🍂7 - L'ENQUETE PROGRESSE🍂
Ce fut à moitié avachi sur son canapé que Kylian avait passé le plus gros de sa nuitée jusqu'au moment où les martèlements de la porte décidèrent de le lever. Il faisait encore nuit noire dehors, laissant penser qu'il était soit extrêmement tard, soit très tôt dans la matinée. Trop tôt étant donné ses yeux mi-clos et son irrépressible envie de retourner s'allonger. Les cadavres de canettes traînaient ici et là à ses pieds, jonchant le sol de son salon ainsi que diverses assiettes en cartons contenant des restes de nourriture probablement avariés depuis au moins une semaine. Se traînant difficilement jusqu'à l'entrée de sa maison, Kylian ouvrit la porte et découvrit non sans surprise un visage contrarié qu'il ne connaissait que trop bien : celui d'Édith C. Lewis et étant donné qu'elle était recouverte de feuillages, de boue et empestait fortement le poisson, il y avait de fortes chances pour que celle-ci ait passé un sale quart d'heure quelque part.
– Vous avez une mine horrible, lui fit-il remarquer sans aucun tact.
– Et qui devrais-je remercier pour cela, selon vous, hein ? répondit-elle en le fustigeant.
Elle avait tous les traits d'un taureau enragé, prêt à charger à tout moment.
– Avouez-le, c'était un petit peu amusant, non ?
– Amusant ? Amusant ?! Est-ce que vous vous moquez de moi ? Regardez donc dans quel état je suis ! Qu'est-ce qu'il peut bien y avoir d'amusant là-dedans, je vous le demande ?
– Ne criez pas, vous me donnez mal à la tête et puis... Quelle heure est-il ?
Certainement trop tôt. Beaucoup trop tôt.
– Quatre ou cinq heures du matin, je n'en sais rien et pourquoi devrais-je le savoir ? Vous m'avez fait courir à travers toute la ville toute la sainte journée ! poursuivit la journaliste.
– Théoriquement, rien ne vous obligez à poursuivre. Vous auriez tout aussi bien pu rentrer chez vous, prendre un bain et dormir aussi.
– Comme si vous vous attendiez à ce que cela se passe. Vous m'avez baladée et je veux savoir pourquoi ? Je mérite au moins d'en connaître les raisons.
– Vous savez, je vous trouve très peu reconnaissante, car ça nous a demandé beaucoup d'efforts et de travail pour monter ce petit jeu distrayant et si vous êtes dans un état pareil, je présume alors que vous vous êtes prise au jeu, non ?
L'espace d'un instant, Kylian aurait juré que si elle avait fait ne serait-ce que dix centimètres de plus, elle lui aurait collé son poing dans la figure, mais elle se contenta alors d'un vulgaire coup de genou dans son entrejambe. Ce geste anodin ne manqua pas de le réveiller tandis que la douleur monta jusque dans son cerveau.
– Je vous déteste, signala Édith en faisant un pas en avant en sa direction.
– J'ai cru remarquer... Siffla-t-il en tentant de faire abstraction de la douleur lancinante.
Néanmoins, après plusieurs minutes de souffrance et de longues respirations, le commissaire réussit à se redresser tant bien que mal.
– Et vous êtes venue à cinq heures du matin pour me dire tout cela ? reprit-il. Il ne fallait pas, vous auriez très bien me le dire plus tard. Que diriez-vous de onze heures ? C'est une chouette heure, non ?
– Je devrais vous... Hmm !
– Attention à ce que vous faites, cela pourrait être considéré comme outrage à agent. En outre, je vous voyez plus maligne que cela. N'aviez-vous pas deviné à un moment ou un autre que je vous baladais justement ? Vous n'êtes peut-être pas si différente de vos confrères tout compte fait et je dois bien admettre que cela me déçoit un petit peu.
– Oh, eh bien, sachez que je m'en tamponne le coquillard de savoir que je vous déçois. Non mais regardez dans quel état lamentable je suis !
– Et comme je vous l'ai dit, vous auriez très bien pu rentrer chez vous au lieu de venir me percer les tympans avec vos jérémiades matinales. Vous savez, vous êtes une sorte d'oiseau de mauvais augure, car je suis persuadé qu'à cause de vous, je vais passer une sale journée.
Comme si celle d'hier n'avait pas déjà suffit.
– Eh bien, sachez que je m'en réjouis d'avance ! Passez donc une mauvaise journée, cela n'est que rétribution !
– Je vous jure que je suis à deux doigts de vous claquer la porte au nez ? Je ne sais même pas pourquoi je continue à vous écouter, soupira Kylian en s'apprêtant à faire demi-tour afin de rentrer chez lui, il est cinq putain d'heure du matin, Édith. Rentrez chez vous !
– Sachez que je reviendrai au poste et j'obtiendrai les réponses que je désire. Vous ne m'empêcherez pas d'écrire mon article.
– Oh, mais loin de moi cette idée ! Mais sachez que si vous approchez du poste, je vous ferai arrêter par le premier agent qui serait à même de repérer ne serait-ce qu'un bout de vos jupons.
– Vous ne pouvez pas arrêter les gens comme bon vous semble ! Vous n'avez pas ce pouvoir et cela va à l'encontre de la loi.
– Vous croyez ? insinua Kylian.
Il savait qu'elle avait raison, mais ce n'était pas pour autant qu'il allât l'admettre, pas quand le doute s'était insinué en elle et qu'une partie s'était mise à croire à son incroyable baratin. Grégory avait raison sur une chose : peut-être avait-il réellement un don pour charmer les gens et leur faire gober tout et n'importe quoi, mais surtout n'importe quoi.
– Tentez donc d'approcher, Édith. Tentez donc et vous verrez bien par vous-même !
En refermant la porte derrière lui, il l'entendit maudire de l'autre côté de celle-ci. Les femmes et leur façon de jurer comme un chartier ! Cela leur portera préjudice un jour.
– Quand je pense qu'elle est venue jusque devant ta porte à cinq heures du matin, souligna Grégory surpris, elle a quand même beaucoup de courage !
– Tu appelles cela du courage ? releva Kylian blasé, Je ne sais même pas pourquoi je t'ai raconté cette histoire.
– Parce qu'elle est incroyable et que j'avais besoin d'une nouvelle histoire à propager auprès des hommes ? Ton dévouement pour l'amusement général ne sera pas oublié crois-moi.
– Ose raconter cela à qui que ce soit et je te jure que je trouverai un moyen singulier de te le faire regretter, menaça le commissaire.
– Et qu'est-ce que tu pourrais me faire de pire que ce que tu ne me fais déjà vivre ? Ces derniers mois, je suis limite devenu ta secrétaire tellement je m'occupe plus de la paperasse que toi.
– Mais c'est parce que j'ai su déceler chez toi un amour inconditionnel pour l'administratif. D'ailleurs à ce propos, il y aurait plusieurs rapports à vérifier avant ce soir et je me disais que...
– Très bien ! Très bien, je jure de ne raconter cela à personne. Tu as ma parole.
Se laissant convaincre par la bonne foi de son lieutenant, Kylian n'émit qu'un léger grognement en guise d'accord. Néanmoins, il ne connaissait que trop bien Grégory pour savoir que celui-ci ne tiendrait que vingt-quatre heures et encore avant de tout révéler de sa petite expérience matinale avec la journaliste. Cela lui laissait donc vingt-quatre heures pour trouver à l'ensemble du poste une occupation certaine.
– N'oublie pas de prendre rendez-vous avec Monsieur le Maire afin d'aller récupérer les clés du manoir, lui rappela ce dernier.
– Comme si j'avais oublié.
– Sait-on jamais... On ne peut pas dire que tu as toujours la tête sur les épaules donc bon.
Un point pour lui.
Par ailleurs, il ne devait probablement pas être le seul à le penser de toute façon.
– J'ai passé ma nuit à faire des recherches sur le manoir et j'ai trouvé des choses tout à fait passionnantes, s'exclama Grégory, impatient à l'idée de partager ses découvertes.
– Oh non, ton obsession est revenue. Comme c'est tragique.
– Tu ne devrais pas dire cela, car j'ai peut-être trouvé certaines choses qui pourraient t'intéresser.
– Des nouveaux éléments ayant échappé à ces grabataires fous de l'association de protection du patrimoine ? C'est étonnant.
– Disons que je leur laisse l'aspect mythes et légendes et que je me concentre sur autre chose...
– Et puis-je savoir sur quoi ?
"Pas sur l'événement, pas sur l'événement, pas sur l'événement" se mit à prier Kylian dans sa tête en tentant de garder un visage aussi neutre que possible.
– Sur cet événement ayant eu lieu il y a vingt-cinq ans !
– Bon dieu, murmura le Commissaire.
– Qu'est-ce que tu as dit ?
– Grand dieu ! Encore une chose à rajouter à ta longue liste de fausses pistes.
– Eh bien figure-toi que non, car ça m'a tout de même intrigué cette histoire. Pourquoi je n'en ai jamais entendu parler auparavant et pourquoi c'est à peine mentionné dans nos rapports quand on sait l'étrange obsession que la ville a pour tout ce qui concerne le manoir de Castelroc que ce soit de près ou de loin. C'est comme si ce « petit » truc était en quelque sorte l'arbre qui cache la forêt, tu vois ce que je veux dire ?
– Hmmm hmmm ! Passionnant, hein ? Mais tu ne veux pas plutôt te concentrer sur notre affaire et nos victimes ? C'est tout de même plus concret et plus intéressant que de vieilles histoires. Et puis je te connais, tu vas farfouiller et cela n'aboutira sur rien donc tu seras déçu...
– Kylian.
– Quoi ?
– Crois en moi, veux-tu ? Tu sais que je trouve toujours ce que je veux.
Et c'est bien ce qu'il craignait. Si Grégory venait à découvrir la vérité ? Qu'est-ce qu'il dirait ? Pire encore, qu'est-ce qu'il ferait de l'information ? Tout pourrait alors être compromis et mit en péril.
Il n'y avait qu'une seule façon de s'assurer que ce qui avait été enterré là-bas ce jour-là, le demeure à tout jamais.
– Commence donc sans moi, je sors, fit Kylian en faisant demi-tour alors que les deux hommes arrivaient enfin à hauteur du poste de police.
– Bah... Où est-ce que tu vas ?
– Voir le Maire ! Tu y tenant tant.
Mais il n'y allait certainement pas pour lui réclamer les clés du manoir, oh que non. Une petite discussion s'imposait sérieusement entre les deux hommes. Une discussion qui aurait dû avoir lieu il y a deux ans de cela, quand il était encore temps. Quand Kylian avait encore le choix. Le choix de faire demi-tour. Chose qu'il ne pouvait plus faire à présent.
Arrivant à hauteur de la place centrale de la ville sur laquelle la Mairie fut bâtie, un violent courant d'air provenant de la montagne vint gifler Kylian, l'obligeant à s'arrêter net dans sa marche.
"Quand viendra le vingt-quatrième jour de l'hiver, la maison dissimulée dans la poudrière ouvrira les portes de ses mystères.
De nouveau retentira alors la voix de Lucifer s'élevant à travers les feux de l'enfer.
Prends garde, toi l'enfant qui jadis le condamna par une prière au-dessus du puits bercé de lumière."
Il l'entendait de nouveau. Le "chant".
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