Sur leur chemin pour se rendre en cours de Potions, les maraudeurs passèrent devant le couloir qu'ils savaient mener à la salle commune des Serpentards, pour y avoir posé quelques bombabouses à l'occasion. Au même moment, Regulus apparut devant eux, sortant très probablement de sa salle commune. Il était accompagné de deux amis, qui n'avaient pas l'air aussi idiots que la plupart des Serpentards, de l'avis de James. Et de sa part, c'était un sacré compliment.
Sirius se figea comme une biche prise dans les phares d'une voiture. Quel tour voulait ici lui jouer le destin ? Sa famille entière qui le poursuivait le jour de son anniversaire, voilà ce dont il n'avait pas besoin. Il se reprit bien vite, baissa la tête et s'apprêta à continuer son chemin, comme à chaque fois qu'il croisait son frère. Qui es-tu ? Tu m'es familier, et pourtant il y a longtemps que je ne te connais plus. S'il n'avait pas détourné le regard, il aurait vu que Regulus s'était arrêté lui aussi, et hésitait. Il adressa deux mots à ses amis qui hochèrent la tête et partirent sans lui. James, qui lui n'avait pas baissé les yeux, retint fermement Sirius par le bras.
- Parle lui, Pads. Il le mérite, et toi aussi.
Remus le poussa gentiment, gardant sa main un peu trop longtemps sur son épaule, à la manière d'une caresse. Peter hocha la tête en signe d'encouragement.
Ils sont mignons, mais ils sont idiots, pensa Sirius. Remplis de bonnes intentions, mais ils ne comprennent rien. Comment ne peuvent-ils pas voir que tout est déjà brisé en tellement de morceaux ? Comment peuvent-ils encore penser qu'il y a une chance de réparer les choses ? Les bouts de leur coeur en morceaux, tranchants comme du verre, flottaient entre Sirius et Regulus. Aucun des deux n'osait s'avancer, sachant que les éclats les blesseraient de toute façon. Quel interêt alors ? On se fait du mal consciemment, mais qu'est-ce qu'on espère ?
Ils auraient probablement renoncés si Regulus, dans un sursaut de courage ou d'affection ou de détermination, n'avait pas lancé quelques mots dans l'air.
- Joyeux anniversaire.
Une perche tendue. Rien de plus facile et innocent. Et pourtant, rien que de tendre la main, paraissait insurmontable à Sirius. Il regarda Regulus, ce gamin qu'il avait laissé là-bas, après tout ce qu'ils y avaient déjà vécu, et tout ce qu'il y vivrait encore, mais tout seul cette fois. Et Sirius se sentit coupable, coupable, coupable. Un Gryffondor, lui ? Il était le plus lâche d'entre tous. Il avait abandonné son petit frère.
- Merci, répondit-il simplement.
Parce qu'il ne savait pas quoi dire d'autre. Y avait-il vraiment eu un temps où la discussion était facile, où on n'avait pas peur de trébucher à chaque mot ? Où ils étaient simplement frères ? Peut-être que ses souvenirs n'étaient qu'un rêve. Qui aurait pu le dire ?
- Papa et maman...
- Je ne veux pas savoir, le coupa brusquement Sirius.
Regulus eut l'air blessé.
- J'allais dire que papa et maman voulaient que je te transmette un message, mais je ne compte pas le faire. Ils n'ont qu'à t'envoyer une chouette s'ils veulent te parler, comme tout le monde.
Sirius sentit son coeur saigner à flots. Oh, petit frère, je la vois, ta rébellion à toi. Je vois tous les gestes du quotidien qui constituent tes défenses. Toujours dans l'ombre, discrètement, tu ne fais jamais de bruit, mais tu résistes. Le problème avec les gens silencieux, c'est qu'au moment où ils en ont besoin, ils découvrent parfois qu'ils ne savent plus crier.
- Peut-être parce qu'ils savent que je brûle toutes les lettres sans les lire.
- Vraiment ?
Sirius haussa les épaules d'un air désinvolte. Je suis le grand ici, rien ne me touche. Regarde, je maitrise la situation, je n'ai jamais été en danger. Maintenant, laisse-moi te protéger.
- Quel gâchis de papier à lettre si distingué, dit Regulus, comme on offre une proposition.
Son frère releva la tête, le regarda, eut un petit rire si semblable à un aboiement. Plus jeunes, ils s'étaient toujours moqués des toutes les fournitures de la maison Black, marqués de leur blason et de la plus noble confection. Regulus venait de lui faire une plaisanterie, contre leur famille. C'était immense. Une façon de dire qu'il ne l'avait oublié, et qu'il le pardonnait. Bien sûr qu'il le pardonnait.
- Comment ça va, à la maison ? demanda prudemment Sirius.
Il regretta d'avoir utilisé ce terme, parce que ça faisait bien longtemps que la masure des Black n'était plus sa maison. Mais c'était encore celle de Regulus, pour l'instant. Celui-ci haussa les épaules.
- Comme d'habitude. C'est plus... vide, tenta-t-il.
Tu me manques, entendit Sirius. Cette maison est trop grande quand elle n'est pas remplie par ton rire, et le silence résonne violemment dans chaque pièce qui contient le fantôme de ta présence. Mais le « comme d'habitude » recelait beaucoup de non-dits, lui aussi. Maman hurle pour un rien, papa lance un sortilège au hasard quand il a passé une mauvaise journée, la boule au ventre toute l'année de peur de ne pas être assez bien. Assez pur. Assez Black.
- Tu sais ce que tu vas faire, après Poudlard ? demanda timidement en retour Regulus.
Sirius fronça les sourcils. Pourquoi cette question ? Il savait bien que Sirius ne pensait jamais au lendemain, la minute du présent était déjà bien assez complexe à vivre comme ça. Il le connaissait. N'est-ce pas ?
La conversation se faisait en filigrane, chaque mot décrypté et chaque expression déchiffrée. Les deux frère avaient l'impression de n'être plus que des étrangers, sans se rendre compte que personne d'autre qu'eux n'aurait pu mené une telle conversation, simplement parce qu'ils étaient les seuls à se connaitre à ce point par coeur. Ils étaient le seul frère de l'autre.
Regulus, voyant que Sirius ne comptait pas répondre, reprit.
- Parce que, Bellatrix m'a fait rencontré ces gens...
Il le savait. Son frère avait quelque chose derrière la tête. Dès qu'il entendit le prénom de leur cousine, Sirius se crispa violemment. Quelque chose qui venait de Bellatrix ne pouvait pas être bon. Aucune chance.
- Ils travaillent au Ministère, dans le Département de la Justice Magique, continua rapidement le plus jeune, comme s'il avait peur de perdre courage s'il attendait trop. Et ils connaissent bien la famille depuis longtemps, et ils pourraient te prendre en apprentissage. Et je sais que tu ne veux faire de mal à personne, et comme ça, tu n'aurais pas à lancer des sortilèges, juste à signer des papiers.
Son grand frère en face de lui, se décomposait au fur et à mesure qu'il parlait. Sirius ne put s'empêcher de remarquer qu'il avait repris son tic de langage de rajouter « et » à chaque début de phrase, qui revenait dès qu'il était stressé. Mais que lui disait-il là ? Il ne pouvait pas le croire.
- Regulus...
L'utilisation de son prénom crispa immédiatement le jeune homme. Il avait compris que c'était perdu, mais il avait fallu qu'il essaye.
- D'abord, depuis quand est-ce que tu t'inquiètes pour mon avenir ? C'est moi le grand frère, je n'ai pas besoin de toi pour trouver quoi faire plus tard.
Regulus le reçut en plein coeur. Je n'ai pas besoin de toi. Sirius soupira en se rendant compte que sa formulation était incroyablement maladroite, ce qui ne fit que braquer son frère un peu plus.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire... C'est juste que, Reg, tu sais que je ne veux plus rien avoir à faire avec notre famille. Je ne veux pas d'une place payée par l'influence, la manipulation des Black. Et puis, vraiment, Bellatrix ? Cette fille est cruelle de nature, et je croyais qu'on était d'accord sur le fait que rien de bien ne viendrait jamais d'elle.
- Les gens changent, Sirius. Oh, mais c'est vrai, tu es parti et tu ne veux plus voir personne, donc tu n'aurais pas pu le savoir. Et arrête de parler des Black comme si tu n'en faisais pas partie. C'est ton héritage, le sang qui coule dans tes veines que tu le veuilles ou non.
Tandis qu'une minuscule partie du cerveau de Sirius se demandait comment la conversation avait pu s'enveminer aussi rapidement et comment ils s'en étaient retrouvés à se jeter toutes les choses qu'ils ne voulaient pas entendre à la figure, la majeure partie de lui-même fut indignée. Bien sûr. Sirius le sanguin.
- Tu crois que je ne le sais pas ? Ce nom me colle à la peau comme une malédiction, peu importe à quel point j'essaye de m'en débarrasser ! Et il me poursuivra toute ma vie !
Mais je suis ton frère, pensait Regulus. Tu détestes donc la chose qui nous lie malgré tout ? Tu détestes notre nom, notre sang, ce qui fait qu'on sera toujours plus que des inconnus. Tu veux t'en débarrasser. Et de moi avec, donc.
- Et puis, sérieusement ?! Je ne veux faire de mal à personne, mais j'aurais juste à signer des papiers ? Si tu fermes les yeux, Sirius, tu ne verras pas la cruauté, la torture, la violence, les meurtres, l'injustice, ne t'inquiète pas si tu es un lâche, d'autres lanceront les sortilèges pour toi. Il suffira que tu cautionnes leurs actions, bien installé dans ton fauteuil de velours. C'est ça, que tu me proposes, Regulus ? C'est comme ça que tu me vois ?
Son petit frère ouvrit la bouche, mais rien n'en sortit. Rares étaient ceux qui ne perdaient pas leurs moyens devant Sirius enflammé, et il n'en faisait pas partie. Normal, il était son grand frère. Il n'était pas censé pouvoir -devoir- se défendre contre lui.
- Je ne veux rien avoir à faire avec eux, Reg. Je veux me battre pour les empêcher de faire régner leur loi, en fait. Je ne comprends pas comment tu peux toujours les supporter alors que tu as vu. Tu sais ce qu'ils font, tu les connais. Ils se sont montrés à toi dans toute leur splendeur, et tu continues à les traiter comme s'ils étaient des modèles. Pourquoi ? Tu veux vraiment devenir comme eux ?
Évidemment, Regulus n'avait pas de réponse aux questions pressantes de Sirius. Il était incroyablement désarmé quand son frère l'appelait par son surnom. Soudain, tous les beaux arguments qu'il avait préparé disparaissait, et ne restait que de l'amertume.
- Tu sais qu'il y a une autre option, murmura Sirius.
Une main tendue. Il n'avait qu'à étirer les doigts pour l'effleurer. Et il ne le fit pas. Bien sûr que non.
- Je n'ai besoin d'aucune autre option. Et de toi non plus. Tu regretteras d'avoir refusé ces propositions, un jour, tu verras. J'aurais pourtant cru que tu avais un peu plus de jugeote que ça. Ce que tu veux faire avec tes petits amis, c'est bien beau, mais tu sais pertinemment que ça ne rime à rien. Nous, on met en place un projet plus grand. On voit plus loin. Tu ne peux pas comprendre, tu n'essayes même pas.
- Tu parles comme eux, souffla son frère.
Regulus avait calculé ses mots pour qu'ils soient plus tranchants que des lames, et il savait l'effet qu'ils auraient. Depuis le temps, il avait quand même réussi à ne plus se retrouver aussi démuni qu'autrefois devant Sirius. Et pourtant quand il fixa ses yeux dans ceux de son frère, il ne lut que de la peur. La peur qu'on éprouve quand les gens qu'on aime sont en danger. Et il ne sut pas quoi en faire.
- Quel gâchis, lâcha-t-il faute de mieux.
Il ne se rendit compte qu'une seconde plus tard d'à quel point ses mots reflétaient sa pensée. On aurait pu faire mieux. Il en était convaincu. Mais il était trop tard. Il tourna les talons, pour s'extirper enfin de cette tension qui le rendait fou.
- Attends ! l'interpella Sirius.
Et il ne sut pas bien pourquoi, peut-être simplement en souvenir de tout le bonheur qu'ils avaient partagé, il se retourna.
De deux larges pas, Sirius franchit la distance qu'ils avaient pris grand soin de maintenir tout au long de la discussion, traversa d'un air assuré le champ de bataille qu'ils avaient créé entre eux, se coupa sur les morceaux tranchants de leurs deux coeurs éparpillés et le prit dans ses bras.
C'était aussi inattendu qu'étrange, et Regulus se figea en attendant de savoir comment réagir. L'étreinte de Sirius n'était pas douce ou affectionnée, elle était brusque, maladroite et urgente. Il le serra si fort qu'il lui fit presque mal, mais c'est ce qu'il leur fallait. Ils ne savaient pas s'aimer sans douleur. Regulus finit par refermer ses bras sur Sirius et par le serrer fort, lui aussi. Comme on s'accroche à la dernière miette de ce qu'on sait qu'on perdra ensuite.
- Je t'aime malgré tout, souffla Sirius avant de s'enfuir en courant.
***
NDA : Regulus Black a mon coeur dans la main, et il en fera ce qu'il voudra.
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