer New-York ! s'exclama Alice, à l'adresse de Thomas
— Je n'en doute pas ! s'extasia-t-il, et toi aussi Emmy, tu verras ! Attends d'être happée par la flamme des vacances !
Je joignis mon rire au sien avant de les suivre à la salle de bain pour nous occuper de nos petites quenottes qui ne demandaient qu'à être dorlotées. Quelques embrassades plus tard, j'étais dans ma chambre, en pyjama. Je plongeai sous ma couette, réfléchissant à toute allure.
New-York était une grande ville avec plusieurs millions d'habitants. Les probabilités de tomber sur lui ou quelqu'un d'autre étaient très faibles. Je n'avais donc pas à m'en faire. J'allais profiter de ces vacances.
Malgré tout, je me tournais et me retournais dans mon lit, tant j'étais fébrile, le cerveau embrumé par des « et si ? ». Je finis par m'endormir dans un sommeil sans rêve.
🎶🎶🎶
Quand mon réveil sonna, je me levai en quatrième vitesse. Vite ! Je me jetai de l'eau froide sur la figure pour me réveiller, retournai dans ma chambre et enfilai mes vêtements. Dans la cuisine, je retrouvai Alice et Thomas où nous mangeâmes à la vitesse de l'éclair. Notre avion décollait à huit heures, heure française. Il était 5 heures du matin. Je finis mon café d'une traite ; notre taxi n'allait pas tarder à arriver.
Quelques minutes plus tard, nous étions au bas de l'immeuble. Une fois à l'aéroport Charles De Gaulle, nous enregistrâmes nos bagages. Il était un peu plus que 6 heures du matin. À présent parfaitement réveillée, j'essayais de ne pas penser à lui. Heureusement pour moi, Alice et Thomas me distrayaient en me montrant des vidéos hilarantes. Finalement, nous embarquâmes enfin. Il était 7 heures et demi.
Au beau milieu d'une rangée, j'étais entre Alice et Thomas. Avec animosité, nous parlions de la piscine de l'hôtel dans laquelle Alice rêvait de se prélasser. Elle souhaitait plus que tout oublier l'avenir qui l'attendait. Sa ceinture déjà bouclée, elle trépignait en attendant le décollage.
8 heures et deux minutes. L'avion bougeait. Enfin. Alors qu'il s'élevait dans les airs, je regardai alors le franc sourire sur les lèvres d'Alice et l'air béat sur le visage de Thomas. 8 longues heures plus tard, nous atterrissions à l'aéroport John F. Kennedy. Il était un peu plus de dix heures du matin, heure américaine. J'avais alterné entre phases de sommeil et films tandis qu'Alice n'avait pu fermer l'œil du trajet et que Thomas avait entièrement dormi.
L'aéroport n'avait pas changé. Je repoussai tant bien que mal les visages qui me revenaient, ses yeux si bleus mais si douloureux, son air moqueur, les cheveux colorés de l'un, la peau sombre de l'autre. D'autres souvenirs plus lancinants encore affluaient, et je faisais de mon mieux pour les ignorer et les jeter dans une boîte. Machinalement, je suivais Alice.
Arrivée à l'extérieur, je respirai l'air frais quoique pollué de New-York. J'y étais. Cette seule pensée me fit frissonner. Il me semblait même entendre mon coeur battre plus fort. Je retirai mon sweat et l'accrochai à ma taille tandis que Thomas s'avançait pour appeler un taxi.
— Oh, Emilie ! Pourquoi l'as-tu emmené ? s'exclama Alice en regardant mon poignet auquel était accroché son bracelet
— Je ne me voyais pas venir à New-York sans le rendre à son propriétaire, expliquai-je d'un ton dur
— Tu ne vas jamais lui rendre, objecta-t-elle avec douceur, cela signifierait le revoir.
J'haussai les épaules :
— Ils ont une boîte aux lettres.
Alice soupira. Il y a un mois, j'avais ressorti ce bracelet de ma boîte à bijoux. Depuis, il n'avait plus quitté mon poignet. Il était d'une importance capitale, et je devais au moins le rendre.
Dans le taxi, je dévorai des yeux New-York et ses gratte-ciel, New-York et ses souvenirs. Alice parla longuement avec le chauffeur et je mis un point d'honneur à les écouter. Arrivés à l'auberge de jeunesse et clés en mains, nous prîmes l'ascenseur. Alice et moi partagions la chambre.
Je rangeai toutes mes affaires dans la chambre composée d'une vaste armoire, deux lits simples et quatre grandes fenêtres. Les douches et les toilettes étaient au fond du couloir, nous y avions accès à l'aide d'une carte. Serviettes et vêtements en main, tongs au pieds et suivie d'Alice, je me dirigeai vers les douches. J'entrai dans l'une des cabines et me détendis sous l'eau chaude.
Revigorée, je retournai dans la chambre pour y trouver Alice. Déjà prête, elle m'observa brosser mes cheveux.
— Je te jure, Emmy, le bleu c'est ta couleur ! s'exclama-t-elle
— Ne me rappelle pas la tête de mes parents ! blaguai-je
— Inoubliable ! se moqua-t-elle, en insistant sur chaque syllabe
Je m'assis à côté d'elle, observant le mur bleu ciel en face de moi qui me rappela un regard que je pensais oublié.
— Qu'allons-nous faire ? questionnai-je, à la fois pour moi-même et elle-même
— Eh bien, répondit-elle, on va déjà descendre dans la salle à manger rejoindre ton cousin, puis ensuite, je propose qu'on passe voir Emma et John. Ça te fera du bien.
— Quelle bonne idée ! m'écriai-je, je n'ai pas vu Emma depuis si longtemps !
Elle vivait dans le Queens aux côtés de John, ayant réussi à intégrer une prestigieuse école de stylisme à New-York. Elle nous avait donné son adresse dès l'instant où Alice et moi lui avions annoncé notre départ pour New-York. Elle ne savait pas que nous arrivions aujourd'hui. La mine réjouie, je suivis Alice dans le long corridor. Voilà qui promettait d'être super !
~
Hello ! Comment allez-vous ? Votre rentrée s'est bien passée ? :)
Que pensez-vous de ce premier chapitre ? Vous a-t-il plu ?
A vendredi prochain pour le chapitre 2 ! ♡
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top