🍂 5 - DAME BLANCHE 🍂

Si Grégory avait passé le reste de son après-midi enfermé dans la salle d'archives du poste, préoccupé par le fait de trouver ce qu'il lui était possible de trouver sur le manoir de Castelroc allant de la simple coupure de presse jusqu'au plan du cadastre, Kylian, lui, n'avait pour changer, pas bougé de son bureau, car pour la première fois depuis trois mois, l'enquête venait de faire un bond gigantesque en avant et lui-même n'en revenait pas d'avoir raté quelque chose d'aussi important. D'aussi grand. Certes, il n'aurait rien pu faire sans les résultats d'analyses qui venaient de revenir, mais cela lui semblait si idiot de ne pas y avoir pensé plus tôt, ou tout du moins de s'être refusé d'y penser. Émettre des hypothèses, ce n'était pas vraiment son truc, mais il savait que les six corps avaient forcément un lien les uns avec les autres. Après tout, ils avaient tous été retrouvés quasiment dans la même zone géographique et rien que ce simple fait était bien trop gros pour être ignorés. Cependant, avec la détérioration des conditions météorologiques et l'arrivée soudaine d'un hiver qui s'annonçait plus glacial que jamais, personne n'avait été fouillé dans la montagne ou ne serait-ce que dans la forêt aux alentours.

Pas même lui.

Il s'y refusait d'y aller, d'y retourner et avait une sainte horreur que d'entendre parler de ce maudit endroit, mais maintenant qu'il se retrouvait confronté aux faits, Kylian n'avait plus le choix, comme il n'avait plus d'excuses. Il allait devoir y retourner. Là-bas.

– Tu comptes un jour rentré chez toi ou tu vas camper ici toute la nuit ? interrogea le commissaire en voyant à peine la tête de son lieutenant dépasser derrière les boîtes et les piles de documents.

– Quelle heure est-il ?

– Neuf heures passées. Tout le monde est parti depuis belle lurette. Il ne reste plus que toi et moi.

– Les deux vieux meubles, plaisanta Grégory.

À peine lui avait-il répondu qu'il retourna, tête la première, dans ses recherches. C'était ça avec Grégory, dès qu'il était obnubilé par quelque chose, il ne savait pas s'arrêter.

– Tu as trouvé quelque chose d'intéressant à te mettre sous la dent ?

– Eh bien, figure-toi que oui !

Le cœur de Kylian rata un battement au même moment.

– On connaît tous en ville, l'histoire glauque et sordide de cet endroit, n'est-ce pas ?

– Si tu veux parler du fait des nombreuses morts qui y ont eu lieu, en effet.

– Toute cette famille, puis les bonnes sœurs, la riche héritière... Tout ça, ça fait un bon paquet de gens, mais étrangement le manoir avait toujours été plus ou moins accessible. Pourtant, quatre-vingt ans plus tard, soit il y a vingt-cinq ans pour nous, voilà que le maire pose un arrêté et décide d'interdire l'accès au public. Comme ça. Sur un coup de tête.

La curiosité de Grégory avait toujours été un atout pour la police, pour ses investigations et ce n'était pas pour rien que celui-ci avait su rapidement grimper les échelons avec la seule force de son cerveau. Néanmoins, il y a des moments où Kylian détestait ce trait. Encore plus quand il menaçait son passé.

Ce qu'il s'était passé il y a vingt-cinq ans, personne ne le savait, si ce n'était quelques Anciens, le maire et Kylian lui-même.

– Selon ce rapport établit à l'époque par je-ne-sais-quel-flic en service qui avait une écriture plus désastreuse que la mienne, il y a eu un incident vers le manoir impliquant un enfant, mais on n'en sait pas davantage.

Et c'est là que tous les pouvoirs et l'influence que détenait le Maire devenaient réellement dangereux, car le nom de Kylian avait été balayé des rapports de police, comme si l'incident n'avait jamais eu lieu ou qu'il ne l'avait jamais concerné. Pourtant, la vérité était là, se tenant devant Grégory, mais celui-ci ne la verrait jamais.

– Ah... Tant pis, fit Kylian crispé, Tu devrais probablement rentrer maintenant.

– Le maire t'a vraiment secoué, hein ? Habituellement, tu serais enchanté, ravi que je sois là pour trimer pendant que Monsieur se la coule douce.

Oui, habituellement.

– Très bien, je devrais alors t'enfermer ici et revenir demain matin voir comment tu vas ? Les cellules sont apparemment plus confortables que la salle d'archives.

– Je n'ai rien dit ! se précipita Grégory en ramassant ses affaires. J'arrive, j'arrive, attends-moi !

Ils marchèrent tous deux pendant une dizaine de minutes, ressassant l'affaire ainsi que ses détails, et cela, jusqu'au croisement en bas de la rue où chacun finit ensuite par prendre une direction différente. Kylian vivait à une trentaine de minutes à pied du poste et si Grégory le tannait régulièrement pour qu'il investisse au moins dans un vélo, celui-ci n'appréciait que trop ce moment. La fraîcheur de la brise lui fouettait le visage tandis que les extrémités de ses mains se glaçaient à chacun de ses pas. Ce n'était pas tant le froid extérieur qui lui donnait l'impression que son sang se figeait de plus en plus, mais plutôt cette chape qui s'installait progressivement sur ses épaules. Un poids invisible qui l'écrasait lentement. Délicatement. Un ensemble de symptômes qu'il ne connaissait que trop bien et avec lesquels il vivait depuis aussi longtemps qu'il était à même de s'en souvenir.

– Bonsoir, Merry.

Les signes de la possession.

Car Kylian en était persuadé, il n'était pas hanté, il était véritablement possédé. Par Merry ? Non. Par le poids des remords et de la culpabilité.

À quelques mètres de lui, sur le sentier à peine éclairé, naviguait une légère lueur blanchâtre qui se dessinait au fur et à mesure qu'il avançait en sa direction, comme si elle ne se montrait qu'à son bon vouloir et à lui seul.

Cette nuit ne fut pas différente de toutes les autres. Elle se tenait devant lui, flottant, le visage à peine dessiné, si ce n'était pour ses orbites complètement vidées. Elle portait une longue robe particulièrement abîmée et déchirée sur toute la longueur droite, ses cheveux se confondaient dans une sorte de queue de cheval à moitié défaite.

Et elle restait là, plantée, comme si elle l'attendait et cela, Kylian le savait. Cependant, il n'avait jamais su comprendre ce qu'elle attendait de lui, car dans ses souvenirs, Merry n'avait que cinq ans. Or, l'esprit lui apparaissant tous les soirs était une sorte de mélange d'images. Un puzzle. Il y avait des traits caractéristiques de celui d'une fillette et d'autres qui faisaient étrangement penser aux traits d'une jeune femme. Une adulte.

C'était là l'esprit de ce qu'elle fut et de ce qu'elle aurait pu être.

Ce qu'elle aurait dû être.

Ce qu'elle aurait dû être si Kylian n'était pas intervenu ce jour-là.

– Toujours aussi éloquente à ce que je vois, lui dit-il en lui passant à côté comme s'il ne l'avait pas vue.

C'était sans doute ce qu'il y avait de mieux à faire. Lui passer à côté. L'ignorer. L'ignorer elle et tout ce qu'elle représentait dans son esprit. Une vie qu'il avait perdue et qu'il avait juré de laisser, comme elle, enterrée dans un coin quelque part. Mais Merry ne l'entendait visiblement pas de cette façon-là et elle semblait avoir des projets dont il ignorait toujours et encore les desseins.

Alors, comme à chaque début de nuit, Kylian porta la main à la poche de son manteau et en sortit une flasque qu'il vida d'une traite sans hésitation.

– Au revoir Merry.

Il n'y avait plus de silhouette blanchâtre et plus de crépitements dans la nuit. Seulement le vent glacial et le soupir de Kylian, tandis que le poids paraissait se retirer progressivement de ses épaules.

Si boire était au départ une solution, c'était rapidement devenu également une addiction pour le commissaire. Le sel, l'argent, le fer, rien n'y avait fait, mais l'alcool, le fait de s'y noyer, de s'y perdre... ça lui permettait d'oublier et mieux encore, ça lui permettait de sombrer. Encore et toujours plus profondément. Kylian ne connaissait aucune limite et de toute manière, il les avait franchis il y a de cela bien longtemps.

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Note de l'auteure : Vous voilà au bout de ce cinquième chapitre de cette toute nouvelle histoire mélant enquête, fantôme et vieille légende. J'espère sincèrement que vous passez un bon moment et que vous avez hâte pour la suite car celle-ci viendra dès début 2024 ! 

Portez-vous bien et passez de bonnes fêtes de fin d'année,

Manon

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