22| Un sourire couleur étoile
I walk a lonely road
The only one that I have ever knownDon't know where it goes
Boulevard of Broken Dreams - Green Day
PDV Kaen
Je me guide à l'aide du GPS de mon portable en priant pour être à l'heure, et finit par arriver au lieu indiqué sur l'annonce. Pas de doute, c'est là. Je toque en espérant tomber sur quelqu'un, même si le panneau aux allures vintages accroché à la porte indique "fermé". Le propriétaire du lieu arrive en quelques secondes et m'ouvre, un sourire bienveillant sur les lèvres. Il n'est pas très grand, mais sa tête réjouie et sa voix ferme montre que c'est quelqu'un qui a l'habitude d'être respecté sans efforts.
Une moustache fine qui boucle à ses extrémités vire au gris clair, preuve de son âge avancé, mais bizarrement, je me sens un peu intimidé. Je sens qu'il a vécu un paquet de choses, j'ai effleuré sa main en entrant, mais je peux lire une force de caractère incroyable dans ses yeux rieurs, et je sais que j'ai bien choisi.
<< Vous êtes là pour l'annonce, j'imagine ? demande-t-il d'un ton posé qui me plaît tout de suite. >>
- "Recherche un chanteur ou groupe pouvant se produire trois fois par semaine dans un bar de type vieillot et confortable, musique non-japonaise préférée, rémunéré en yens et pintes d'une grande qualité", je cite au mot près en souriant de toutes mes dents. Ma définition du job parfait.
Le vieux me jauge du regard, et je crois que ce qu'il voit lui plaît, puisqu'il hoche la tête d'un air approbateur.
<< J'imagine que l'étui dans votre dos ne sert pas à transporter des cadavres, me lance-t-il d'un ton taquin en désignant la housse noire de ma guitare. Acoustique ou électrique ? >>
- Les cadavres ? Plutôt morts, je dirais, répliqué-je du tac au tac. Acoustique, mais j'ai une électrique chez moi si besoin.
<< Quel modèle ? >>
- Une Fender, je ne connais pas le modèle exact, elle était à mon...père.
Les mots ont un goût amer et me piquent la langue, mais c'est la vérité. Elle était à mon père.
Et maintenant, elle m'appartient.
Je sais qu'il a compris, ses yeux ont parlé à sa place, et maintenant il m'observe d'une façon différente.
<< Vous me plaisez bien, vous, finit-il par lâcher d'un ton énigmatique en me désignant d'un rapide geste de l'index. >>
J'hausse un sourcil en baissant les yeux vers le doigt pointant mon torse.
- Euh...merci ? lâché-je en relevant la tête vers lui.
<< Ce n'est pas quelque chose que je dis à n'importe qui. >>
Je le suis du regard tandis qu'il contourne le comptoir pour attraper un jeu de clés. Tous ses mouvements sont...douloureux ? Pas comme une douleur physique, comme quelque chose qui le ronge de l'intérieur.
- Vous allez bien ? demandé-je sans réfléchir.
<< Ce n'est pas le type de question qu'on pose habituellement aux inconnus, fait-il remarquer en gardant les yeux baissés vers le tiroir d'où il a sorti les clés. >>
- Ouais, bah...La normalité, c'est pas pour moi, on dirait.
Il tourne un petit cadre vers moi, et je m'avance pour voir la photo, qui le montre lui et un autre homme, enlacés, devant la même devanture que celle du magasin. J'ai peur de comprendre...
<< C'est mon mari, explique-t-il doucement en passant son pouce sur le verre. Ou devrais-je dire c'était mon mari, mais le passé n'a pas sa place pour parler de lui. Il est toujours là, d'une certaine manière. C'est pour lui aussi que j'ai passé cette annonce. Il n'était pas japonais, mais il a tout laissé derrière lui pour me suivre ici. Ça fait deux ans, maintenant. Je sais qu'il voudrait que ce lieu s'illumine un peu grâce à des gens comme vous. >>
Il croise mon regard, et je vois les larmes qui menacent de déborder, mais ils les retient d'un battement de paupières.
- C'est une belle histoire, soufflé-je en souriant doucement.
<< N'est-ce pas ? Bien sûr, vous n'êtes pas obligé d'accepter. Je ne suis qu'un vieil homme qui a un peu trop de mal à laisser partir celui qu'il aime. Vous trouverez sans doute un employeur moins déprimant ailleurs. Vous n'aurez pas de mal à vous faire embaucher, beau garçon et habile avec les mots comme vous l'êtes... >>
Je pose doucement ma main près de la sienne en attendant la fin de sa tirade.
- Je ne veux pas d'un ailleurs. Vous avez convaincu le jeune un peu trop sentimental que je suis. Je préfère la vérité, même si elle n'est pas tout lisse, plutôt qu'un beau mensonge sans émotions.
Il range précautionneusement la photo, et me tend les clés.
<< Dans ce cas...Elles ouvrent la réserve, c'était un magasin de disques avant que je le transforme en bar. Il y a quelques instruments, des micros et des amplis, et la scène est dans la pièce attenante. >>
- Je suis engagé ? m'étonné-je en récupérant le trousseau.
<< Et pourquoi pas ? La seule autre demande que j'ai reçue venait de quelqu'un qui ne s'est pas présenté hier, alors...>>
Je sais ce que ça veut dire. Que je suis validé, malgré la fierté de cet homme qui ne le dira pas de cette manière.
- Merci, lâché-je d'une voix pleine d'émotions contenues.
<< Oui, oui, allez, assez de pleurnicheries, dit-il en me congédiant d'un geste de la main. Allez voir ce que vous pouvez faire ici. >>
Je laisse échapper un rire bref, mais avant que j'ai pu me diriger vers la réserve, la porte s'ouvre avec fracas. Je pivote sur mes talons et découvre un inconnu, appuyé sur ses genoux en reprenant péniblement son souffle. Il lève un index lorsque j'ouvre la bouche, me demandant d'attendre tout en suffoquant à moitié.
<< ...suis...désolé, s'essouffle-t-il. J'avais...mal...lu...l'horaire. >>
J'imagine que c'est lui, celui qui ne s'est pas montré hier...
<< Mon garçon, s'agace le vieil homme, si tu n'es pas capable de savoir lire correctement, ne t'étonne pas que d'autres te volent la place. >>
Il relève la tête et me jette un regard affolé.
<< Oh, merde...T'es SÛR que tu veux le job, hein ? Y'a pas une petite marge d'incertitude qui te ronge inconsciemment ? Nan, parce que...ça m'arrangerait que, pouf, finalement tu veuilles plus. >>
Je manque d'éclater de rire. Pouf, sérieux ? Mis à part son choix de mots particulier, j'entends un léger accent dans sa voix, un côté typiquement occidental. L'Europe, peut-être ?
- T'es pas japonais, hein ?
<< Non, totalement pas, admet-il aussitôt en levant les mains comme pour se proclamer innocent. Désolé ! >>
Le vieux semble le regarder d'un nouvel œil, tout d'un coup. Il se tourne vers moi, puis lâche d'un ton bourru :
<< Je te prends à l'essai, toi aussi. Voyez si vous pouvez vous entendre, ajoute-t-il en me pointant du doigt.>>
J'écarquille les yeux en considérant le mec d'un nouvel oeil. Ok, il a l'air sympa, mais je bosse pas avec n'importe qui...
<< Allez, hop, hop, hop, allez faire connaissance ailleurs, j'ai un bar à faire tourner ! >>
Je cède en faisant signe à l'inconnu de me suivre jusqu'à la réserve. Il ferme la marche et clôt la porte derrière nous avant de se retourner vers moi avec un sourire gêné
<< Je suis vraiment désolé, je me doute que tu préfèrerais taffer tout seul...je peux y aller, s'il faut. >>
Il a l'air sincère, et un pincement au cœur m'empêche de le laisser s'en aller. C'est peut-être ce que je veux faire, mais je ne suis pas seul à aimer la musique.
- Tu joues de quoi ?
Il hausse les sourcils, l'espoir se peignant sur son visage, et je l'observe de plus près. Il a des cheveux noirs assez courts, qui bouclent sur son front et des yeux d'argents, chaleureux, à l'opposé de ceux de Tami.
<< Batterie, principalement, mais un peu de piano aussi. Et j'ai fait 3 ans de cours de chant, alors normalement je me débrouille pas trop mal, débite-t-il à toute allure. Toi, t'es guitariste, nan ? >>
- Comment tu sais ?
Il lève ses mains et tapote des doigts dans le vide.
<< T'as des doigts de guitariste, rit-il. J'ai un...ami qui a les mêmes. >>
Je hausse un sourcil, le mot « ami » a été lancé à la va-vite, comme s'il ne voulait pas s'attarder dessus, mais avant que je puisse le relever, il enchaîne avec un large sourire.
<< J'peux enlever ma veste, si ça te dérange pas ? Je crève de chaud. >>
- Euh, ouais, bien sûr.
Il fait passer son blouson par-dessus ses épaules, laissant échapper un soupir de soulagement en dévoilant ses bras nus, et j'écarquille les yeux involontairement.
<< Ouais, désolé, c'est pas beau à voir, hein ? Si tu veux, je... >>
- Non, non ! C'est juste que...
Il a les bras, le cou et même une partie du visage couverts de marques rougeâtres, comme des traces de brûlures, certaines à peine visibles, d'autres ressortant intensément sur sa peau pâle. Il est couvert de tatouages, aussi, invisibles avec sa veste, mais maintenant...Je vois le début d'une tige de lierre dans son cou, qui se poursuit sans doute sous son tee-shirt, une tête de mort stylisée sur son épaule, une constellation derrière son oreille...
- Comment tu les a eu ? je demande en pointant l'une des plus grandes marques sur sa tempe droite. Si ça te dérange pas, évidemment.
<< Aucun problème ! C'est mon alter, en fait, explique-t-il en fouillant dans une sacoche accrochée à sa taille. Regarde. >>
Il exhibe une longue tige en métal au bout noir, comme une allumette, et la frotte doucement sur sa paume, faisant surgir une flamme qui embrase l'extrémité de la tige en produisant des étincelles blanches.
<< Sympa, non ? Ma peau fonctionne comme un allume-feu, en fait. Ça marche que sur les matières inflammables, sinon ce serait problématique, mais ça me brûle un peu. >>
Il me montre sa main, marquée d'une tâche rouge sombre.
<< Elles mettent entre deux semaines et trois mois à guérir, ça dépend de l'endroit, de la matière utilisée, et de si je décide que je vais y accorder un minimum de soin. Je le fais jamais, avoue-t-il avec un sourire coupable. >>
- Mais pourquoi t'en as partout ? Tu fais des spectacles pyrotechniques à tout le monde ?
<< Non ! rit-il. Y'a les accidents, déjà, qui sont rares, mais qui arrivent, quand je touche une pierre à feu ou un truc du style. J'ai cherché d'autres travails, donc certaines viennent de là, et puis, y'a...j'ai cet ami qui joue de la guitare qui trouve ça extraordinairement stylé et débile en même temps, donc je lui envoie des vidéos parfois. >>
Il détourne le regard en finissant sa phrase, mais ses yeux se sont illuminés de milliers d'étoiles qui n'ont rien à voir avec la lumière artificielle des spots qui nous éclairent. Ami, tu parles, ouais...Je suis pas stupide.
- Je suis pas homophobe, tu sais ? lâché-je en haussant un sourcil.
Il sursaute presque et tente de feindre l'étonnement de manière peu convaincante.
<< Super ? Je...suis très heureux de l'apprendre ? Et absolument pas concerné par la nouvelle. Si jamais t'en doutes. Parce que je suis-- >>
- Totalement et inconditionnellement hétéro et absolument pas en couple avec un mec qui joue de la guitare et aime bien ton alter, je complète avec un rictus. Ouais, je te crois mec. Aucun souci.
Il hausse les épaules et expire, soulagé.
<< Ouais, ouais, j'sais pas mentir, pardon. >>
- Pourquoi tu le cache ?
Il lève les yeux vers le plafond et mordille sa lèvre inférieure en cherchant ses mots.
<< Bah...C'est pas forcément bien vu par tout le monde, et puis, ici, je suis déjà un étranger couvert de tatouages, alors si j'annonce à tout le monde que je suis gay, t'imagines l'image que j'aurais ? >>
Il laisse échapper un rire sec et se tourne vers moi en passant une main dans sa tignasse indisciplinée.
<< J'te balance déjà ma vie alors qu'on se connaît depuis dix minutes, ça va pas du tout, là. >>
- Tu sais, je pense que peu importe si c'est mal vu, je souffle en lui lançant un regard en coin. Être toi-même, c'est plus important que déranger dans leur vie deux-trois biens pensants. Et, bah, t'es toi, quoi, j'ai jamais capté pourquoi ça dérangeait les gens. Vit ta vie, au pire t'es assez musclé pour casser le nez de ceux qui te font chier.
Il étouffe un rire et glisse ses mains dans ses poches.
<< T'as pas tort. Merci pour le compliment sur les muscles. >>
- Tu viens d'où, en fait ?
<< Angleterre, me réponds-t-il une lueur de nostalgie dans les yeux. Pas loin de Londres. >>
- Classe. Et ton ami-qui-n'est-pas-ton-copain aussi ?
Il rit pour de bon, cette fois, un rire qui illumine son visage et fais briller ses yeux d'argent étoilé.
<< Antarès vient d'Angleterre aussi, oui. >>
- Joli prénom. Et toi, c'est...?
<< Shu Honô. Mon père est japonais, explique-t-il. >>
- Okay, alors écoute, Shu. Je t'aime plutôt bien.
<< Marrant, moi aussi. >>
- Mais, je peux jouer de la musique qu'avec un mec qui a un minimum de bons goûts.
Il hausse les sourcils si haut qu'ils effleurent la racine de ses cheveux, et énonce lentement d'un ton presque insulté :
<< Je suis anglais. Y'a pas meilleurs que nous sur la musique. Tu voulais chanter en quoi, français ? >>
- Je parle pas un mot de français. Eh, écoute, peut-être que t'as des goûts pourris quand même, qu'est-ce que j'en sais ? Tes trois artistes préférés ?
<< Tom Odell, Lorde et David Kushner. En ce moment, en tout cas. >>
- Tes trois groupes préférés ?
<< Citizen Soldier, Cigarettes After Sex, Bring Me The Horizon, cite-t-il. >>
- Eh merde, t'as très bon goût en plus.
<< Je suis engagé, alors ? >>
- Si ça te dérange pas de bosser avec un chanteur et guitariste casse-bonbons, ouais, carrément mec. On pourra foutre une chanson d'Ed Sheeran sur la setlist, à l'occasion ?
<< Évidemment. >>
Je lui tend une main, et il la sert d'un geste sérieux, un air amusé sur le visage.
- Bienvenue dans l'équipe, Shu.
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Pour une raison inconnue, c'était une galère sans nom d'écrire ce chapitre, mais il est enfin fini.
So, nouveau personnage, teasé moults et moults fois sur Instagram...et pas célibataire, ni même intéressé par les femmes.
Il a un copain, donc, une personne fort sympathique (vous aurez potentiellement un bonus sur ces deux-là parce que, eh, ils sont chous, pour l'heure Antarès est en Angleterre et Shu au Japon, mais je vous assure que leur relation est>>>).
So, euh...Oui, je vous tease des bg pas disponibles, mais vous inquiétez paaas, c'est rien, c'est la ✨vie✨
Vous aurez un dessin de lui un jour, évidemment.
Sur ce, bonne soirée.
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