Décision
Dès que je serai sortie de l'hôpital, je savais d'avance que je me trimballerai des béquilles pendant un bon moment. Je ne cache pas que le fait de savoir ma jambe gauche dans un état tel que je ne pourrais sans doute plus jamais l'utiliser comme avant avait un impact néfaste sur ma psyché. Bien sûr, pendant une bonne partie de ma convalescence, la mort de mon frère primait sur tout le reste, mais maintenant que je me rendais compte de mon peu de liberté de mouvements, j'étais sur le point de replonger dans une période où je serais de nouveau complètement amorphe.
Ma mère m'avait dit que, lorsque j'avais appris la mort d'Asphodèle, j'avais passé plus d'une semaine sans réagir. Je me doutais que cela risquait d'arriver de nouveau si je ne me prenais pas en main, alors j'ai fait de mon mieux pour ne pas céder de nouveau au désespoir. Je devais venger mon petit frère, je n'avais pas le temps de me laisser aller à mes états d'âme.
J'avais donc commencé à presser d'interrogations Kassian, qui semblait être le plus disposé à parler. En dehors de son unique visite, Hazel n'avait pas bougé de sa chambre et refusait de sortir, même pour se nourrir. Mon père faisait tout son possible pour éviter le sujet, et ma mère faisait de même.
Après quelques jours de discussion, j'ai fini par en apprendre bien plus sur les évènements de cette soirée. Une bonne partie du quartier dans lequel je vis avait été décimée, les quelques survivants étaient, pour la plupart, blessés grièvement, et largement traumatisés. Les techniques qui avaient menés à ces morts étaient diverses et variées. Afin de pouvoir enregistrer toutes ses informations, j'avais créé une base de données.
C'était une petite peluche de démon en tissu, que j'avais déjà cousu il y a longtemps. Un système fait de différents sorts était installé à l'intérieur et permettait de retenir des informations, qui pouvaient être répétée à volonté à l'utilisation de quelques termes précis, prononcé par sa propriétaire. C'était moins suspicieux qu'un carnet, mais moins discret. Mais le fait est que répéter ce que je devais retenir me permettait de moins perdre de temps à tout écrire tout en étant plus précise.
Ainsi, il suffisait que je prononce le nom complet de mon frère pour savoir exactement comment il était mort.
Il avait été retrouvé avec les reins en moins, les membres réduits en bouillie, un sourire de l'ange gravé sur le visage et plusieurs coups de couteau à travers le thorax. La majorité de ses blessures lui avaient été infligées alors qu'il était encore en vie.
Le simple fait d'apprendre une telle chose m'avait plongée dans un état de choc mêlé à une profonde tristesse qui m'avait laissée abattue pendant plusieurs heures avant que je ne sois capable de me reprendre.
Lorsque j'avais finalement repris mes esprits, j'ai insisté pour que Kassian continue de partager ce qu'il savait. Il s'était, néanmoins, montré très réticent.
-Comprends bien que je ne veux pas que tu te forces, avait-il dit. Cette situation est difficile pour toi. Je veux t'aider, pas t'aider à te détruire à petit feu.
-Ne vous inquiétez pas pour moi, je peux continuer, avais-je déclaré.
-Célestia, vraiment, je—
Je l'avais attrapé par le col et forcé à me regarder dans les yeux en déclamant d'un ton énervé :
-Je. Vais. Bien. Maintenant, si vous êtes vraiment de mon côté, continuez de me dire tout ce qu'il s'est passé, je n'ai pas tout mon temps.
Au même moment, la porte de ma chambre s'ouvrit. Je lâchais Kassian, par réflexe, et regardais la personne qui venait d'entrer.
-Pardon, je... Je ne dérange pas ?
Elle s'appelle Anaïs. C'est ma meilleure amie, une fille infiniment plus belle, plus élégante, et plus féminine que moi. Elle ressemble à l'idée que l'on se fait d'un ange, au vu de son visage, avec ses yeux bleus et ses traits élégants. Ses cheveux noirs étaient constamment réunis en chignon sur sa tête, et rajoutais une touche d'élégance à ses tenues, qui lui donnaient un air toujours sérieux et professionnel. Physiquement, elle était la fille que tout le monde rêvait d'avoir.
Dans sa tête, c'était tout autre chose. Timide en apparence, elle n'osait pas dire ce qu'elle pensait dès que quelque chose lui déplaisait, que ce soit envers quelqu'un de son âge ou un professeur. Cette grande gueule s'était attiré beaucoup d'ennuis de cette manière, mais de son point de vue, ce n'était pas important. Ce qu'elle aimait, c'était rester fidèle à elle-même. Nous avions également beaucoup de passions communes, ce qui nous rapprochait.
Aujourd'hui, elle avait l'air sincèrement inquiète de me voir allongée. Elle tenait un paquet rectangulaire dans ses bras, vraisemblablement un livre, et se précipitait à mon chevet, visiblement très inquiète.
-Comment tu te sens ?!
-Je vais bien, rassures-toi. J'ai juste quelques petits soucis à ma jambe, rien de plus.
Je n'arrivais pas à sourire. Elle me serra dans ses bras avec douceur, comme si elle avait peur de me briser, sous l'œil intrigué de Kassian. Je lui rendis son étreinte avec douceur, puis elle me lâcha et me fixa dans les yeux :
-Tu manges au moins, j'espère ? T'as l'air tellement pâle, ma pauvre...
-Je t'ai dit de ne pas t'inquiéter, Anaïs, tout va bien.
-J'en suis pas sûre pourtant...
-T'inquiète, je te dis ! T'es têtue, toi, quand même !
Elle recula un peu, surprise par mon ton agressif. Je soupirais et rajoutais :
-Désolée, ces dernières semaines ont été plutôt dures.
-J't'en veux pas, t'inquiète. Euh... Tu pourras sortir quand ?
-Je ne sais pas vraiment, j'y ai pas vraiment fait attention, pour être honnête.
Et pourtant, c'est l'une des choses à laquelle j'aurais dû faire le plus attention... Je soupirais une nouvelle fois, maudissant ma bêtise, et rajoutais :
-Cela dit, je ne pense pas être de retour pour la rentrée.
-Je vois... Pas de problèmes. Je t'ai acheté un livre, pour patienter.
-Vraiment ? J'aurais juré que c'était une trottinette.
Mon trait d'humour la fit rire, mais il était tellement forcé que je ne trouvais ni la force, ni l'envie de m'en amuser à mon tour. De son côté, Kassian observait la scène en silence, avec la réactivité et l'utilité d'une plante verte.
Ma discussion avec Anaïs s'éternisa pendant plusieurs minutes, jusqu'à ce qu'elle ne fut forcée de retourner chez elle.
Après son départ, je réfléchis durant quelques secondes à ce que je voulais faire, puis déclarais à Kassian :
-Dès que j'irais mieux, je veux que nous partions. Peu importe où, ni pendant combien de temps, mais je veux partir.
-Pourquoi ?
Parce que je ne veux plus vivre chez moi. Les souvenirs de cette nuit risquent de me hanter plus qu'autre chose, si jamais je retourne chez moi. Mais aussi et surtout, parce que...
-Je veux voir si je suis la seule. Je veux savoir s'il y a eu d'autres cas de décès dans ce genre. C'est la meilleure façon d'en apprendre plus sur ceux qui ont causé toutes ces morts, cette nuit-là.
-Je vois. Il faudra mettre tes parents au courant.
-Bien sûr. Mais seulement une fois que je serais partie.
-Pourquoi ?
-Ils risquent d'opposer une résistance à mes projets.
-Parce que tu es encore jeune ?
-Entre autre.
-Dans ce cas, je devrais t'empêcher de partir, je crois.
Une sensation désagréable s'installa dans mon esprit, et ma réplique vint instantanément, sans que je puisse la retenir :
-Non, vous ne ferez pas ça. Vous avez promis de m'aider, et si vous faites ça, vous allez rompre votre promesse. Vous ne voudriez pas que je vous considère comme quelqu'un qui refuse de tenir ses promesses et qui crache sur ses chances de rédemption ?
Quand j'ai vu son air abattu, je me suis détestée. J'y étais allée fort avec lui, même si je n'avais pas fait exprès. Je voulus baisser la tête, mais me dis que ce n'étais pas la peine. Si j'avais l'air de regretter mes dires, il pourrait penser avoir un minimum de contrôle sur moi, et ce n'était pas le cas.
-Il va falloir que je parle de tout ça à Hazel...
L'idée d'abandonner mon frère me déplaisait, mais je craignais de ne pas avoir d'autre choix. Je ne voulais pas l'embarquer là-dedans. Il faudrait que nous en discutions à un moment où à un autre, mais s'il souhaitait m'accompagner, la réponse serait négative.
Je soupirais encore une fois.
-Qu'est-ce qui ne va pas, demanda Kassian ?
-Rien, ne vous inquiétez pas pour moi.
J'espérais pouvoir le voir avant de sortir de l'hôpital. Il aurait été foutu de tout rapporter à nos parents si je lui parlais de mes projets à la maison.
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