Chapitre 11
Il était trois heures du matin et les quatre garçons étaient étendus sur le sol de leur dortoir, où ils avaient négligemment déposé leur couvertures. Le silence s'était finalement installé, après une nuit de rires, de cris, d'exclamations, de débats, d'amitié. Ils étaient sur le point de s'endormir lorsqu'une voix s'éleva dans le noir.
- Les gars ?
Un grognement s'éleva du tas de maraudeurs, signifiant une écoute relative.
- Je voulais juste vous dire que je vous aime. Et que je suis beaucoup trop chanceux de vous avoir.
- Merlin, j'avais oublié à quel point Peter devenait sensible passé une heure du mat.
- Tais-toi un peu, Pads. On t'aime aussi, Peter. N'écoute pas cet idiot de Sirius.
- Je suis pas idiot, Moony !
- Non, tu es juste incapable d'exprimer des sentiments et d'entendre ceux des autres.
- Touché, glissa James, incapable de se retenir.
Sirius effleura les doigts de Remus, comme pour s'excuser. Ne m'en veux pas, s'il te plait. Il y a déjà tellement de gens qui m'en veulent. Je m'en veux déjà tellement.
- Admets le, Padfoot, t'es pas un sentimental, ajouta James.
- Très bien, vous l'aurez voulu.
Sirius se releva d'un coup et sans prévenir, se jeta par dessus les trois autres maraudeurs. Ce fut un concert de hurlement, de grognement et de protestation.
- Sirius, tu nous écrases !
- C'est pour vous montrer toute l'immensité de mon amour pour vous. Je vous aime, les gars.
Finalement, ils finirent par arrêter de se tortiller et tombèrent dans les bras de Morphée, empêtrés les uns dans les autres, leur respiration se croisant. Jusqu'à ce que Sirius reprenne, alors que tout le monde était déjà endormi :
- Les gars, je me disais... Est-ce que vous pensez que McGonagall a déjà transgressé le règlement quand elle était élève ici ?
- Siriuuuus... Il est trois heures et demi, vraiment...
- Non, mais je ne sais pas, ça me travaille.
- Qu'est-ce qui te dit qu'elle était à Poudlard, déjà ? demanda James en relevant la tête, le visage encore tout endormi.
- J'ai vu son nom sur une des récompenses de la salle des trophées, quand j'étais en retenue là-bas.
- Est-ce qu'on est vraiment en train d'avoir ce débat, maintenant ?
- Absolument, très cher Remus.
- Dans ce cas, laissez-moi vous dire qu'elle était pro dans la matière. À mon avis, elle a fait les quatre cent coups, pire que nous peut-être.
- Tu rigoles ou quoi ?! Rien que la mention de nos noms lui donnent des frissons, et tu penses qu'elle était pire que nous ?
- Honnêtement, ça se tient, trancha Sirius. Sinon, comment pourrait-elle savoir autant de choses sur l'aspect pratique de nos blagues ? Je veux dire, elle arrive presque toujours à deviner comment on a fait.
- Pas faux... Mais attendez... Ça veut dire qu'on va devenir comme elle, quand on sera vieux ?
- Argh, certainement pas ! protesta Sirius.
- Je mettrais un point d'honneur à ne jamais me laisser contaminer par la sagesse et la décence, annonça James solennellement.
- Tu es déjà Préfet-en-Chef, fit remarquer Remus.
- Il a pas tort.
- Ça ne change rien ! Jamais je n'abandonnerais la voie de la décadence et du chaos. Je vous aime beaucoup trop pour ça.
Ils méditèrent silencieusement cette phrase, regardant Peter qui ne s'était même pas réveillé. Les Mangemorts auraient pu débarquer qu'il aurait continué à ronfler sereinement, pensa Sirius avec un élan d'affection pour le jeune homme.
Remus quant à lui, avait refermé les yeux, épuisé. Il dut pourtant sentir malgré sa fatigue que quelque chose allait se passer, car il dit sans soulever les paupières :
- Avant que quiconque ne dise quoique ce soit, je vous préviens : si j'entends un mot de plus avant demain matin, je vous jette un sort pour vous enfermer hors du dortoir. C'est clair ?
- Est-ce qu'on a le droit de dire un mot pour te répondre, ou alors c'est l'expulsion directe ? se risqua James.
Remus soupira longuement, mais son message avait été entendu. Les quatre maraudeurs finirent enfin par s'endormir, pensant à la longue journée qui les attendrait dès le lendemain. Car en effet, la fin de celle qui venait de se terminer n'avait pas été de tout repos.
Dès que Lily les avaient lâchés, les quatre s'étaient glissés jusqu'aux cuisines, dont ils avaient découvert l'emplacement en troisième année et où ils faisaient des visites régulières depuis. Ils étaient entrés en riant, accueillis comme des rois par les elfes de maison. Évidemment, toutes les cuisines étaient en ébullition car les derniers préparatifs du banquet de début d'année s'achevaient. On ajoutait une pincée de sel par-ci, une louche de sauce par là, un soupçon de magie ailleurs. Quand les maraudeurs avaient exposés leur demande aux elfes, ils s'étaient tous arrêtés brusquement.
- Mais... Vous voulez qu'on... mette tous les plats jaune et rouge sur la table des élèves aux couleurs vert et argent, monsieur ? demanda un pauvre elfe en ouvrant de grands yeux vers James.
- C'est exactement ça, confirma ce dernier. Il n'y aucun problème, ça ne change rien pour vous. Il vous suffit de trier les plats par couleur, et de les envoyer vers le bon endroit au moment venu. On peut vous aider, si vous voulez.
- Mais James Potter, monsieur, les élèves ne vont pas apprécier, non, ils ne vont pas du tout apprécier !
- Ça, ne vous inquiétez pas, on en fait notre affaire.
Il envoya un clin d'oeil vers ses compagnons, qui réagirent chacun à leur manière : Remus leva les yeux au ciel avec un demi-sourire, Sirius le lui rendit, et Peter hocha joyeusement la tête.
- Bon, alors, on vous aide ? Regarde Sirius, prends le bol de fraises ici, et mets le plutôt là, Remus, tu peux attraper la mayonnaise et la déplacer par ici s'il te plait, et Peter, il m'a semblé voir un rôti saignant là-bas, si tu pouvais l'apporter...
En quelques secondes, sous les instructions de James, la cuisine bien rangée se transforma en un capharnaüm sans nom. Les elfes finirent par les chasser presque de force, horrifiés par cette tornade vivante qui semblait détruire leur oeuvre.
- Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas qu'on vous aide ?
- Oui, monsieur, non merci, monsieur, on y arrivera, on fera tout comme vous nous l'avez demandé, vous avez ma parole, monsieur. Maintenant, si je peux me permettre, monsieur, vous devriez rejoindre la Grande Salle, le banquet sera bientôt servi.
Et c'est en effet ce qu'ils firent, serrés tous les quatre sous la cape d'invisibilité de James. Ils étaient évidemment bien trop grands pour tous tenir dessous, et ce depuis un bout de temps maintenant. Leur pieds dépassaient largement, et Peter apparut même complètement à un moment après une mauvaise manoeuvre mais ça n'avait pas d'importance, puisque tout le monde avait le regard fixé sur Dumbledore qui faisait son discours. Ils finirent par y arriver sans (trop d') encombres, créant un doute à Lily au passage. Mais qu'importait.
Juste avant que tout ne commence, James ressentit cette excitation typique des moments où il allait découvrir si tout ce qu'il avait fomenté marcherait à merveilles. C'était un peu comme un artiste au moment d'entrer sur scène : toujours un peu de trac (quoiqu'on pouvait se demander si James Potter avait jamais ressenti du trac), mais aussi une hâte immense et indescriptible.
Et lorsque tout se déroula parfaitement, et qu'acclamés par la foule, il se tenait sur la table des Gryffondors, James pensa qu'il n'avait jamais été aussi parfaitement à sa place qu'en cet instant.
Bien sûr, ils écopèrent chacun d'une semaine de retenue, pour des motifs assez nébuleux, puisqu'ils n'avaient pas explicitement transgressé le règlement, mais quiconque s'était trouvé face à McGonagall à ce moment-là n'avait pas exactement pensé à lui demander des comptes.
- Toutes mes félicitations, Potter, Lupin, Pettigrew, Sirius, vous avez tenu une demi-heure avant de commencer à créer des problèmes, cette année ! Je crois que c'est un record dans toute l'histoire de Poudlard !
À voir son visage, on comprenait qu'elle ne considérait pas cela comme précisément glorieux.
- Ça nous tenait beaucoup à coeur, Professeure, vous savez. Toujours faire mieux que la fois d'avant, ce sont là les valeurs que vous nous avez inculqués grâce à ces années d'enseignement acharné.
- Taisez-vous, Sirius, si vous ne voulez pas deux semaines de retenue de plus.
James, à ses côtés, était mort de rire, tandis que Peter essayait sans trop de réussite d'avoir l'air désolé. Remus semblait ne pas trop savoir s'il était fier ou honteux de ce qu'ils avaient fait. Sûrement un peu des deux, au fond.
- Je ne comprends même pas comment vous avez réussi l'exploit de passer six années ici sans vous faire renvoyer. Vous mériteriez presque une récompense de la part de l'école.
- Mais on ne demande que ça, Professeure, un minimum de reconnaissance pour notre travail ! Vous savez, ce n'est pas toujours facile d'être qui on est... se désola James.
- À la réflexion, c'est Poudlard qui mériterait une récompense pour vous avoir supporté aussi longtemps.
- On est vraiment contents de vous retrouver, nous aussi, ajouta Peter.
- Lupin ? Qu'avez-vous à dire pour votre défense ?
- Je... Rien, Professeure. Rien.
- Parfait. Vous serez tous les quatre dans mon bureau demain à vingt heures tapantes. Et si vous êtes en retard, je m'assurerai personnellement que votre retenue consiste à nettoyer les enclos des créatures du professeur Brulôpot à mains nues. Et je peux vous assurer que l'odeur de leur déjections ne ressemblent pas à celle des plats que vous avez si gentiment placés sur la table des Serpentards. Me suis-je bien fait comprendre ?
James déglutit.
- Parfaitement, Professeure.
- Fort bien. À demain, alors.
Le réveil fut difficile, le fameux lendemain, même s'ils avaient l'habitude de fonctionner avec peu d'heures de sommeil à cause des pleines lunes. Sirius, qui n'avait besoin que de très peu de sommeil pour être d'attaque, se chargea de réveiller les trois autres. Il secoua James comme un prunier, arracha sa couverture à Peter et murmura quelques mots à l'oreille de Remus avec une caresse discrète.
- C'est pas juste, pourquoi Remus a toujours droit à plus d'attentions que nous ? se plaignit Peter, encore à moitié endormi.
- Sûrement parce que c'est le seul qui les mérite.
C'était faux, bien évidemment. Sirius aurait tout donné pour n'importe lequel des trois, mais Remus éveillait toujours de la douceur en lui. C'était quelque chose qu'il croyait avoir perdu avant de le rencontrer. Il pensait qu'elle avait été écrasée sous le poids de l'angoisse et de la haine. Mais étonnement, il lui en restait, et il la mettait toute entière au service de Remus. Et il ne l'en aimait qu'un peu plus pour ça.
Ils finirent par réussir à aller jusqu'à la Grande Salle, où chacun finit de se réveiller à son rythme. C'est-à-dire que Peter n'émit que quelques grommellements et plaintes avant d'avoir bu deux grandes tasses de thé et englouti trois oeufs ainsi qu'une ribambelle de toasts, que James commença à bavarder en buvant son jus de citrouille, que Sirius lui répondait joyeusement et que Remus dut siroter trois tasses de café avant d'être capable de suivre la conversation et d'y participer.
- Je vous le dis, si je deviens Ministre de la Magie, je ferais reconnaitre le double cours de Potions un lundi matin comme une forme de torture, affirma Peter alors qu'ils étaient en route pour leur premier cours.
- Hâte de voir ça. En attendant, on va devoir supporter Slughorn ET notre meilleur ami Servilus pendant deux heures, soupira Sirius.
- Tu ne pourrais pas juste l'ignorer ? Qu'est-ce qu'il t'a fait ?
- Tu veux dire à part faire du mal à Lily, être quelqu'un de fondamentalement mauvais, avoir failli dévoiler ton secret à toute l'école, mépriser tous les Nés-Moldus, être dans le club des Serpents et faire de la magie noire dans le but de torturer des Moldus ? Oh, rien, rien du tout.
- Tu n'as pas de preuves, Sirius. Et je te rappelle que c'était de ta faute pour l'histoire du secret.
- Ce n'était pas ma faute ! Il nous espionnait pour voir où on allait et ce qu'on faisait, cette sale fouine. Je n'ai fait que lui donner ce qu'il voulait.
Sirius le sentit venir, le sujet sensible, la discussion qu'aucun d'eux ne voulait avoir -encore une fois. Et pourtant il la poussait, il titillait, taquinait, l'attirait. Parce qu'il ne savait faire que ça. Mettre les pieds dans les plats, faire l'inverse de ce qu'on attendait de lui, être insolent quand il aurait fallu se taire. Mais ne savait-il faire que ça ? Ou était-ce simplement ce qu'il avait fait toute sa vie ? Sa façon d'exister dans cette famille qui lui interdisait tout et le forçait au reste. Être bruyant, brutal, insupportable, aller trop loin, toujours. La question n'était pas tant « Est-ce ma façon d'exister ? » que « Est-ce que je sais exister autrement ? ».
- Ne retourne pas les rôles, Pads, intervint James, l'air grave. Dans cette affaire, c'est lui qui a failli mourir, à cause de nous.
Le nous de James était indulgent pour ne pas dire toi. Il voulait dire « on te pardonne, pads, on porte aussi le poids de tes erreurs, mais on ne les oublie pas. »
- Il l'a bien cherché, c'est tout ce que je dis. Et honnêtement, même si tu n'avais pas été là, je ne l'aurais pas laissé mourir.
- Arrête, Sirius. Ne rigole pas avec ça. Tu ne sais pas ce qui aurait pu se passer.
- Je ne rigole absolument pas. Je ne dis pas que ce que j'ai fait était très intelligent, simplement qu'on a tous une part de responsabilité dans cette histoire. Et que ce serait bien de ne pas l'oublier.
C'était un des seuls sujets qui continuait à diviser James et Sirius. Et ils n'étaient vraiment, vraiment pas nombreux. Remus et Peter se gardaient bien de rentrer dans la discussion, estimant tous les deux que voir James contredire Sirius et lui reprocher des choses était une punition suffisante pour le jeune homme.
- Il aurait pu mourir ! C'était dangereux, et inconscient.
- Et depuis quand tu me reproches de faire des choses dangereuses et inconscientes ? D'habitude, tu les fais avec moi, James !
- Ce n'est pas pareil. Tant qu'il n'y a que nos vies en jeu, ça va. On ne peut pas mettre les autres en danger juste parce que ça nous amuse.
Il détestait quand le jeune homme prenait ce ton moralisateur, principalement parce qu'il avait souvent raison quand il l'utilisait, un peu parce qu'il lui rappelait Regulus quand il faisait ça.
- Donc tu penses que la vie de Rogue a plus de valeur que la mienne ?
- Ne joue pas sur les mots, Sirius. Ce n'est absolument pas ce que j'ai dit, et tu le sais très bien. Ne fais pas semblant.
- Même Lily ne le défend plus, mais toi oui ?! De toute façon, c'était il y a longtemps. J'ai changé.
Tu as changé ?
- Alors, si c'était à refaire, tu ne le referais pas ?
Sirius ne répondit pas tout de suite. Changé ? Les mêmes erreurs en boucle. Un échec, toujours. Ai-je changé ?
- J'arrive pas à croire qu'on continue à se disputer à cause de Servilus.
- Est-ce que tu le referais, Sirius ? répéta James.
- Non. Je ne le referais pas, d'accord ? Je te le jure. Je ne veux pas devenir comme les Mangemorts, à tuer parce que ça m'amuse.
Et en vrai, est-ce que je le referais ? Est-ce que je saurais m'arrêter avant de dépasser la limite ? Est-ce que je réussirais à faire passer les autres, leur vie avant ma colère, cette colère qui me dévore et qui ne demande qu'à sortir ? Est-ce que je le referais ?
Il ne savait pas. Et cette incertitude le tuait.
***
NDA : Qui sommes-nous devenus ? Sommes-nous vraiment différents de ceux que nous étions avant ? L'étranger le plus mystérieux ne resterait-il pas nous-mêmes, après tout ?
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