Chapitre 16

Lily s'était levée d'un bon pied, ce matin-là. Il y avait des jours comme celui-ci où elle se sentait juste heureuse, sans raison particulière de l'être. Après avoir serré dans ses bras une Marlene encore endormie malgré l'heure déjà tardive, elle jeta un coup d'oeil par la fenêtre et réalisa qu'elle avait raison d'être de bonne humeur. Il avait neigé ! Elle secoua Marlene, cria pour que Dorcas se dépêche de sortir de la salle de bain mais échoua à trouver Mary, qui avait sûrement déjà dû descendre déjeuner.

- Les filles, aujourd'hui va être mémorable, je vous le promets.

- Est-ce qu'aujourd'hui peut encore attendre cinq minutes avant de commencer ? grogna Marlene dans son oreiller.

- Absolument pas, répondit Lily en tirant sa couette. T'as fait la fête hier ?

- Non. Peut-être. Oui. Mais c'est de la faute d'Esther, tu sais, la Serdaigle qui est avec nous en Étude des moldus. Elle m'a dit qu'ils organisaient une « petite célébration », je cite. Alors j'ai fait un saut. Et Merlin, on ne dirait pas comme ça, mais ces petits génies savent boire, crois-moi. T'aurais dû venir, Lil, en plus James et les autres étaient là aussi.

- Évidemment qu'ils étaient là. Mais ce n'est pas d'eux qu'il s'agit. Marlene McKinnon, je jure sur la barbe de Dumbledore que si tu n'es pas levée dans quarante-cinq secondes exactement, je te jette un sort que même Mme Pomfresh ne pourra pas annuler.

Marlene grogna, pesta, tempêta, soupira, mais se leva. Tout le monde savait que Lily était une des meilleures de la classe en Sortilèges.

Entre temps, Dorcas était sortie de la douche. Marlene ne put s'empêcher de la trouver belle, avec ses cheveux humides et ses vêtements propres. Et d'ailleurs, elle ne s'en empêcha pas. Elle n'était pas du genre à se refuser ce genre de plaisirs simples.

- Tu vois, Lil, si tu m'avais donné une motivation au lieu de me menacer, je me serais levée beaucoup plus vite, dit-elle en allant embrasser Dorcas avec un sourire.

- Oui, mais malheureusement nous n'avons pas toutes le charme de Dorcas. Et jusqu'à preuve du contraire, les menaces fonctionnent très bien aussi. Allez, direction le petit-déjeuner ! Je ne perdrais pas une miette supplémentaire de cette journée dans ce dortoir.

- À vos ordres, professeure Evans ! répliqua Dorcas en riant.

Lily avait très bien compris que le surnom n'était pas flatteur, mais elle remarqua tout de même que ça sonnait bien. Juste comme ça.

Après le petit-déjeuner, les trois filles s'habillèrent chaudement pour affronter le froid. Mary les avaient abandonnées, préférant la chaleur réconfortante de la salle commune et ayant surtout beaucoup de devoirs en retard. Marlene remercia silencieusement Lily de l'avoir quasiment forcée à faire les siens en avance. Silencieusement. Jamais elle ne s'abaisserait à l'avouer à voix haute. Elles sortirent dans le parc du château, accueillies par les cris joyeux des nombreux élèves qui avaient eu la même idée qu'elles. Les Gryffondors se mirent à courir dans l'étendue blanche en riant, profitant simplement du froid qui colorait leurs joues et de leur difficulté à se déplacer à cause de la neige. Lily riait le plus fort, à gorge déployée. Elle se retrouvait toujours comme une enfant face à la neige, s'émerveillant d'un rien, remarquant les moindres petits détails et les trouvant beaux. Ou peut-être était-ce juste sa façon d'être. 

Elle regarda Marlene et Dorcas courir en se tenant la main, et sourit, un peu essoufflée. Elles étaient belles, ces deux-là, leur amour tellement transparent que le monde semblait s'ouvrir devant elles. Lily avait toujours trouvé que les filles possédaient une grâce, un charme qui échapperait toujours aux garçons. Évidemment, les filles étaient bien plus qu'une apparence, mais elles étaient aussi magnétiques. Belles, tout le temps, partout. Lily finit par rattraper Marlene et s'accrocha à elle, ce qui fit glisser la jeune fille, qui entraina Dorcas dans sa chute. Elles finirent empêtrées les unes dans les autres, le nez rougissant dans la neige et riant encore plus fort. Elles se séparèrent et restèrent là, étendues, à contempler le ciel et à agiter les bras et les jambes dans la neige. 

Le moment était parfait, et quelque part, elles avaient toute conscience qu'elles vivaient peut-être une dernière fois. L'instant se cristallisa, et la buée créée par leurs souffles mélangées s'éleva au dessus d'elles, emportant les derniers signes de leur jeunesse. Elles finirent par se relever, soudain nostalgiques. On n'arrive plus tout à fait à profiter du moment lorsqu'on a un pied dans le futur.

Lily commençait à se demander si elles ne feraient pas mieux de rentrer lorsqu'un impact sourd se fit entendre. Elle regarda sa cape, pour y trouver une trace blanche, preuve évidente qu'une boule de neige venait de s'écraser à cet endroit précis. Un silence presque effrayant s'installa soudain, le temps que Lily relève lentement la tête.

- Qui. A eu. L'audace.

- Ils sont tellement morts, chuchota Marlene à Dorcas, mi-amusée mi-inquiète.

Une silhouette se détacha doucement de derrière un hêtre, vêtu d'une cape elle aussi. Les cheveux en bataille, les lunettes à moitié couvertes de buée, le bas du pantalon déjà trempé, James Potter s'avança comme un condamné.

- J'imagine... Que c'est moi ?

- Correction. Il est pire que mort, reprit Marlene, ce qui fit rire Dorcas.

Lily ne répondit rien, mais sembla chercher quelque choses des yeux. Ou plutôt, quelqu'un. Elle trouva évidemment Sirius appuyé nonchalamment contre l'arbre voisin, un sourire provocateur aux lèvres. Son sourire.

- Black. Je suis prête à oublier les cinq dernières retenues que je t'ai promises si tu m'aides à humilier Potter.

- Oh, mais Evans. Ce serait un honneur d'accomplir cet acte de justice gratuitement.

- Sirius ?! s'étrangla James.

- Quoi ? Tu oublies tes bonnes manières, James ? Quand une demoiselle demande de l'aide, il est malvenu de refuser. Et puis, honnêtement, tu me vois rater une occasion de te réduire en bouillie et de prouver encore une fois mon écrasante supériorité ?

- Ceci est une trahison en bonne et due forme. Je ne l'oublierais pas.

- Ne crois pas que je m'allie avec toi par plaisir, Black, dit Lily avec un sourire.

- Bien évidemment, Evans. Nous sommes simplement partenaires dans cette croisade contre notre ennemi commun.

Les deux Gryffondors se regardèrent d'un air complice, sachant pertinemment que leur amitié ne pouvait plus être remise en cause depuis bien longtemps déjà.

Marlene secoua la tête, puis s'avança d'un pas.

- Je ne peux pas laisser ce pauvre James tout seul. Il ne comprendrait même pas ce qui lui arrive. Comprends-moi, Lily, c'est histoire qu'il ait au moins une minuscule chance que je le rejoins.

- Marlene, déesse de la bonté, magicienne de génie, sorcière irréprochable, tu es l'incarnation de la générosité. Je n'oublierais pas ce geste qui venait, j'en suis certain, du plus profond de ton coeur, déclama James.

- T'as plutôt interêt, Potter, sourit la jeune fille.

- Remus ! cria Sirius.

Évidemment, les deux autres maraudeurs avaient assisté à toute la scène. Ils n'étaient jamais bien loin.

- Choisis ton équipe, lui demanda le jeune homme.

- En tant que Préfet de Gryffondor, je te supplie de ne pas t'allier avec ces démons, implora Lily.

- Hey, je suis Préfet-en-Chef, maintenant Evans ! Rejoins mon équipe, Rem, la hiérarchie te le commande.

- Je suis désolé, Lily, déplora Remus, ça me brise le coeur, mais je n'ai pas le choix. C'est un ordre qui vient d'en haut.

Malgré ces paroles, c'est à Sirius qu'il jeta un regard avant de se ranger aux côtés de James. Un regard de défi. Ah, tu le prends comme ça ? lui adressa silencieusement le jeune homme. Oh, Remus, tu ne sais pas dans quoi tu te lances. Au contraire, semblait lui répondre le loup-garou. Je sais exactement ce que je fais, et je sais également que je vais gagner.

Dorcas ? demanda Remus.

- Ah, Remus, j'aimerais bien vous rejoindre, mais si Marlene gagne, on en entendra parler pendant le mois prochain, si ce n'est jusqu'à la fin de l'année. Je ne peux pas laisser les choses se faire en connaissance de cause. Je vais avec Lily et Sirius.

- Ces accusations sont non seulement scandaleuses, mais totalement mensongères ! s'exclama Marlene. Et, puisque que c'est comme ça, oui, nous allons vous écraser et vous en entendrez parler longtemps.

- C'est ça, oui, répliqua Sirius. Ne bois pas la potion avant de l'avoir remuée, Marlene.

Les équipes parfaitement équilibrées, ils se tournèrent pour voir qui restait.

- On prend Peter ! s'écrièrent James et Sirius dans un concert parfait.

Les joues du jeune homme rosirent, et ce n'était pas seulement à cause du froid.

- Hors de question, il est à nous.

- Et depuis quand, tu peux m'expliquer ?

- Eh bien, depuis que je l'ai dit en premier.

- Pfff, n'importe quoi. En plus, vous avez Lily ! protesta James.

- Et alors ? Vous avez Remus.

- Et nous, alors, on ne vaut rien ?! s'écria Marlene.

- Bon, capitula Sirius, vous n'avez qu'à le prendre. Ce sera encore plus humiliant pour vous de vous être fait battre à trois contre quatre.

- Ah, je me disais bien que ce n'était pas de bonté de coeur.

- Rien ne l'est jamais, dans ce monde.

- Oh, pas besoin d'être si dramatique !

- Bon, les règles, exposa Lily.

- Pourquoi est-ce que c'est toi qui fait les règles ? se rebella James.

- Parce que je l'ai décidé, répondit-elle, ce qui réussit à le faire taire. Pas de magie -elle eut un air sévère devant l'évidente déception des autres- : si on veut vraiment savoir qui sont les plus forts, on fera ça à la Moldue.

- Ça me va, sourit Sirius.

- Il est autorisé de viser dans les parties sensibles des garçons -des exclamations scandalisées retentirent- mais interdit de s'approcher à plus de deux mètres de l'autre équipe. Il est interdit de lancer autre chose que des boules neiges ainsi que de se cacher lâchement derrière des arbres. Toute triche sera sanctionnée. Que les meilleurs gagnent !

Comme l'avait promis Lily à Marlene, ce fut mémorable. Cette bataille de boules de neige fut enregistrée comme une des plus épiques que Poudlard ait jamais accueillie, et pourtant, le château avait été le théâtre d'un nombre impressionnant de celles-ci.

L'équipe de Lily, Sirius et Dorcas se lança immédiatement dans une opération très coopérative dans le but de compenser leur nombre inférieur. Sirius se chargeait de rassembler des paquets de neige fraîche tandis que Dorcas formait de belles boules, et que Lily les lançait. Elle était d'une précision redoutable grâce à son expérience due à de nombreux hivers passés à jouer dans al neige avec Pétunia.

L'autre équipe avait plus de mal à s'organiser efficacement, malgré les tentatives de Remus de construire une entente cohérente, mais ce manque de cohésion était compensé par l'enthousiasme de chacun des membres de l'équipe.

Marlene et James ne prenait même pas le temps de former des boules et lançait des paquets de neige à peine tassés en direction de leurs adversaires, les ratant la plupart du temps.

Peter avait la précision de son côté, mais était retardé par sa difficulté à décider qui il devait viser. Pas Sirius, parce qu'il craignait sa revanche et qu'il n'osait pas vraiment, pas Lily parce que sinon James le tuerait, pas Dorcas parce qu'elle ne lui avait rien fait (et que, pour être honnête, elle lui faisait un peu peur aussi)... Il se dandinait d'un pied sur l'autre, ne sachant que faire pour ne froisser personne. Évidemment, il était le seul à prendre le jeu autant au sérieux, mais cela ne se remarqua pas dans la confusion générale.

Remus, quant à lui, savait très bien qui viser. Et il faut dire que la plupart du temps, il atteignait sa cible. Il s'imagina embrasser Sirius à chaque endroit qu'il touchait avec une boule de neige, et eut un petit sourire coupable lorsqu'il le frappa un peu en dessous de la taille. Celui-ci, lassé de ramasser de la neige sans pouvoir riposter, abandonna son poste et se mit à bombarder le loup-garou. Ce fut le début de la décadence.

Les hostilités se firent de plus en plus hasardeuses, audacieuses. Les équipes se défirent peu à peu, au fur et à mesure que des rivalités bien claires s'établissaient. Sirius contre Remus, Dorcas contre Marlene, James contre Lily, et Peter lançant ses boules un peu n'importe où et renforçant la confusion ambiante. Plusieurs fois, les boules ne furent plus suffisantes et les Gryffondors s'empoignèrent à bras le corps pour rouler dans la neige et affirmer leur supériorité sur leurs ennemis. Ce fut lorsque des Serdaigles de sixième année qui passaient par là et qui connaissaient un peu les maraudeurs et leurs amis se joignirent à eux que les choses devinrent réellement incontrôlables. N'ayant pas reçu les consignes de départ de Lily, ils lancèrent les sortilèges les plus performants qu'ils connaissaient et mirent toute leur magie et leur connaissance au service de cette noble cause. Dès lors, les éclairs de toutes les couleurs fusèrent dans les airs, servant à ajuster son tir pour les plus timides, à grossir les boules de neige ou encore à les faire exploser à la tête de son adversaire. Les professeurs Flitwick, McGonagall, Chourave et Bibine, qui profitaient probablement de cette après-midi hivernale en paix, arrivèrent attirés par le bruit. Le minuscule professeur de Sortilèges reçut une boule malencontreuse (ou probablement lancée par James et Sirius pour pimenter le jeu) et le prit comme une attaque personnelle puis s'employa à la tâche très sérieuse de venger son honneur. Il entraina les professeurs de Botanique et de Quidditch dans son sillage, qui s'affrontèrent comme un vieux couple. 

McGonagall resta quant à elle sur le côté, refusant probablement de se mêler à des jeux si enfantins, mais des années plus tard, Sirius jurerait de l'avoir vue faire de discrets mouvements de baguette sous sa cape avec un sourire félin. Et il aurait été difficile de le contredire catégoriquement, tant la bataille avait tournée à la véritable guerre. Tous les élèves présents dans les jardins du parc finirent par les rejoindre, enthousiasmés par l'atmosphère de débandade générale qui se dégageait de la mêlée et on ne put bientôt plus faire un seul pas en sécurité hors du château. La légende raconte que Dumbledore lui-même aurait ouvert la porte de son bureau et se serait amusé à bombarder les élèves avec la neige amassée sur les toits. Ces faits sont difficilement vérifiables, mais il est certain qu'on n'avait pas autant ri à Poudlard depuis un bout de temps. James ferait d'ailleurs de sa devise « rien de tel qu'une bonne bataille de boule de neiges pour remonter les troupes » pour les trois jours suivants (ce qui était remarquable, vu la vitesse avec laquelle James changeait de devise).

Au bout d'un certain temps, l'épuisement général gagna les élèves. La moitié s'effondra dans la neige à bout de souffle, tandis que les autres transis de froid rentraient au château se réchauffer. Les maraudeurs et les filles se retrouvèrent bien sûr sans effort, comme si -de toute façon- ils étaient liés. Ils continuèrent à rire sans raison particulière, en dessinant des anges dans le champ de bataille. Trempés, épuisés, grelottant, affamés, mais heureux. Ancrés dans le moment. Pas de famille qu'on trahit, de frère abandonné, de lycanthropie, de Mangemorts, de perspectives de mort, de danger, de peur. Juste eux, sous le ciel blanc uniforme qui menaçait de neiger à nouveau. Juste eux. 

***

NDA : Je voulais juste qu'ils soient heureux, pendant un instant. Juste heureux.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top