Avant la Catastrophe

Lorsque je raccrochais sa tête à son corps, j'éprouvais une certaine satisfaction, comme si je lui avais donné la vie.

Cette peluche que je venais de finir était celle d'un petit renard. Un cadeau pour mon petit frère, Hazel, âgé de 8 ans. Le renard était blanc, ses yeux étaient en boutons bleus, faits pour être assortis à ceux de son futur propriétaire. Dedans, j'avais mis un sceau de protection, qui était censé le protéger de ceux qui s'en prenaient à lui à l'école. Je souriais en contemplant mon travail, satisfaite du résultat.

Je me tournais sur ma chaise de bureau et jetais un regard à mon réveil, constatant que j'allais devoir chercher ma fratrie sous peu.

Hazel n'était, en effet, pas mon seul frère. Asphodèle avait 11 ans, et même s'il n'était qu'en CM2, il se comportait comme collégien : persuadé d'être mature et d'avoir le dernier mot, en suivant des effets de mode abrutissants. Mais bon, j'avais depuis longtemps abandonné l'idée d'essayer de le faire changer. Les deux étaient très différents : Asphodèle avait des cheveux courts, foncés, une peau que le soleil colorait un peu plus à chaque fois qu'il jouait dehors et de beaux yeux vert pâle, qui plaisaient aux écolières et aux professeurs. Il était grand pour son âge, et plutôt fin, compte tenu de la quantité de bonbons qu'il était capable d'engloutir en une journée. Il partageait cette dernière caractéristique avec Hazel, son cadet, dont les cheveux étaient aussi roux que les miens, plus longs, et plus ébouriffés. Ses yeux étaient aussi gris qu'un jour d'orage, et il arborait une paire de lunettes rondes sur son petit nez constellé de tâches de rousseur. Il était bien plus chétif que son aîné, mais non moins malin. C'était un gamin doux et gentil, peut-être même trop, et il se faisait marcher sur les pieds pour ça.

Heureusement que la grande sœur est là pour leur foutre les jetons, à ces sales mioches.

Oui, je fais peur. Du moins, aux enfants impressionnables et à ceux dont la tête est pleine de clichés. Les bijoux à piques, les t-shirts macabres deux tailles trop grands et les jeans troués qui composent la majorité de mon armoire font râler ma mère quant à ma féminité, mais ils me plaisent. Et même si Asphodèle me trouve ridicule et ringarde, Hazel les trouve jolis sur moi.

Lorsque le sujet de mon apparence est abordée par ma famille, la plupart des compliment que je reçois concernent mes cheveux roux, longs et bouclés et mes yeux très pâles, qui auraient été "tellement plus jolis avec une tenue plus féminine !"

Mais peu importe ce que l'on peut dire, temps que ce que je porte me plait, je n'ai pas besoin de plus.

Il faisait gris lorsque je suis sortie de chez moi. La pluie menaçait, le vent soufflait fort, la température était fraiche. Et moi, je souriais légèrement en sentant cela. "C'est un temps à embrouilles surnaturelles", comme je le dis souvent à Hazel avec un clin d'œil.

Je marchais tranquillement jusqu'à l'école de mes frères, les écouteurs vissés dans les oreilles, jouant une douce mélodie qui collait parfaitement à l'ambiance extérieure. Les feuilles mortes crissaient sous mes bottes, le vent jouait avec mes cheveux, me les envoyant dans le visage par moments, ce qui me faisait plus rire intérieurement qu'autre chose. Et puis, aujourd'hui était un jour spécial.

J'étais rentrée du lycée plus tôt, et nos parents en avaient profité pour partir en weekend en avance. Cela faisait un petit moment qu'ils avaient prévu de nous laisser passer les 5 premiers jours des vacances de la Toussaint seuls, tous les 3, à la maison. Ils avaient besoin de souffler, et nous faisaient confiance, à la maison et moi.

Pourquoi feraient-ils confiance à la maison ?

Parce qu'elle est une entité à part entière, soumise à un sortilège lancé par mes parents. Elle nous protège de l'extérieur, et parfois même de nous-même.

Oui, mes parents ont ensorcelés une maison. Ils se définissent comme des alchimistes, parce que le mot sonne bien, et que la majorité de notre magie fonctionne sous forme de potions, mais je préfère nous désigner comme "jeteurs de sorts". D'abord, parce que ce que nous faisons n'est pas de l'alchimie à proprement parlé, et ensuite parce que nous ne faisons pas que des décoctions. Mes frères n'en savent rien. J'ai été mise au courant de cette particularité lors de mon entrée au collège.

Sur le coup, j'ai été incrédule, puis choquée, mais je me suis vite accoutumée à ma condition. Aujourd'hui, je m'amuse énormément à ensorceler des objets en tous genres. Les potions ne sont pas mon fort, contrairement à mes parents, mais je sais tout de même en faire quelques unes. Et parfois, j'invoque des divinités lovecraftienne dans la cave le weekend, parce que causer la fin du monde doit être quelque chose de marrant.

Je plaisante, pour la dernière partie.

J'étais devant l'école, attendant avec les autres parents d'élèves que la sonnerie retentisse pour libérer les monstres. Cela ne tarda pas, et après qu'une marée d'enfants se soient précipités sur leurs géniteurs en hurlant à pleins poumons le début des vacances, je vis Hazel avancer vers moi avec ce manque flagrant d'assurance qui le caractérisait. Je lui fis un signe de main et il m'offrit un grand sourire en me voyant. Il se précipita dans mes jambes et me fit un câlin que je lui rendis avec un grand sourire.

-Maman et Papa sont partis, demanda-t-il ?

-Oui, quand je suis rentrée à la maison. Tu as vu As ?

-Non.

Il me lâcha et me sourit de toutes ses dents. Je fouillais dans les poches de mon pantalon et sortis le petit renard que j'avais fini quelques instants plus tôt et lui tendis. Il m'offrit un regard surpris avec un grand sourire et me demanda en tendant la main pour l'attraper :

-C'est pour moi ?

Je lui mis dans la main et répondis :

-Oui, garde-le précieusement contre toi, il te protégera contre les imbéciles.

-Merci Célestia !

-En parlant d'imbéciles, ça c'est bien passé l'école aujourd'hui ?

Il n'eut pas le temps de me répondre, vu qu'Asphodèle venait d'arriver, me lançant un regard méprisant :

-T'étais obligée de venir ? Tu me fais honte tellement t'es ringarde.

Je lui fis un grand sourire faussement innocent et lui tirais l'oreille, suffisamment fort pour qu'il se mette à pousser des petits geignements de douleur et lui dis d'un ton joyeux :

-Déjà tu vas te calmer petit merdeux parce que tu vas devoir passer les 5 prochains jours sous mon commandement, alors je te préviens gentiment : si tu continues de jouer au plus con avec moi, tu vas finir enfermé dans le placard avec Audrey.

Audrey, c'est le squelette de ma mère, qu'elle avait hérité de son professeur de biologie de grand-père. Elle trône fièrement dans la chambre de mes parents et colle une frousse bleue à mes petits-frères, étant donné que j'ai eu l'excellente idée de leur dire qu'elle bougeait durant leur sommeil. Ça collait des cauchemars monstrueux à Hazel, qui venait parfois dormir avec moi. Et je crois qu'Asphodèle aussi en a peur, même s'il ne l'avouera jamais.

-C'est bon, j'ai compris, lâche-moi, râla ce dernier !!

Je lui lâchais l'oreille et pris les mains de mes deux petits frères, pour rentrer à la maison.

À peine arrivé, Asphodèle voulait déjà repartir. Je l'autorisais à inviter le fils des voisins pour aller jouer dans notre petit jardin, mais lui interdis de quitter l'enceinte de la maison. Je me suis assise sur le canapé du salon, une grande pièce aux allures de salon du 19e siècle, avec mon violon, et commençais à jouer.

J'aurais pu aller dans ma chambre, mais l'avantage du salon était que sa grande fenêtre permettait d'avoir une vue imprenable du jardin. Je pouvais surveiller Asphodèle du coin de l'œil, si cela me plaisait.

Hazel était occupé à dessiner sur le canapé, m'écoutant jouer alors que je faisais de mon mieux pour éviter les fausses notes. Ce n'était pas toujours très glorieux, mais au moins j'essayais. Et puis, Maman disait que cela pouvait me permettre d'améliorer mes compétences en matière de sorts.

Selon elle, jouer de la musique permettait de communiquer avec les énergies qui constituaient ce monde, et ainsi de mieux les concentrer autour de moi, ce qui aurait pour conséquence de rendre mes sorts plus fonctionnels.

Notre berger australien, nommé Cthulhu par notre père, s'installa juste à côté d'Hazel. Il faudra que je le sorte, ce soir... Mais pour le moment, j'ai autre chose à faire. On verra plus tard.

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