Chapitre 24
Janvier était gris, et interminable. Remus n'en pouvait plus de réaliser qu'on était toujours en janvier. Ce mois était tellement traître. Pendant une seconde brillante et dorée, la première de l'année, on croyait en un nouveau départ, en le recommencement de quelque chose. Puis toutes les secondes d'après, on s'enfonçait dans une spirale de froid, de déception, de nuit, de fatigue qui n'en finissait jamais. La saison de Remus était l'automne, mais l'hiver le tirait invariablement vers le bas, et il regardait janvier s'allonger, et s'allonger, comme ses cernes d'ailleurs.
La lumière ne pointait que très rarement au fenêtres sombres de Poudlard, et Remus avait du mal à voir la suite. Il n'arrivait pas à comprendre comment les choses allaient finalement aller mieux, comment Sirius et lui pourraient finalement s'aimer dans le bon sens, comment James réussirait à montrer à Lily qu'il l'aimait sincèrement, comment les deux frères Black pourraient un jour se réconcilier, comment n'importe lequel d'entre eux pourrait un jour être heureux. Il avait l'impression que tout ce qu'il faisait était mauvais et inutile, que ça ne menait plus à rien, comme ça avait un jour mené à quelque chose. Soupir. Envies insatisfaites et tentatives échouées se bousculaient dans sa tête sans qu'il n'en ressorte rien. Le vide résonnait dans ses os, et son coeur trébuchait à chaque pas sur tout ce qu'il n'avait jamais pris le temps de réparer à l'intérieur de lui. Heureusement, il y avait les maraudeurs, comme toujours.
- Ça va, Moony, tu t'es un peu remis de la pleine lune ?
- Moui, ça va.
- Pas convaincu. Elle était dure, celle-là, non ?
- Un peu, admit Remus sans honte, parce que James n'avait jamais eu de pitié, seulement de la compassion. Mais ça va.
- Honnêtement, même moi j'ai l'impression que je pourrais dormir pendant trois jours sans m'arrêter si on me laissait, alors je n'imagine pas pour toi...
- Ça ira mieux dans quelques semaines.
- Tu mérites d'aller bien tout de suite, dit Peter, en essayant un peu maladroitement de montrer qu'il était là aussi.
- Merci, Pete. Dommage qu'on n'ait pas toujours ce qu'on mérite.
Sirius lui effleura la main, discret, le coeur au bord des lèvres de voir son amour dans cet état. Il aurait voulu le soigner de ses baisers et refermer ses plaies de ses caresses. L'affection, ça devait bien compter pour quelque chose, non ? En tout cas, Sirius voulait le croire, parce que c'était tout ce qu'il pouvait, et que le sentiment d'impuissance lui nouait la gorge. Mais Remus lui renvoya un sourire un peu effacé, et tendit légèrement ses doigts pour rencontrer les siens, comme par accident. Et comme à chaque fois, Sirius fut électrisé et attiré comme un aimant. Il avait l'habitude de penser, à l'époque où il jetait des regards dérobés vers Remus en se croyant discret, que la tempête qu'il provoquait en lui s'apaiserait le jour où il pourrait avoir Remus tout entier. Oh s'il avait su.
Ça n'avait fait que la rendre plus désarmante encore, parce qu'à présent il savait ce que ça faisait, d'avoir Remus tout entier, et qu'il n'en avait jamais assez. Mais c'était janvier, alors Remus était triste. Sirius aussi, parce que Remus l'était, et parce qu'il avait ses propres raisons de l'être. Il avait essayé de ne plus penser à Regulus mais la scène se rejouait en permanence dans sa tête, ce qu'il aurait pu, du dire. Si on pouvait contrôler ses pensées, ça se saurait. Alors Sirius et Remus se retrouvaient la nuit dans des endroits sombres, ils emmêlaient leurs mains en espérant les réchauffer, ils fumaient des cigarettes.
Il y avait des jours comme ceux-là où Remus avait juste envie de prendre Sirius dans ses bras, de lui dire à quel point il l'aimait, d'essayer de mettre des mots sur l'orage qui se déroulait dans sa poitrine, de lui faire comprendre à quel point il avait besoin de lui, et il avait envie de lui demander de promettre qu'il ne partirait jamais, parce qu'il ne pouvait pas faire ça sans lui, ça, tout, la vie et le reste. Et que leurs corps qui s'éteignaient l'un dans l'autre était tout ce qu'il voulait, et tout ce qu'il voudrait jamais, que le reste s'effacerait, que ça s'effaçait déjà, mais pas eux, qu'eux, ils restaient, eux ils ne partaient pas, comme un tâche de vin, ou de sang. Il voulait le serrer assez fort pour qu'il reste, le serrer pour qu'aucun d'eux ne se sentent plus jamais seul. Il avait envie de lui dire à quel point leur compréhension silencieuse et évidente était parfois la seule chose qui le faisait tenir, lui dire comme dans ses yeux il voyait son âme et qu'il la trouvait belle, qu'il le trouvait beau tout court. Lui expliquer qu'il lui manquait plus qu'il n'aurait pu l'imaginer, alors qu'il s'était préparé à ce qu'il lui manque violemment. Il s'imaginait lui avouer que le fantôme de ses mains sur son corps le faisait frissonner, que sa peau n'avait un interêt que lorsqu'il la touchait.
Que son contact lui manquait chaque seconde, qu'il ne faisait sens que serré contre lui. Il voulait lui rappeler comment il avait dessiné des étoiles autour de ses cicatrices au lieu de les soigner, comment après avoir vu à quel point les éclats du coeur brisé de Remus étaient tranchants, il les avait quand même pris dans ses mains fines, et qu'il avait saigné lui aussi. Lui décrire avec un sourire rêveur les sursauts qu'il provoquait parfois dans ses tripes, qu'il appelait amour, mais qu'il confondait peut-être avec de la peur - pas de lui, mais pour lui - les deux choses n'étant finalement pas un peu semblables ? Lui dire qu'il le faisait rire, simplement, parce que c'était vrai. Il voulait lui écrire des lettres d'amour, des vraies, pour jouer au vrai couple, même si ce n'était peut-être qu'une illusion - et alors ? Tout n'était qu'illusion, de toute façon. Il voulait simplement rendre celle-là la plus vraisemblable possible. Expliquer à Sirius que quand il le regardait danser sur les vinyles de James, il entrevoyait le début de ce qu'il avait toujours cherché, sans savoir ce que c'était. Lui avouer qu'il espérait que Sirius n'arrête jamais de penser à lui, qu'il aimait troubler son sommeil, mais pas comme il troublait le sien. Il voulait hanter ses rêves, pas ses cauchemars. Lui dire que même avec le temps qui passait, Remus était toujours autant surpris. Il ne s'habituerait probablement jamais à l'amour, et d'un côté, c'était encore mieux.
Il avait parfois envie de se mettre à nu devant lui, de lui offrir tout ce qu'il avait consciemment, au lieu de réaliser qu'il avait déjà tout donné à Sirius sans s'en rendre compte. De lui dire qu'il ne le méritait pas, qu'il le savait, et qu'égoïstement il se réjouissait quand même d'avoir été choisi. Mais que l'aimer lui n'avait jamais été un choix, et qu'il s'en serait abstenu s'il avait pu, parce qu'encore une fois il ne le méritait pas. Mais qu'il l'aimait quand même, que ça se voyait dans son ombre quand il dansait, qu'il le savait, et qu'il ne pouvait rien y faire. Il l'aimait, ou en tout cas, il ressentait la chose qui s'était le plus approchée de l'amour dans sa courte vie. Car peut-on aimer quelqu'un d'autre lorsqu'on se déteste si profondément ? Peut-on donner son coeur quand il est déjà et depuis longtemps en morceaux ? Remus le rationnel tendait à dire non, et Remus devant Sirius ne pouvait s'empêcher de constater que oui. Ou du moins le croyait-il. Car il fallait y croire, sinon quoi ? Que nous reste-t-il ?
Et tous les mots qu'ils ne se disaient jamais, ils les lisaient dans les yeux, dans les mains indiscrètes, dans les sourires furtifs, dans les cigarettes tendues, dans les danses nocturnes, dans les manches tirées des pulls et dans les genoux qui se frôlent par hasard - par hasard ? Et parfois toutes ces confessions inavouées, inavouables, flottaient dans l'air entre eux, oppressantes mais rassurantes en un sens, elles les plaquaient au présent sans qu'ils puissent s'échapper loin. Ils essayaient de ne pas penser à ce qui se passerait si elles disparaissaient. Est-ce qu'ils se retrouveraient sans ancrage et s'évanouiraient, sans consistance, ou est-ce qu'après tout, ils restaient d'eux-même, simplement parce qu'ils en avaient la force et l'envie ? Ils n'avaient pas la réponse, et n'avaient pas envie de l'avoir.
Parfois leurs lèvres les démangeaient de prononcer les mots, parfois il leur semblait qu'ils ne pourraient pas tenir plus longtemps sans nommer cette chose qui les consumait, et malgré tout ils ne le faisaient pas. Ils se regardaient simplement. Le côté incertain des choses leur plaisait aussi, parce que c'était tout ce qu'ils avaient toujours connu et que quelque chose de trop immuable les auraient effrayés, comme un enfant qui se retrouve devant la lumière trop forte du soleil et qui se cache derrière ses parents. Ils n'avaient pas peur de l'amour, ils avaient peur de s'y habituer et de le considérer comme acquis. Ils avaient vécu assez pour savoir à quel point c'était dangereux. Ils n'étaient pas certains de s'aimer, mais qui l'était après tout ? Et chaque instant qui passait, ils s'aimaient, et le suivant également, alors ils continuaient. Jusqu'à quand, jusqu'où ? Jusqu'au bout, peut-être.
- Tu penses que ça a un sens, tout ça ? demanda un soir Remus.
Ç'aurait pu être une soirée oubliable, ou ils auraient pu la transformer en quelque chose de tellement essentiel qu'ils s'en seraient souvenus jusqu'à la fin de leurs vies. L'équilibre était fragile, et ils jouaient avec sans cesse. Sirius ne répondit rien au début, un peu étonné, mais sentant la gravité dans la voix de Remus. Il souffla sa fumée tout en réfléchissant.
- Je ne sais pas, Moony. De ce que j'ai pu vivre, je dirais que non, parce qu'il y a trop de choses qui ne font pas sens, et qui n'ont aucun sens. Mais je ne sais pas. Peut-être qu'on est juste trop concentrés sur nous, et sur survivre, et vivre, qu'on ne le voit pas.
- Hum. Peut-être.
- Mais s'il y a un sens, je ne sais pas lequel ça serait. Il en faudrait un sacrément surprenant pour qu'il me convainque.
- Ce n'est pas si important, finalement, de savoir quel est le sens. Tant que tu sais qu'il y en a un.
- Ou peut-être qu'il n'y a rien du tout, et qu'on vit tout ça pour rien, pour nous, et qu'on mourra comme tous les autres avant nous. Comme on a vécu. Pleins d'illusions et d'espoir.
Remus prit la cigarette à son tour, et Sirius frissonna à son contact.
- C'est étrangement réconfortant, en un sens. De savoir qu'il n'y a rien d'autre que nous, et ce qu'on en fera.
- Ça nous laisse toute la place.
- C'est comme si c'était à nous d'inventer un sens. Et de nous y accrocher, tant qu'on en a besoin.
Sirius respira la fumée, comme pour s'imprégner de Remus et de ses paroles encore un peu plus. Il se tourna pour lui faire face et il planta ses yeux dans les siens, dans son regard triste et douloureusement doux. Il le regarda à son tour, pas effrayé, confiant. Et la gorge de Sirius se noua lorsqu'il réalisa que ces regards, si souvent échangés faute de mieux, étaient pour eux une étreinte secrète, et un contact si intime qu'il aurait pu en mourir. Et il pensa que si Remus arrêtait de le regarder ainsi un jour, il en mourrait réellement.
En retenant sa respiration, il lui prit les mains en entrelaçant ses doigts au siens avec lenteur, comme s'ils avaient toute l'éternité devant eux. Ça ne tenait qu'à eux d'en décider.
- Remus John Lupin, acceptes-tu d'être mon sens, et jures-tu de me laisser m'accrocher à toi tant que j'en aurais besoin, et envie, et donc pour toujours ?
Pris par surprise, il ouvrit légèrement la bouche et Sirius eut une furieuse envie de l'embrasser. Remus eut l'air d'abord amusé, puis il parut ne pas savoir quoi choisir entre le rire et les larmes. Alors il se contenta de sourire un peu avec les yeux flous, et de serrer fort les mains de Sirius.
- Et toi, Sirius Orion Black, Pads, mon amour ou tous les noms que tu voudras bien me laisser utiliser pour t'appeler si le tien ne te plait pas, acceptes-tu d'être mon sens, et promets-tu de me laisser m'accrocher à toi tant que j'en serais encore capable, et donc pour toujours ?
Leurs doigts s'enfoncèrent chacun dans la peau de l'autre, pour y laisser une marque ou pour s'assurer qu'il ne se dissoudrait pas dans l'air la seconde d'après.
- Je te le promets, souffla Sirius.
- Je te le jure, murmura Remus en même temps.
Les deux garçons, soudain timides, à fleur de peau et si vulnérables, comme si c'était la première fois à nouveau. Leurs lèvres s'effleurèrent, une fois. Ils se regardèrent, effrayés de se perdre ou de se trouver. Leurs lèvres s'effleurèrent, deux fois. Une main sur la joue, un peu tremblante. La douceur du satin, le coeur battant trop fort. Leurs lèvres s'effleurèrent, trois fois. Les promesses, c'était parfois tout ce qu'ils avaient. Et ils s'en contentaient merveilleusement. Elles n'avaient pas besoin d'être tenues, parce qu'elles appartenaient au présent, et à l'instant d'éternité qu'elles créaient. Elles avaient simplement besoin d'être formulées. Alors ils s'embrassèrent pour sceller leurs promesses, ils s'embrassèrent longtemps, Remus les mains dans les cheveux de Sirius et celles de Sirius sur les joues de Remus. Ils formulèrent des promesses, encore et encore, jusqu'à ce qu'ils n'aient plus de lèvres, plus de mots, plus de souffle.
Ils se serrèrent l'un contre l'autre, et comme promis, ils s'accrochèrent l'un à l'autre, parce qu'après tout c'était la seule chose qui faisait sens.
***
NDA : Ce chapitre, je l'ai écrit pour moi. Du coup, j'ai du mal à savoir si c'est lisible pour quelqu'un d'autre. Je ne sais pas s'il convient ici, dans cette histoire, mais tant pis, il est là. (J'en avais besoin pour surmonter janvier.)
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