Chapitre 13: Pierre Lemaire

- Simone ? C'est vraiment toi ? Qu'est-ce que tu fais là ? Je pensais que tu étais morte ! 

Je regarde Pierre Lemaire palper son corps gras tout en écarquillant ses yeux de stupeur. 

- Mais qu'est-ce qui m'arrive? Pourquoi tout est noir... Et gris ? Demande-t-il en regardant tout autour de lui, jusqu'à ce que son regard tombe sur son corps qui gît au sol.

- C'est moi ça ?

 Le bonhomme se dandine vers son cadavre. Il tente de le toucher mais ses mains passent en travers. 

- Je suis un fantôme, c'est ça ? Il tourne son visage vers moi. Je suis mort et je suis devenu un fantôme. Je suis puni pour les bêtises que j'ai faites vivant, n'est-ce pas Simone ? 

Je hoche lentement la tête, pas du tout certaine de savoir ce que je dois répondre. Caliel vient à mon secours. 

- Monsieur Lemaire, je me présente: Caliel, l'ange de la justice et de la vérité, dit-il en penchant légèrement la tête en guise de petite révérence. 

Il n'avait pas ces manières quand il m'est apparu. Je lui fais les gros yeux, ceux que je prenais quand mes enfants allaient faire une bêtise. Caliel fait comme s'il n'avait rien remarqué  mais je vois bien son petit sourire d'hypocrite au coin de sa bouche. 

- Comme vous l'avez si bien souligné, vous êtes mort. Vous êtes devenu un fantôme car votre mort à vous, vous a surpris. C'était pas vraiment votre heure. Simone vous a un petit peu aidé...

- Tu m'as tué ? Me crie le bonhomme joufflu. Comment as-tu pu me faire ça ? 

-Je voulais t'empêcher d'effacer la vidéo. C'est la seule preuve que l'on a pour l'instant sur ce qu'il m'est arrivé, m'écriais-je.

La colère monte en moi rapidement et me fait trembler. Je reprends d'une voix que j'espère être maîtrisée. 

- A la fin de la vidéo, une personne est entrée dans mon bureau et a commencé à le fouiller. Elle cherchait quelque chose mais elle n'a pas eu le temps de la trouver. Il faut que la police puisse voir cette vidéo. Je dois résoudre mon meurtre pour passer de l'autre côté et être en paix. 

Pierre Lemaire me regarde de ses yeux globuleux, je ne suis pas certaine qu'il ait bien saisi tout ce que je viens de dire. Je reprends d'une voix agacée: 

- Je sais qu'on te voit avec Manon Steel tenter de me piéger. je vous ai entendu dans mon bureau, le soir de mon meurtre. 

Honteux, Pierre regarde ses pieds.

- Mais ce n'est qu'une futilité par rapport au reste de la vidéo. Vous auriez certainement eu des problèmes avec la direction, peut-être même que vous auriez été renvoyés. Ça n'aurait été que justice, après tout. J'étais en train de réparer les méfaits lorsque tu es entré, tout à l'heure. Quand j'ai réalisé ce que tu comptais faire ....

-Quand je t'ai fait comprendre ce qu'il comptait faire, plutôt, m'interrompt Caliel.

Encore plus agacée par cette interruption, je reprends: 

- Quand cet ange, ici présent, m'a fait comprendre ce que tu manigançais. Il fallait que je t'en empêche mais je ne voulais pas que tu meure, bien sûr. Je voulais juste te faire suffisamment peur pour que tu arrêtes et que tu t'enfuie d'ici. Mais ton cœur a lâché et te voilà. 

- Je ... Je ... Bégaye Pierre. 

Il se laisse tomber au sol, abattu. Il secoue la tête de droite à gauche comme pour effacer ce qu'il vient d'entendre. Résigné, il lève son regard vers moi : 

- Je suis désolé Simone. Manon m'avait promis une nuit avec elle en échange d'un service. J'étais tellement heureux qu'une femme me propose une nuit d'amour qu'elle aurait pu me demander n'importe quoi, dit-il désespéré. 

Je suis surprise de ressentir une sincère compassion pour ce gros balourd. Caliel, qui est venu se poser à côté de moi, me donne un léger coup de coude. Je le dévisage quand il me fait signe de son menton de regarder un point précis sur l'informaticien assis devant nous. Je vois une partie de ses pieds disparaître. 

- J'ai commencé à grossir au divorce de mes parents, je devais avoir cinq ans et je n'ai jamais arrêté. Se confesse Pierre. Je suis resté avec ma mère et je n'ai plus revu mon père. Les années sont passées sans que je puisse me faire d'amis. J'ai subi les pires humiliations à l'école. Mes camarades se moquaient quotidiennement de moi. Un jour, après le cours de natation, je n'ai plus retrouvé mes vêtements. J'ai dû retourner à l'école en serviette de bain. Le directeur m'a donné des heures de colle pour exhibition. J'ai demandé à ma mère de me retirer de l'école et de prendre des cours par correspondance. Elle a accepté. Elle était la seule à m'aimer, à me faire sourire.

Je vais doucement m'asseoir en face de lui, je ne peux m'empêcher d'écouter sa confession. Au fur et à mesure qu'il s'exprime, ses jambes disparaissent lentement sans même qu'il ne le remarque. 

- Je me suis isolé du reste de la société et je me suis enfermé dans un monde virtuel. Ma seule bouffée d'oxygène, c'était quand ma mère rentrait du travail et passait la soirée avec moi. On jouait à des jeux de société, on écoutait de la musique. Elle s'intéressait à mes passe-temps. Elle ne s'est jamais remariée, je lui suffisais me disait-elle. Puis elle est tombée malade: cancer du sein. Elle n'a plus pu travailler. J'ai dû subvenir à nos besoins et j'ai été engagé ici. 

Pierre relève sa tête. Ses yeux sont remplis de larmes. Je prends ses mains dans les miennes et l'encourage à continuer. Ses jambes ont totalement disparu. 

- Quand ma mère est morte. J'ai perdu tous mes repères. Je suis tombé dans une profonde dépression mais personne, ici, ne l'a remarqué. Vous étiez trop occupés avec vos propres vies que pour me remarquer. Pourtant, avec ma corpulence ... Je suis passé de l'humiliation à l'ignorance et je ne sais pas ce qui est le pire? 

Je ne peux répondre à cette question. Je ne me suis jamais sentie humiliée par les actes et les médisances de mes collègues, elles ne m'ont jamais blessée mais je suis très bien entourée, en-dehors de mon travail. J'ai une famille aimante. Certes, je n'ai pas vraiment d'ami mais Antoine en a une ribambelle et je prends, sincèrement, plaisir à les voir. 

- J'ai perdu 25 kilos assez rapidement, suite à ma dépression. Simone, je retrouvais un peu d'espoir. Mon corps changeait, s'affinait.

Il me regarde avec un large sourire sur le visage.

- J'ai voulu fêter ça ! J'ai été m'acheter des nouveaux vêtements. C'était la première fois que je pouvais entrer dans un jeans sans me sentir à l'étroit et j'ai toujours rêvé de porter une chemise à carreaux. Je n'ai jamais osé avant, de peur que les boutons n'éclatent. Je me sentais libéré. J'ai été chez le coiffeur changer de coupe et chez le barbier tailler mon bouc. Un nouveau départ, j'étais motivé à continuer à maigrir. Et je me suis rendu dans un bar, le cœur léger. Je voulais montrer au monde mon nouveau moi. 

Pierre baisse à nouveau les yeux, il ne remarque même pas la disparition de ses jambes ni la transparence que commence à prendre son ventre. Tout concentré sur son récit. 

- Je me suis assis sur une table et j'ai commandé un pichet de bière. C'était la première fois que je buvais de l'alcool et très vite, une petite bande de jeunes est venue me rejoindre. Au début, ils étaient très sympathiques. On rigolait bien et je payais tournée sur tournée. Une jeune femme est venue s'asseoir à côté de moi. Roh, Simone, elle sentait le chewing-gum, elle te ressemblait aussi un peu. Elle avait des cheveux du même brun que les tiens, sauf qu'elle les avait plus long et de magnifiques yeux verts comme toi. Elle m'a proposé d'aller danser avec elle. J'étais grisé, fou de joie. Je me suis levé et je l'ai suivi sur la piste de danse. La musique électro s'est transformé en slow et la femme s'est rapprochée de moi. On a commencé à se mouvoir lentement, en rythme. 

J'ai les images de ce moment dans ma tête. Je vois Pierre heureux au bras de cette femme qui me ressemble un peu. 

- Puis, elle a relevé brusquement la tête en m'accusant de la peloter. D'avoir touché ses seins. Elle disait qu'elle sentait mon pénis durcir contre son bas-ventre. Elle criait et les gens se sont rassemblés autour de nous. Ils m'ont accusé d'être un gros pervers. Ils disaient qu'un être aussi laid et obèse que moi n'avait pas d'autre choix que de forcer les filles. J'ai couru vers ma table mais mes affaires avaient disparu. C'est là que j'ai compris que la petite bande m'avait piégé. Ils n'étaient sympas avec moi que dans le but de me voler. 

Pierre se met à pleurer doucement et je ne peux m'empêcher de le rejoindre dans sa peine. L'être humain est méprisable. J'ai une boule au ventre qui remonte dans ma gorge et se transforme en sanglot. Je joins mes larmes à celles de Pierre. Encore une fois, mes émotions me jouent des tours. Je serre ses mains plus fort, dans un geste, que j'espère, consolateur. 

- Le lendemain, je n'avais pas envie de me rendre au travail mais rester chez moi était trop insupportable. J'étais dans la salle de repos, attendant que mon café termine de couler de la machine quand Manon est arrivée. Elle a vu mon air triste et m'a demandé ce que j'avais. Devant mon mutisme, elle en a déduit que j'avais une peine de cœur. C'était ça en quelque sorte. Puis, elle a commencé à me parler de toi, du mal que tu lui faisais quotidiennement et du plan qu'elle avait élaboré pour te jouer un sale tour. Elle avait juste besoin d'un informaticien pour l'exécuter et en échange de ce service, elle pouvait m'en rendre un autre; coucher avec moi. C'est à ce moment que tu es passée dans le couloir. Tu as tourné la tête vers nous et sans même nous saluer, tu as continué ton chemin. Ta ressemblance avec la fille du bar m'a frappée et j'ai décidé d'aider Manon. Nous sommes revenus en soirée pour changer tes dossiers de place. Ensuite, Manon a voulu que je rentre d'abord chez moi pour me rejoindre un peu plus tard mais elle n'est jamais venue. Je devais m'en douter. 

Il renifle bruyamment et essuie ses yeux du bout de ses doigts boudinés. 

- Mais quand on est arrivé ce matin, la police et des journalistes étaient devant le bâtiment scellé.

Voilà pourquoi il n'y avait personne ce matin. 

- Edgar Wallace faisait une mini conférence pour annoncer la découverte de ton corps, poignardé. Manon est directement venue me voir. Elle flippait grave. Elle m'a demandé d'aller remettre tout à sa place sur ton ordinateur, pour éviter que l'on soit accusé de t'avoir fait du mal. La suite, tu la connais...  Simone, excuse-moi d'avoir voulu te faire du mal. Je regrette tellement, tu sais ?

- Pierre, dis-je le cœur serré. Évidement que je te pardonne. 

Sur ces mots, Caliel dépose une main sur l'épaule de Pierre qui tend son visage vers lui. 

- Vous pouvez partir en paix monsieur Lemaire. Vos souffrances sur terre sont terminées. Je vous souhaite bonne route.

Pierre regarde ses mains qui disparaissent à leur tour. Le visage apaisé, il me sourit une dernière fois avant de disparaître totalement dans une lumière vive. 

- Et voilà, encore un nom à rayer de la liste, me dis Caliel en se tournant vers moi. 

- Tu as une idée de la suite ? 

Je regarde encore l'endroit où Pierre Lemaire vient de disparaître. Le cœur un peu plus léger, je lui réponds: 

- Allons faire coucou à Manon ! 

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