Chapitre 8: E.W
Quand Antoine passe la porte de notre maison, je suis déjà assise sur le plan de travail de la cuisine à regarder mes beaux-parents nourrir mes enfants. Mon beau-père, Jacques, mène un combat ardu entre Valentin et la tartine à la confiture maléfique, pendant qu'Irène, ma belle-mère, tente tant bien que mal de répondre aux questions d'Hugo.
- Grand-mère, ça veut dire quoi "être mort" ?
- Mon chéri, être mort, c'est quand l'esprit quitte le corps. Ta maman reste et restera toujours dans ta tête, elle caresse tendrement les cheveux de mon fils, et dans ton cœur, elle descend sa main sur la poitrine d'Hugo.
- Mais ça veut dire que je ne la reverrai jamais alors ?
- Malheureusement, non.
Le visage d'Irène se déforme sous la douleur, je vois qu'elle a du mal à retenir ses larmes. Jacques la regarde d'un air compatissant mais il est vite rattrapé par les assauts de Valentin.
- Hugo, reprend-elle, je veux que tu saches qu'on est pas certain de ce qu'il se passe après la mort. Je ne veux pas te mentir et inventer des choses dont on n'a aucune certitude. Ce que je sais, c'est que ta maman t'aime, vous aime très fort tous les deux et qu'il faut garder son amour au plus profond de vous, pour toujours.
Je suis extrêmement touchée par ce que dit ma belle-mère. Sans jamais être réellement froide, elle n'a jamais été très chaleureuse avec moi. Je ne saurais dire pourquoi d'ailleurs.
Antoine embrasse les enfants et demande à son père de le rejoindre à l'écart, loin des oreilles enfantines. Une fois installé dans son bureau, il se tourne vers son père:
- Papa, je crois que j'ai fait une énorme bêtise...
- Quelle genre de bêtise ? Demande son père d'une voix douce.
- Une bêtise qui pourrait m'attirer de gros ennuis.
- Hum, je vois... Ça a un rapport avec la mort de Simone ?
- Disons que ça pourrait jouer en ma défaveur, effectivement ... J'ai effacé des sms que j'ai reçus hier soir et ... J'ai eu peur, papa.
- Des sms ? Quel genre de sms ?
- Du genre assez ... Comment dire ... Explicite?
- Antoine, trompais-tu ta femme ?
Mon beau-père n'est pas le genre de personne à tourner autour du pot.
- Non, jamais de la vie. J'aimais trop Simone pour faire une chose pareille. Il ne s'agissait pas de tromperie, papa.
- Mais enfin Antoine ! Tu te rends bien compte que la police peut retrouver ces messages? Et que tu risques de te retrouver comme suspect n°1? Peut-être même arrêté ? Privé de liberté et de voir tes enfants ? Tu crois qu'ils ont besoin de ça, là, maintenant, tout de suite ? Ils ont déjà été privés de leur mère, faut-il qu'ils soient privés de leur père également?
- Je sais papa. Je m'en veux énormément. Je n'ai pas réfléchi ... Que crois-tu que je doive faire?
Jacques réfléchis un instant, tête baissée. J'en profite pour me placer à côté de lui pour regarder Antoine. Il a l'air vraiment abattu.
Quand Jacques relève enfin le menton, il a pris une voix sévère et dure:
-Tu dois appeler l'inspectrice qui s'occupe de l'affaire et lui dire la vérité. Je ne veux rien entendre, Antoine. Je ne veux pas savoir. Quoi que tu aies fait, je ne veux pas être mêlé à ça. C'est pas que je ne te soutienne pas, loin de là, tu peux compter sur ta mère et moi pour nous occuper des enfants. Fils, tu dois avouer la vérité et assumer tes actes.
Sur ce, il sort de la pièce pour rejoindre sa femme dans la cuisine. Antoine pose ses mains de part en part de son bureau. Je vois des larmes tomber sur l'acajou. Je suis prise d'un élan de pitié et, bizarrement, d'amour pour lui. Inconsciemment, je dépose une main sur son épaule. J'ai besoin de le consoler, c'est plus fort que moi.
Antoine tressaille subitement et tourne sa tête vers moi, il semble me scruter du regard, fronce les sourcils.
- Tu peux me voir ? Antoine, tu me vois ? Je suis toute excitée, mais déjà il se détourne de moi et va s'asseoir sur la chaise de bureau, à côté du téléphone fixe.
- Il a peut-être ressenti une vague de froid quand tu as déposé ta main sur lui...
Je sursaute en entendant Caliel prononcer ces mots.
- Oh mon Dieu, Caliel, tu m'as fait peur !
- Dieu ? Qu'est-ce qu'il a avoir là-dedans ? Son air espiègle m'agace tellement.
- Je peux savoir où tu étais passé ? Pas que tu m'aies vraiment manqué soit dit en passant.
Je ne sais pas pourquoi je ressens ce besoin de m'en prendre à lui, d'être désagréable. Je devrais être plutôt rassurée de sa présence, écouter ses conseils et puis, grâce à lui, je ne suis pas toute seule. Est-ce parce que je suis en colère sur ce qui m'est arrivé ? Est-il le dégât collatéral de ma mauvaise humeur et de ma rancœur ?
- J'étais occupé ailleurs. Tu sais, tu n'es pas la seule femme assassinée dans le monde, ma jolie. D'autres gens comme toi ont besoin de mes services. Alors qu'est-ce que j'ai raté ici ?
Il me fait un clin d'œil tout en se dirigeant vers Antoine qui regarde tristement le téléphone.
- Antoine vient d'annoncer à son père qu'il avait effacé les sms d'hier soir et son père lui a conseillé de le dire à la police. Je commence à douter de son implication dans mon meurtre. il a l'air trop peiné pour que ça soit une comédie. Surtout qu'il n'y a plus personne ici, il pourrait faire tomber le masque.
- Je suis d'accord avec ton analyse mais on ne peut jamais être sûr de rien.
Antoine sort la carte de l'inspectrice O'Hara et décroche le combiné. Il hésite plusieurs fois à composer le numéro et se trompe un nombre incalculable de fois dans la composition des chiffres.
Je vais m'asseoir sur le coin du bureau à côté d'une pile de dossiers et le regarde faire. J'attends... Au bout du cinquième essai, je perds patience et frappe du plat de la main sur le bureau.
- Merde, Antoine ! C'est pas compliqué quand même !? Respire un bon coup et tu le tapes d'une traitre ce putain de numéro !
Dans mon mouvement, une feuille de papier s'envole de la pile à côté de moi et va se déposer tout doucement un peu plus loin. Je la regarde en clignant des yeux, Antoine aussi.
- C'est moi qui ai fait ça ?
- As-tu vu une autre folle s'être légèrement emportée dans la pièce ?
Je suis tellement abasourdie par ce que je viens de faire que je ne prends même pas la peine de rétorquer une réponse sanglante.
- Allô ? Inspectrice O'Hara ? Ici Antoine Hardhell, j'ai quelque chose à vous avouer ...
J'étais tellement obnubilée par cette feuille que je n'ai même pas vu Antoine réussir (enfin) à composer le numéro. J'entends l'inspectrice lui répondre d'une voix neutre:
- Un rapport avec les sms effacés de votre téléphone?
Antoine blêmit.
- Heu ... Oui.
Sa voix est hésitante et craintive.
- Je voulais vous dire que ...
- Ne bougez pas, j'arrive.
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Quand l'inspectrice sonne à la porte, vingt minutes plus tard, Antoine est toujours dans son bureau. Il a fait les 100 pas durant tout ce temps.
C'est Irène qui introduit l'inspectrice dans la pièce.
- Vous voulez boire quelque chose, madame ? Propose ma belle-mère.
- Non merci, ça ira. Pouvez-vous fermer la porte derrière vous en partant ?
- Oui, oui bien sûr. dit-elle en sortant doucement.
-Très bien monsieur Hardhell. Pourrais-je savoir pourquoi vous m'avez menti ce matin ?
Elle scrute mon mari d'un regard froid mais assez neutre pour la situation.
- J'avais peur que vous découvriez ces sms et que vous en tiriez des conclusions hâtives en ma défaveur. Dans la panique, je les ai supprimés. dit-il avec un air de petit garçon pris en faute. Mais je suis prêt à tout vous dire, je veux pas que vous vous trompiez sur l'assassin de ma femme. Je veux que justice lui soit rendue.
- Très bien, je vous écoute donc ... Sans mensonge cette fois-ci, précise-t-elle.
- Promis. Le 7 juin, c'est l'anniversaire de ma femme. Voyez-vous, depuis quelques années, elle collectionne les livres anciens mais plus précisément, ceux de Charles Dickens. Elle a toutes les premières éditions ou presque, il lui manquait les aventures de Nicholas Nickleby.
Ce livre m'a demandé des heures de recherches et de fouilles sur internet mais je n'ai jamais réussi à mettre la main dessus. Il était un peu mon Graal. Le trésor de Barbe-Noire. Je n'avais même pas une seule piste exploitable pour le trouver.
- Mais j'ai fini par le trouver, continue Antoine avec fierté en bombant légèrement le torse.
- Bonne nouvelle, dit l'inspectrice.
- Pour ce faire, j'ai dû utiliser le Darknet. Je savais que Simone avait exploité toutes les pistes sur l'internet "normal". Elle en a passé des heures sur les moteurs de recherche. Une personne de mon boulot m'a donné une clé d'accès, j'ai publié une annonce sur un forum et une femme m'a contacté quelques jours plus tard en me disant qu'elle possédait cet ouvrage. Malheureusement, il coûtait très cher. Oh, on pouvait se le permettre, Inspectrice, mais je devais prendre la carte bancaire d'urgence pour payer la transaction.
L'inspectrice inspecte le bureau d'Antoine en marchant lentement le long des étagères.
- Il ne fallait pas que Simone découvre le retrait d'argent sur la carte sinon elle m'aurait posé des questions et comme vous pouvez le remarquer, je ne suis pas très doué pour garder un secret. Il ne fallait pas non plus qu'on livre le manuscrit ici, elle aurait très bien pu réceptionner le colis et l'ouvrir sans regarder à qui de nous deux il était destiné. J'ai donc eu l'idée de refaire appel à la personne qui m'avait donné la clé d'accès au Darknet afin qu'elle puisse le réceptionner et effacer les transactions bancaires.
- Je comprends mieux maintenant. Vous vous doutez bien que nous allons quand même vérifier auprès de votre collègue ? Pourrais-je avoir son nom ?
- Wauters, Eléonore Wauters.
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