🍂29 - LE JEUNE HEROS 🍂

Personne à Toleni ne savait comment les rumeurs sur le manoir de Castelroc avaient commencé. Les Anciens accusaient ceux qui étaient là avant eux, mais en vérité personne ne savait qui avait lancé de tels ragots. La seule chose que tous les habitants savaient, car c'était raconté dans les cours d'écoles, fut qu'une famille disparut entièrement en une nuit. Puis un groupe de nonnes. Puis Margarette Heelz. En soi, une dizaine de personnes manquaient encore et toujours à l'appel. On eut bien l'idée saugrenue de lancer une grande fouille des lieux, mais plus le temps s'écoulait et plus le manoir, laissé pour ce qu'il était, menacé de s'effondrer sur quiconque y mettrait les pieds. Les bénévoles de l'association se contentèrent alors des jardins et ainsi, l'intérieur même de la demeure fut évité. Pourtant, c'était bel et bien entre ces quatre murs que tout avait à la fois commencé et pris fin. Comment une famille pouvait disparaître en une nuit ? Comment des nonnes pouvaient-elles s'envoler subitement ? Comment une riche héritière faisant la une de tous les journaux à l'époque avait également pu prendre la poudre d'escampette sans que cela se sache ? Mystère sur mystère.

Mais les mystères étaient tout ce qu'il suffisait, parfois, pour lancer les plus folles croyances, car après tout : comment naît une croyance ? Comment peut-on croire en quelque chose du plus profond de soi-même ?

Personne ne détenait cette réponse. Ni celle-ci, ni toutes celles la précédant. Néanmoins, il y avait un dénominateur commun à toutes ces énigmes restées en suspens et c'était le manoir lui-même.

Alors, on vint à croire, à se laisser convaincre, qu'il était hanté. Abritant une sorte d'esprit tout à fait malfaisant et l'ironie des choses résidait dans ce fait-là. Dans le fait qu'un mauvais esprit se trouvait à quelques mètres à peine du puits à souhaits. Était-ce seulement possible à moins que le puits ne soit lui-même...

Hélas, personne ne chercha davantage de réponses. On se contentait de ce que les plus braves pouvaient inventer comme justification, car c'était là tout ce dont un esprit humain basique avait besoin : une justification. Personne n'aime demeurer dans le suspense sans détenir les réponses ou tout du moins un semblant de réponse, alors on se nourrit de ce que l'on nous dit et le temps faisant son œuvre, on apprend à s'en contenter sans chercher plus loin que le bout de son petit nez. On accepte la disparition mystérieuse d'une dizaine de personnes en un même lieu. On se persuade que ce lieu est hanté sans aucune preuve.

On entend qu'il ne faut pas l'approcher.

On comprend qu'il vaut mieux jouer la carte du secret.

Et c'est ainsi, par accumulation, telle une formule magique et une manipulation savamment orchestrée, que l'on obtient une population crédule acceptant tout bêtement que "des gens disparaissent" car s'ils disparaissent... C'est qu'ils n'ont pas respecté l'interdiction et donc que c'est tout simplement bien fait pour eux. Ô les pauvres malheureux !

La vérité ? Kylian la connaissait. Tout avait commencé avec ce fichu puits à souhait.

Une fillette malheureuse et boudant souhaitant ardemment que sa famille disparaisse et pouf ! Tadam.

Une bonne sœur priant secrètement de retrouver le Seigneur qu'elle aime tant et pouf ! Tadam.

Une riche héritière désirant plus que tout se couper du reste du monde et disparaître des journaux et pouf ! Tadam.

Tant de souhaits dangereusement formulés et si violemment exaucés.

Alors, tandis que Kylian attendit près du puits comme il en avait fait la promesse il y a deux ans, il se dégagea des bosquets une silhouette blanchâtre, déformée et presque affreuse, traînant dans son sillon la seule chose qui aurait pu sauver l'humanité : l'intelligence.

– Je commençais à perdre patience. Ce fut plus long que la dernière fois.

Parce que oui, même un petit garçon formulant le souhait d'être le héros de l'histoire ne pouvait se douter du prix à payer. Un petit héros souhaitant pouvoir sauver tout le monde qui se retrouvait tout compte fait à devoir sacrifier tout ce qu'il lui restait afin de ne sauver qu'une âme égarée. Une seule.

Toutefois, les souhaits sont bâtards : un œil pour un œil. Une dent pour une dent.

Une âme pour une âme. Ou bien étaient-ce dix âmes pour une âme ?

– Après celle-ci, il ne nous en restera plus que deux...

Tout compte fait, quand tout est sacrifié... Que pouvait-il bien rester ?

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