Chapitre 12 : la bête

L'ombre se matérialise dans une ruelle sombre du quartier mal famé de la ville. Elle prend la forme d'une femme à la longue chevelure noire, aux yeux en amande aussi sombres que le néant et à la peau d'une pâleur cadavérique. Elle porte une courte robe noire dont le bustier en dentelles laisse peu de place à l'imagination sur sa poitrine. Un long manteau couleur rouge sang drape ses épaules découvertes.

Le bruit de ses talons hauts résonne contre les murs quand elle se met en marche, traquant le bar le plus obscur.

Sa confrontation avec Caliel lui a donné faim, elle doit absolument trouver de quoi se mettre sous la dent.

Elle pousse la porte d'un lieu qui lui semble appétissant. Une musique d'ambiance médiocre résonne dans ses oreilles et une bouffée alléchante de sueurs masculines saupoudrée de cruauté lui met déjà l'eau à la bouche. Pas de doute, c'est ici qu'elle choisira sa proie.

Elle se déplace agilement jusqu'au fond du bar, sans faire attention aux regards malsains des hommes agglutinés au comptoir. Elle prend place gracieusement sur la banquette et observe la salle d'un regard goulu, prête à faire son choix.

Un serveur boutonneux s'approche pour prendre sa commande.

- Du vin rouge, dit-elle, de sa voix pénétrante et calme.

- Tout de suite, madame.

Le serveur recule de quelques pas et reluque cette créature devant lui d'un œil pervers. Il se détourne à contrecœur pour rejoindre l'arrière du bar.

L'ombre patiente, le temps que le vicelard revienne avec sa commande et, sans un regard, lui fait signe de dégager.

Une jeune femme, d'une vingtaine d'années, entre à son tour dans le troquet. Une blonde aux yeux bleus. Son visage porte les traces d'une vie chaotique. Vêtue d'un short qu'on pourrait confondre avec sa culotte (si elle en porte une), d'un simple débardeur et de bottes noires vernies lui arrivant aux genoux. Elle se dirige directement vers une table peuplée d'hommes buvant des pichets de bière, braillant trop fort et prend place sur les genoux d'un trentenaire.

- Salut, Ruby !

Un gringalet à l'air simplet lui fait un petit signe de la main. Aussitôt le trentenaire lui claque sa grosse main sur l'arrière du crâne.

- On t'a demandé de l'ouvrir microbe ? Je t'interdis de parler à ma gonzesse !

Il lui plaque le visage contre la table dégoulinante de bière et s'approche de son oreille:

- Ou bien je te fous la dérouillée de ta vie.

L'homme relâche la tête du pauvre garçon qui s'enfuit vers les toilettes. Un bête sourire de satisfaction s'étale sur le visage de la blonde qui entoure le cou de son homme. Celui-ci en profite pour lui fourguer sa langue dans le gosier. L'ombre qui observe la scène à repérer sa proie, elle se lèche avidement les lèvres. Son regard croise celui du trentenaire qui essuie sa bouche gluante de gloss. Subjugué par la beauté de l'inconnue, il repousse  dédaigneusement Ruby de ses genoux. 

- Et Rick ! Ça va pas ou quoi ? Pousse-t-elle d'une voix nasillarde.

- Ta gueule toi ! Rugit le monstre. Tu m'écrases et pousse-toi un peu! Tes grosses fesses prennent toute la place. dit-il en l'envoyant brutalement à l'autre bout de la banquette .

Les hommes autour d'eux ricanent tout en continuant à boire. Ruby se déplace fébrilement le plus loin possible de Rick qui se détourne déjà d'elle pour lorgner la beauté au fond du café.

- Merde ! Plus de bière ! Râle un bûcheron répugnant. Il est où le moustique ?

Les portes des toilettes s'ouvrent sur le jeunot qui s'avance vers la table d'un pas penaud.

- T'assois pas, crétin. Tu vois pas que les verres sont vides ?! Hurle Rick. Va en rechercher et tu paieras de ta poche pour la peine.

- Mais Rick ... Je n'ai pas assez d'argent ... Je ...

- Tu n'as qu'à en trouver dans ce cas... T'emmèneras  bien une pédale dans la ruelle, suggère le sale type. Ça ne serait pas la première fois que tu te fais du fric avec ton cul. N'est-ce pas Johan ? 

- Ou avec ta bouche peut-être! Surenchérit le bûcheron. 

Le jeune baisse la tête, honteux. Il se dirige vers le bar et commande la tournée. Le barman ayant entendu Rick, lui propose de payer sa dette en fin de service, dans les caves du bar. N'ayant pas d'autres choix que d'accepter, il hoche tristement la tête et rapporte le tout sur la table.

Au moment de prendre place sur sa chaise, le bûcheron pousse celle-ci du bout de sa chaussure de sécurité. Johan se retrouve cul au sol, couvert de bière. Des éclats de rire gras éclatent.

- Bha la voilà ta place, rigole Rick.

Le jeune tente de se relever mais le bûcheron le repousse au sol. Les rires cruels reprennent. Même Ruby, humiliée un instant avant, semble prendre plaisir à voir les tourments infligés Johan.

Quand la bande en a assez de ce spectacle, tous reprennent leur beuverie et se détournent du gars à terre.

Péniblement, Johan se lève et, toujours tête basse, va pour la deuxième fois rejoindre les toilettes. C'est le moment que l'ombre choisit pour se lever et le suivre. Rick la regarde déambuler de haut en bas, lui aussi a repéré sa proie. Ruby dégoûtée par le regard de son amant, sent la jalousie (saveur citron) monter en elle mais, pour l'instant, n'ose rien dire.

L'ombre pousse la porte des toilettes et s'avance vers l'homme qui nettoie sa chemise.

- Ils t'en font bien voir, Johan, dit-elle.

Le jeune homme sursaute, il n'avait pas entendu la femme entrer.

- Vous m'avez fait peur !

- J'en suis sincèrement désolée, sourit-elle. Veux tu que je t'aide à te nettoyer ? Tu as des morceaux de cartons collés dans le dos.

D'un geste précis, elle en retire un à l'arrière de la chemise.

- Merci, madame. Ne vous dérangez pas, je vais le faire moi-même, je ne voudrais pas vous salir.

- Johan, j'ai une question à te poser, tu as un choix à faire. Choisis bien, il n'y a pas de retour possible.

Elle lui prend le visage entre ses ongles acérés et le force à la regarder. Ses yeux deviennent rouges. D'une voix envoûtante et hypnotique, elle reprend:

- Je m'appelle Kéresse et j'ai le pouvoir de te faire oublier les peines engendrées tout au long de ta vie et de t'offrir une vie longue et agréable ou alors de te rendre fort et courageux, ainsi, tu pourras te venger des personnes qui te font souffrir mais l'issue pourrait être fatale. Que choisis-tu ?

L'homme semble réfléchir et bredouille d'une voix vaguement assurée:

- Je veux ... Je voudrais ... Me venger !

Kéresse sourit intérieurement. 

-C'est tellement facile avec les humains. Ils ne savent pas pardonner, ils sont bêtes et rancuniers. Tant mieux pour moi, mon festin est déjà en train de cuire, se dit-elle. 

Elle approche sa bouche pulpeuse des lèvres sèches du pauvre garçon et souffle doucement dans l'orifice béant.

La porte des toilettes s'ouvre avec fracas. Un homme musclé en sort. Ses yeux sont d'un rouge féroce. Tout le monde a le regard braqué sur lui. D'un pas déterminé, il fonce sur le bûcheron et lui éclate la tête contre la table, fracasse le verre de bière devant lui et va lui loger un tesson dans la gorge. Une brume bleue nuit sort du corps sans vie. L'inconnue jaillit à son tour des toilettes, ouvre la bouche et aspire la brume comme on aspire un spaghetti.

- Miam, s'exclame-t-elle, le goût de l'incompréhension, la myrtille. 

Des hurlements de terreur emplissent le bar et c'est un mélimélo de corps qui tentent de rejoindre la seule sortie du bâtiment. D'un mouvement de la main, Kéresse bloque la porte, empêchant les gens de partir.

La bête laisse tomber le corps du bûcheron et fait face à l'homme qui est à l'origine de tant de souffrance. D'un geste rapide, il plonge la main dans la poitrine de celui-ci et en ressort avec son cœur, encore palpitant.

- Désolé mec, je voulais juste vérifier que tu en avais bien un !

Les yeux écarquillés, Rick glisse lentement sur le sol.

- Je te le pique, tu m'en veux pas j'espère ? Pour ce qu'il t'a servi de toute façon.

Il lance le cœur à travers le bar. L'organe atterrit dans le sac à main d'une bimbo qui hurle à s'en faire péter les cordes vocales.

- Mmmmh, la peur: aussi fraîche qu'une pomme verte, aspire goulûment Kéresse.

Ruby, qui s'était glissée en dessous de la chaise, est remontée par les cheveux.

-Et toi, très chère Ruby. J'ai été gentil avec toi, non ?

La jeune femme hoche la tête, la morve lui coule du nez et ses lèvres tremblent:

- Et pourtant, tu riais quand on m'humiliait.

- Je ne ... Je suivais le mouvement, tente-t-elle de justifier lamentablement.

- Tu suivais le mouvement, répète la bête. D'accord ... Tu ne faisais que de suivre le mouvement...

Il la relâche et la regarde dans les yeux quelques instants avant de faire pivoter  brusquement sa tête à 360° °et de lui briser la nuque.

- Continue à bien suivre le mouvement dans ce cas, lui dit-il.

- Berk ! un soupçon d'espoir, aussi amer qu'un chicon, râle Kéresse.

La bête devient alors incontrôlable et se met à cogner, poignarder, trucider tous les êtres se présentant devant lui jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucun survivant. Un véritable massacre, pire qu'un champ de guerre. Kéresse le rejoint à côté du bar où gît le corps du serveur, une bouteille de rhum coincée dans l'anus. Johan redevient lui-même, petit à petit. Essoufflé et épuisé, il entend les sirènes d'une voiture de police au loin.

- Je me suis régalée. Merci infiniment, jeune homme.

- Je ne comprends pas. Que s'est-il passé ? Pourquoi je suis couvert de sang ? Il regarde autour de lui. Oh mon dieu, quelle horreur ! Qui a fait ça ?

- Mais c'est toi évidemment. Je t'ai donné le pouvoir de te venger, comme tu me l'as demandé.

- Mais je ne voulais pas ça moi ! Je voulais devenir fort pour leur tenir tête, pas pour la leur arracher.

Déjà, les gyrophares des policiers illuminent l'intérieur du bar. Le bruit des portières qui claquent parvient aux oreilles des deux protagonistes. La porte d'entrée se fait défoncer par un bélier et une dizaine de policiers débarquent dans la salle, leurs flingues braqués devant eux.

- On ne bouge plus ! Les mains bien en évidence. Oh putain, c'est quoi ce merdier ?

Les policiers regardent autour d'eux et voient Johan et Kéresse un peu plus loin.

- Les mains en l'air ! Première sommation !

Kéresse se place devant Johan qui tremble en levant les deux mains au dessus de sa tête.

- Madame, ne bougez plus ! Les mains en l'air! Deuxième sommation !

Elle continue à avancer vers eux , de plus en plus vite, et au moment où les policiers se mettent à tirer, elle redevient L'ombre et les balles criblent le corps de Johan qui s'effondre.

- Mmmh, le désespoir: l'anis... Mon parfum préféré !

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