🍂4 - UN MURMURE DANS LE VENT🍂

La journée n'aurait pas pu être plus désastreuse qu'elle ne l'était déjà avec la venue du maire au sein même du poste. En l'espace d'une dizaine de minutes, ce dernier avait retourné l'intégralité du bureau et s'était suffisamment exprimé lourdement pour que l'ensemble des agents restants puissent profiter de la scène sans aucune difficulté. Une fois son savon passé et ses menaces habituelles proliférées, il finit par marquer un arrêt, soufflant, mains sur les hanches.

– Vous savez, Kylian, vous ne me rendez vraiment pas la tâche aisée, lui dit-il, Pourtant je suis intimement convaincu que vous et moi pourrions accomplir de grandes choses dans l'intérêt de la ville.

– Dans l'intérêt de la ville ou dans le vôtre, Monsieur le maire ?

– Les deux ne sont pas dissociés étant donné que je suis la ville.

Il est aussi et surtout mégalomane, mais ça ce n'était pas une nouveauté pour Kylian qui ne releva même pas ses propos. À quoi bon ? Il savait très bien où ce genre de conversation le mènerait. À la tombe.

– Vous êtes un homme intelligent, Kylian, il serait grand temps que cela se reflète dans les choix que vous faites.

Comme si cela l'importait réellement. Il le tenait depuis maintenant deux ans et il n'avait eu de cesse que de le lui rappeler, comme si les menaces, la pression constante et l'ingérence dans ses affaires aussi bien professionnelles que privées ne suffisait pas. Jamais Kylian ne s'était plus détesté que présentement et il savait que si cela venait à se savoir, alors il viendrait à le regretter. Mais n'était-ce pas déjà le cas ?

– À votre place, commissaire, je me mettrais à réfléchir et à réfléchir très vite, lui conseilla finalement ce dernier avant de lui tapoter l'épaule.

Une fois le maire partis, Kylian resta un moment planté au milieu du bureau, n'ayant pour seule et unique envie que de brûler l'ensemble du bâtiment. Néanmoins, les envies n'étaient faites que pour être des chimères et rien d'autre.

– Je savais qu'il y avait une raison particulière pour laquelle je gardais ces fameux petits gâteaux rassis au fond d'un de mes tiroirs. Pour les grignoter à chaque passage du maire. Houleuse discussion, non ? releva Grégory.

– Je n'ai pas envie d'en parler. Ni maintenant, ni jamais, répondit sèchement Kylian en retournant retrouver son fauteuil.

– Allez, Kylian. Tout le monde a entendu le maire.

– Et donc ? Qu'est-ce que tu veux savoir de plus que tu ne sais déjà ?

– Simplement savoir comment tu vas ?

Existait-il une réponse à cette question ?

– Je respire la joie de vivre, ça ne se voit pas ? finit-il par dire après mûre réflexion.

– C'est fou comme j'ai un mal de chien à associer ces deux mots ensemble.

– Quoi donc ?

– "Joie" et "toi". Tu ne peux pas être plus à l'opposé de tout ce qui se rapporte à la joie.

– Est-ce que tu es venu m'achever ou est-ce que tu es là parce que tu as quelque chose de réellement important à me dire, Grégory ?

Celui-ci finit par lui tendre deux petites feuilles groupées par le biais d'un trombone mal positionné, mais qui faisait largement l'affaire.

– Je t'ai dit ce matin que j'avais quelque chose sur nos inconnus 5 et 6, lui rappela fièrement le lieutenant.

– Et tu as attendu de me transmettre cela, parce que... ?

– Tu n'avais pas l'air apte à l'écoute ce matin. Maintenant que le maire t'a secoué comme un sapin, je tente ma chance.

S'il ne l'appréciait pas, il lui collerait probablement son poing dans la figure.

– Et donc ? Qu'est-ce que c'est que ta grande découverte ? soupira le commissaire en lisant le document.

– Oh trois fois rien... Si ce n'est le lien entre toutes nos victimes !

Kylian arrêta brusquement sa lecture, les yeux écarquillés, afin de dévisager la fierté transpirant sur le visage de Grégory. Il pouvait presque voir des étoiles scintillantes autour de lui, comme s'il était soudainement devenu le nouveau Messi du poste de police.

– Comme tu le sais, nos six victimes ont toutes été retrouvées au pied de la montagne, à quelques kilomètres même pas les unes des autres. Les six sont des hommes, d'une trentaine d'années voir un tout petit peu plus, mais si l'on peut penser à une sorte de tueur en série opérant dans le coin, on s'est éloigné de la piste, car les six ont été tués de différentes façons : empoisonnement, noyade, asphyxie, blessures à l'arme blanche et j'en passe.

– C'est ce qui avait été établi, oui, mais qu'est-ce que ton super indice vient rajouter ?

– Eh bien figure-toi qu'en creusant un peu et aussi parce que ce fut long d'avoir un résultat concluant, les six portaient des traces de sciure de bois.

– Pas étonnant quand on sait qu'on a dû ratisser des hectares de forêts pour trouver des pistes et que tous les corps ont été retrouvés aux pieds des arbres quasiment, rappela Kylian comme si cela coulait de source et devrait être une évidence pour tous.

– Certes, certes, certes, mais laissez-moi finir, veux-tu ? Tu me gâches tout le plaisir de la découverte là.

– Mais je t'en prie, épate-moi ! Cela fait des mois que plus rien ne m'épate en plus, tu as peut-être une chance.

– Donc, cette sciure de bois, figure-toi qu'elle ne provient pas des pins de la forêt. Je l'ai fait analyser et en fait, il s'agit de sciure de bois d'acacia !

Pour le coup, la découverte ne semblait finalement pas si majeure que ça. Du bois d'acacia, et ?

– Je devine à ta tête déconfite que tu ne réalises toujours pas l'importance de mon travail, bouda Grégory, Donc laisse-moi te rafraîchir la mémoire, car je suis, figure-toi, en plus d'être un excellent enquêteur, un passionné d'Histoire ! L'acacia fut un bois principalement importé pour la construction d'un certain monument de la ville... Tu ne devines toujours pas ?

– Tu m'as dit de me taire pour te laisser profiter de toute la gloire, fit Kylian.

– C'est vrai. Donc, je disais... L'acacia est le bois que l'on retrouve majoritairement dans... roulement de tambour, je vous prie : la charpente du manoir de Castelroc !

– Attends, attends, attends... Donc...

Encore une fois, tout le ramenait au manoir. Ce fichu manoir. Il n'y avait pas une journée où il n'occupait pas ses pensées. Pas une journée où il n'y pensait pas. Pourquoi fallait-il qu'encore une fois, celui-ci soit mentionné ? Pourquoi fallait-il que tout soit en lien avec cet endroit du diable ?

– Si tu veux mon avis, il y a quelque chose là-haut ou plutôt quelqu'un, peut-être notre tueur et il profite un petit peu trop de sa tranquillité, car si nos six victimes sont passées par là, il va falloir qu'à un moment ou un autre, on aille jeter un coup d'œil, fit Grégory.

– Le maire préférerait nous pendre par les pieds plutôt que de nous donner les clés de la propriété.

– Oui, mais s'il veut que l'on résout cette affaire, il va falloir qu'il y mette du sien, sinon c'est l'histoire du serpent qui se mange la queue. Du coup, je me disais qu'étant donné qu'il te porte dans son cœur, tu pourrais aller les lui demander ?

– Et en quel honneur je ferais une chose pareille ? Tu prends un plaisir malsain à me pousser dans la gueule du loup, avoue-le.

– Je me dis qu'un loup face à un autre. Pense au petit agneau fragile que je suis, il m'avalerait en une bouchée et on sait tous les deux que ça t'énerverait plus que tout que je revienne bredouille.

Le commissaire leva les yeux au ciel, cédant à la demande sous les cris de joie et de satisfaction de son bras droit.

– Je verrais un autre soleil se lever ! cria ce dernier.

– Avoue-le, tu n'es enthousiaste que parce qu'en allant là-bas, tu pourras satisfaire ta curiosité maladive sur ces histoires loufoques, fit Kylian dépité.

– Qui sait ? Je pourrais mener une double enquête. Une sur nos meurtres et une sur...

Sur le manoir ? Comme s'il y avait quelque chose à savoir sur le sujet ? Tout ce qui le concernait avait été oublié et l'on avait gardé les faits les plus grotesques dans le seul but de grossir le folklore de la ville afin d'attirer toujours plus de touristes. La vérité était connue par peu de personnes et entre les Anciens de la ville peu enclins à se montrer sincères sur le sujet, le maire qui préférerait mille fois sauté par la fenêtre de son étage plutôt que de dévoiler au grand jour ce qu'il savait et Kylian qui chaque jour étouffait un peu plus, il n'y avait vraiment rien ni personne qui serait à même de découvrir ce que cachait Castelroc.

– Les murmures dans le vent. Le "chant". Je veux savoir ce qu'il est, répondit franchement Grégory, plus déterminé que jamais.

– Comme je te l'ai dit, ce n'est que ça : un écho, coupa Kylian.

Un écho du passé. Un appel ou plutôt un rappel.

Car ce que peu de monde savait, c'était qu'il n'y avait que les âmes tourmentées et ayant des choses à se reprocher qui pouvait entendre le "chant" se lever.

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