XI • Luke

Kenan, le visage ruisselant de sueur, frappe mes paumes ouvertes. Je lui ai proposé ce duel pour l'apaiser ; c'est une technique qui m'est familière. Je me suis souvenu de mes entraînements nocturnes et de mes déchaînements contre un punching-ball noir alors qu'il me livrait cette phrase qui n'a aucun sens ; "Je crois que je suis un assassin", m'a-t-il dit. 

Ces quelques mots résonnent depuis cette nuit dans mon esprit. Il n'a rien d'un assassin : il n'a attaqué ou paru violent à aucun moment. Je fronce les sourcils alors que sa réaction à mon arrivée cette nuit me revient en mémoire : il semblait prêt à attaquer en cas de danger. Mais il n'était pas dangereux en soi ; si ce qu'il dit est vrai, c'est un entraînement rigoureux qui l'a modelé à réagir ainsi à chaque bruit suspect. 

Un cri étranglé perce mes pensées. Le cœur battant, je me redresse instantanément et cherche la source du bruit. J'échange un regard interloqué avec Kenan avant qu'il ne grimpe en quatrième vitesse la berge. 

— Qu'est-ce qu'il y a ? l'entendis-je demander. 

Je le rejoins en quelques enjambées. Lison, le regard confus, pivote sur elle-même, vraisemblablement à la recherche de quelque chose... 

Mon regard se relève et observe les horizons. Mon cœur loupe un battement alors que je ne croise aucune chevelure rousse. 

... Ou de quelqu'un. 

— Elle était là ! s'énerve la jeune fille en pointant du doigt un carré d'herbe vierge à sa droite. 

Elle relève un regard confus vers nous. Ses iris aussi purs que du crystal me figent un instant avant que je me rappelle que ce n'est pas Kenan. 

— Comment ça, elle était là ? s'enquiert-il. 

— Elle était là ! 

Le fait que nous ne puissions retirer plus d'informations de Lison m'irrite. Sa manière de pivoter sur elle-même en boucle sans rien dire d'autre que : "elle était là", m'agace. Je lève les yeux au ciel et réprime une irrépressible envie d'être agressif. Pourtant, alors qu'elle répète encore une fois son exclamative, j'implose ; 

— C'est bon, on a compris qu'elle était là, tu viens de le dire une centaine de fois ! 

Kenan me fusille du regard, mais ma pique a le don d'arrêter Lison. La bouche stupidement entrouverte, elle se tourne vers nous. 

— Je... Oui, désolée. Mais je ne comprends pas.

Ma colère reflue et je hoche simplement la tête. J'observe le jeune homme alors qu'il s'abaisse à la hauteur de Lison et la couve d'un regard fraternel. 

— Explique-nous ce qu'il s'est passé, demande doucement Kenan, comme il questionnerait une jeune enfant. 

— Je me suis réveillée avant elle et je vous ai entendus, alors je suis venue voir. Après, je lui ai indiqué de s'approcher et on a discuté en vous regardant vous... battre, accroupies en haut de la colline, ici, pointe-t-elle. Line venait de finir une phrase, je ne sais même plus ce qu'elle a dit exactement, et je l'ai regardée pour lui répondre. Et soudain, elle avait disparu. 

J'écarquille les yeux et mon cœur s'emballe. Et si... Elle avait raison ? Et si on était surveillé et voyant qu'elle commençait à trop en savoir, ils l'ont supprimée ? Et pour la supprimer ainsi, subitement et sans laisser de traces, il n'y a qu'une seule explication possible, même si cela me dérange de l'admettre ; nous sommes dans une réalité virtuelle, Line avait raison. 

— Elle a peut-être pas disparu, elle est sûrement partie chercher... essaie Kenan, attendant vraisemblablement que l'on conclut sa phrase de manière à nous rassurer. 

— Chercher quoi ? Il n'y a rien à faire, ici, répliqué-je. 

Je refuse que nous échafaudions des théories sans fondement. Je refuse qu'il dise n'importe quoi pour rassurer Lison. Je refuse simplement de mentir. 

— On va la chercher, elle est peut-être un peu plus loin, tente-t-il de nouveau. 

Le regard confus de Lison m'observe, attendant que je réplique. Son regard azur me pousse à souffler, moins agressivement que mes répliques précédentes ;

— Et on va chercher où ? Il n'y a qu'une plaine, à perte de vue... 

Pour appuyer mes propos, je tends le bras et embrasse la vallée d'un mouvement ample. C'est un plateau. J'expire bruyamment, dépassé. Lison enroule une mèche de ses cheveux bruns autour de son doigt dans un geste répétitif et nerveux. 

— Je pense que Line avait raison. Malgré ce que l'on souhaiterait, nous sommes dans une réalité virtuelle, surveillés par un groupe de personnes étranges qui ont retiré Line du "jeu" - je mime alors les guillemets" - car elle commençait à nous donner trop d'indices. 

— Mais c'est des psychopathes ! peste Lison. 

Son regard se voile d'un éclair de colère pure que je ne lui connaissais pas encore. Elle se met à marcher en rond, maugréant contre cette hypothèse qui commence à prendre de cruelles tournures de vérité. Les mains sur les hanches, elle pivote vers nous et s'énerve :

—  Alors quoi ; ça leur fait plaisir de nous voir confus, nous questionnant sur notre propre existence ? Mais qu'est-ce qui tourne pas rond chez eux ! 

Elle se remet en marche, mécaniquement, d'un pas agressif. je grimace furtivement devant son attitude et tente de nuancer mes propos ; je n'avais pas imaginé qu'elle réagisse ainsi. 

—  J'ai peut-être tort, avancé-je. 

Kenan, le regard triste, secoue simplement la tête de droite à gauche alors que Lison s'arrête de nouveau pour me répondre ; 

— Non, ton explication colle. Notre amnésie totale et commune, cette plaine étrange d'où on ne peut probablement pas s'échapper, l'air qui ne semble pas changer de température - même pendant la nuit -, le fait que Line est refait le même trajet plusieurs fois et enfin notre manque d'envie de manger ou de boire. 

Je hausse les sourcils sur ces derniers mots ; je ne m'étais en effet pas rendu compte que nous n'éprouvions ni la faim, ni la soif. La seule fois où j'ai réellement ressenti le besoin de boire était lors de mon arrivée ; depuis, rien. 

—  Il reste encore une question, à laquelle nous devons répondre pour sortir ; pourquoi nous enfermerait-on, ensemble, amnésique, dans une réalité virtuelle ? 

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