Chapitre 13
Une routine s'était plus ou moins installée. Même s'il était périlleux de parler de routine avec les Maraudeurs, chaque jour étant une nouvelle opportunité de découvrir, casser ou fabriquer quelque chose. Les cours étaient malgré tout intenses, et même si Sirius et James avaient décidé depuis bien longtemps que chaque minute consacrée à leur scolarité était une minute perdue, l'exigence des professeurs les obligèrent à perdre plus de minutes que jamais. La chaleur de septembre et son relent d'été étaient passés, et la fraicheur de novembre s'installait doucement sur Poudlard. La première pleine lune s'était déroulée sans incident, pour autant qu'une pleine lune le puisse. Chacun avait retrouvé ses marques, après deux mois d'interruption. Remus avait presque oublié à quel point il était bon de pouvoir se reposer sur ses trois amis, de savoir qu'ils étaient là pour le rattraper en cas de chute, qu'ils étaient là au moment où il se réveillait, là pour le réconforter sans laisser le temps à la honte et la solitude de se frayer un chemin jusqu'à son esprit morcelé.
Même après un an et demi à vivre cela chaque mois, il n'arrivait toujours pas à le croire. James, Sirius et Peter étaient devenus des Animagi. Cela constituait déjà une information incroyable, mais c'était la suite qui paraissait plus invraisemblable encore aux yeux de Remus : ils étaient devenus des Animagi pour lui. Pour lui, et lui seul. Pour rendre ses transformations plus supportables. Pour l'aider à gérer son enfer de quotidien. Pour être avec lui pendant le moment le plus dur, le moment où il se sentait le plus seul et éloigné de tout ce que les autres pourraient jamais connaitre. Remus songea qu'il n'arriverait sans doute jamais à accepter cette pensée.
Non seulement ils l'avaient accepté comme il était sans aucune hésitation, mais ils avaient en plus tout mis en oeuvre pour que cette immonde chose qui sommeillait en lui devienne un concept avec lequel il pouvait supporter de cohabiter. Le jeune homme peinait à comprendre comment les trois Gryffondors pouvaient l'aimer autant, allant jusqu'à accomplir des folies pour lui, alors qu'il se haïssait si fort lui-même. « C'est pas grave, Moony, aurait dit James s'il l'avait entendu. Moi, je t'aime pour deux. Et je suis sûr que Peter et Sirius aussi. Ce qui fait qu'à nous trois... On t'aime pour six. Pas mal, non ? » Peter aurait levé les pouces, avec un son grand sourire candide qui le faisait ressembler à un enfant. Et Sirius aurait souri, et il aurait regardé Remus, et Remus aurait lu dans son regard qu'il l'aimait tellement que ça n'avait aucune importance si personne d'autre ne l'aimait jamais, et il aurait détourné le regard avant de rougir comme un première année effarouché. Sirius aurait attendu que Remus le regarde de nouveau, pour qu'il lise sur ses lèvres les mots qu'il ne pouvait pas lui dire : « Je t'aime. » Puis il serait parti d'un grand rire provocateur, comme pour effacer sa soudaine fragilité. Parce que Sirius semblait toujours un peu fragile quand il disait « Je t'aime ». Comme si placer une partie de son âme dans celle d'un autre était un risque immense et inconsidéré, qu'il pourrait regretter à tout moment. Et il avait sûrement raison. Mais en même temps, Sirius était connu pour prendre des risques inconsidérés à longueur de journée, et pour n'avoir aucun regret. Remus savait que c'était faux, au moins pour la dernière partie.
Le plus grand grand regret de Sirius était Regulus. Et il espérait que ça ne le resterait pas pour toujours. Qu'ils auraient une chance de reconstruire un peu de ce que la vie leur avait fait détruire. Remus espérait pour Sirius, pour Regulus. Il espérait parce que Sirius n'espérait plus, et qu'il méritait mieux. Il méritait d'avoir un frère. Il méritait de mener une vie où il ne regretterait rien, ou si peu de choses. Sirius méritait plus que ce que ses parents ne pourraient jamais lui donner. Remus le savait, mais James aussi, et peut-être mieux que personne. C'est lui le premier qui avait compris que la famille de Sirius ne serait jamais à la hauteur, et même sûrement la chose qui rendrait sa vie si compliquée. Lui le premier qui s'était promis de les remplacer, ces imposteurs, et de s'imposer comme pilier indestructible pour Sirius. Le monde de James était simple : la famille du jeune homme n'était pas la bonne ? Aucun problème. Il serait sa famille. Et quiconque ferait ne serait-ce qu'un commentaire aurait affaire à lui. Peter ensuite, s'était posé comme un petit frère à protéger. Sirius reportait un peu de ce qu'il ratait avec Regulus sur le jeune homme.
Et puis Remus était arrivé. Tout aussi fusionnel, loyal et courageux. Mais différent. Pas différent parce qu'il était un loup-garou. Différent parce qu'il attirait irrésistiblement le regard de Sirius, peu importe où qu'il soit, ce qu'il fasse. Parce qu'il le trouvait beau, avec ses fines cicatrices, sa peau pâle et son air triste. Remus avait l'air d'un de ces personnages de tragédie, condamné fatalement à une souffrance éternelle, mais qui l'acceptait puisque c'était sa destinée. C'était d'ailleurs ce qu'il allait devenir. Mais plus tard. Au début, il se contentait d'effleurer Sirius, comme par erreur, de faire semblant que ce n'était pas voulu, que leur regard n'avait pas duré une seconde de trop, que le rouge qui leur était monté aux joues était dû à autre chose, de prétendre qu'il n'avait pas envie de plus. Il ne s'estimait pas légitime à avoir ses pensées, alors il les repoussait au fond de lui, tout au fond, là où il essayait de ne pas regarder trop souvent par peur de ce qu'il pourrait y trouver. Pas parce que Sirius était un garçon, même si c'était déjà dangereux et instable, mais parce qu'il ne pouvait pas espérer être aimé. Il n'y avait pas le droit, et Sirius ne méritait pas ça. Il ne pouvait pas lui imposer ça. Le jeune homme l'avait déjà accepté en tant qu'ami, il avait déjà tant fait pour lui, ç'aurait été scandaleux de lui demander de tomber amoureux de lui en plus.
Alors Remus faisait semblant d'oublier, de ne pas avoir ces choses qui bouillonnaient en lui, il prétendait ne pas voir que l'attirance était réciproque même si son estomac faisait des sauts et que son coeur se mettait à battre n'importe comment quand Sirius lui souriait. Tu n'as pas le droit, se répétait-il. Sirius n'a pas à vivre ça, il en a déjà assez avec ses propres problèmes.
Lorsqu'ils s'étaient embrassés pour la première fois, Remus avait soufflé :
- Je suis désolé...
Sirius avait froncé les sourcils, inquiet. C'était le début, tout était nouveau, flou, incertain.
- Tu n'as pas... aimé ?
Remus aurait presque pu rire de sa méprise. Au contraire. Le problème n'était pas qu'il n'avait pas aimé, mais qu'il avait trop aimé. Qu'il n'avait pas su résister. L'irréalité du moment l'avait entrainé précisément là où il ne voulait pas aller.
- Je suis désolé, répéta-t-il. Je ne peux pas te faire ça.
Et il s'était enfui, laissant Sirius seul et désemparé. Rejeté. Évidemment, le jeune homme avait eu mille fois plus mal que si Remus était resté. Il s'était demandé ce qu'il avait fait de mal. Avant de se souvenir que personne ne lui avait assuré que Remus l'aimait. Qu'il l'avait embrassé, parce que ça faisait si longtemps qu'il en avait envie. Mais Remus était son meilleur ami. Son meilleur ami. Avait-il imaginé les regards, les touchers, les genoux cognés comme par hasard, les coudes collés dans une intimité publique, les souffles étrangement dirigés vers l'autre, les occasions saisies de relever une mèche, d'enlever une poussière, de se rapproche, encore et encore, jusqu'à ce qu'ils n'y tiennent plus ? Sirius avait passé la nuit à se remettre en question, seul et empli de remords comme il l'avait rarement été. Il ne rentra pas au dortoir.
James ne s'inquiéta pas outre-mesure, l'ayant repéré sur la carte et ayant compris qu'il avait besoin de tranquillité, mais Remus passa une nuit blanche lui aussi. Une nuit passée à se dire qu'il avait pris la bonne décision, sans réussir à se convaincre. Il revoyait la scène en boucle. Ce baiser, impatient car précédé d'années d'attente, doux, maladroit car c'était le premier, plein d'espoir que ce ne soit pas le dernier. Puis il avait tout gâché. Ou tout sauvé, comme il essayait de penser. Remus savait depuis longtemps que les meilleures choses à faire étaient souvent les plus douloureuses et qu'il existait très peu de cas où la bonne décision coïncidait avec la décision qui rendait heureux. Mais tout de même.
Pourquoi avait-il si mal, si c'était si raisonnable ? Pourquoi les sanglots se bousculaient-ils dans sa gorge, alors qu'il s'y était préparé depuis le début ? La meilleure décision pouvait-elle être celle qui les faisait tant souffrir tous les deux ? Bien sûr que oui, et tu le sais bien, se répondait-il. Alors il s'était assis sur le rebord de la fenêtre et avait regardé la lune, floutée par les larmes. Et il l'avait maudit comme si cette déchirure blanche céleste avait un quelconque pouvoir sur ses malheurs et qu'elle s'acharnait à le faire souffrir encore et encore.
Les deux semaines qui avaient suivies l'incident, Remus avait soigneusement évité Sirius, mais l'air de rien. Il avait continué à être avec lui à longueur de journée, à lui prêter ses plumes et à répondre à ses questions, mais il faisait attention à ne pas s'asseoir à côté de lui en cours. À ne pas parler trop longtemps avec lui. À n'avoir que le minimum de contact possible. Et surtout, surtout, à ne jamais se retrouver seul avec Sirius. C'était un calvaire, des deux côtés. Sirius avait à peu près digéré le rejet de Remus (ou du moins il essayait de s'en convaincre), mais avait pensé qu'ils recommenceraient comme avant, qu'ils seraient toujours les maraudeurs. Il avait pensé que leur lien était plus fort que ça, qu'ils pouvaient surmonter n'importe quoi.
Et voilà qu'il agissait comme s'ils se connaissaient à peine. Ça le rendait fou. Remus lui manquait intensément, pas seulement son contact, mais ses blagues, sa présence, ses soupirs, son ami lui manquait. Remus de son côté, ne comprenait lui-même pas exactement ce qu'il faisait. Il avait beau savoir pertinemment que ce petit jeu ne pourrait pas continuer éternellement, il ne pouvait pas supporter l'idée de faire comme si rien ne s'était passé et de reprendre cette relation de « je te plais, tu me plais, mais faisons comme si on ne voyait rien ». Mais il haïssait cette situation, et il se haïssait pour la provoquer. Il se sentait piégé dans sa propre toile.
James avait évidemment remarqué quelque chose, et même Peter, qui n'était pourtant pas la définition de la perspicacité, avait froncé deux ou trois fois les sourcils devant la froideur de Remus. James avait décidé de les laisser régler leurs affaires, se doutant que ce qui se déroulait était d'une importance capitale. On avait beau dire qu'il manquait de tact, il sentait parfaitement les choses qui étaient censées rester cachées. Il s'était dit qu'il finirait par crever l'abcès s'ils ne se décidaient pas, mais il leur avait d'abord laissé une chance de se retrouver par eux-même. Et en effet, ça n'avait pas manqué.
Au bout de deux semaines, Sirius avait explosé. Il était comme ça : il engrangeait, encaissait sans broncher des jours, des semaines durant, puis tout d'un coup c'était trop et il libérait tout ce qui s'était amassé en lui depuis tout ce temps. Et voir Sirius exploser n'était jamais une expérience agréable. Remus se doutait que c'était ce qui allait se passer mais préférait rester dans le déni de tout ce qu'il s'était passé. C'était tellement plus facile. Et il s'était dit que pour une fois dans sa vie, il méritait de choisir la facilité. Mais Sirius ne lui laissa pas le choix. Sirius n'était pas facile, et Remus le savait pertinemment. Remus l'aimait pour ça. Après deux ou trois jours à essayer de lui parler seul à seul où Remus avait toujours réussi à s'esquiver, il l'entraina pratiquement de force aux toilettes avec lui pendant la pause matinale.
Remus respirait lourdement. Il n'était pas prêt pour cette conversation, et il n'était pas prêt à affronter l'orage qui se dessinait dans les yeux de Sirius. Après avoir vérifié qu'ils étaient seuls, le jeune homme s'était adressé au loup-garou violemment, passionnément :
- À quoi tu joues ?! Tu ne peux pas m'ignorer, passer du tout au tout juste parce qu'on s'est embrassés ! J'ai compris, c'est pas réciproque, et je suis désolé pour ce qui s'est passé, d'accord ? Je suis vraiment désolé. C'était stupide, et tu as le droit d'avoir honte. Mais il faut qu'on continue à être amis ! Si tu ne le fais pas pour nous, fais le pour Peter et James. Ils n'ont rien à voir dans cette histoire, et ils n'ont pas à subir ça. On ne peut pas leur faire ça. Il faut qu'on soit amis, Remus.
Au-delà de Peter et James, il y avait le « si tu ne le fais pas pour nous ». Pas moi, pas toi, nous. « Il faut qu'on soit amis, Remus. » La supplication perçait très nettement derrière la colère et l'incompréhension. Tout ce que Sirius ne disait pas, Remus l'entendit. « J'ai trop besoin de toi. Je ne peux pas te laisser m'enlever les miettes qu'il me reste. » Il secoua la tête, toujours sidéré par la méprise.
- Sirius, ça n'a rien à voir avec toi, c'est juste que...
Sa voix se brisa. C'est de ma faute, aurait-il voulu dire. Tout est de ma faute, et tu n'aurais jamais du me rencontrer, parce que c'est trop compliqué.
- C'est juste que quoi, Remus ? Dis-le.
En dessous la colère, Sirius venait de se faire briser le coeur. Et il pensait que si Remus le disait, s'il l'entendait de sa bouche, cette bouche qu'il avait embrassée, peut-être l'accepterait-il mieux. Peut-être.
Remus sentit l'envie de l'embrasser monter en lui, presque comme une nausée, quelque chose d'irrépressible qui demande à sortir, un démon qu'on exorcise ou un rêve qu'on réalise. Il ferma les yeux, s'agrippa aux lavabos.
- Remus. Dis-le. S'il te plait.
Il rouvrit les yeux. Sirius avait le col de sa chemise à moitié ouvert, les cheveux à moitié emmêlés, les yeux perdus et sombres, le cou pâle et noble, les poings fermés et serrés, ses doigts abîmés par son manque de soin crispés sur eux-même, la bouche entrouverte. Alors Remus l'embrassa. Et comme si Sirius savait ce qui allait se passer, il lui rendit son baiser immédiatement. Et tout d'un coup, tout devint urgent. Il était urgent de s'embrasser, urgent de respirer l'autre jusqu'à confondre les haleines, urgent de se toucher pour prendre conscience des contours des corps, urgent d'en avoir plus, urgent de rattraper tout ce qu'ils avaient manqué et tout ce qu'ils manqueraient à l'avenir. Remus aurait pu se dire qu'il le faisait pour Sirius, pour ne pas qu'il souffre. Mais cette fois-là, il fut honnête avec lui-même : ce n'était pas pour Sirius qu'il le faisait. C'était pour lui. Égoïstement. Humainement.
Entre deux baisers, Remus murmura à nouveau :
- Je suis désolé.
Il pressa de nouveau ses lèvres contre celles de Sirius, il n'en aurait jamais assez.
- Mais je t'aime.
***
NDA : J'ai décidé de développer leur deuxième baiser plutôt que le premier. Faites ce que vous voulez de cette information. (Si vous pensiez que j'allais vous laisser tranquille avec eux, vous aviez tellement mais tellement tort)
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