III • Line

J'ouvre les yeux. 

Mon regard détaille un étroit couloir entre deux pans rocheux, dont le sol boueux va ralentir ma course. C'est encore la même vision. Le même passage. Ce sera la même fin. Et je vais devoir recommencer à nouveau. Je souffle.

Cette fois-ci, j'étudie les montagnes sur les côtés ; elles sont cependant bien trop raides et trop hautes pour les escalader. Derrière moi, la mappe est une vallée plate qui s'étend à l'infini. Je n'ai pas le choix. Je dois passer entre les deux parois rocheuses. Je souffle, m'arme de courage et me remets en marche. 

Je m'enfonce bientôt dans la boue, mon pantalon colle à mes jambes et se colore du liquide brunâtre. Je n'y fais pas attention et continue. Un pas après l'autre, régulièrement. Bientôt, je dépasse une petite trace de pas marquée au sol. Mes muscles se crispent, mon corps se tend, mon poil se hérisse. Ma conscience ne comprend pas pourquoi je m'acharne, encore et encore, à tenter de passer alors que je connais l'obstacle qui va m'en empêcher. 

Un mouvement papillonne au bord de mon champ de vision à droite. Mon cœur sursaute, mais mon cerveau le calme. Je n'y prête pas plus d'attention ; celle-ci ne m'attaquera pas. Je continue ma marche sans accélérer la cadence pour ne pas m'épuiser trop vite. Je me suis faite avoir ainsi la seconde fois.

Un cri à glacer le sang résonne tout près de moi. Je me fige. Ce hurlement n'était pas là la dernière fois. Qu'est-ce que cela signifie ? Ma jambe droite avance seule, hésitante, comme mue d'une volonté propre. 

On doit avancer, semble-t-elle me chuchoter.

Alors j'avance. Les montagnes s'élèvent à mes côtés et je me sens bientôt prise aux pièges. Je réfrène mon rythme cardiaque et ralentis mon souffle. Un monticule de pierres se dresse sur le bas côté du chemin, insignifiant, et pourtant il signale le début de ma fin. Au moment de le franchir, je me campe plus fermement sur mes jambes, prends une grande inspiration et me mets à courir. Mes pas s'enfoncent dans la boue et je m'enlise. Le vent se met à siffler et hurler à mes oreilles. Au bout de deux foulées, je me décale sur la gauche. Un rocher titanesque descend le chemin à ma droite en roulant. Lorsqu'il est tombé sur le bas côté à cause de sa forme sphérique et presque plate, j'enjambe le vide. Un rondin de bois passe sous mes pieds. Mes poumons commencent à me brûler. 

Devant moi, le passage s'élargit. C'est à ce moment-là que je sais que je dois me baisser puis sauter. Une pluie de pommes de pin s'abat sur moi. Les cônes frappent l'air, là où mon corps était quelques instants auparavant. Je souffle. L'obstacle suivant met fin à ma course à chaque fois, et hormis en tuant ou en assommant mon agresseur, je ne sais pas comment m'en sortir. Pourtant, je ne veux pas me résoudre à utiliser un moyen si extrême. Alors j'accélère. 

Je me décale sur la droite et saute. Mon pied droit dérape dans la boue et je glisse sur le dos sur quelques mètres. La créature bondit par-dessus mon corps, mais ne me touche pas. Mon cœur explose et mon cerveau élabore déjà un plan. 

Si je glisse au sol, la créature ne me touche pas. 

Ma chute ne dure pas longtemps ; le terrain boueux finit par m'arrêter. Je me relève précipitamment et me remets à courir. Une ombre sur ma droite bondit sur moi. Ma vision devient brutalement noire. La partie est finie, j'ai perdu.

.

J'ouvre les yeux.

Mon regard détaille de nouveau le même étroit couloir entre deux pans rocheux, dont le sol boueux va ralentir ma course. Cette fois-ci, mes yeux ne sont pas emplis de lassitude, mais d'espoir : j'ai probablement trouvé un moyen d'effectuer ce passage. Après de profondes respirations, je me mets en marche. L'ensemble de mon parcours se déroule exactement de la même manière. Au dernier moment, j'anticipe une glissade et tombe au sol, gardant bien mes appuis. Mon cœur galope dans ma poitrine. La créature bondit au-dessus de moi dans un grognement rageur. Je me relève. Quelques instants plus tard, je recommence. De nouveau, la créature me survole.  Un fin sourire se dessine sur mes lèvres ; la fin de cet enchaînement est bientôt arrivée. Lorsque quelque chose de lourd se fait entendre sur ma gauche, je glisse de nouveau. La créature saute, ne m'effleure même pas, et disparaît à peine arrivée de l'autre côté.

 Je continue ma course et bientôt une vaste plaine verdoyante s'offre à moi. Presque semblable à celle que je viens de quitter avec tant de mal. Je cours encore quelques instants dans l'herbe grasse avant de m'arrêter. Je m'écroule au sol, les muscles vidés, le souffle erratique, le visage rouge, les mains tremblantes et le cœur galopant. J'ai réussi. Un cri victorieux m'échappe. 

Je me relève pour observer le chemin et me fige. Il a tout bonnement disparu. Mon regard heurte une montagne qui s'élève devant moi et vient chatouiller les nuages cotonneux de son sommet. Je suis persuadée d'être arrivée juste là, et pourtant, aucun passage ne se découpe dans la montagne. Je fronce les sourcils. Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? Où suis-je arrivée ? 

Déjà que je ne connais même pas mon identité, ne regroupe aucun souvenir et me sens étrangère dans mon propre corps, il faut aussi que je ne sache pas où j'ai atterri ! 

Je me relève et observe la plaine. Elle est encerclée par d'imposants reliefs escarpés. Un cours d'eau sillonne la vallée de part en part. Mon regard s'arrête soudain sur deux minuscules points à côté de la rivière. Mon cœur loupe un battement et accélère. Ce sont des êtres humains, je crois. Qui sont-ils ? Se trouvent-ils dans le même cas que moi ?

Ces deux silhouettes sombres représentent actuellement mon unique espoir de comprendre les raisons de ma présence dans cet étrange monde. C'est donc mon nouvel objectif, qui j'espère sera plus simple à remplir que le précédent. 

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