Colère, colère, colère

C'était au tour de Nuage Minuscule de passer un moment avec Museau de Craie. Comme son frère, il rechignait, mais c'était surtout pour se donner un genre. En réalité, il se trouvait assez curieux. Nuage Alezan était revenu bien plus calme que d'habitude de cette balade. Il n'avait d'ailleurs pas voulu en parler et ne s'était pas plaint une seule fois de cette matinée. Une vraie première.

Nuage Minuscule était partagé. Ce changement, devait-il le voir positif ou au contraire négatif ? Est-ce que Museau de Craie avait parlé à Nuage Alezan ? Est-ce qu'il lui avait fait du mal ? Après tout, on racontait souvent qu'il était devenu fou. Un triste souvenir du héros qu'il avait été autrefois.

De toute manière, il n'avait pas le choix. Si son frère l'avait fait, il le pouvait lui aussi. Alors il se leva et nettoya rapidement sa fourrure, quelque chose que Nuage Alezan ne faisait que très peu, à croire qu'il préférait que sa fourrure rousse soit sans cesse ébouriffée dans tous les sens. Une fois cela fait, il s'étira et rejoignit la tanière des anciens, en attrapant un lièvre sur la pile de gibier.

Cœur Sablé et Grisaille du Matin dormaient encore. C'était d'ailleurs à peu près tout ce qu'ils faisaient. Somnoler et manger et se plaindre. En les voyant, Nuage Minuscule se disait que mourir jeune n'était pas si mal, parce qu'attendre la mort dans une tanière ne l'enchantait pas du tout.

— Bonjour, futur guerrier. C'est agréable qu'on nous apporte le repas comme ça.

Jolie Grenade était bien la seule avec qui on pouvait encore discuter. Le novice sauta sur l'occasion, soulagé qu'elle soit réveillée.

— Je viens tenir compagnie à Museau de Craie. C'est mon tour, aujourd'hui.
— Dans ce cas, pourquoi tu ne le salues pas ?
— Oh, euh... parce qu'il ne parle pas. A quoi ça sert, de parler si on sait qu'on n'aura pas de réponse ?
— Museau de Craie écoute tout ce que tu dis. Et puis, qui sait, peut-être qu'il te parlera, à toi ?
— J'en doute...

Le silence s'installa et plus personne ne parla. Nuage Minuscule s'assit. Il attendit. Pourquoi Museau de Craie restait là ? Ne pouvaient-ils pas aller dehors se promener, comme Nuage Alezan l'avait fait ?

Visiblement non.

Personne ne bougeait.

Rien, pas de bruit, aucun mouvement.

Le silence.

Bien vite, Nuage Minusvule s'impatienta. Cependant, il n'osait pas dire un mot, de peur de vexer les anciens.

Grisaille du Matin et Cœur Sablé dormaient. Encore. D'ailleurs, cette dernière avait la respiration sifflante, ce qui emplissait la tanière d'un soufflement désagréable et irrégulier, que Nuage Minuscule avait du mal à supporter.

D'ici, il entendait également les guerriers dans le camp. Ils s'agitaient, parlaient, organisaient des patrouilles. Dans tout ce brouhaha, il perçut la voix de son frère, parce que ce dernier se faisait toujours remarquer où qu'il aille. Une colère profonde monta soudain en lui. Pourquoi devait-il perdre son temps alors qu'il pouvait aider son clan ? Pourquoi son frère avait la chance de partir en balade et pas lui ?

Ses griffes se plantèrent dans la mousse qui tapissait l'endroit et la retournèrent, furieusement. La jalousie l'envahit. On ne lui avait pas demandé son avis, pourquoi lui et pas un autre ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?

Personne ne bougeait.

Rien, pas de bruit, aucun mouvement. À part ce sifflement agaçant. Et ses griffes qui retournaient la terre.

Le temps semblait suspendu.

Museau de Craie restait immobile.

Il ne disait rien, de peur de s'énerver et de troubler les anciens.

La colère bouillonnait, montait, envahissait chaque cellule de son être. Il ne pensait qu'à ça.

Pourquoi pourquoi pourquoi.

Pourquoi lui. Pourquoi maintenant. Pourquoi eux. Pourquoi rien. Pourquoi pourquoi pourquoi.

Colère colère colère.

Jalousie. Pourquoi Nuage Alezan avait toujours le meilleur ? Pourquoi ce n'était pas le travail de Nuage de Pomme et Nuage de Luciole ? Ou même Moustache de Sureau, elle était guérisseuse après tout. Ou un chaton ! Ou un guerrier ! Pourquoi lui, pourquoi lui, pourquoi lui ?

Lui, lui, lui.

Lui et jamais un autre.

Ce n'était pas juste. Pas juste, pas juste, pas juste.

Rien, aucun bruit, aucun mouvement. Toujours Cœur Sablé et sa respiration horripilante.

Et le trou que ses griffes creusaient à l'entrée de la tanière.

Et la colère qui montait, montait, montait. Trop de colère pour un si petit corps.

Explosion.

— Viens, Museau de Craie, on va en balade !

C'était un ordre brusque, autoritaire, brûlant de colère. Jolie Grenade sursauta. Grisaille du Matin grogna et se rendormit.

Museau de Craie observa longuement l'apprenti tremblant de colère. Il se leva et se dirigea vers la sortie. Nuage Minuscule le dépassa en laissant son trou. Il entendit Jolie Grenade s'offusquer à ce propos :

— Les chatons vont tomber dedans ! Ou alors, quelqu'un va se fouler la patte...

Ils sortirent du camp. Nuage Minuscule marchait d'un pas vif, furieux. Une fois qu'ils furent assez loin, il se tourna brusquement vers l'ancien.

— Tu m'énerves ! Moustache de Sureau ne s'occupe que de toi, parce que t'es son oncle ! Et puis, tu gâches mes séances d'entraînement en fuguant ! À cause de toi, mon baptême sera retardé car je devais te surveiller ! Tu m'énerves, Museau de Craie, tu m'énerves !

Tout à sa colère, il ne se rendit même pas compte qu'il parlait dans le vide. Museau de Craie semblait bien plus intéressé par une sauterelle qui passait par là.

— Il faut tout le temps aller te nourrir alors que t'es encore en pleine forme ! Tu pourrais le faire, le chemin jusqu'au tas de gibier. Mais non ! Non, t'as la flemme de bouger. Tout ce que tu sais faire, c'est embêter tout le clan ! Même Étoile de Galet en a marre de toi, j'en suis sûr ! Y'a que Moustache de Sureau qui se préoccupe de toi. La dernière fois, elle m'a même fait passer après alors que j'étais blessé. Devine quoi ? Elle préférait te parler plutôt que me soigner ! Te parler ! Et là tu me fais attendre toute une matinée alors que j'aurais préféré m'entraîner à la chasse avec Nuage Alezan ! Toute une matinée dans une tanière qui pue autant qu'un terrier de renard avec des chats qui ronflent ! Génial, merci Museau de Craie, merci ! Je te déteste, tu m'énerves !

Finalement, il s'arrêta, bien obligé de reprendre son souffle. Sa queue battait furieusement dans l'air et une fois de plus, ses griffes creusaient des sillons dans la terre. La sauterelle bondit et disparut dans les hautes herbes. Museau de Craie daigna enfin tourner la tête vers le novice. Alors que ce dernier s'apprêtait à reprendre son discours enragé, une voix qu'il ne connaissait pas l'interrompit. Une voix qui ne pouvait qu'appartenir au seul chat présent près de lui. Elle était un peu vacillante, rêche et faible, si bien que Nuage Minuscule se demanda bien s'il ne rêvait pas.

— Je veux aller à l'Assemblée.

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