XII • Lison
Je me laisse brutalement tomber en arrière. Mon coccyx frappe le sol violemment et je grimace sous la douleur fulgurante. Cette sensation me paraît pourtant si réelle. La disparition de Line passe en second plan ; nous ne pouvons de toutes façons rien faire.
Pour quelles raisons nous enverrait-on ici ? Et si cela avait à voir avec Kenan et ces multiples cicatrices que j'ai pu observer dans mon souvenir ? J'écarquille les yeux alors que mon cœur bondit. Mon regard heurte la silhouette de Kenan, dont les bras croisés sur sa poitrine ne font que rendre sa carrure plus impressionnante.
— Kenan, je pense que... tu devrais nous dire exactement ce que tu as vu, dans tes derniers souvenirs.
Il relève brutalement la tête et m'observe, un brin de détresse dans son regard cristal. Il échange une œillade complice avec Luke, qui se contente de hocher la tête. Je suis l'échange silencieux, les sourcils haussés. En auraient-ils déjà discuté ?
Le jeune homme s'humidifie les lèvres et souffle. Il s'assoit alors doucement à mes côtés et invite du regard Luke à faire de même. Mon frère - même s'il m'est étrange de l'appeler ainsi - passe une main dans ses cheveux charbon, désemparé. Mon cœur se met à battre plus vite en prévision de sa déclaration.
— Bien, murmure-t-il si bas qu'il me faut tendre l'oreille pour l'entendre, malgré l'absence de bruits alentours.
— Je... reprend-il, je crois que je suis un assassin.
Il relève le regard et le plante dans le mien, attendant nerveusement une réaction de ma part. Je suis étonnée de n'être pas surprise ; d'une certaine manière, je m'y attendais. C'est l'une des explications les plus plausibles pour ses diverses balafres. Il y en a peut-être une autre, mais celle-ci est l'idée que nous devons creuser. Je ne me suis jamais sentie en danger à ses côtés et c'est cette impression qui domine la peur naturelle que je ressens lorsque le mot "assassin" se met à planer autour de nous. Je déglutis et demande doucement :
— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
— Et bien... Le tout premier souvenir qui m'est revenu était très sombre, et très flou, mais je pense l'avoir compris. Je n'entendais qu'un respiration hachée, il y avait une odeur d'hémoglobine omniprésente et ma main était crispée sur un objet poisseux. Probablement une arme, lâche-t-il. Ensuite, la nuit dernière, j'ai... revu un autre souvenir. Etrange lui aussi.
Son regard croise un court instant celui de Luke, qui l'encourage d'un signe de tête. Aucune colère ne brille dans les iris chocolat du jeune homme, alors que sa patience aurait déjà atteint ses limites s'il était question d'une autre personne.
— Je courrais. je fuyais une structure dallée, effrayé et alerte à tous les sons suspects. Ma paume était tachée de sang. La seconde tenait une lame. Et j'ai entendu une détonation avant de me réveiller.
Je hoche la tête, les yeux perdus dans mes réflexions. Les chances qu'il ne soit pas un assassin, comme il dit, commencent sérieusement à réduire. Pour pouvoir éliminer toutes autres possibilités, il faudrait analyser ces cicatrices, si elles sont encore présentes. Peut-être nous donneront-elles plus d'indices.
Mon regard curieux court sur son torse dissimulé sous sont haut sombre.
— Est-ce que tu peux retirer ton tee-shirt ? demandé-je de but en blanc.
Il hausse les sourcils, le regard étonné et confus ; il ne comprend pas le lien entre mon étrange requête et sa confession.
— Je t'accorde que la demande est bizarre, mais... s'il-te-plaît ?
Il glisse un bref regard vers Luke puis saisit les rebords de son haut sombre avant de le faire glisser sur sa peau halée et marquée. Mes yeux s'agrandissent à la vue des cicatrices de toutes tailles qui lézardent sur son torse. Le jeune homme, débarrassé de son haut, observe à son tour les curieuses marques sur sa peau. Il glisse un timide doigt sur l'une d'elles avant de grimacer.
— Ca te fait mal ? le questionne instantanément Luke.
— Oh, non, non, pas du tout. C'est juste que... enfin, je pensais pas être marqué comme ça.
Il relève ses pupilles intriguées sur moi.
— Comment tu les connaissais ?
— Je les ai vues en souvenir.
Mes pommettes s'empourprent et je reprends ;
— Je t'y voyais t'entraîner avec un sac pour cible, torse nu. Et donc forcément... Je les ai remarquées.
Il hoche la tête et observe les formes diverses de ces cicatrices.
— Certaines semblent avoir été faites par des balles. D'autres sont bien trop longues et fines pour ça, énonce Luke.
Kenan, visiblement gêné d'être au centre de l'attention, se rhabille rapidement.
— Alors, c'est certifié. Je n'ai probablement pas fréquenté ni rencontré que des personnes honorables. Et au vue du nombre, ce ne sont pas juste des coups perdus. Je me battais. Et ça, additionné à mes souvenirs, indique clairement que je suis un... meurtrier, murmure-t-il.
Il reste un instant figé par le poids de cette révélation, le regard vide. Ses maigres espoirs se sont effondrés. Il n'y a pas d'autres possibilités. Il se laisse soudain basculer en arrière.
— Peut-être qu'on est tous là à cause de moi.
— Qu'est-ce que tu racontes ? demandé-je, les sourcils froncés.
— Quand est-ce qu'est revenu ton souvenir, exactement ?
— Celui où tu te bats ? Lorsque je vous regardais combattre, ce matin.
— Tu l'as dit à Line, l'histoire des cicatrices ?
Mon cœur sursaute. Je commence à voir où il veut en venir, et cela ne me paît pas du tout.
— Non... soufflé-je après un instant de silence.
Il se relève sur ses coudes pour nous observer.
— A ce moment-là, Luke connaissait mon passé et ma possible identité. On avait tous un indice sur ce que... j'étais, sauf Line.
J'écarquille les yeux et mon cœur se pince vivement.
— On serait là parce... qu'on sait qui tu es ? questionne Luke, les sourcils froncés d'incompréhension.
— Ca n'a aucun sens !
— Oh si, ça en a un.
Je me concentre sur Kenan, alors qu'il lâche cette phrase. Son regard est ombragé et son visage fermé ne m'inspire pas du bon pour la suite.
— Tout tourne autour du fait que j'étais possiblement un assassin, explique-t-il. Ils ont enlevé Line, car ils étaient sûrs qu'elle n'avait rien à voir avec ça. Et ils ont compris que chacun d'entre nous connaissait quelque chose. Et maintenant, on vient de leur donner la réponse sur un plateau d'argent.
Mon cœur tambourine dans ma poitrine et ma respiration se coupe un instant alors que je réalise.
— Ils cherchaient un meurtrier, murmure Luke.
— Et on vient de le leur donner, complété-je, le cœur battant et le regard horrifié.
Que va-t-il se passer ? Dans le silence qui suit mes mots, on entend tous clairement cette question qui semble planer au-dessus de nous comme les vautours, attendant que nous mourrions pour nous dévorer.
Atterrée, je ferme les yeux.
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