chapitre 14: Manon Steel

Caliel et moi attendons que Manon rejoigne son bureau.
Une annonce a été faite, quelques minutes après la disparition de Pierre, disant que le bâtiment serait à nouveau disponible en début d'après-midi.

Pour patienter, je fouille les tiroirs de Manon: du matériel de bureau, une petite cachette remplie de sucreries et de chocolats, une trousse contenant des produits de beauté, une brosse à cheveux, quelques élastiques ... Bref, rien de bien palpitant !

Le dessus de son bureau est immaculé. Pas un seul manuscrit en vue, pas un dictionnaire, pas un atlas, rien ! Comment fait-elle pour bosser ? Quand je compare son bureau au mien, qui est un vrai bordel ...
Une tasse de café sue laquelle est écrit "Let it snow" traîne à côté du clavier... Tiens, tiens... Délicatement, je tends la main vers elle...
- Tu ne vas pas faire ça, quand même ?

Je sursaute tellement fort que je tombe de la chaise. Je me relève le plus vite possible, la main sur le cœur.

- Je ne vois absolument pas de quoi tu parles !

Caliel me regarde en fronçant un sourcil.

- Tu vois très bien de quoi je parle ! Tu voulais cracher dans la tasse !

- Mais pas du tout !

Une petite fille prise en faute...

- Bon d'accord, je reprends d'une voix exaspérée, je voulais effectivement cracher dans sa tasse.

- C'est dégoûtant ! Me dit-il en me tournant le dos.

Il a commencé l'inspection des deux armoires alignées contre le mur de la porte d'entrée et ne fait plus attention à moi.

Rapidement, je laisse couler un petit filet de bave dans le fond de la tasse (œil pour œil, dent pour dent) et me rassieds gracieusement sur la chaise, un petit sourire satisfait aux coins des lèvres.

- Simone, m'appelle Caliel. Je dois te dire quelque chose d'important...

Il s'interrompt en tendant l'oreille. Des bruits de pas résonnent dans les couloirs. Pas de doute, mes collègues reprennent le boulot. Je suis toute excitée, il faut absolument que j'aille dans la salle de repos pour entendre les ragots.

- Caliel, on en parle tout à l'heure, ok?

Et avant même d'écouter sa réponse, je m'évapore pour réapparaître juste à côté du four à micro-ondes.

- C'est affreux ce qu'il lui est arrivé. Je n'en reviens pas, pleurniche Nicole, ça aurait très bien pu être l'un d'entre nous.

- Alors, réjouis-toi que ça soit elle et pas toi !

L'échine de ma colonne vertébrale se hérisse au son de la voix de Manon. Je prends le temps de dévisager cette femme. Je n'avais jamais pris la peine de le faire auparavant.

Je suis surprise de constater qu'elle a un visage plutôt agréable. De charmantes petites rides entourent le coin de ses yeux dont je ne peux décrire la couleur. Des cheveux qui lui arrivent au milieu du dos. J'ai le souvenir qu'ils étaient bruns. Par contre, son nez est légèrement épaté comme s'il avait été cassé et mal réparé. Ses lèvres sont plutôt fines et son menton pointe vers l'avant. J'ai du mal à le penser mais c'est une jolie trentenaire.

- Nicole, ne fais pas semblant d'être triste ou de ressentir quelque chose pour Simone Hardhell. Tu ne pouvais pas la saquer ! Aucun d'entre vous, d'ailleurs !

Elle pointe toutes les personnes présentes de son doigt peint en rouge.

- Dans une semaine, on l'aura totalement oubliée.

Elle sort de la salle de repos en faisant claquer ses talons contre le sol.

Il n'y a plus un bruit dans la pièce, mis à part les reniflements exaspérants de Nicole. Tout le monde regarde par terre, honteux. Bande de mauvais ! Avant de m'évaporer pour rejoindre le bureau de la harpie, je ne manque pas de faire disjoncter la précieuse machine à café. Des cris effrayés résonnent encore dans la salle de repos lorsque je réapparais dans le bureau de Manon. 

Celle-ci est assise sur sa chaise et attend que sa session s'ouvre sur l'ordinateur. Son téléphone vibre sur le bureau, elle l'attrape précipitamment en souriant, pressée de lire le SMS reçu. Son sourire s'efface petit à petit.

-Mais c'est pas vrai ! Les hommes sont tous des tocards ! Grince-t-elle. "Désolé Manon, nous allons beaucoup trop vite. Je suis ne suis pas certain de vouloir aller plus loin. C'est mieux comme ça... Bla bla bla", imite-t-elle d'une voix grave. On ne s'est vu que deux fois, couillon ! 

Négligemment, elle lance son portable sur son bureau et se tourne vers l'ordinateur. Ouvrant sa messagerie professionnelle, elle commence à répondre rageusement aux quelques mails reçus. 

- Personne ne veut de toi Manon ! Tu es tellement mauvaise! 

Je papillonne autour d'elle, tout en lui susurrant de jolies petites douceurs au creux de l'oreille. 

- Ton cœur est aussi sec qu'un vieux pruneau !  Tu n'es qu'un chameau mal hydraté. 

- Un chameau mal hydraté ? Ce sont là tes meilleures insultes? Me demande Caliel. 

- Tu veux connaître les insultes que j'ai en stock concernant les anges ? 

- Que tu es susceptible ma petite Simone !

Des hurlements hystériques retentissent soudainement. Manon se lève précipitamment de sa chaise et court rejoindre la source du vacarme. Evidemment, Caliel et moi la suivons. Je pense deviner ce qui est à l'origine de ce capharnaüm. 

Des policiers sont en train de barrer l'accès à mon bureau. Les employés tendent le cou par dessus leurs épaules en espérant apercevoir quelque chose. Manon interroge Paul Brolot, le maquettiste.

- Tu sais ce qui se passe ? 

-Je ne suis pas certain mais il paraît qu'ils sont tombés sur un cadavre dans le bureau de Simone Hardhell. Ça commence à faire beaucoup pour une si petite boîte ... Je me demande qui sera le prochain ? 

J'ai déjà une petite idée ... 

- Tu sais qui est le macchabé ? Demande Manon. 

- Oh oui ! C'est Pierre Lemaire, le gros informaticien. 

Manon blêmit et écarquille légèrement les yeux.  

- Tu en es sûr ? 

- Oh pour sûr ! C'est Nicole qui l'a découvert. La police est venue la chercher dans la salle de repos afin d'ouvrir le bureau de Simone. 

Effectivement, un peu plus loin, je peux apercevoir Nicole entourée de deux policiers qui tentent, tant bien que mal, de calmer la crise d'hystérie dont elle est victime. 

- Merde ! Murmure Manon. 

- Tu as dit quelque chose ? Demande Paul. 

- Heu... Non, rien. C'est ... Baragouine-t-elle. Tu crois qu'il a été assassiné aussi ? 

- Je n'en sais rien. Ils n'ont pas encore sorti le corps. 

Déjà, Manon se détourne de lui pour courir rejoindre son bureau et s'y enfermer. 

Nous la regardons faire les cents pas, appuyés contre le mur qui lui fait face. 

- Merde, merde, merde ! C'est pas vrai ! Je suis foutue ! 

Elle est prête à s'arracher les cheveux, quand quelqu'un frappe doucement à la porte. 

- Qui est là ? Hurle Manon. 

- Inspectrice O'Hara. J'ai quelques questions à vous poser Mademoiselle Steel. Pouvez-vous ouvrir la porte ? 

Manon se racle la gorge et reprend d'une voix plus calme. 

- Oui, oui bien sûr. Elle ouvre la porte et fait face à l'inspectrice. En quoi puis-je vous aider? 

- J'ai quelques questions à vous poser en rapport avec le meurtre de madame Hardhell. Ne vous inquiétez pas, ce ne sont que des questions de routine.

- Bien sûr, prenez place inspectrice, dit-elle en désignant une des chaises en face de son bureau, en s'installant, elle-même, dans son fauteuil. 

- Depuis combien de temps travaillez-vous ici, mademoiselle Steel? Interroge l'inspectrice O'Hara. 

- Heu... Ça doit faire presque six ans maintenant. 

- Simone était déjà là quand vous avez commencé à travailler ?  

- Non, elle est arrivée environ 1 an après moi. 

- Quels étaient vos rapports ? 

- Hum...

Manon tripote la tasse devant elle. Elle se penche vers son sac posé à terre et en sort un thermos rose pâle. 

- Voulez-vous une tasse de thé, inspectrice ? 

- Non merci, je voudrais que vous répondiez à ma question. 

Manon verse le liquide brûlant dans sa tasse et en boit une petite gorgée. Un large sourire se forme sur mon visage. 

- Tu as craché dedans pour finir? Me demande Caliel. 

Je le regarde béatement. 

- Micro vengeance de l'au-delà.

Je lui fais un petit clin d'œil. 

- Je ne vais pas vous mentir. Reprend Manon. Simone et moi n'étions pas des copines de bureau. Nos rapports étaient inexistants. On ne se calculait pas. 

- C'est étrange ! Ce n'est pas du tout ce que m'ont rapporté vos collègues déjà interrogés. 

- Je ne sais pas ce qu'ils ont pu vous dire, inspectrice, mais sachez qu'il existe une forme de compétition entre nous, les lecteurs-correcteurs. Nous cherchons tous les meilleurs manuscrits. Nous sommes tous rivaux. Simone plus que n'importe qui. Elle n'hésitait pas à nous jouer de mauvais tours et à répandre des rumeurs sur nous tous afin d'obtenir les faveurs de notre patron et de nous décrédibiliser. 

C'est le monde à l'envers !  je vois rouge (façon de parler). 

- C'est toi qui inventes des rumeurs ! C'est toi qui as tenté de séduire le patron ! C'est toi qui fais des choses malsaines dans le local informatique ! 

Je suis tellement en colère contre elle que je lui hurle dans les oreilles.  

- C'est toi qui a voulu me piéger ! C'est toi la mauvaise ! 

En disant ça, je donne un coup de pied rageur dans la chaise sur laquelle elle est assise. Les roulettes font glisser brusquement la chaise de quelques mètres.

- Vous allez bien Mademoiselle Steel ? 

Manon se relève d'un coup, scrutant autour d'elle, cherchant ce qui a bien pu se passer. 

- Je ... Bégaie-t-elle. Je ne me sens pas très bien, tout ça m'a bien chamboulé. Découvrir deux corps dans la même journée, c'est peut-être trop pour moi. Je voudrais rentrer chez moi. 

- Vous semblez effrayée, mademoiselle. Voulez-vous que je vous fasse raccompagner chez vous? 

- Non merci, ça ira. Je vais rassembler mes affaires et prévenir mon patron que je prends ma journée. 

- Comme vous voudrez, je vous laisse ma carte. J'aurais besoin que vous veniez au poste de police quand vous serez remise de vos émotions. J'ai encore des questions à vous poser. 

- Bien sûr, Inspectrice. 

L'inspectrice se dirige vers la porte quand elle s'arrête et se retourne vers Manon.

- Une dernière chose, vos collègues ont donné une version bien différente de la vôtre. Il paraît que vos rapports n'étaient pas si inexistants que ça.  

Sur ces mots, elle sort du bureau. 

Manon est toute tremblante quand elle prend son sac et qu'elle sort à son tour en prenant soin de fermer son office à clé. Elle se dirige vers le bureau d'Edgar Wallace dont la porte est entrouverte. Nous entendons des bribes de conversation. Manon s'approche doucement et tend l'oreille. Je fais pareil. 

- Vous devez venir récupérer la boîte. La police est partout ! Si elle tombe dessus, c'est la fin pour nous. Je n'aurais jamais dû accepter de la cacher ici... Vous allez devoir vous débrouiller seul ! 

Quand il raccroche, Manon recule silencieusement dans le couloir mais la porte grince légèrement. Edgar relève brusquement la tête.

- Qui est là ? Qui est derrière la porte? 

Le temps qu'il contourne son bureau et qu'il ouvre en grand le battant, Manon a déjà filé... 



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