Chapitre 19: Les manuscrits

J'observe l'empreinte de ma main sur le sol. Un contraste de gris, de blanc et de noir sous mes yeux éberlués. 

- Tu n'en rates pas une ! Ce n'est pas croyable ! Simone, qu'est-ce que je vais faire de toi ! 

- Je... C'est ... 

Je bégaie, encore ! 

- Je ne l'ai pas fait exprès, Caliel ! 

J'observe discrètement l'assassin de mon patron prendre la fuite, trop concentrée et abasourdie sur l'apparition de ma main pour en avoir cure. 

Une forte lumière blanche couvrant le corps d'Edgar Wallace illumine la pièce, m'éblouissant à moitié. L'heure de vérité a sonné ! J'ai hâte de me retrouver en face à face avec lui. J'aspire à, enfin, obtenir quelques réponses à mes questions. 

L'âme d'Edgar se matérialise, enfin, à côté de son bureau. Sans un regard pour son propre corps allongé sur le sol, il me fixe en souriant malicieusement avant de s'évaporer subitement. 

Je me retourne vers Caliel, les yeux me sortant des orbites. 

- Qu'est-ce qu'il vient de se passer ? lui demandais-je, éberluée.  

- Ha oui, j'ai oublié de te prévenir. Je pensais pas qu'on allait avoir plusieurs morts dans ta quête pour tout te dire. 

- Vas-y, tu as toute mon attention et, cette fois-ci, n'omets plus rien, s'il te plaît, dis-je, agacée. 

- Promis ! Hum ... S'éclaircissant la voix, il dit d'une traite; Edgar n'est pas devenu une âme errante parce qu'il sait pourquoi il a été assassiné et par qui. Il a pu se faire une raison et il est mort en ayant une réponse à cette fameuse question que, toi, tu n'as pas, encore. 

- C'est un peu injuste quand même ! 

Soudain, trois puissants coups frappent la porte d'entrée du bureau. 

- Monsieur Wallace ? Vous êtes là ? C'est l'inspectrice O'Hara, j'ai quelques questions à vous poser concernant Simone Hardhell et Pierre Lemaire. 

Je regarde Caliel paniquée. Si l'inspectrice entre dans le bureau maintenant, elle tombera immanquablement sur le corps et sur l'empreinte. Je dois absolument l'effacer mais comment faire ? 

Les coups redoublent contre la porte.

- Monsieur Wallace, ouvrez-moi, s'il vous plaît. Je ne serai pas longue, reprend-elle. 

- Caliel, comment je peux effacer cette trace ? 

- Je suis un ange, je ne fais pas le ménage, ma chère Simone. 

- Super, vraiment super ! 

Je tombe à genoux devant le corps de mon ancien patron. Je me creuse la cervelle afin de me rappeler d'une vieille recette de grand-mère intitulée "Effacer une empreinte de sang fantôme sur le tapis de Tante Gisèle" que j'aurais pu oublier mais, évidemment, rien ne me revient en mémoire. De toute façon, je n'ai ni bicarbonate de soude ni savon de Marseille à portée de main. 

Au moment où je pense à me relever, l'inspectrice entre brusquement dans le bureau. Elle observe le capharnaüm sous ses yeux. En soupirant, elle sort son portable de la poche arrière de son pantalon. 

- Ici , l'inspectrice O'Hara. Nous avons un autre cadavre dans le bureau d'Edgar Wallace. A vue d'œil, je dirais qu'il s'agit de Wallace lui-même. Je vous attends avec une équipe de la scientifique. Je veux que vous chargez une autre équipe de fermer les portes d'entrées ainsi que les sorties de secours et le parking de l'immeuble et que vous interrogez tous le personnel, les femmes de ménages et hommes de maintenance également. 

- Simone, nous devrions peut-être penser à nous éclipser. 

- Tu as raison. Nous pouvons peut-être encore rattraper l'homme avant qu'il ne quitte le bâtiment. 

Ni une, ni deux, nous choisissons de réapparaître dans le parking. Caliel et moi avons juste le temps d'apercevoir une Audi tourner vers la sortie dans un crissement de pneus que, déjà, nous nous matérialisons à l'arrière du véhicule. Heureusement, il s'agit bien de l'homme que nous coursions. 

Nous écoutons patiemment tous les appels qu'il passe, observons consciencieusement les moindres de ces faits et gestes. 

- Il envisage de faire du mal à Manon, m'écriai-je. 

- Bravo, Sherlock ! Se moqua Caliel. 

- C'est hors de question qu'il s'occupe d'elle. Elle est à moi ! Je compte bien la rendre totalement folle, prête à enfermer. Elle ne mérite pas de mourir ! Elle mérite de souffrir ! 

- Tu n'as pas l'impression d'exagérer un peu, Simone ? Après tout, elle n'a fait que de cracher dans ta tasse, mitonner une petite vengeance dans l'espoir de t'humilier, monter vos collègues contre toi...

- Et essayer de baiser notre patron ! 

- Et essayer de baiser votre patron, j'avais oublié. 

- Moi pas, Caliel. Après tout ce qu'elle m'a fait, j'ai le droit de me venger. 

- Simone, je pense que tes émotions parlent pour toi. Tu devrais essayer de te calmer et de relativiser. 

Il n'a pas tord. Je me sens en colère, enragée. Au fond de moi, je ne sais pas pourquoi je fais une fixette sur elle. De mon vivant, j'en avais rien à faire. Alors, pourquoi dans ma mort ça n'est plus le cas ? Je ne comprends vraiment pas ... 

Plongée dans mes réflexions, je sens à peine la voiture s'arrêter devant un vieil immeuble, plutôt chic, avec deux grandes colonnes dans le style grec montant la garde devant une superbe porte cochère. 

L'homme se gare dans la rue, non loin de la porte. De manière à la voir mais à ne pas être aperçu. À tâtons, il saisit la boîte sur la banquette arrière. Ses mains gantées passent au travers de Caliel sans que l'homme ne bronche. Je pensais l'ouvrir une fois de retour chez moi, enfin, dans mon ancienne maison, à l'abri. J'ai une petite pensée pour Antoine et les enfants. Il faut que j'aille les voir. J'en ai besoin. 

- Bon! Tu l'ouvres cette boîte ? M'ordonne Caliel en sortant de sa poche le petit bout de papier avec écrit " A NE JAMAIS PUBLIER".

- Tout de suite, maître ! Lui répliquai-je en lui arrachant le papier des mains. 

J'ouvre le couvercle légèrement poussiéreux et découvre une dizaine de manuscrits. Je sors le premier du carton et déchiffre la première page: 

Le Cercle oublié 

écrit par Isabelle Bulbé, 1987.

- C'est étrange. Ce titre, c'est le premier manuscrit que nous avons reçu de Mr. X, dis-je en continuant à feuilleter les premières pages, et de tête, on dirait la même histoire que celle que j'ai corrigé. 

- Avant de mourir, ton patron a utilisé le terme de nègre littéraire. Tu sais ce que c'est? 

- Oui, c'est un prête plume. C'est une personne qui écrit à la place de quelqu'un d'autre et ce quelqu'un d'autre signe généralement de son propre nom, sans rien donner en retour à l'autre. C'est une forme d'esclavagisme de l'écriture du 18e siècle. Mais à l'origine, ils aidaient les personnes analphabètes à écrire des lettres, par exemple: à leur famille ou amis ou un papier officiel comme un contrat. Ils arpentaient généralement les ports ou les tavernes avec beaucoup de voyageur comme clients. 

Je continue mon expédition et découvre d'autres manuscrits signés Isabelle Bulbé. Qui peut-elle bien être? Je suis certaine que Mr. X est un homme, je l'ai rencontré, j'ai déjeuné avec lui le jour de ma mort. C'est étrange mais ce déjeuné est un peu flou dans ma tête. J'ai du mal à me souvenir de lui. Je revois vaguement les traits de son visage mais je suis incapable de me rappeler de notre conversation. 

- Caliel, je pense que ce Mr. X exploite cette femme dans le but d'écrire des romans à succès et de s'enrichir sur son dos. Nous devons savoir qui est cette Isabelle Bulbé, le plus rapidement possible. 

Caliel ouvre la bouche mais la referme aussitôt. Les phares d'une voiture viennent d'éclairer l'habitacle de la voiture. L'homme observe Manon sortir de sa voiture pour aller ouvrir la porte cochère manuellement. Il sort rapidement de la voiture et l'intercepte au moment où elle retourne vers son véhicule. 

- Oh, c'est vous ! Vous m'avez fait peur ! Dit-elle affolée . Vous avez été rapide, vous êtes garé où ? 

- Un peu plus loin dans la rue, répond-il, énigmatique. 

- Vous voulez rentrer votre voiture dans la cour ? C'est plus sécurisant, propose-t-elle. 

- Non, je préfère la laisser là où elle est, si ça ne vous dérange pas. 

- Heu.. Non, vous faites comme vous voulez. Pouvez-vous prendre ces sacs ? Ils sont en peu lourds pour moi, demande-t-elle avec un sourire enjôleur.

Menteuse !  

- Avec plaisir, mademoiselle Steel. Après vous, s'efface-t-il afin de la laisser passer devant lui. 

Nous les suivons dans les escaliers menant dans un vaste hall au haut plafond. Une petite dizaine de boîtes aux lettres sont alignées le long du mur. Manon sort de son sac à main un petit badge qu'elle passe devant un appareil ouvrant la lourde porte devant nous. Encore une petite volée d'escaliers pour atteindre les portes de deux ascenseurs. Un vrai immeuble de riche. Je profite que Manon pose son pied sur la première marche pour lui faire un beau croche-pied. Elle s'étale de tout son long dans les escaliers. Je savoure le bruit sourd que produit son menton claquant contre le marbre. 

- Simone ! Me gronde Caliel. Tu es grave ! 

Je lui fais une petite moue boudeuse pendant que l'homme la relève prudemment . 

- Vous allez bien ? Rien de cassé ? Demande-t-il. 

- Non, tout va bien, dit-elle en ramassant, honteusement, son sac à main  et en se massant la mâchoire, j'ai juste raté la première marche, ça va aller, merci. 

Au fond de moi, j'éclate de rire. Je vois bien que Caliel a du mal à se retenir aussi. 

- Caliel, pète un coup ! Je t'assure, ça fait du bien. Enfin, les anges pètent ? Vous allez aux toilettes parfois ? 

- Simone, tu te fous de moi ? 

- D'accord, j'ai rien dit ! 

Soudain, une énorme lumière éblouissante nous aveugle tous les deux. Les deux autres ne la remarquent même pas et je les entends marcher vers les ascenseurs. 

- Caliel, sais-tu où se trouve ma sœur ?  

- Erine ?! 

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