Chapitre 7
La jeune fille resta silencieuse et immobile, réfléchissant comme elle l'avait toujours fait. Dorcas n'avait jamais été le genre de personne à prendre une décision sur un coup de tête, ou à faire quelque chose juste parce que l'envie l'en prenait. Les gens la disaient silencieuse quand elle était simplement observatrice. Introvertie quand elle ne voulait juste pas perdre son temps. Ils avaient aussi un peu peur d'elle, pour la plupart, car elle savait répondre, et bien répondre quand il le fallait. Elle avait même jeté quelques maléfices parfois, pour bien se faire comprendre. Dorcas était comme ça : difficile à approcher, entourée d'une aura de silence et de détachement compliquée à percer dans les premiers pas. Mais lorsqu'elle adoptait quelqu'un, c'était du sérieux. S'il y avait une conviction à laquelle elle n'avait jamais failli, c'était la certitude qu'elle ferait et devait tout faire pour ses proches. C'était sûrement une des raisons qui la poussait à ne pas se laisser approcher facilement. Mais elle n'avait jamais eu un instant d'hésitation lorsqu'il s'agissait d'aider un ami, et peu importe si cela la mettait dans une situation délicate. Et elle n'en aurait sans doute jamais.
Elle s'était toujours dit que c'était la raison pour laquelle le Choixpeau l'avait envoyée à Gryffondor, parce qu'elle ne se trouvait pas particulièrement courageuse autrement. Car oui, Dorcas analysait tout, même elle-même. Particulièrement elle-même. Et ses sentiments. Personne ne lui avait jamais dit que les émotions étaient la chose la plus folle, instable et aléatoire de ce monde, alors elle s'employait à les disséquer. Et à les repousser si elles ne lui convenaient pas. Ce qui ne l'empêchait pas d'aimer à la folie, de haïr du plus profond de son âme, ou d'avoir peur au point d'en claquer des dents. Elle savait juste exactement ce qu'elle ressentait, et pourquoi. Dorcas aimait aussi l'imprévu, mais ne voulait pas baser sa vie dessus. Elle n'était pas insensible, simplement un peu plus mature et réfléchie que la plupart des gens.
Ce qui rendait la cohabitation avec les maraudeurs quelques fois complexe. Eux qui étaient un tourbillon de rires, de peurs, de défis et d'amour infini, eux qui vivaient chaque seconde comme si c'était la dernière, eux qui se lançaient dans des projets fous et impossibles juste parce qu'on leur disait que c'était fou et impossible, eux qui étaient l'opposé absolu de la raison. Mais ils s'entendaient étonnamment bien depuis le jour où elle avait remis James à sa place, une fois où il faisait trop le malin. Pas rancunier, il l'avait adopté et lui avait ouvert certaines perspectives dont elle ne connaissait même pas l'existence. Il y avait aussi Remus, qui était un peu plus sensé que les trois autres, et qui était un excellent catalyseur de leur énergie folle qui débordait d'eux. Parfois, Dorcas les enviait un peu pour cette capacité qu'ils avaient de ne rien prendre au sérieux, de tout foutre en l'air en un claquement de doigts et de trouver ça drôle. Elle jalousait quelques fois leur merveilleux lâcher prise. Mais elle savait que la vie ne les épargnait pas pour autant, et que la douleur ressortait bien à un moment ou à un autre, sous une forme différente de la sienne. Et que c'était beau comme ça.
De plus, Lily et Marlene l'entrainaient déjà dans bien assez de folies comme ça. Et elle adorait ces moments plus que tout. Mais elle avait juste besoin d'un équilibre.
Ce soir, pensa Dorcas, ce soir je vais vivre à fond, et tant pis si je perds tout. Ces mots, qu'elle avait offert à Remus un peu plus tôt représentait à la fois une de ses plus grandes peurs et un de ses rêves. Ne plus penser à rien, tout oublier pour inspirer l'instant présent. Alors vis, aime, lui avait dit le jeune homme. Et elle sourit, parce qu'après tout, Dorcas n'était qu'une adolescente normale : elle voulait simplement vivre et aimer. Sans s'inquiéter du futur. Car le futur était encore loin.
Elle s'apprêtait à se lever, lorsque de nouveaux pas crissant sur le sable la firent se figer. Elle l'avait reconnue. Bien sûr. Au bruit de ses pas, à sa présence, à son souffle, à son odeur. Marlene. La jeune fille arriva à son niveau, et s'écrasa dans le sable à côté d'elle, se couchant sur le rivage.
- Ça va ? s'inquiéta Dorcas.
- Je crois que je suis torchée, grogna Marlene. C'est à cause de cet hippogriffe de Sirius, il me fait boire comme une ivrogne.
Sirius et Marlene étaient assez proches, eux aussi, sûrement rassemblés par leur goût prononcé pour les conneries et leur profond désintérêt de tout ce qui touchait de près ou de loin à la scolarité ou à l'avenir.
- Marlene, on a fait à peu près un million de fêtes que tu as terminé complètement bourrée et où Sirius n'était pas, répondit Dorcas d'un air ironique.
- Ok, un point pour toi.
Elle marqua une pause avant d'ajouter :
- Mais t'es chiante à avoir toujours raison, quand même.
Dorcas rigola. Marlene avait cet effet sur elle.
- Mais si tu n'es pas bourrée, toi, qu'est-ce que tu fais toute seule au bord de l'eau avec cette tête d'artiste torturée ? demanda cette dernière.
- Eh bien... Je suppose que je réfléchis à des trucs d'artiste torturée, dit Dorcas en riant.
- C'est-à-dire ?
- Je pense au futur, à ma vie jusqu'à maintenant, à ce qu'on va devenir après Poudlard.
- Wow ! Mais tu ne détends donc jamais ?!
- Et toi ? Tu ne t'inquiètes jamais ? Parce qu'on ne peut pas dire que le monde soit exactement un endroit pacifique et merveilleux en ce moment.
Marlene fit mine de réfléchir.
- Non, je ne crois pas. Ma mère m'a toujours dit que le stress donnait un mauvais teint, alors...
- Marlene, je suis sérieuse, répondit-elle en levant les yeux au ciel.
- Tu es toujours sérieuse.
- C'est faux.
- Ok, alors tu es sérieuse 95% du temps. Ce qui ne laisse que 5% de ton temps pour plaisanter. C'est peu.
- Et toi, c'est l'inverse. Tu n'es sérieuse que 5% du temps.
- Ce qui est laaaargement suffisant.
- Pourquoi est-ce que j'essaye de parler avec toi alors que tu as au moins 20 milligrammes d'alcool dans le sang, de toute façon.
- Hey, je suis parfaitement capable d'avoir une conversation logique avec toi, fit-elle, piquée.
- Vraiment ?
- Très bien, tu l'auras cherché. À propos du futur, je ne m'inquiète pas, parce que comme disent les Moldus « à chaque jour suffit sa peine ». J'ai déjà trois devoirs à rendre en retard alors que l'année n'a même pas encore commencée, une meilleure amie à faire sourire (ce qui est la plus difficile de ces missions), une jeunesse à foutre en l'air, alors non, je ne m'inquiète pas pour le futur. Ça viendra bien assez tôt, merci bien. Dorcas, ce n'est pas le moment pour nous d'être mélancoliques ! Laisse ça pour quand on sera des vieilles sorcières rabat joie.
- Je crois que je suis née en étant mélancolique, souffla la jeune fille.
- Eh bien, c'est mon devoir de te faire profiter de chaque minute de ta vie. Oublie le passé et le futur, et vis le présent !
- Sérieux, vous êtes chiants à tous me dire ça ! s'agaça Dorcas.
- Quoi ? demanda Marlene, qui n'avait évidemment pas suivi la discussion qu'elle avait eue avec Remus.
- Et si je veux penser au futur ? Et si je veux m'angoisser pour notre avenir, qui va sûrement être dégueulasse ? Et si j'ai envie de me souvenir mon innocence d'avant ? Hein ?
- Eh bah, vas-y, fais la gueule dans ton coin pendant que nous on s'amuse ! s'énerva Marlene.
Les deux filles se murèrent dans un silence boudeur. Leur parole retombèrent entre elles, perdirent leur sens dans le doux ressac de l'eau salée. Au bout d'un moment, Marlene demanda :
- T'es pas vraiment fâchée ?
- Bien sûr que non, répondit Dorcas d'un ton las. Je suis juste... fatiguée d'être celle qui s'inquiète tout le temps, et de passer pour la rabat joie de service. Mais, je ne peux pas empêcher mon cerveau de réfléchir, je ne peux pas m'empêcher de me poser des questions ! Ça ne me fait pas plus plaisir qu'à vous, cette perpective, mais il faut bien qu'il y ait quelqu'un qui y pense, non ?
- Oui, sûrement, soupira la blonde. Je présume qu'on est tous des gros lâches, en fait. On fait comme si on s'en foutait, mais au final on a juste trop peur pour y jeter un oeil. T'es juste plus courageuse que nous, et tu affrontes la réalité des choses. Excuse nous de ne pas être à ta hauteur.
- Quoi ? Mais c'est pas du tout ce que je voulais dire !
- Non, c'est ce que je dis, moi.
Cette phrase réduisit Dorcas au silence. Elle entrevoyait la fragilité de Marlene, ses failles s'ouvraient devant elle. Et c'était tellement rare qu'elle contempla simplement la beauté du phénomène. Et de la jeune fille. Ses cheveux brillaient au clair de lune, et semblaient lui offrir une auréole chatoyante. Son visage était détendu, sûrement grâce à l'alcool, ses yeux fermés et elle restait étendue dans le sable, comme une déesse endormie. Elle n'ouvrit pas les paupières pour ajouter :
- Mais tu devrais quand même te détendre un peu. Faire des choses folles, juste comme ça.
- Je devrais ?
- Définitivement.
Dorcas contempla le sourire qui s'était peint sur le visage de Marlene, repensa à Remus et son premier pas, emmerda le futur et s'approcha doucement de la jeune fille avant de poser ses lèvres sur les siennes avec douceur.
Elle ouvrit brusquement les yeux sous la surprise, mais ne la repoussa pas. Toujours couchée, elle se contenta de prendre le visage de Dorcas entre ses mains avant de refermer les yeux et de lui rendre son baiser avec une incroyable douceur. Les deux jeunes filles s'embrassèrent, sous le regard bienveillant de la lune et des vagues. Elles s'embrassèrent en ne pensant à rien d'autre que le goût de leur lèvres, en oubliant tout sauf la sensation de leur bouches l'une contre l'autre. Elles se séparèrent seulement pour reprendre leur souffle.
- C'était assez fou pour toi ? demanda la gryffondor avec un éclair de défi dans les yeux.
- Par Merlin, Dorcas, j'ai bien cru que tu n'oserais jamais !
- Que je ne... quoi ?
En voyant le sourire malicieux sur les lèvres de Marlene, elle lui asséna une petite tape sur la tête qui la fit éclater de rire.
- Ça fait six mois que j'attends que ça ! reprit la blonde. Enfin, consciemment. Sinon, ça fait depuis bien plus longtemps, je suppose.
- Tais-toi, ça fait six ans que je suis amoureuse de toi ! renchérit Dorcas.
- Six... Sérieusement ? demanda Marlene, soudain intimidée.
- Chut, j'ai dit.
Et elle se repencha sur ses lèvres pour rattraper une infime partie du temps perdu. Elles auraient sûrement pu continuer longtemps, mais un cri les sépara brusquement.
- Enfin !
Lily leur faisait face, les mains sur les hanches, le visage radieux.
- Vous avez mis le temps, je vous jure !
Les deux jeunes filles la regardaient complètement interloquées, alors elle ajouta :
- Désolée, je ne voulais rien interrompre ! Je m'en vais, je repars !
- Non, mais attends ! De toute façon, on s'apprêtait à venir ! la coupa Dorcas.
- Ah bon ? demanda Marlene, presque déçue.
- Oui !
Elle lui tendit la main pour l'aider à se relever, mais la blonde ne la lâcha pas après. Dorcas essaya de réprimer un sourire, n'y parvint pas.
Attirés par le cri de Lily, les autres venaient à leur rencontre. Remus fut le premier à remarquer leur mains enlacées, et lança un regard malicieux et heureux à Dorcas, qui le lui rendit volontiers. Puis James et son tact légendaire entrèrent en scène.
- Eh bien, on dirait que les célibataires se font de plus en plus rare !
Lily leva les yeux au ciel, Emmeline eut un petit rire sarcastique et Peter tenta un rapprochement maladroit vers elle, espérant sûrement réduire encore un peu plus le nombre de célibataires présents ce soir-là.
- Si tu t'approches de moi à moins d'un mètre, je te jure que je vais te lancer un maléfice qui te fera regretter d'être né ! tempêta-t-elle.
Le jeune homme recula, effrayé et penaud.
- On se refait une tournée pour fêter ça ? intervint Sirius, désignant de nouvelles bouteilles apparues comme par magie.
Par magie, en fait.
- Fêter quoi ? Marlene et Dorcas ou la mort prochaine de Peter ? demanda Remus, un éclat de malice dans les yeux et la voix.
- Eh bien, je dirais que tous les prétextes sont bons pour faire la fête !
Le groupe entier partit d'un grand rire, même le pauvre Peter. Marlene, Alice, Lily, James, Dorcas, Sirius, Emmeline, Peter, Franck et Remus avaient encore toute une vie devant eux. Et ils comptaient bien en profiter.
***
NDA : Est-ce que c'est en courant après le temps qu'on le perd ? Je ne sais pas. Alors, qu'est-ce qu'on peut faire, à part s'aimer ?
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